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La Ligue des droits de l'homme dénonce l'indifférence des pouvoirs publics à la présence de massacreurs sur notre territoire et la façon dont ils font traîner les choses en longueur, y compris sur le plan législatif.
Citation
OÙ en sont les poursuites contre les suspects de génocide rwandais réfugiés en France?... Thème d'une conférence de presse donnée, hier, par la Ligue des droits de l'homme. Avec la participation de Robert Verdier (président de la commission Questions internationales de la LDH), Albert Daum (responsable du secteur Afrique), l'avocat William Bourdon, Rose Murorunkwere (Rwandaise qui s'est portée partie civile contre l'abbé Wenceslas Munyeshyaka, organisateur de plusieurs massacres entre avril et juillet 1994), Rakiya Omaar (codirectrice de l'organisation African Rights), Jean-François Dupaquier (président de Mémorial International, retour de Kigali).
« Pourquoi la Ligue accueille-t-elle cette conférence? - déclarait en ouverture Robert Verdier - elle n'a bien sûr pas à jouer un rôle de tribunal, mais elle attache une extrême importance à cette première expérience d'un tribunal international institué par l'ONU, à propos de l'ex-Yougoslavie et à propos du Rwanda. S'avérera-t-il un organisme impuissant, sorte de concession verbale à l'opinion internationale? Ou se verra-t-il accorder les moyens matériels et financiers pour accomplir sa mission? De la réponse à cette interrogation dépendra l'émergence ou non d'un précédent d'une extrême importance pour le devenir des relations internationales. »
Que la justice se fasse
Rappelant que le 16 juin 1994, Alain Juppé avait assuré que « la France n'aura aucune complaisance à l'égard des assassins et de leurs commanditaires », Me Bourdon soulignait que cette pétition n'avait jusqu'à aujourd'hui pas été suivie d'effets en ce qui concerne le Rwanda. Absence de moyens accordés aux juges d'instruction français par comparaison à ceux dont disposent leurs homologues belges ou suisses, lesquels se sont par exemple rendus sur place alors que cette possibilité a été refusée aux premiers par les autorités de notre pays. Sur le plan législatif, une loi avait été annoncée pour avant la fin 1995; aujourd'hui, on parle, au mieux, de juin 1996... « Tout cela est inacceptable. Le gouvernement français refuse de mettre ses actes en conformité avec ses responsabilités internationales et ses propres engagements antérieurs. Pourquoi? »
Mme Murorunkwere a témoigné du massacre de sa famille organisé par l'abbé Wenceslas Munyeshyaka, lequel vit libre en France. « La France a reconnu le génocide; elle a le devoir d'arrêter les auteurs du génocide. Pourquoi n'envoie-t-elle pas de juges d'instruction au Rwanda? Il faut juger les auteurs du génocide réfugiés chez vous. C'est cela que je demande. »
Autre cas cité par Mme Omaar, celui du docteur Sosthène Munyemana, le « boucher de Tumba », dans la région de Butare. Installé à Bordeaux, celui-ci a eu un poste dans l'université entre octobre 1994 et juillet 1995. Il y a été mis fin lorsque les preuves ont été connues: « L'université de Bordeaux a eu un comportement exemplaire, à la différence de beaucoup d'autres institutions, y compris l'Eglise. » Et puis cette autre question: « Pourquoi l'ambassade de France à Kigali ne recueille-t-elle pas les témoignages comme le font d'autres ambassades? Vous savez, sur place, ce n'est vraiment pas difficile de trouver des témoins! »
« On ne peut pas tourner la page - insistait Jean-François Dupaquier - ce serait courir à de nouvelles violences et à de nouveaux désordres. Il y a là une question de volonté politique. Si nous ne la manifestons pas, nous serons la risée de l'humanité. Il faut que la justice se fasse en France. On ne peut passer l'éponge sur le génocide. »
JEAN CHATAIN