Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
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PATRICIA ADAM (PRESIDENTE DE LA COMMISSION DE LA DEFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMEES) ET HUBERT VEDRINE, LE 16 AVRIL 2014.
NB. – Les principaux bégaiements ont été supprimés.
[00’ 03’’]
Patricia Adam : Bon. Chers collègues [sourire], Christophe et Michel, si vous pouviez… Merci. Bon, je suis heureuse, bien sûr, d’accueillir Hubert Védrine qui…, pour une audition qui est ouverte à la presse, je le rappelle. Nous avons eu, vous le savez…, eu affaire, récemment, à une polémique navrante à l’occasion de la commémoration du génocide au Rwanda. Le ministre de la Défense s’est d’ailleurs largement exprimé sur le sujet en adressant un message aux armées sur ce point, ainsi que le Premier ministre.
[00’ 43’’]
Il nous appartient… Il ne nous appartient pas d’examiner aujourd’hui en détail ce nouveau douloureux épisode. Cela a été fait de manière très sérieuse à l’époque, en 98, par une mission d’information de l’Assemblée nationale qui était menée par Paul Quilès, Pierre Brana et Bernard Cazeneuve. Chacun d’entre vous peut se référer à ce rapport très important, et en particulier à la troisième partie qui avait particulièrement analysé ce qui…, l’action de l’armée française au Rwanda.
[01’ 17’’]
Pour autant, compte tenu des accusations injustes qui ont été portées contre nos armées, tant de la part du régime rwandais que de certains commentateurs parisiens, il m’est apparu nécessaire – et je remercie Hubert Védrine d’avoir accepté mon invitation – de répondre à ces différents commentaires. Hubert Védrine, Monsieur le Ministre, vous étiez en effet à l’époque secrétaire général de la présidence de la République. Et à ce titre, vous aviez d’ailleurs été entendu, également à l’époque, par la mission d’information. Donc sans plus attendre, je vous laisse la parole. Merci.
[01’ 57’’]
Hubert Védrine : Merci Madame la Présidente. Merci de votre invitation. Merci de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer devant vous. Je dirai un mot sur…, pourquoi le…, il est encore nécessaire de revenir encore sur ces questions jusqu’à maintenant. Je rappellerai – selon mon analyse à moi et mon souvenir à moi – les objectifs de la politique française, non pas en 94 qui n’est qu’un aboutissement, mais à partir de 90. Et on ne comprend absolument rien si on ne part pas de 90.
[02’ 27’’]
Je dirai un mot sur les caractères très particulier de la controverse. Je n’ose pas dire « polémique » parce que ça atteint un degré de violence inégalée. Et donc les caractères particuliers de la controverse qui a ressurgi…, qui ressurgit périodiquement, à certains moments particuliers sur lesquels il faut, je crois, s’interroger. Et je dirai un mot, selon moi, des bilans qu’on peut tirer de tout ça : erreurs ou pas de la France, comment. Bilan sur les interventions ou pas, etc. Bon. Alors, d’abord, il est évident que quand une controverse atteint ce stade de violence, il est nécessaire de chercher à comprendre et y revenir. Ça n’a absolument rien à voir avec les controverses normales, légitimes qui ont pu exister sur la réunification allemande, sur la Yougoslavie, sur la guerre du Golfe, sur le Kosovo, les Balkans. Aujourd’hui Mali, RCA. Ça n’a rien à voir. C’est d’une autre nature. Les accusations qui sont lancées contre la France périodiquement par le Président Kagame sont d’une autre nature puisqu’on parle de « complicité de génocide ». Si les mots ont un sens, c’est monstrueux ! Ou alors, c’est que les mots n’ont plus aucun sens. Il dit ça à propos de la Belgique aussi. A propos de la France, il parle même de « participation directe ». Donc, c’est très particulier. C’est très particulier.
[03’ 41’’]
Ensuite, le rappel de la politique de la France, selon moi. Selon moi. Moi, je pars de 90. Parce qu’on ne comprend pas – qu’on soit d’accord ou pas, hein – mais on ne comprend pas la politique menée par la France si on ne repart pas de l’attaque lancée en 1990 par le FPR de Paul Kagame depuis l’Ouganda, avec le soutien de l’armée ougandaise. Qui n’a jamais été contesté, notamment par les Ougandais, par le Président Museveni, ce soutien, en fait. Donc, ça c’est le point de départ. C’est à partir de là que le Président Mitterrand – donc on est avant la cohabitation – estime que la…, cette attaque menée d’un territoire étranger, par une toute petite minorité. Les Tutsi sont très minoritaires. Les Tutsi de l’Ouganda sont encore plus minoritaires, ceux qui sont dans le FPR de Paul Kagame. Je rappelle que les Tutsi ont dû fuir – certains d’entre eux – le Rwanda, à l’indépendance en 62, quand les Belges ont laissé un chaos complet au Congo, au Rwanda, Burundi. Et que donc ces pays se sont tournés vers la France sous le général de Gaulle en disant : « Est-ce qu’on…, on est nulle part, est-ce qu’on peut appartenir à un ensemble qui serait l’ensemble autour de la France ? ». Et donc le général de Gaulle avait accepté. Depuis lors, il y a des liens qui ont existé entre les présidents de tous les gouvernements avec le Rwanda.
[04’ 56’’]
Le Rwanda qui ne posait même pas de problème particulier avant, puisqu’on avait même parlé à une époque de la « Suisse de l’Afrique ». Ce qui était peut-être une vue optimiste ou liée au fait qu’il y avait des collines verdoyantes. Mais, en tout cas, ce n’était pas un pays particulièrement à problèmes. Il y avait un problème : le massacre d’une partie des Tutsi en 62, une diaspora tutsi qui recherchait à rentrer. Donc un problème de réfugiés qu’aucun responsable rwandais hutu – majorité de 85 % – n’avait réglé. Donc il y avait ce problème, un problème de droits de l’Homme en quelque sorte. Mais le Rwanda ne se…, n’était pas un pays qui posait des problèmes, surtout quand on regarde l’ensemble de la zone. Ce n’est pas… L’expression de « régime génocidaire » – sur laquelle je reviendrai – c’est quelque chose qui apparaît longtemps après. Longtemps après. En réaction, d’ailleurs à mon avis, aux attaques de Kagame. Mais ce n’est pas du tout le cas du Rwanda de 90.
[05’ 45’’]
Donc François Mitterrand, compte tenu de sa connaissance ancienne de l’Afrique… Je rappelle qu’il avait été très jeune ministre de la France d’Outre-mer en 49, 50. C’est l’époque où il avait réussi à détacher Houphouët-Boigny et quelques autres du parti communiste auxquels ils étaient rattachés uniquement pour les besoins de la lutte pour l’indépendance. Enfin, il connaissait bien l’Afrique depuis longtemps. Il savait très bien qu’il y avait eu ces grands massacres de 62. Donc il pense tout de suite – tout de suite – que cette attaque militaire va déclencher un processus de guerre civile. Et qui ne peut-être que meurtrier. Et que jamais les Hutu, ultra majoritaires, se laisseront déloger comme ça. Donc, il pense ça tout de suite. Et il estime que c’est le devoir de la France de stopper ça. Il n’y a pas un accord contraignant, genre accord de défense comme on a eu avec d’autres pays. Mais il estime que, compte tenu du rôle de la France dans toute cette zone – qui va du Sénégal à Djibouti, on va dire –, il y a une sorte d’engagement de stabilité de la France et que si elle est défaillante quelque part, sa parole, son engagement, sa crédibilité ne vaudront plus rien partout.
[06’ 44’’]
Il a déjà réagi comme ça – mais il n’y a pas eu de polémique sur cet autre sujet – au Tchad. Je rappelle que quand il avait été élu, la Libye contrôlait à peu près tout le Tchad. Et petit à petit, en quelques années, d’une opération dite « Epervier », il avait réussi à faire reculer la Libye qui avait perdu tout contrôle sur le Tchad. Le seul prix à payer, pour lui, ça avait été d’accepter une rencontre avec Kadhafi qui ne voulait pas parachever la sortie et conclure s’il n’avait pas l’honneur de rencontrer François Mitterrand. C’est un prix à payer léger, disons. Ça s’était passé en Crête, ça avait été organisé par Andréas Papandreou. Donc, c’était la même…, le même raisonnement, la même politique. Un peu comme quand il disait : « On ne peut pas laisser l’Irak avaler le Koweït, il faut réagir ».
[07’ 22’’]
Et donc, là, il réagit tout de suite à l’offensive de l’Ougan…, du FPR soutenu par l’Ouganda, en voyant ce risque. Donc, soutien militaire, parce que l’armée rwandaise est incapable de tenir sa frontière. Mais le soutien militaire n’est qu’un aspect de la politique. Ce n’est qu’une condition de la politique. Et à partir de cet engagement, il estime que ça donne le droit à la France de faire pression sur le régime qu’on est censé entre guillemets « soutenir » – dans les polémiques qui circulent sans fin –, soutenir. En fait, le soutien, ça consiste à tordre le bras du régime pour leur dire : « On tient…, on vous aide à tenir la frontière mais vous devez partager le pouvoir. Vous devez respecter les droits de l’Homme. Enfin mieux, en tout cas. Vous devez traiter, régler la question des réfugiés ». Le régime hutu évidemment ne veut pas : il est ultra majoritaire, pourquoi aller le contester sur ce terrain. Mais le poids de la France fait que, ces pressions, qui sont répétées sans arrêt… C’est bourré de témoignages là-dessus dans le rapport Quilès-Cazeneuve ! Pas Quilès-Cazeneuve-Brana. Parce que Brana se pose en opposant. Il avait signé le rapport à l’époque…
[08’ 20’’]
Patricia Adam : Oui.
[08’ 21’’]
Hubert Védrine : Mais depuis il se pose en opposant du rapport, à date récente. Mais c’est un rapport Quilès-Cazeneuve. Et ce n’est pas Quilès et Cazeneuve qui l’ont écrit. C’est un…, une mission d’information qui a recueilli des dizaines de témoignages qui sont très précis…
[08’ 31’’]
Patricia Adam : Bien sûr, bien sûr.
[08’ 32’’]
Hubert Védrine : On voit très bien comment les ministres successifs ou ministres délégués, ou ambassadeurs ou directeurs, sans arrêt, disent au gouvernement de Kigali : « Le soutien est conditionnel. C’est un soutien conditionnel. Vous devez accepter à terme le partage du pouvoir ». Ils ne veulent pas, évidemment. Ils ne veulent pas. Ils veulent simplement être sauvés [sourire] par une intervention française mais ne pas partager. Mais la politique de la France, c’est celle que j’ai rappelé. C’est important parce qu’elle…, ce n’est jamais rappelé dans la plupart des polémiques qui se concentrent dans une confusion totale sur les enchaînements, sur qui fait quoi. Et sur les dates : sur 94 ! Et moi, je vous parle de 90, 91, 92, 93.
