Fiche du document numéro 24939

Num
24939
Date
Mardi 14 mars 1995
Amj
Auteur
Fichier
Taille
115047
Pages
2
Urlorg
Titre
L’Abbé Ngoga - Témoignage J046
Sous titre
L’Abbé Ngoga les encourageait à se défendre même s’ils n’avaient que des pierres à opposer à leurs fusils et leurs grenades.
Nom cité
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Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Témoignage
Langue
FR
Citation
L’Abbé Pierre Ngoga a commencé son ministère sacerdotal à Kibeho. Ensuite, il est allé dans la paroisse de Muganza. Il venait souvent rendre visite aux chrétiens de Kibeho. Il est revenu à Kibeho à partir des années 1990.

Il venait remplacer l’Abbé Sebera, car celui-ci avait été chassé de Kibeho suite aux manifestations des étudiants de Marie Merci, qui réclamaient son départ. Ces étudiants avaient été montés contre lui par l’Abbé Anaclet Sebahinde et Thaddée Rusingizandekwe.

Au début du génocide, Ngoga était curé de la paroisse de Kibeho. Mais un peu avant le génocide, Ngoga ne cachait pas ce qu’il pensait du régime de Habyarimana. Il critiquait sévèrement ce régime lors de ses homélies.

Les massacres ont commencé à Ruramba, dans la commune de Rwamiko. Les Interahamwe ont commencé à brûler les maisons des Tutsi. Ils étaient dirigés par Ildefonse Hakizimana, le Bourgmestre Innocent Bakundukize et Mungabo qui était directeur de l’OCIR (Office des Cultures Industrielles du Rwanda) des plantations de thé de Mata.

Quand Ngoga a vu que la situation se détériorait, il a envoyé un message chez le sous-préfet Damien Biniga. Il lui a dit après la deuxième messe : « Regardez cette foule. Qu’est-ce qu’on peut faire pour eux ? Voulez-vous me donner quelques vivres pour les nourrir ? ».

Biniga a répliqué : « Pourquoi demandes-tu des vivres pour eux ? Que font-ils ici ? C’est pour calomnier les Hutu ». Pierre lui a demandé qui avait détruit les maisons des réfugiés. Biniga n’a pas répondu. Il a plutôt demandé à ces réfugiés de rentrer chez eux. Et nous avons refusé.

Le 10 avril 1994, Biniga est revenu à Kibeho. Il nous a dit de rentrer à la maison. Il a ajouté que rien ne nous arriverait. « Qui peut vous tuer ? », a-t-il demandé. Ngoga lui a montré un garçon qui venait d’échapper à la machette des Interahamwe bien qu’il ait été atteint au visage. Ngoga lui a posé la question : « Où veux-tu qu’ils aillent ? ». Il n’avait plus peur alors qu’il savait très bien que les Interahamwe avaient la mission de le tuer avant tout le monde.

Le 11 avril, le Bourgmestre Nyiridandi est venu nous dire la même chose. Nous avons refusé de rentrer chez nous. C’était une astuce pour nous tuer dans les villages. C’est alors que Nyiridandi est venu inviter l’Abbé Ngoga dans une réunion à Nyarushishi. Mais Ngoga n’a pas répondu à l’invitation. Il ne voulait pas nous abandonner.

Quand ils sont arrivés à Nyarushishi, ils ont envoyé une deuxième invitation à l’Abbé Pierre Ngoga. Il a encore refusé. Nous sommes restés à Kibeho jusqu’à l’attaque finale, le jeudi le 14 avril 1994. Mais avant cette attaque, nous avions repoussé une autre attaque le mardi le 12 avril.

L’attaque de ce mardi était dirigée par Mutazihana et Innocent Bakundukize. Elle a été organisée pour tester nos capacités de résistance. Quand Ngoga les a vus venir, il nous a demandé d’aller chercher des pierres.

Quand les Interahamwe ont voulu entrer, nous leur avons lancé des pierres, puis ils ont reculé.

L’attaque a commencé vers 15 heures et nous avons réussi à les repousser tard dans la soirée. Ces Interahamwe ne sont pas revenus le mercredi. Ils se sont rendu compte que nous étions plus forts. En revanche, ils sont allés chercher des renforts de militaires.
Toute la journée de mercredi a été calme. Mais vers 17 heures, nous avons vu un véhicule de militaires apporter des grenades et des fusils aux Interahamwe.

Notre calvaire a commencé le jeudi 14 avril 1994 vers 13 heures. Les Interahamwe ont commencé par encercler toute la paroisse de Kibeho. Personne ne pouvait fuir. Ils étaient armés de fusils, de grenades, de machettes et de diverses armes traditionnelles.

Vers midi, ils ont commencé à tirer en l’air pour nous intimider. Puis, ils sont entrés dans la cour de la paroisse. Ngoga nous a dit encore une fois de résister. Nous avions des pierres. Nous les avons jetées contre ces Interahamwe, mais nous n’avons pas réussi à les repousser.

Ils sont entrés à l’intérieur de l’église et ont commencé à tuer les gens avec des machettes, des gourdins, des grenades et des fusils.
Ils étaient dirigés par Biniga et ses acolytes Mutazihana et Bakundukize. Je les ai vus de mes propres yeux. Biniga était habillé en civil. Il avait un fusil.

Vers 17 heures, les Interahamwe ont arrêté de travailler parce qu’ils devaient se partager le butin. Personne parmi eux ne pouvait plus leur résister. Ils faisaient tout ce qu’ils voulaient. Ils ont arrêté en disant qu’ils allaient revenir pour « faire le ratissage » le lendemain matin.
Toute l’église et même la cour étaient jonchées de cadavres. On ne pouvait pas trouver d’espace où poser le pied. Nous passions au-dessus des corps .

Après le départ des Interahamwe, l’Abbé Pierre Ngoga nous a dit de fuir. Il a pris quelques blessés à bord de son véhicule et les a transportés à Butare cette même nuit.
Quand il est arrivé à Butare, il a téléphoné à Monseigneur Misago pour lui dire que la paroisse de Kibeho était à feu et à sang. Il lui a demandé d’intervenir pour sauver les religieuses et l’Abbé Lucien Rwabashi, qui étaient restés à Kibeho.

Je ne sais pas ce que Misago lui a répondu. Je n’ai pas continué vers Butare. Je suis allé à Karama. Vers le 21 avril, les Interahamwe ont attaqué cette paroisse. Nous avons tenté de résister. Mais ils étaient plus forts que nous. Nous avons décidé d’aller au Burundi. Nous sommes arrivés là-bas le 22 avril 1994.

J’ai appris la mort de Ngoga au mois de juin 1994. J’étais encore au Burundi. On m’a dit qu’il avait été tué par les militaires sous la complicité d’Anaclet Sebahinde, un prêtre originaire de Kibeho.

Témoignage recueilli à Butare le 14 mars 1995,
Par Pacifique Kabalisa.
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