Fiche du document numéro 24912

Num
24912
Date
Mercredi 28 mai 1997
Amj
Fichier
Taille
87813
Pages
2
Urlorg
Titre
L'ethnisme, un fascisme contemporain
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Langue
FR
Citation
« AUJOURD'HUI, le travail de deuil, comme on dit, peut se prolonger dans un travail de réflexion, analogue à celui qui se poursuit encore aujourd'hui publiquement sur le génocide des juifs perpétré par l'Allemagne nazie »... C'est en ces termes que Jean-Pierre Chrétien présente son dernier ouvrage: « le Défi de l'ethnisme. Rwanda et Burundi 1990-1996 » (1). Une ambition partagée par un autre livre, sorti presque simultanément, celui de Dominique Franche: « Rwanda: généalogie d'un génocide » (2). A coup sûr, deux titres de référence sur le drame ensanglantant l'Afrique des Grands Lacs, Congo-Zaïre compris.

Depuis Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur et patron des réseaux « françafricains », il est de bon ton d'évoquer l'atavisme ethnique, sorte de fatalité issue des temps immémoriaux, pour réfuter par avance toute tentative d'analyse et surtout toute recherche de responsabilités. Le vieux discours colonial dans toute sa splendeur. Style: de tout temps, « ils » se sont haïs et entre-tués, nous autres Européens ne pouvons qu'assister à ces horreurs.

Quitte à « ignorer » le fait que, dans le cas du Rwanda comme du Burundi, l'antagonisme Hutu-Tutsi peut être très précisément daté: l'époque de la colonisation (allemande d'abord, belge ensuite). Il fut amplifié et utilisé par des gouvernements indépendants mais restés fort branchés sur les ex-métropoles ayant mis et continuant de mettre en coupe réglée l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne.

Pourquoi et comment cette « montée d'un intégrisme ethniste »? interroge Jean-Pierre Chrétien. Prenant à contre-pied le discours développé à satiété par certains dirigeants et médias français - une violence « tribale » et donc, par définition, impossible à analyser rationnellement - il en souligne la finalité politique: « L'ethnisme, par sa logique réductrice, se présente comme un véritable fascisme contemporain et non comme une particularité exotique (...) ces intégrismes passionnels sont une forme de gestion du malaise social qui ne débouche sur aucun changement radical, mais plutôt sur une dépendance accrue. »

Une machine infernale qui a survécu au génocide rwandais. Dominique Franche: « Le discours raciste, ethniste, s'est encore répandu à la faveur de l'impunité dont ont joui les auteurs du génocide réfugiés dans les pays voisins et nourri par l'aide internationale. Pendant plus de deux ans, les partisans du « Hutu power » ont pu continuer d'exercer leur endoctrinement raciste dans les camps de réfugiés emmenés en otages en 1994. »

Un troisième ouvrage incarne ce que peut être la poursuite du « travail de deuil », au sens le plus brutal du terme. « La mort ne veut pas de moi », de Yolande Mukaganasa (3). Récit du massacre de sa famille et de ses proches par une infirmière rwandaise, d'appartenance tutsi, miraculeusement survivante.

Une plongée dans l'immonde qui se conclut sur une phrase atroce: « Jusqu'à mon dernier jour, chaque fois que je penserai à la mort de mes enfants, ce sera comme si je venais de l'apprendre. » Et cette autre citation, qui soulève des échos dépassant largement l'Afrique des Grands Lacs: « Un peuple devient raciste lorsqu'il ne parvient plus à s'expliquer son propre malheur »...

(1) Jean-Pierre Chrétien: « le Défi de l'ethnisme » (Karthala éd., 22-24, bd Arago, 75013 Paris), 400 pages, prix 170 francs.

(2) Dominique Franche: « Rwanda: généalogie d'un génocide » (Editions Mille et Une Nuits), 96 pages, prix 10 francs.

(3) Yolande Mukaganasa: « La mort ne veut pas de moi » (Fixot éditeur: 24, avenue Marceau, 75008 Paris). 270 pages.

JEAN CHATAIN.
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