[09’ 10’’]
Bon, en… 93. Oui, 93, y a des élections. Donc, cohabitation. Et cette politique est tout à fait endossée par le gouvernement Balladur et par Alain Juppé et François Léotard. Ils estiment que la France est dans son rôle en essayant de tuer dans l’œuf cette guerre civile. Tout de suite. Donc, entre parenthèses, ceux qui disent – soit par accusation, soit par réponse ou par confusion –, ils disent : « Oui, c’est vrai, on ne s’est pas bien rendu compte ». La France s’est très bien rendu compte, dès le début ! C’est même pourquoi elle était la seule à faire quelque chose. Le seul pays au monde qui a vu ça tout de suite, tout de suite, le risque. Donc intervention. Alors, le gouvernement Balladur accepte cette politique. Alain Juppé s’engage beaucoup notamment sur l’affaire des accords d’Arusha. Je ne vais peut-être pas entrer dans le détail, on n’a pas le temps. Mais il y en a eu plusieurs des accords d’Arusha. Mais ça finit par aboutir en 93. Et un accord dans lequel les deux parties, c’est-à-dire le gouvernement du Rwanda, qui entre-temps d’ailleurs avait été en partie dépossédé – dépossédé – de ses attributions, le Président, par un gouvernement de transition. Il y avait des opposants à Habyarimana. Mais ces forces-là et d’autre part le FPR de Paul Kagame acceptent les accords d’Arusha, qui est un accord de partage du pouvoir. Donc, il y a un calendrier – vague mais enfin, quand même –, il y a une…, un compromis sur le partage et il y a l’engagement de régler la question des réfugiés. C’est un accord politique ! La France pense avoir réussi. L’engagement précoce de la France depuis 90, sous Mitterrand et sous Mitterrand-Balladur-Juppé, a obtenu ça. A obtenu ça. Et à l’époque, c’est un sentiment de soulagement – de soulagement, je dirais même de fierté –, d’avoir obtenu cet accord. Qui n’est pas du tout évident, cet accord d’Arusha. Après on entre dans la mise en œuvre des accords d’Arusha…
[10’ 58’’]
Patricia Adam : Oui.
[10’ 59’’]
Hubert Védrine : Ça, c’est compliqué parce qu’évidemment, il y a des groupes qui ne sont pas – dans chaque camp, hein –, qui ne veulent pas de compromis. On a peut-être, d’ailleurs, sous-estimé à l’époque la violence des groupes en question. Des deux côtés ! Des deux côtés. Mais les négociations ont lieu, ça avance. Et d’ailleurs, l’attentat contre les deux Présidents, parce qu’il y avait le Président du Burundi aussi, qu’on oublie tout le temps. Le Burundi on n’en parle jamais parce que…, comme c’est…, il n’y a pas de…, dans l’affaire du Burundi, de quoi accuser la France, ça n’intéresse personne en fait. Mais il y a beaucoup de drames au Burundi aussi. Et d’ailleurs, je rappellerai que le fait que le Président hutu du Burundi ait été assassiné, à l’automne 93, par des putschistes tutsi, avait encore renforcé la violence des Hutu au pouvoir qui ne voulaient rien lâcher, par rapport à ça. Donc, attentat au retour de…, d’une négociation à Nairobi [sic], à Arusha [sic] pardon. Et qui avait bien progressé. Donc, c’est une ambiance d’optimisme. Tout le monde était d’accord en théorie. Même Paul Kagame avait écrit au Président Mitterrand pour le remercier de ce que la France avait fait jusque-là, jusqu’aux accords d’Arusha. Donc à l’époque, cela veut dire qu’il ne critiquait pas ce qu’avait fait la France depuis 90. L’engagement 90, 91, 92, 93. Bon. Alors, l’attentat a lieu.
[12’ 16’’]
Les massacres commencent. Ils prennent une proportion énorme, ça devient clairement un génocide. La France est la première, par la voix d’Alain Juppé, à dire que c’est un génocide. La première réaction de François Mitterrand, c’est de dire : « Il faut… Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Mais on avait retiré nos troupes. A part quelques coopérants techniques, peu nombreux, il n’y a plus de troupes, en fait, pour agir. « Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». La France, la diplomatie française recherche des appuis, notamment au Conseil de sécurité. Aucun pays important ne veut faire quoi que ce soit. Aucun pays tout court ne veut faire quoi que ce soit. Les Etats-Unis disent : « Il n’est pas question qu’on s’en occupe. Personne ne sait où c’est, en plus ». Les Etats-Unis ont été traumatisés par ce qu’il s’était passé en Somalie où une trentaine de marines ont été tués, lynchés, etc. Et donc, l’administration Clinton ne veut pas en entendre parler. Les Anglais non plus, les Allemands non plus. Enfin, aucun pays important. Aucun pays africain important ne veut faire quelque chose. Au début, très vite Alain Juppé dit : « On ne peut pas ne rien faire ». Le Président est plutôt d’accord avec lui. Mais la Défense ne veut pas. Le CEMA, enfin l’état-major ne veut pas. François Léotard, ministre de la Défense, ne veut pas. Ce qui, entre parenthèses, est une réponse à certaines des polémiques qui survivent sans fin – comme les canards sans tête un peu – consistant à dire qu’il y avait une sorte de connivence ou de proximité ou de complicité. L’armée française ne voulait pas du tout en fait ! Ne voulait pas… Ça lui semblait impossible, impraticable, trop compliqué en plus, pour des raisons logistiques et de positionnement. Et en plus, quand on s’engage dans une guerre civile pour essayer d’en limiter la…, limiter les horreurs, évidemment on prend un risque. Quelle que soit la guerre civile.
[13’ 57’’]
Il n’empêche que c’est tellement atroce que, au bout d’un moment, François Mitterrand, comme Président, dit : « On… Ce n’est pas possible. Il n’y a personne. Mais on ne peut pas ne pas y aller, on ne peut pas ne pas y aller. Faut y aller dans des conditions correctes mais on doit y aller ». Donc, il arbitre. Alors Balladur s’incline. Mais il dit : « Dans ce cas-là, il faut que ça soit couvert par une résolution du Conseil de sécurité ». Mitterrand est évidemment d’accord. « Et il faut que ça soit limité dans le temps ». Et on a la résolution du Conseil de sécurité. Donc, Turquoise, ce n’est pas une lubie française, ce n’est pas inventé comme ça par l’état-major pour soutenir, entre guillemets, « leurs copains ». Si ça avait été le cas, s’il y avait quoi que ce soit de vrai dans les accusations, la France aurait pu faire une opération forces spéciales immédiatement pour venir à l’aide de tel ou tel proche. Ça n’a pas du tout été le cas ! Donc, c’est une intervention humanitaire, qui a lieu au bout de plusieurs semaines, parce que la pseudo communauté internationale s’est… [on entend une sonnerie de téléphone portable], a été confirmée comme étant inexistante, inexistante. Donc, la France s’est résignée à y aller seule ! Mais il y a une résolution du Conseil de sécurité, chapitre VII ! C’est une intervention légale – légale ! –, légitime que la France fait seule parce que personne d’autre n’y va. Donc voilà l’enchaînement.
[15’ 06’’]
C’est quand même extraordinaire que la France, qui est le seul pays au monde à avoir décelé tout de suite le potentiel dangereux de l’attaque de 90, comme étant le début d’un engrenage vers une guerre civile qui ne pouvait être que meurtrière – même si personne n’imaginait les proportions atroces du génocide qui a eu lieu finalement – quand même, la France était la seule à avoir vu ça. La France est le pays qui s’est le plus engagé pour tordre le bras des Hutu et des Tutsi pour qu’ils partagent le pouvoir. Les…, il y a beaucoup de diplomates. On en voit d’ailleurs dans les témoignages dans la mission Quilès qui disent : « C’est très bien ce qu’a fait la France. On était d’accord, on a appuyé ». C’est les Belges, c’est les Américains, c’est d’autres. Mais l’engagement politique, il est français, en fait ! « Nous ne vous protégeons qu’à condition de. De ! ». Ce n’est curieusement jamais rappelé, ça, par les attaques. La France est le seul pays qui a fait ça. Et en 94, la France est le seul pays qui finalement, peut-être tard, mais ait envoyé une force pour essayer de limiter les horreurs de la guerre civile et sauver des vies. Et c’est le seul pays dans lequel il y a une polémique. « Polémique », le terme est trop faible. Il y a eu des attaques, de la violence inimaginable, auxquelles vous avez assisté à nouveau. Le seul pays ! Alors que, dans ceux qui n’ont rien fait, en dehors du fait qu’ils s’excusent – on ne sait pas de quoi d’ailleurs, mais ils se sont excusés, ils ont fait des commissions, des trucs –, mais en fait, rien. Il n’y a pas de polémiques ! Donc leur politique d’abstention ne fait pas l’objet de controverses longtemps après. C’est quand même très, très frappant.
[16’ 28’’]
Sur la polémique, un mot maintenant. Enfin, la polémique. J’emploie sans arrêt le mot « polémique », c’est encore une fois un terme trop faible. Sur les attaques : il y a eu des attaques en 94 au début. Parce que, quand le FPR était en phase conquérante, disons… Evidemment, la France qui disait au début des massacres : « On pourrait peut-être essayer de sauver le…, les accords d’Arusha, peut-être, en gardant le contact avec tout le monde, avec tous les protagonistes d’Arusha », il est évident que ça contrariait les intentions du FPR par rapport à ça. Donc, il y a eu un peu de polémiques mais qui n’ont pas pris la violence qu’elles ont prises par la suite. La preuve : moi, en tant que ministre, j’ai rencontré deux fois Kagame. Je l’ai rencontré une première fois pour faire le tour de l’Afrique centrale que je connaissais mal, où j’ai été au Rwanda, au Burundi, Ouganda, etc., Tanzanie. Et une deuxième fois, l’année d’après, avec le ministre britannique Jack Straw, puisqu’en tant que ministre, je cherchais à ce qu’on fasse…, à ce qu’on harmonise mieux la politique des Européens en Afrique. La discussion a été…, elle a eu lieu. Et si les Rwandais croyaient à un millième de qui est raconté, il est évident que Kagame ne m’aurait jamais reçu pour parler, même pour parler d’une façon un peu dure. Bon, on a eu un échange, par rapport à ça, où je lui avais dit : « Ce qui s’est passé dans votre pays est abominable. Ce qui est dit sur la France est évidemment faux, vous le savez. Mais regardons l’avenir et ne croyez surtout pas que la France a comme politique de vous empêcher de reconstruire et de développer le pays ». Et on avait discuté sur ces bases, sur ces bases.
[17’ 56’’]
Parce qu’il n’avait pas – c’est mon analyse, hein, ça n’engage que moi [sourire] –, mais il n’avait pas besoin encore, disons, d’instrumentaliser, une sorte de gigantesque contre-attaque en disant : « C’est de la faute de la France ». C’est arrivé quand ? C’est arrivé en réaction au rapport Bruguière, à l’enquête Bruguière et aux conclusions du juge Bruguière qui, après une instruction, contestée après, était arrivé à la conclusion que c’était Paul Kagame qui avait commandité l’attentat contre l’avion. Or depuis l’attentat, il y a toujours eu deux interprétations possibles : la première, ce sont des extrémistes hutu qui ont liquidé leur propre Président parce qu’ils lui reprochent d’avoir cédé aux pressions de la France. Non pas parce que la France le soutient ! Parce qu’il a cédé aux pressions de la France, de partage du pouvoir. Et comme ils ne veulent pas partager mais tout garder, ils l’éliminent. Première interprétation, ça. Deuxième interprétation : c’est le FPR de Kagame – qui n’a aucune envie d’avoir simplement un morceau du pouvoir dans un accord de compromis à Arusha – qui veut tout conquérir. Deux interprétations. Vous remarquerez que dans les deux cas, c’est un attentat anti-Arusha. C’est un attentat anti compromis. Ce n’est pas un attentat auquel la France a…, c’est un attentat anti politique française. Puisque la France était fière d’avoir extorqué, obtenu le partage du pouvoir. Et ça, ce n’est jamais rappelé naturellement dans les controverses. Donc, ce n’est qu’après les conclusions Bruguière – contestées, mais c’était sa conclusion – que le régime de Kigali a éprouvé le besoin de faire rédiger un rapport, qui s’appelle le rapport « Mucyo », consistant à dire : « Tout est de la faute de la France, de la faute des… ». Et donc, il y a toute la liste des autorités politiques et militaires françaises par rapport à ça. Ce n’est qu’après ! Parce qu’il y a eu la mise en cause précise sur l’attentat, qui est un point vital. C’est… – à mon avis, hein, c’est mon avis, encore une fois –, c’est important parce que je pense que c’est ça qui explique la nouvelle attaque, récemment.
[19’ 56’’]
Sinon, dans la polémique qui dure – avec des hauts et des bas – depuis une vingtaine d’années, ce qui me frappe, moi, c’est que des réponses ont été apportées sur à peu près tout, à toutes les interrogations, normales, légitimes. Toutes les questions, toutes. Dans les témoignages reçus par Paul Quilès et Bernard Cazeneuve – mission d’information qui avait été acceptée par le gouvernement Jospin avec le…, mon accord personnel, l’accord d’Alain Richard, la décision de Lionel Jospin. Mission qui a obtenu la déclassification de milliers de documents secret-défense, à l’époque, des milliers de pages. Bon. Donc, c’est très important que ça ait eu lieu. Et on voit des éléments en réponse à tout ça. Mais on a le sentiment, quand on regarde de près les arguments utilisés par ceux qui attaquent la France, qu’ils ne tiennent aucun compte de ça. Donc, les controverses récentes ne disent pas : « On vous avait accusé de. Vous avez répondu. Mais on n’est pas d’accord parce que ». Non. C’est comme si les réponses n’avaient jamais lieu, en fait. Jamais ! Aucune indication.
[20’ 58’’]
Je vous en ai donné un exemple… Je ne veux pas être interminable, mais j’ai donné un exemple qui est que, on continue à lire ou entendre : « La France a soutenu un régime qui…, qui préparait un génocide ». Ça n’a rien à voir avec la chronologie que j’ai rappelée. Elle ne se soutenait pas [sic], elle tordait le bras ! Et plus le régime…, plus il se développait dans le Rwanda un état d’esprit génocidaire, au fur et à mesure que les offensives de Kagame avançaient – il y a un lien entre les deux ! –, au fur et à mesure, la France augmentait ses pressions. C’était une course de vitesse ! Course de vitesse, entre les pressions. Et c’est vrai qu’au fur et à mesure que Kagame avançait, dans tout le Rwanda, vous aviez des réactions de gens qui se disaient : « Ils vont revenir prendre le bétail et les terres, en fait. C’est les gens de 62, ils reviennent ! ». Donc, c’est absolument rempli de gens qui, en effet en 62, avaient assassiné des Tutsi et avaient pris les terres, après. Donc, il y a une espèce de peur qui monte et la peur se transforme en haine et « mon voisin, c’est mon ennemi », cinquième colonne. Enfin, vous voyez, ce genre de chose diabolique – diabolique ! – dans l’enchaînement. Et on ne peut pas dire que la France ne le sait pas ! Et ça ne sert à rien de dire : « Dans le télégramme X de tel jour, machin, l’ambassadeur a dit : “Attention, il y a un état d’esprit” ». La France le sait très bien ! Sinon pourquoi elle serait là ?
[22’ 08’’]
Elle est là précisément parce qu’elle a bien compris qu’il y avait un enjeu effrayant, terrible, depuis 90. Et elle est là pour prévenir ça, pour stopper. C’est une course de vitesse ! Et donc, Arusha, normalement c’est la réponse à ça. « Ça y est, ouf ! Ils ont accepté de partager le pouvoir ». Les controverses ne tiennent jamais compte de ça. Les controverses ne parlent presque jamais d’Arusha. Les controverses ne parlent presque jamais de Kagame avant 90 : qu’est-ce qu’il a fait ? Pourquoi il était en Ouganda ? Pourquoi l’Ouganda le soutenait ?
[22’ 39’’]
Alors, il y a une partie des gens en France, notamment dans le monde militaire, qui ont une interprétation – que moi je ne partage pas – qui était de relier ça à la francophonie ou les affrontements franco-britanniques, Fachoda, tout ça. Moi je n’ai jamais pensé que c’était une explication de tout ça. Il me semble que la bonne explication du soutien de l’Ouganda à Kagame, c’est que, d’abord Museveni devait beaucoup à Kagame qui l’avait soutenu dans les maquis, que Museveni commençait à trouver Kagame encombrant, en quelque sorte, en Ouganda. Et que, par conséquent, l’idée que Kagame allait prendre le pouvoir au Rwanda, c’était pas mal du point de vue de Museveni. Pourquoi les Américains et les Israéliens soutenaient ? Moi, je n’ai jamais pensé qu’il y avait un…, je n’ai jamais pensé ni écrit, ni rien qu’il y avait une forme d’intention anti française. Certains ont cru ça. Vous savez les thèses de Fachoda. Moi, il me semble que si les Américains et les Israéliens soutenaient l’Ouganda, c’est parce que l’Ouganda était une base arrière indispensable contre le régime islamiste de Khartoum. Il y avait tout un engagement américain sur des années, qui d’ailleurs a abouti à la longue à la création du Sud-Soudan, en fait. Donc, ils avaient besoin qu’il y ait des guérillas anti soudanaise qui puissent être en Ouganda, donc ils avaient besoin de l’Ouganda. Et si Museveni disait : « Faut aider mon cousin Kagame » – puisque c’est des ethnies cousines, en plus – « à revenir au Rwanda ». Très bien, pourquoi pas. Mais je n’ai jamais pensé à une sorte d’intention spécifique anti française. Mais les controverses ne parlent jamais de ça !
[24’ 06’’]
Les controverses ne parlent jamais de ce qui s’est passé après. Après 94. D’ailleurs, ce n’est pas les mêmes journalistes qui se spécialisent comme procureurs sur 94 ou qui analysent l’Afrique avant et après. Ce n’est pas les mêmes, en fait ! Ça ne les intéresse pas, après. La presse française, pour donner un exemple, n’a quasiment jamais relayé – à une ou deux exceptions près – le jugement de juges espagnols qui avaient eu à traiter de la question parce que des jeunes espagnols membres d’ONG, dans les zones militairement libérées par le FPR, avaient été assassinés. Donc, il y a des plaintes de familles, donc des juges espagnols qui étaient mandatés là-dessus. Et il y a un jugement, il y a quatre, cinq ans – je n’ai pas les références exactes mais on peut les retrouver si ça vous intéresse – dans lequel…, qui commence par une sorte d’attendus, en expliquant comment le FPR, depuis l’Ouganda, a déstabilisé le Rwanda pour pouvoir dire que les Tutsi étaient en danger. Donc, en faisant assassiner des Hutu, dans des endroits variés, pour qu’il y ait des…, d’affreux massacres en représailles ! Des espèces de pogromes locaux anti Tutsi, pour pouvoir dire : « Ils sont en danger ». Des juges espagnols ! Je ne parle pas d’un journaliste pro…, pro hutu, hein ! Des juges espagnols. A peu près personne dans la presse française n’a répercuté ça. En ce qui concerne le Kivu, où il y a eu, donc le… Après le génocide, je rappelle que le Rwanda et l’Ouganda ont été au Kivu. D’abord pour poursuivre les génocidaires et les éliminer. Et puis après pour prendre le contrôle du Kivu, qui est très riche. Après l’Ouganda et le Rwanda se sont disputés sur le contrôle des mines. Donc, il y a eu beaucoup de troubles et de chaos. Et des ONG anglo-saxonnes, américaines, ou l’ONU nous disent : « Il y a eu trois, quatre, cinq millions de morts dans toute cette affaire du Kivu ». Pas des morts directes – il y a eu beaucoup de morts directes – mais beaucoup de morts par maladie, famines, etc. Bon. Je ne sais pas du tout ce que valent ces chiffres. Tous ces chiffres sont toujours un peu…, des évaluations, d’ailleurs. Mais je note que, dans les controverses, ça ne joue aucun rôle ! On ne parle jamais de ce qui s’est passé après !
[26’ 00’’]
Dans la période plus récente, beaucoup d’anciens compagnons de guerre de Kagame, qui étaient avec lui dans le maquis, puis pour prendre le pouvoir à Kigali, puis pour l’exercer, l’ont quitté. L’ont quitté. Des Tutsi ! Il en a… Dans la presse africaine, on lit qu’il en a fait assassiner déjà plusieurs parce qu’ils disaient que c’était lui qui avait fait l’attentat. Pas parce qu’ils étaient devenus opposants. Donc, on dit, on lit : « Il fait éliminer ses opposants ». Ce n’est pas ses opposants ! C’est ceux de ses opposants qui disent qu’il a fait l’attentat. Il a fait assassiner – et c’est…, dans ce cas-là, ça a marché d’ailleurs – l’ancien chef des services qui étaient en Afrique du Sud ! Il y a… Ça remonte à quelques semaines. Ils ont tenté de l’assassiner…
Ils l’ont quasiment revendiqué à Kigali en disant : « Ceux qui attaquent le pays s’exposent à des conséquences ». Le… Ils ont tenté d’assassiner l’ancien chef d’état-major des armées du Rwanda, qui est en Afrique du Sud. Trois balles dans le ventre. Il a survécu. Ils ont recommencé. Le Président Zuma s’est mis en colère et a rappelé les diplomates. Ils sont…, ils ont quasiment rompu. Ils n’ont pas rompu complètement mais enfin, il y a une crise aiguë entre l’Afrique du Sud et le Rwanda. Où est-ce que vous entendez parler de ça ? Le point de vue des Sud-Africains sur l’affaire du Rwanda ? Le point de vue des Congolais sur l’affaire du Rwanda ? Le point de vue des Tanzaniens sur l’affaire du Rwanda ? En France, nulle part. Et aucun de ceux qui animent les controverses – pour des raisons qui leur sont propres, en ne tenant compte de…, d’aucune information, d’aucune chronologie, d’aucune réfutation –, en réalité, ne s’intéressent pas à ce que pensent les Africains sur le sujet. Ils ne s’intéressent, en triant dans tout ça, que ce qui permet d’alimenter, donc, une mise en cause de la France sur une période particulière.
[27’ 30’’]
Je pense que ce sont ces accusations-là, qui ont été reprises en France que par un seul journal – je crois Marianne, ça a peut-être été mentionné par un ou deux autres –, qui donne la parole à des témoins, qui disent : « J’étais dans le commando chargé d’abattre l’avion. On a essayé une première fois, il y a eu du brouillard. On a recommencé à un autre moment, etc. ». Bon, je ne sais pas si c’est vrai. Moi je n’en sais rien, je n’ai aucun élément pour trancher entre les différentes thèses. Je note simplement qu’on est dans un environnement où certaines accusations sont reprises sans fin – sans fin ! –, d’autres jamais. Et les réfutations, jamais. Donc, c’est quand même frappant, ça mérite réflexion. Il me semble, moi, que la raison pour laquelle le Président Kagame a réattaqué aussi violemment la France, alors qu’il est plutôt…, il est moins soutenu par les Américains et les autres, qu’il est plus critiqué, qu’il a une opposition qui s’organise, qu’en Afrique en tout cas, l’histoire sur les opposants dont je viens de vous parler est assez connue, il me semble que ça touche au point vital qui est l’affaire de l’attentat. Madame Carla Del Ponte, qui a expliqué plusieurs fois – mais là aussi, ça n’a pas l’air d’intéresser grand monde à Paris –, plusieurs fois, que tant qu’elle enquêtait sur le génocide, Kagame la soutenait, en tant que procureure devant le Tribunal. Il dit : « Oui, c’est très bien. Il faut chercher les preuves des…, concernant les Français dans le génocide ». C’est ce que disait Kagame. Quand elle a commencé à dire : « Je voudrais enquêter sur les crimes commis de l’autre côté », il a fait stopper sa mission. Il a fait stopper sa mission. Elle a été voir Kofi Annan, qui lui a dit : « Eh bien oui, je n’y peux rien. C’est politique. Je ne sais pas quoi faire ». Ça…, apparemment, ça n’intéresse personne ! Et Carla Del Ponte dit que s’il était avéré – ce qu’encore une fois je ne sais pas aujourd’hui, hein, mais il faut au moins se poser la question, les deux hypothèses –, s’il était avéré qu’il est l’auteur de l’attentat, elle dit que, pour elle en tout cas, ça change toute l’explication des évènements de 90 à 94 inclus. Bon, voilà. Je suis obligé d’être très rapide parce que je ne veux pas abuser de votre temps.
[29’ 21’’]
Je terminerai par deux, trois remarques sur bilan-erreurs. Alors, en ce qui concerne les erreurs, moi je pense bien sûr qu’il y a eu des erreurs, qu’on peut se poser des questions. Mais c’est rarement ce qu’on appelle les erreurs de ceux…, de la part des procureurs ! Des procureurs autoproclamés. Parce que ce que les procureurs autoproclamés veulent démontrer, c’est que la France est coupable, en fait. Et qu’elle cache des choses. Alors il y a toute l’histoire sur les archives où on ne tient jamais aucun compte de…, des quantités extraordinaires de documents secret-défense ou confidentiel-défense qui ont été déclassés pour la mission Quilès. Deuxièmement, ceux qui parlent des archives ne parlent jamais des archives belges, américaines, ougandaises s’il y en a, du FPR s’il en existe, etc., etc. C’est que les archives françaises ! Donc, ce n’est qu’une stratégie du soupçon. Ces gens-là n’ont pas l’air de s’intéresser du tout à ce qu’il y a dans les archives qui ont été révélées ou qui ont circulé. Donc, dans le…, en ce qui concerne le bilan et en ce qui concerne les erreurs potentielles, si on n’était pas sous le coup d’accusations aussi monstrueuses… Enfin, d’abord fausses, fausses ! C’est le principal. Ce n’est pas que c’est une…, c’est un…, ça suscite l’indignation mais c’est surtout faux ! Avant d’être ignominieux ou scandaleux, par rapport à l’armée ou je ne sais quoi. C’est vrai tout ça. Mais c’est d’abord faux ! Bon.
[30’ 41’’]
Si on s’interrogeait vraiment sur les erreurs, la première question c’est : est-ce qu’en 90, le président de la République François Mitterrand n’aurait pas dû dire « peu importe », « peu importe ». En disant : « Après tout, il n’y a aucun intérêt stratégique dans le Rwanda. Donc, que ce soit gouverné par X ou Y, ça ne nous concerne pas ». Mais il fallait assumer les massacres à ce moment-là. Par rapport à toute une tradition française qui fait qu’on ne peut pas le laisser faire. Il y a eu l’idéologie de l’ingérence, pendant longtemps, un rôle particulier. Bon. S’il avait réagi d’une façon cynique – on est un peu à contrepied là, vous voyez –, en disant « ça ne nous concerne pas », il y aurait eu des protestations à l’époque. Des gens qui auraient dit : « C’est affreux, des massacres ! Et on ne fait rien ! ». Parce qu’évidemment, les Hutu, ils ne se seraient pas laissé déloger sans rien faire, bien sûr. Et ils n’ont pas fait les massacres avec des armes françaises fournies pour obtenir [sic] la frontière avec l’Ouganda. Parce que les massacres, comme vous le savez, ont été faits à coup de machettes, village par village. S’il avait dit ça, qu’est-ce qui se serait passé ? Le FPR aurait pris le pouvoir finalement, mais au milieu de plein de massacres. Mais il n’y aurait sans doute pas de controverses franco-françaises ! Sans doute pas. C’est une question brutale que je pose. Mais, au fond, aucune évaluation ne me gêne, moi, si elle est…, aucune réflexion, si elle est fondée sur des faits historiques et non pas sur des interprétations, des accusations sans fondement.
[32’ 04’’]
Deuxièmement, au moment d’Arusha – qui était un vrai succès encore une fois, formidable ! –, est-ce qu’on n’a pas pêché par optimisme, on va dire, en pensant que les accords d’Arusha allaient s’appliquer comme ça ? Est-ce qu’on n’a pas sous-estimé la détermination des extrémistes hutu à ne jamais lâcher ? Est-ce qu’on n’a pas sous-estimé…, on ne l’a pas sous-estimé avant, on a bien vu comment toute l’en…, tout le système devenait génocidaire mais on pensait avoir…, on n’a…, ce n’est pas qu’on n’a pas vu ! On pensait avoir répondu par l’accord d’Arusha ! Est-ce qu’on n’a pas sous-estimé la violence de ces groupes ? Est-ce qu’on n’a pas sous-estimé la détermination de Paul Kagame à prendre le pouvoir à tout prix pour lui ? Est-ce que ça n’a pas été sous-estimé, ça ? Par méconnaissance peut-être de l’histoire de Kagame, de sa personnalité, etc. Donc on peut se poser des questions !
[32’ 56’’]
Et sur Turquoise…, on peut se dire…, je ne vois pas ce qu’on peut dire ! Parce que ce n’est pas une décision française unilatérale, ce n’est pas une lubie française. Ce n’est pas une lubie de l’armée française. Je l’ai raconté, c’est tout à fait l’inverse. Il y a une décision du Conseil de sécurité, je ne vois pas ce qu’on peut reprocher ! Sauf à dire que…, évidemment, on va dans une guerre civile – épouvantable ! – avec une haine extraordinaire ou une peur extraordinaire, c’est pareil. Donc on court le risque énorme d’être là. Et là, il se passe une horreur abominable. Et après on vient dire : « Vous ne pouviez pas ne pas savoir, vous auriez dû l’empêcher, etc. ». Les gens qui disent ça tranquillement dans leur bureau, franchement ils n’ont jamais été dans une guerre, encore moins dans une guerre civile. Bon. Mais on prend ce risque ! Bon. Voilà.
[33’ 37’’]
Donc, moi, il me semble que la France ayant été le seul pays à voir le risque en 90, à s’engager en 93, à s’engager en 94, le seul pays qui est traîné dans la boue comme on le voit aujourd’hui, sans réplique d’un niveau suffisant par rapport aux attaques, on ne peut que conclure qu’il faut être quand même extraordinairement réticent et réservé par rapport à toute intervention ! C’est à ça que ça conduit ! Le paradoxe étant que, dans les différents journaux ou partis politiques, ceux…, beaucoup de ceux qui attaquent en général étaient pour l’ingérence ! Historiquement. Et ils partageaient les idées, là : « On ne peut pas laisser faire, on a un rôle universel », les droits de l’Homme, etc. C’est tout à fait respectable comme courant de pensée. Mais, dans un cas où ça a été fait et où malheureusement ça a échoué – la France a fait tout ce qu’elle a pu, elle a échoué –, on voit que tout se retourne contre la France. Donc ça ne peut qu’encourager – je le dis à regret, hein –, ça ne peut qu’encourager une sorte d’isolationnisme et de « ponce-pilatisme » par rapport au…, à d’autres conflits. Donc, c’est très, très… Les…, le contenu de cette controverse, comme apparemment on n’arrive pas à l’atta…, à l’expliquer assez clairement, qu’on n’ose pas aller au bout de l’explication de pourquoi Kagame fait ça, en fait. Ça ne peut que conduire à une espèce d’autoparalysie, que je trouve désolante parce que, même si… Moi, je n’ai jamais été un militant de l’ingérence en plus, tout le monde le sait ça ! Mais je pense que dans certains cas, si les conditions sont remplies, s’il n’y a pas d’autres solutions, je pense qu’il ne faut pas…, la France ne peut pas s’interdire, non plus, complètement de le faire. Mais si même dans un cas chapitre VII, sur Turquoise, on entend et on lit ce qu’on entend, la conclusion devrait être : plus jamais ! C’est ça le risque.
[35’ 25’’]
Patricia Adam : Ouais…
[35’ 27’’]
Hubert Védrine : Voilà mon avis, personnel. Ça n’engage que moi.
[35’ 31’’]
Patricia Adam : Merci Monsieur le Ministre [sourire]. Merci Monsieur le Ministre. Je vais passer aux questions de mes collègues : François de Rugy.
[35’ 38’’]
François de Rugy : Merci Madame la Présidente. Merci Monsieur Védrine pour vos…, votre intervention qui a balayé déjà beaucoup de sujets et de questions. Bon, vous savez sans doute qu’il en reste un certain nombre, et qu’il reste… – je pense, sans tomber dans l’autoflagellation, qui peut être souvent quelque chose que l’on pratique dans notre pays –, il y a des interrogations légitimes. Et ce que vous avez dit par ailleurs sur le fait qu’on interroge moins, en tout cas dans la presse française ou autre, le rôle d’autres forces en présence – hein, vous avez parlé même des archives de l’Ouganda, les archives du FPR s’il y en a, etc. –, bon, nous sommes des responsables politiques français donc nous agissons aussi, en ce qui nous concerne, par rapport au…, à la politique française menée à l’époque ou menée aujourd’hui.
[36’ 34’’]
Il y a deux, trois questions que, là, vous n’avez pas évoquées dans votre propos liminaire sur, d’abord, la question de savoir si la menace d’une…, d’un plan génocidaire avait été identifiée, puisque vous êtes remonté, et c’était intéressant jusqu’à 1990, avant, avant vraiment l’assassinat du Président Habyarimana. Donc ça, est-ce que c’était quelque chose, vous, dans les fonctions que vous avez occupées à l’époque, que vous avez eu à connaître ?
[37’ 07’’]
Il y a la question qui reste quand même une zone d’ombre sur le fait que, non pas sur la nature de l’opération Turquoise, hein – vous avez bien dit que c’était une opération humanitaire –, mais sur le fait que, dans le cadre de cette opération, des membres du gouvernement, donc, responsable du génocide se trouvaient dans la zone contrôlée par les forces françaises de l’opération Turquoise. Qu’en est-il de leur évacuation vers le Zaïre à l’époque ? C’est une zone d’ombre.
[37’ 38’’]
Et enfin, dernier point, est-ce qu’il vous paraîtrait intéressant, par rapport aussi aux fonctions de ministre des Affaires étrangères que vous avez occupées quelques années après, qu’il y ait des documents, d’autres documents, qui soient déclassifiés ? Vous avez dit qu’il y en avait déjà beaucoup qui l’avaient été au moment de la mission Quilès. Mais est-ce que notamment des documents diplomatiques, français hein – je parle pour ce sur quoi nous pouvons avoir prise –, qui mériteraient d’être, pour lequel il serait utile, justement, peut-être, pour faire taire un certain nombre de fantasmes ou de rumeurs ?
[38’ 15’’]
Hubert Védrine : [inaudible] question par question ?
[38’ 16’’]
Patricia Adam : Par question par question [sic] ou on passe toutes les questions. C’est comme vous souhaitez. On en passe plusieurs ?
[38’ 23’’]
Hubert Védrine : Il est probable qu’il y a des questions qui vont se recouper en partie.
[38’ 25’’]
Patricia Adam : Oui, alors on va passer dans ce…
[38’ 26’’]
Hubert Védrine : Mais je répondrai à tout, mais…
[38’ 27’’]
Patricia Adam : D’accord. Joaquim Pueyo.
[38’ 30’’]
Joaquim Pueyo : Oui, Monsieur le Ministre, merci de votre exposé. La question que je me pose : mais comment peut-on cesser ces controverses, en fait ? Alors, vous avez rappelé un petit peu l’histoire de…, des conflits entre ces deux peuples. Je crois que c’est bien de bien comprendre l’histoire, effectivement, des Hutu et des Tutsi. Vous avez rappelé 59. Il y a eu également des massacres en 72, qu’on n’a peut-être pas suffisamment analysés : 100 000 Hutu ont été assassinés en 72.
[39’ 04’’]
Hubert Védrine : 62.
[39’ 05’’]
Joaquim Pueyo : 62 ou 72 ? 62, bon.
[39’ 09’’]
Hubert Védrine : En fait, il y a des grands massacres au moment de l’indépendance en 62…
[39’ 12’’]
Joaquim Pueyo : Oui.
[39’ 13’’]
Hubert Védrine : C’est un massacre des Tutsi par les Hutu…
[39’ 14’’]
Joaquim Pueyo : Par les Hutu, voilà.
[39’ 15’’]
Hubert Védrine : C’est ça qui entraîne d’ailleurs le départ d’une partie des Tutsi en Ouganda, qui créent la diaspora dont sera issue la famille Kagame.
[39’ 22’’]
Joaquim Pueyo : Ouais. Mais je pense que l’histoire joue un rôle important également pour bien comprendre la situation de 94. J’ai lu dans Le Monde du 8 avril une tribune d’une association « Survie.org ». Je ne sais pas si vous avez regardé cette tribune. Donc, il y a beaucoup de questions qui ont été posées. Alors des questions : « Est-ce que la France a livré des munitions aux forces armées après le début du génocide ? », « à quelle date ? ». Le fait également que Paris aurait pu arrêter les auteurs du génocide. Mais on ne l’a pas fait, on les a plutôt orientés vers le Zaïre. Enfin, des questions assez brutales, par cette association. Et ils réclament, en fait, pour éclaircir toutes ces questions – même si ça a été éclairci par la commission parlementaire, je crois qui a fait un excellent travail –, la levée du secret-défense.
[40’ 14’’]
Est-ce que vous pensez que ce serait une manière peut-être de dire : « Les historiens, travaillez sur cette question. Les politiques ont tout dit, il ne faut plus que les politiques parlent ». Ce serait plutôt aux historiens, 30 ans après les faits, qui pourraient travailler sur cette question pour arrêter toute controverse.
[40’ 35’’]
Patricia Adam : Merci. Marie Récalde.
[40’ 38’’]
Marie Récalde : Oui, Monsieur le Ministre. Je ne reviendrai pas sur mes propos que j’ai adressés hier au ministre des Affaires étrangères mais juste au titre de la présidence du groupe d’amitié France-Rwanda, ici à l’Assemblée nationale. Même si je partage tout ce que vous avez été dit [sic] et j’ai eu l’occasion de m’exprimer en ce sens.
[40’ 55’’]
Je voulais vous faire part de quelques éléments : nous avons reçu au sein de ce groupe l’ambassadeur du Rwanda à Paris il y a quelque temps, avant les propos tenus par le Président Kagame, qui nous faisait part de son souhait, au nom de son pays, de renforcer, encore plus que cela n’a été fait depuis 2010, nos relations et notamment nos relations économiques. Et militaires ! J’en profite pour le dire. Et il nous disait regretter que les entreprises françaises ne répondent pas davantage aux appels d’offres rwandais, sur leur marché, sans doute par ignorance de ce que ce pays est devenu : un taux de croissance en Afrique, et qui ferait rêver…, de 8 % – qui ferait rêver à certains, qui fait rêver dans doute un certain nombre de nos pays –, un taux d’alphabétisation qui a dépassé les objectifs du millénaire, des exportations dans le domaine agricole importantes, une industrie agro-alimentaire en plein essor qui va de pair. Et un pays couvert – puisque c’était un investissement fort du Président Kagame – à 80 % par la fibre. Avec un rôle qu’il compte jouer à ce titre-là en Afrique. Donc, on le voit, un pays qui a évolué. Et il nous faisait part de son souhait de développer ses relations, et les investissements français en particulier, au Rwanda, au-delà de ce qu’ils étaient aujourd’hui.
[42’ 13’’]
Alors, on avait… On a été surpris par les propos du Président Kagame la veille des commémorations. Je devais moi-même me rendre pour ces commémorations avec la garde des Sceaux. Et puis…, vous savez ce qu’il s’est passé. Il…, le Président avait déjà, certes, prononcé ces propos – le Président Kagame – il y a dix ans. Vous avez rappelé ces éléments-là. Néanmoins, les relations s’étaient améliorées. Avec les éléments que vous nous avez donnés, quels sont, d’après vous…, pourquoi, plutôt, d’après vous, le Président Kagame a tenu…, a-t-il tenu ces accusations fortes – le mot est faible [sourire] –, directement et pourquoi maintenant ? Y voit-il un risque pour sa place en Afrique puisqu’il apparaît aujourd’hui comme celui qui a sorti le Rwanda de la misère ? C’est un raccourci abusif, hein, mais qui en tout cas a donné au Rwanda sa croissance actuelle. Est-ce qu’il y voit, dans les éventuels éléments qui pourraient être…, ressortir de ce que vous nous avez dit, une…, un risque pour sa place en Afrique ? Parce qu’au même moment où on demande à la France d’investir plus, économiquement et aussi du point de vue militaire, au Rwanda…, de l’autre côté, les accusations insoutenables et indécentes qu’il a tenues vis-à-vis de ceux à qui on demande de travailler ensemble sont surprenantes à ce moment-là de nos relations. Voilà.
[43’ 52’’]
Patricia Adam : Merci Marie. Olivier Audibert-Troin.
[43’ 56’’]
Olivier Audibert-Troin : Eh bien écoutez, c’est un peu une belle transition avec notre collègue Marie Récalde. Monsieur le Ministre, d’abord merci pour vos explications. Vous l’avez dit vous-même : une commission…, une mission d’information, pardon, présidée par Paul Quilès en 1998 ne laissait aucune place aux accusations proférées par le Président Kagame, notamment ces derniers jours. D’abord, une première observation : dire que si la classe politique a été plutôt mesurée, a fait corps, il y a néanmoins quelques déclarations qui ont surpris. D’autant qu’elles n’ont pas été démenties officiellement. Je pense notamment au Mouvement des jeunes socialistes – le MJS –, qui a, je les cite donc, parlé d’une « décision indigne de la France » de ne pas aller aux dernières commémorations, disant ainsi qu’« elle ne reconnaît pas », la France donc, « son implication dans le génocide des Tutsi au Rwanda, qui est pourtant établie par les historiens ». Je pense qu’il est des moments où il faut démentir et rester, donc, dans l’union nationale.
[45’ 12’’]
Pour revenir, donc, au sujet – et comme le disait à l’instant, donc, notre collègue – y a-t-il, d’après vous, des éléments nouveaux qui pourraient étayer ces accusations 20 ans après ? Par exemple, on parle, donc, de livraisons d’armes. C’est ce que vous avez dit [il désigne de la main Joaquim Pueyo]. Est-ce que ce sont des éléments, pour vous, nouveaux ? Que recherche le Président Kagame aujourd’hui ? Comment, au nom de la diplomatie, arriver à renouer les fils avec le Rwanda ?
[45’ 48’’]
Et puis, peut-être, et vous l’avez évoqué et ça, c’est une vraie question : au moment où… – donc, les Etats-Unis, on le voit bien donc, se déplacent plutôt sur le continent asiatique –, où nous sommes de plus en plus seuls sur le continent africain, on l’a vu encore avec le Mali, on le voit avec le [sic] Centre-Afrique, quelle leçon tirer pour le futur ?
[46’ 12’’]
Patricia Adam : Merci. Christophe Guilloteau.
[46’ 15’’]
Christophe Guilloteau : Oui, question à peu près dans la même veine. C’est vrai que cette époque était une époque un peu compliquée mais…, de cohabitation, pour la France. Mais c’est vrai que depuis quelque temps, il y a des voix qui s’élèvent. Alors, on se demande pourquoi elles s’élèvent maintenant. Et, je voudrais tout d’abord…, j’ai lu un article de Jeune Afrique il y a quelque temps où on fait parler un ancien capitaine de l’armée française, Guillaume Ancel, qui explique que la France n’était pas là pour faire de l’humanitaire mais pour soutenir le pouvoir huti [sic], hutu. Donc, j’aimerais que vous me disiez si ces accusations que porte ce capitaine sont fondées ou pas. Et, si c’est le cas, ce que je ne comprends pas, c’est qu’il n’y a pas de réaction sur ces accusations qui sont fortes, comme celles que soulevaient aussi mon collègue. On a l’impression qu’il y a une espèce d’omerta dans cette affaire, que le ministre a largement dédouané la France, l’armée française mais… Voilà, il y a eu des réactions fortes, celles du ministre de la Justice, l’autre jour, de ne pas vouloir aller… C’était tout à fait légitime par rapport à ce qu’avait porté comme accusations le président de la République du pays mais… Voilà, ce qui me gêne, c’est qu’il y a aussi des anciens militaires qui maintenant y vont de leur petit couplet.
[47’ 36’’]
Patricia Adam : Merci Christophe. Michel Voisin.
[47’ 39’’]
Michel Voisin : Oui, merci Madame le Président. Monsieur le Ministre, j’ai fait partie de la Mission de Paul Quilès à l’époque. Et j’ai surtout été au Rwanda en 1994, au moment du génocide. Les accusations qui peuvent être portées contre l’opération Turquoise sont scandaleuses lorsqu’on a vu des gamins de 20 ans faire ce qu’ils ont été obligés de faire. Pour… J’en parle encore avec des sanglots dans la voix, c’était invivable, c’était quelque chose de dramatique. Et je pense que tous ces jeunes qui sont passés là-bas le portent encore certainement dans leur chair, dans leur ventre et dans leur tête et qu’ils ont encore des…, certainement, des insomnies totales. Monsieur le Ministre, vous avez…, vous êtes passé sur un évènement qui a eu lieu et qui a peut-être son importance : sur les pressions – occidentales d’ailleurs ! –, on nous avait fait rapatrier nos deux compagnies de parachutistes qui étaient à Kigali, de même que les parachutistes belges. Et…, parce que lorsqu’on connaît Kigali, enfin cette région, ces deux compagnies assumaient tout à fait la sécurité dans le pays.
[49’ 02’’]
De même qu’il me souvient d’avoir évoqué ça au cours de cette mission d’information : vous avez parlé de Paul Kagame dans le maquis, en Ouganda, et on nous avait…, il semblerait à l’époque qu’il y avait des Occidentaux avec lui. Alors, je ne sais pas si on a eu des explications là-dessus nouvelles mais c’est quelque chose qui pourrait aussi apporter certains éléments.
[49’ 29’’]
Et je crois qu’il faut rappeler aussi que nous avions des coopérants…, un accord de coopération militaire avec le Rwanda. Et que, bien entendu, en même temps, les militaires français qui apprenaient, qui formaient l’armée rwandaise – régulière, bien entendu ! – utilisaient du matériel français.
[49’ 51’’]
Patricia Adam : Merci. Charles de La Verpillière.
[49’ 54’’]
Charles de La Verpillière : Oui, merci Madame la Présidente. Monsieur le Ministre, vous avez très bien expliqué pourquoi, à ce moment précis, le Président Kagame a intérêt, trouve un intérêt à relancer des accusations ou à lancer des accusations contre la France. Donc, ça, vous l’avez parfaitement expliqué. Pouvez-vous nous dire, à votre avis, quelles sont les motivations de ceux qui, en France, relayent ces accusations ? Alors, est-ce que c’est uniquement…, ce sont uniquement des journalistes en mal de copie, à la recherche de sen…, sensationnalisme – ça y est, j’y arrive [sourire] – ou bien est-ce qu’il y a d’autres intérêts, d’autres groupes, des explications politiques pour…, qui font que les accusations du Président Kagame sont relayées dans notre pays ?
[50’ 56’’]
Patricia Adam : Michel Voisin, tu as oublié quelque chose ?
[50’ 59’’]
Michel Voisin : Oui, j’ai oublié quelque chose Monsieur le Ministre. On pourrait aussi se poser la question de savoir – je fais partie de l’association France Turquoise –, de savoir pourquoi les plaintes qui ont été portées à l’égard de…, je vais citer son nom, Monsieur Patrick de Saint-Exupéry, le journaliste, n’ont jamais donné…, été…, n’ont jamais abouti ? Par, donc, l’association France Turquoise qui défend l’armée française.
[51’ 31’’]
Patricia Adam : Philippe Meunier.
[51’ 34’’]
Philippe Meunier : Merci Madame le Président. L’affaire rwandaise intervient la décennie après la chute du mur de Berlin. Questions que tout le monde doit se poser, c’est : « A qui profite ce crime ? A qui profite l’assassinat du Président rwandais ? A qui profite la déstabilisation du Congo suite à la prise du pouvoir par Kagame ? ». Moi, j’ai deux questions à vous poser : la première, c’est qui a armé Kagame ? Où a été formé Kagame ? Aujourd’hui, nous constatons que le Rwanda a pris comme langue officielle la langue anglaise, que ce pays est situé au cœur de l’Afrique. C’est un pays qui est positionné de façon très stratégique sur le continent. Et puis je vais vous raconter une petite histoire : j’ai eu l’occasion de me rendre au Rwanda dans le cadre du groupe d’amitié France-Rwanda et nous avons visité un certain nombre de ministères et nous avons eu des rencontres avec des ministres rwandais. Et avant la rencontre avec un des ministres rwandais, nous avons vu sortir Tony Blair du ministère. Et le ministre nous a raconté…, nous a expliqué que Tony Blair conseillait le Rwanda et Paul Kagame.
[52’ 45’’]
Patricia Adam : La dernière question, Patrick Labaune.
[52’ 48’’]
Patrick Labaune : Merci Madame la Présidente. Monsieur le Ministre, à…, deux questions en écoutant votre conclusion. La première – je vous laisse libre –, vous dites que la France, devant cette situation, maintenant, pour sa position d’interventionnisme, va s’interroger. Autrement dit, dans 10 ans, on risque d’avoir des polémiques sur, entre guillemets, le « génocide français » en Centrafrique. Première question.
[53’ 12’’]
Deuxièmement, est-ce que dans…, la fin vous avez dit : « Est-ce qu’on n’a pas sous-estimé certaines choses, etc. Donc, il y avait une sorte d’autocritique de l’intervention française. Est-ce qu’il n’y en a pas une qu’on pourrait dire, c’est un petit peu ce que j’appellerai de l’« occidentalocentrisme » ? Je veux dire par-là qu’on a sous-estimé en fin de compte non pas un clivage droite-gauche, un clivage impérialisme-dominé, etc., mais un clivage tout à fait, je dirais, d’anthropologie politique, tribus, ethnies et que – vous l’avez bien rappelé, et je vous fais confiance – le Président Mitterrand, qui connaissait un petit peu l’Afrique, a senti ce problème en 90, de ces résurgences, je dirais, d’anthropologie politique de base, qui sont déterminantes dans ces régions-là. Et je veux dire par-là, est-ce qu’on n’a pas sous-estimé ce problème d’anthropologie politique ?
[53’ 55’’]
Patricia Adam : Merci. Monsieur le Ministre, je vous laisse répondre à l’ensemble de ces questions.
[54’ 04’’]
Hubert Védrine : Merci. Je vais les prendre, peut-être, dans l’ordre. Et je conclurai. La question de Monsieur de Rugy sur le plan génocidaire. Mon analyse à moi, c’est qu’il n’y a pas de plan au début. Il n’y a pas de plan en 90, du côté des Hutu. Est-ce qu’il y a un plan à la fin ? Même le Tribunal d’Arusha n’a pas conclu sur le…, vous le savez ça. Le Tribunal d’Arusha a estimé qu’il n’y avait pas les éléments, dans certains jugements, tout en condamnant des prévenus pour leur comportement personnel…, ils n’ont pas pu conclure qu’il y avait un plan organisé, en tant que tel. Donc, ce qui est tenu pour acquis par une partie des procureurs ici n’est pas établi, en fait.
[54’ 48’’]
En revanche, ce qui me paraît, moi, évident, c’est que, au fur et à mesure que la guerre civile progresse – 90-11-12, enfin avant Arusha et après –, il y a une sorte de réaction génocidaire qui commence à s’organiser. Puisque – je crois que je l’ai dit tout à l’heure – à peu près dans chaque village, il y a des gens qui se disent : « S’ils reviennent, ils vont me reprendre la terre ». Donc, il y a une espèce d’état d’esprit. Alors certains experts disent : « Ça a été favorisé par une sorte de fabrication par les Allemands mais surtout par les Belges, il y a une sorte de hiérarchie sociale, qui était en partie fabriquée, bon, entre les Tutsi et les Hutu ». D’ailleurs, la révolte de 62, elle est…, il y a une dimension ethnique et une dimension sans-culottes aussi. Il y a une sorte de dimension de révolution très, très forte par rapport à ça. Donc, oui, il y a une sorte de système qui devient génocidaire. D’ailleurs, de facto, il y a eu le génocide au bout, à l’arrivée.
[55’ 39’’]
Mais « plan génocidaire », je n’en sais rien. Je n’en sais rien et je ne peux pas me substituer, avec les éléments que j’ai, au Tribunal d’Arusha qui n’a pas conclu clairement sur ce point. Ça n’empêche pas de condamner les génocidaires, hein ! Mais sur la question du plan : est-ce que la France avait conscience d’un plan ? Non, pas au sens de « plan », puisque ça ne me paraît pas aussi clair que ça. Conscience d’un risque, bien sûr ! Depuis le début ! Conscience d’un risque, en tout cas de guerre civile et de grands massacres. Et je répète : sinon, l’engagement n’a pas de sens ! L’engagement du début. Et que, c’est pour ça que ce n’est pas simplement une intervention française – comme il y a eu dans le passé, où la Grande-Bretagne en Sierra-Leone, ou d’autres –, une intervention à l’ancienne pour stopper le…, l’attaque venue de l’Ouganda. Ce n’est pas que ça ! S’il n’y avait pas l’idée qu’il y avait un risque dans le pays tant que la question politique, ethnico-politique, n’est pas surmontée, il n’y aurait pas les pressions pour Arusha. Donc, il y a une prise de conscience assez forte par rapport à ça.
[56’ 37’’]
Dans le cadre de Turquoise, il y a en effet beaucoup de polémiques aussi, qui oublient toutes – je l’ai rappelé tout à l’heure, les attaques –, que c’était une décision du Conseil de sécurité. Mais c’est une intervention…, c’est une opération qui intervient au bout de plusieurs semaines puisque, donc, personne n’a voulu venir avant, qui intervient depuis la République Démocratique du Congo, avec de la logistique américaine, parce que ce n’est pas évident de transporter tous ces militaires à cet endroit. Et après, il se passe ce qui se passe dans toutes les guerres civiles, c’est-à-dire qu’il y a une confusion extrême sur le terrain, qu’il ne faut pas oublier.
[57’ 11’’]
Donc c’est évident qu’il y a dû y avoir…, depuis le Rwanda, des génocidaires qui sont passés par la zone de sécurité Turquoise, au Sud-Ouest, vers le Congo. C’est évident aussi que des tas de génocidaires ont dû partir à d’autres moments, avant ! Pourquoi est-ce qu’ils auraient attendu des semaines qu’une opération éventuelle ait lieu, pour passer uniquement dans cette région-là, alors que toutes les frontières sont des passoires, en fait ? Donc le seul endroit où les génocidaires ne pouvaient pas aller, que ce soient des chefs ou des exécutants, c’est vers l’Ouganda. Parce que, ça, c’était tenu par l’armée ougandaise qui était le fournisseur d’armes du FPR, par rapport à ça. Donc, voilà ce que je peux répondre à votre question. Mais en dehors de… Même s’il y a eu des génocidaires qui sont passés par cette zone, il y a eu… Les militaires le disent bien dans leurs explications, il y a eu des milliers ou des dizaines de milliers de gens qui ont pu passer. Des gens normaux, enfin des Tutsi normaux, des Hutu normaux qui sont sortis par ça.
[58’ 11’’]
Et encore une fois, l’opération Turquoise ne peut pas être présentée comme ayant été conçue dans ce but. S’il avait fallu extraire, exfiltrer des génocidaires, c’était une opération forces spéciales, comme il y en a eu d’autres fois en Afrique de la part d’autres pays – et pas que de la France – au cours des décennies écoulées. Il n’y a pas besoin d’attendre des semaines, que l’Amérique veuille bien décider de faire quelque chose avec nous pour se résigner à le faire seuls ! Des semaines après, dans cet endroit ! Donc, là, plaquer là-dessus l’idée que c’est pour aider des génocidaires, je pense que c’est tout à fait inexact.
[58’ 40’’]
Quant à l’i… Alors, ensuite vous avez parlé de l’intérêt de déclassifier d’autres documents que les milliers de pages déclassifiées à la demande de Paul Quilès, qui a fait un travail auquel je rends hommage, là. Oui, peut-être, mais il faut le faire dans le cadre d’une compréhension d’ensemble ! Si c’est fait uniquement dans le cadre d’une stratégie du soupçon qui consiste à soupçonner ou accuser que la France, à ne tenir compte d’aucune des informations données, et sans arrêt relancer le soupçon, je pense que c’est alimenter une machine qui n’a rien à voir avec la recherche de la vérité historique. Si en revanche, l’idée de Paul Quilès qui avait écrit à…, au secrétaire-général des Nations unies, en disant il y a quelques années déjà : « Au fond, vous pourriez prendre l’initiative de rassembler une sorte de super-commission internationale ». On rassemblerait ce qui a été dit dans le rapport de la mission Quilès-Cazeneuve. Et puis il y a eu une commission en Belgique. Et puis à New York. Et puis des travaux à Washington ou ailleurs, si les Ougandais veulent bien s’y prêter aussi. Quelques autres Africains, pourquoi pas. Je pense que ça reste une bonne idée, ça. Mais on sort par le haut, ce n’est pas une espèce de règlement de compte avec des jugements a priori. Et moi, je trouverais ça très bien si c’était possible. Ça me gêne si c’est utilisé comme un élément de soupçon contre la France seule. Même si j’ai compris ce que vous avez dit : on est ici en France, c’est assemblée française, commission française. C’est normal que vous interrogiez là-dessus. Mais pour avoir une compréhension claire un jour, je pense que l’idée de Quilès était bonne.
[1 h 00’ 07’’]
Ensuite la question… Alors l’association Survie, naturellement je la connais puisque c’est une ONG qui est, en quelque sorte [rire], spécialisée dans la dénonciation de tout ce que la France a fait en Afrique, jusqu’à conclure qu’il n’y a que la France qui ait fait des choses mal. Bon. Cela ne veut pas dire que toutes leurs questions sont absurdes ! Mais c’est une ONG qu’on ne peut pas découvrir brusquement aujourd’hui pour son, disons, son objectivité historique. C’est une ONG combattante par rapport à ça. La question des livraisons d’armes qui revient assez souvent : ce que je crois être le cas – ce que j’ai compris à l’époque ou après, avec le recul ou maintenant – c’est que, la France a donc armé l’armée rwandaise pour résister aux attaques du FPR et de l’armée ougandaise. Avec un certain type d’armement, qui n’a jamais servi au génocide ! Donc ça a été armé dans ce but, en fait, à partir de 90. Et après, bon. Donc il y a eu des livraisons d’armes pour que l’armée rwandaise soit capable de tenir le choc. Parce que s’il n’y avait pas d’armée capable de tenir le choc, vous pouvez oublier Arusha et tout le reste ! Il n’y a plus les éléments, il n’y a plus le levier pour obtenir un compromis politique. Donc, il est resté des relations d’armement. Et ce n’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies. C’est la suite de l’engagement d’avant. La France considérant que, pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire ! Ça n’a jamais été nié ça ! Donc, ce n’est pas la peine de nous le découvrir, de le présenter comme étant une sorte de pratique abominable masquée. C’est dans le cadre de l’engagement, encore une fois, pour contrer les attaques ! Ça n’a rien à voir avec le génocide. Et même les attaquants les plus violents contre la France n’ont jamais osé écrire ou raconter que le génocide lui-même, village après village, avait été fait avec des armes fournies par la France à l’armée rwandaise contre les attaques du FPR. Faut distinguer les deux. On peut le faire que si on a un peu de temps pour s’expliquer et puis dans un…, une sorte d’échange de bonne foi.
[1 h 02’ 01’’]
La question de la fuite. C’était dans la deuxième question de… J’en ai déjà parlé, on peut…, Monsieur Pueyo. On ne peut évidemment pas affirmer qu’aucun génocidaire n’est parti par là. Mais on ne peut pas présenter Turquoise comme ayant été fait pour ça ! Pour ça. Sinon, encore une fois, pourquoi attendre des semaines ? Pourquoi aller là ? Les génocidaires n’ont pas besoin de passer dans cette zone, ils peuvent partir par toutes les autres frontières, sauf l’Ouganda. Donc on ne peut pas relier les deux. Est-ce qu’on peut affirmer : « Non, il n’y a pas eu un contrôle ? ». Vous imaginez les pauvres soldats dont on parlait, faisant un contrôle à l’entrée de la zone humanitaire sûre. C’est tout à fait impensable. C’est le risque qu’on court quand on s’engage dans des guerres civiles ! Où que ce soit. Vous ne contrôlez jamais la situation : il peut se passer des abominations à un kilomètre de l’endroit où vous êtes. C’est le risque contenu dans la décision du Conseil de sécurité pour faire Turquoise.
[1 h 02’ 54’’]
Bon, historiens-politiques. Je pense que, bien sûr, c’est bien que les historiens travaillent. Moi, je suis en général du côté des historiens – [inaudible] les controverses sur les lois mémorielles [rire] –, je suis du côté des historiens. Mais les historiens n’ont pas attendu pour s’engager. Donc, c’est rempli d’historiens militants qui font des tribunes libres partout. C’est des historiens militants, politiques.
[1 h 03’ 12’’]
Joaquim Pueyo : Les vrais historiens, avec des démarches scientifiques.
[1 h 03’ 14’’]
Hubert Védrine : Alors, ils viendront… Très bien ! On les attend, on les attend. Ils sont les bienvenus [sourire] ! Faut peut-être qu’un peu de temps passe. Mais d’ailleurs, dans ce que je parlais à propos de l’idée de Paul Quilès, ça pourrait ça…, avec donc une contribution d’archives très importante de tous les protagonistes – je dis bien tous les protagonistes –, on peut imaginer qu’il y ait des historiens qui n’ont pas du tout été mêlés qui, à la limite, ne connaissent pas spécialement la région, ne sont pas engagés et tout ça. Moi je…, comment dire, je peux comprendre : c’est tellement atroce l’évènement en question que je comprends très bien qu’il y a des gens qui soient bouleversés par ça, hein. Mais ce n’est pas suffisant non plus, quoi, si on veut établir une vérité. Bon. Et les historiens, oui. Nos fu…, pardon, futurs historiens objectifs, très bien. Mais les politiques continueront à parler quand même. Ne serait-ce que Kagame continuera à dire ce qu’il dit ! Parce que je pense qu’il en a besoin de dire ça.
[1 h 04’ 04’’]
Alors, les relations [rire] avec le Rwanda. C’est très sympathique mais ça montre que le sympathique ambassadeur du Rwanda à Paris n’était pas tellement au courant de la…, des intentions du Président du Rwanda. Parce que l’interview à Jeune Afrique, il ne l’a pas improvisée, hein. Il l’a donnée un certain temps avant. Et donc, il fait son métier. Il est là, c’est plutôt le…, l’idée, l’espérance de tourner la page, de regarder l’avenir. Et donc, il a le discours politique dont…, que vous nous avez…, que vous avez évoqué. Mais je ne suis pas du tout sûr que ça soit encore valable aujourd’hui. Il faut voir comment ça se décante. Moi, il me semble que le Président Kagame se sent en danger quand, soit un juge français, soit – c’est pire – ses anciens compagnons, tutsi, disent que c’est lui qui a fait l’attentat. Parce que c’est un élément fondateur dans l’explication. Parce que dans un cas, Paul Kagame est intervenu pour arrêter le génocide. Et dans l’autre cas, il est arrivé au pouvoir à la faveur du génocide. Vous voyez bien que c’est effrayant ! C’est effrayant comme explication. C’est pour ça que même la France quand elle se défend, plus ou moins bien, elle n’ose pas dire ça, en fait. Donc c’est fondamental pour lui. Donc moi, il me semble que tant que ses anciens proches continueront à dire ça – ce qui a un grand écho en Afrique, un grand écho en Afrique – il éprouvera le besoin de continuer à dire : « C’est la France ». Moi, je dis : « C’est une opération de diversion ». Certains diront : « Mais c’est peut-être vrai, il faut voir ». Bon, vous voyez ? C’est très difficile dans ce contexte mais ce n’est pas… – je ne suis pas dans les fonctions nécessaires en ce moment pour en juger –, mais c’est très difficile de voir ce qu’on peut faire sur le plan bilatéral.
[1 h 05’ 47’’]
Si on arrive à circonscrire cette controverse affreuse et qu’on puisse continuer à travailler avec les Rwandais – en RCA par exemple –, c’est peut-être bien, je ne sais pas. Et à faire du bilatéral, peut-être. Encore qu’il y ait la volonté…, une volonté linguistique agressive. Je ne crois pas du tout que ça ait joué un rôle au début. Je l’ai dit : l’histoire de Fachoda ou autre, c’est des inventions ça. Mais maintenant il y a une volonté quand même vexatoire, quoi, punitive. Donc, qu’est-ce qu’il reste des orientations d’avant ? Je ne sais pas. Ça serait bien qu’il en reste quelque chose. Ou alors faut trouver une façon dans lequel [sic] la France renonce à répliquer point par point aux accusations. Mais Paul Kagame fait un geste, en déclarant caduc le rapport Mucyo par exemple. Ce n’est pas…, vous voyez, ce n’est pas évident. Ce n’est pas évident.
[1 h 06’ 41’’]
Sinon, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il gère bien son pays, hein. Il le gère de façon [rire] despotique et autoritaire, si on en juge par ses opposants. Mais enfin c’est mieux géré qu’autour, quand même, hein. Donc si on compare le Rwanda avec d’autres pays qui n’ont pas de ressources, qui n’ont pas tellement de moyens…, donc il le gère à coups de trique, mais c’est vrai que c’est bien géré, c’est vrai que ça se développe. C’est une population – quoi qu’on pense du mécanisme qui a conduit au génocide, c’est quand même abominable –, mais c’est une population pour laquelle on ne peut que souhaiter qu’ils se redressent, qu’ils se retournent [sic] vers l’avenir, que ça aille mieux ! Donc les chiffres que vous avez cités sont vrais ! Ils sont encourageants, tant mieux. Mais, là, nous avions à parler plutôt de la relation France-Rwanda que de l’histoire du Rwanda proprement dit.
[1 h 07’ 25’’]
Ou alors, dans l’idéal, il faudrait qu’il fasse un geste par rapport à ses opposants. Parce qu’après tout, après 94, il avait avec lui des Hutu…, des Hutu anti-Habyarimana, que la France avait d’ailleurs déjà réussi à détacher d’Habyarimana dans les années d’avant. Ce que les attaquants ne disent jamais. Donc, il avait des Hutu, des compagnons de route hutu. Et des Tutsi qui n’étaient pas des Tutsi FPR de l’extérieur, donc ils étaient plus ouverts en fait. Voilà. Donc s’il se sent vraiment menacé, il peut aussi faire quelque chose sur le plan politique pour rouvrir à l’intérieur, pour élargir sa base politique. A ce moment-là, ça ouvre d’autres perspectives. Mais s’il pense que sa réussite économique est suffisante pour le dispenser de tout geste politique, les perspectives ne sont pas formidables y compris dans le bilatéral dans l’immédiat. Après, on verra.
[1 h 08’ 10’’]
Bon. Je continue. Je ne répondrai pas à la citation exacte, déclaration des jeunes…, des jeunesses socialistes puisque leur crédibilité historique est faible. Donc, leur crédibilité d’historiens, disons, est faible [il rit aux propos – inaudibles – d’un député].
[1 h 08’ 28’’]
Est-ce qu’il y a des éléments nouveaux dans les accusations ? Je ne pense pas. D’après ce que j’ai lu, je n’ai pas tout lu parce que [sourire], sinon je serais saturé mais… Je ne crois pas qu’il y ait des éléments nouveaux, sauf dans les mots de Kagame. Les éléments…, il y a…, quand il parle…, il accusait la France…, donc, il accuse la France et la Belgique de complicité. Et il accuse la France de participation directe. Donc il y a déjà eu des accusations monstrueuses, pas dans la bouche de Kagame mais de relais de Kagame, disant que les militaires français avaient jeté les gens du haut des hélicoptères, enfin des choses comme ça. On a déjà lu des choses comme ça, en fait. Donc je n’ai pas… Je ne pense pas qu’il y ait des éléments nouveaux.
[1 h 09’ 06’’]
Sur les éléments en 90, 93, il n’y a aucun élément nouveau parce que les accusateurs veulent masquer ça. L’engagement de la France pour stopper la guerre civile et la France qui réussit, en 93, donc c’est escamoté. Donc il n’y pas d’éléments nouveaux. Sur 94, les éléments sont les mêmes à mon avis. Donc, quand on dit par exemple que la France est restée engagée pour le régime après l’attentat, les gens confondent avec le fait qu’Habyarimana était déjà affaibli, que la France travaillait avec un gouvernement intérimaire où il y avait des opposants. Donc, c’est des relations avec des opposants à Habyarimana dans la plupart des cas. Mais c’est trop compliqué, ça. On se noie dans les détails. Les gens n’ont pas retenu ça.
[1 h 09’ 45’’]
D’autre part, c’est vrai que la France, au début, a caressé l’illusion de sauver Arusha. Il y a eu l’attentat, on ne sait pas qui c’est, on essaye quand même de remettre autour de la table les protagonistes d’Arusha. C’est-à-dire : Habyarimana [sic], les autres Hutu, les Tutsi de l’intérieur et de l’extérieur. C’est dans ce cadre-là qu’il y a des contacts encore, pendant quelques jours ! Alors évidemment, les attaquants disent : « Vous voyez, vous étiez de mèche avec ceux qui allaient faire le génocide ». Dans ceux-là, il y a ceux qui allaient faire le génocide. Mais dans un premier temps, il y a l’idée de sauver Arusha. Avec le recul, on voit que ce n’est pas tenable. Mais c’est une explication toute simple. On peut penser que c’était une illusion, c’est une erreur, que ça ne pouvait pas marcher. Mais ça ne justifie pas la transformation en accusations folles.
[1 h 10’ 27’’]
Que recherche Kagame ? Je crois que j’ai déjà répondu. Il a…, cette une opération de…, pour détourner, quoi, détourner l’attention des accusations. Il y réussit assez bien en France, pas en Afrique. J’ai cité l’Afrique du Sud. Je redis ici qu’on devrait s’intéresser à ce que pensent les Africains sur le sujet. Dans les Africains [sic] francophones, ils ont le point de vue des Congolais. Le point de vue des Congolais est extraordinairement violent contre Kagame. Parce qu’ils ont vu ce qui s’est passé au Kivu. Kagame a tenté de prendre le pouvoir à Kinshasa, etc. Donc ils ont un point de vue complètement différent. Mais apparemment, le système politico-intellectualo-médiatico français ne s’intéresse absolument pas à ce que pensent les Africains, sauf si c’est quand quelqu’un attaque la France. Là, sur une sorte de fond expiatoire, ça marche. Mais quand c’est des accusations de responsables africains aujourd’hui, ça n’intéresse pas. En dehors de la zone francophone, les Tanzaniens sont d’accord avec les Sud-Africains : ils ont une position très anti-Rwanda en fait, très anti. Bon, eh bien, c’est…, faut l’avoir à l’esprit. Quelle leçon ? Je le dirai à la fin.
[1 h 11’ 29’’]
Ancel… Alors quelqu’un m’a cité le…, en effet, l’article d’un militaire, d’un jeune, quoi. Qui est-ce qui a cité Ancel ? C’est vous ?
[1 h 11’ 37’’]
Patricia Adam : C’est Christophe, ouais.
[1 h 11’ 38’’]
Hubert Védrine : Capitaine, c’est ça, oui. Alors, son commandant a répondu en disant : « C’est tout à fait faux, ce n’est pas du tout ça la mission. Là où il était, il n’avait pas les éléments de la mission ». Et évidemment, le général Lafourcade a également répondu. Donc c’est une interprétation du terrain qu’on peut comprendre en raison, de la…, du traumatisme, quoi, des évènements atroces. Mais c’est complètement faux en termes de mission. En plus, Turquoise des semaines après, il faudrait vraiment que l’état-major français ait été complètement absurde ! Pour donner ce genre de mission. Il est évident que, dans le meilleur des cas, vu la date à laquelle ça se déclenche, c’est-à-dire en… [il réfléchit] juin, juin je crois, fin juin. Puisqu’il n’y a pas eu de soutien international avant. C’est…, il ne peut évidemment pas y avoir une mission comme ça, c’est impossible. La mission de tenir Kigali face au FPR, si la France s’était… – ce qu’elle n’a pas fait ! –, si elle s’était engagée dans un camp contre l’autre, ça aurait été de…, d’envoyer les paras pour prendre le contrôle tout de suite ! Tout de suite.
[1 h 12’ 34’’]
[Un député lui répond mais c’est inaudible].
[1 h 12’ 36’’]
Hubert Védrine : Oui. Bien sûr. Mais il est là dans le cadre d’une opération Turquoise qui intervient des semaines après ! Donc, dire après : « Notre mission, c’était de s’engager directement pour remettre le gouvernement au pouvoir », ça n’a pas de sens ! Y a plus de gouvernement à remettre au pouvoir à l’époque, le Président a été tué, donc ce n’est pas… Donc, je ne sais pas, je mets ça sur le compte d’une vision de terrain, hein, par rapport à ça.
[1 h 13’ 03’’]
On avait rapatrié les paras ? Eh bien, naturellement. On l’a fait parce qu’on croyait avoir réussi ! Dès qu’on a obte…, arraché la signature d’Arusha – je répète ! –, y compris Kagame, qui écrit à Mitterrand pour le remercier ! C’était feint, sans doute. Mais enfin bon, il a écrit. Et puis, les Hutu, etc. Dès qu’il y a eu ça, on s’est dit : « Eh bien, ça va, ça y est, on y va ! Il n’y a pas besoin de rester ». Donc, on rapatrie tout le monde ». Sauf une poignée de coopérants techniques. Ça aurait été différent s’il y avait eu des compagnies de parachutistes efficaces, françaises et belges, au moment de l’attentat ! On peut imaginer qu’à ce moment-là, la…, ces deux forces, mandatées par l’ONU, aient pris le contrôle de Kigali, en attendant qu’il y ait une solution onusienne ou autre. Bon, on peut imaginer ce scénario sauf qu’en 94, on n’était plus là.
[1 h 13’ 50’’]
L’accord de coopération militaire ? Il n’était pas contraignant, hein, il faut être honnête. Ça n’a rien à voir avec d’autres accords de coopération qu’on a eu avec d’autres pays. C’est juste…, c’est un accord de coopération. Ce n’est pas un accord de défense avec une clause de soutien automatique. Ça remonte aux années 60 dont j’ai parlé. Donc l’analyse du Président Mitterrand en 90, ce n’est pas parce qu’il est tenu par un accord mais – je le répète ici – parce ce qu’il y a une sorte de crédibilité française par rapport à l’ensemble de la zone pour assurer la stabilité. Voilà. Donc, c’est pour ça qu’il peut y avoir une discussion sur la décision d’origine.
[1 h 14’ 21’’]
Les motivations en France ? Alors je pense qu’il y a beaucoup gens de bonne foi qui ont été traumatisés. Je pense qu’il y a des gens qui n’ont pas été sur place mais qui en lisant les choses trouvent ça épouvantable. Bon. Mais ça n’explique pas les accusations, ça. Parce que, que ça ait été épouvantable, c’est épouvantable. Pourquoi les accusations ? Alors après, il faudrait entrer dans le détail parce que, dans à peu près chaque journal où il y a une personne qui est spécialisée dans…, ou qui s’est spécialisée [sourire] dans la mise en accusation de la France, je connais des gens dans chaque journal, chaque hebdomadaire, chaque quotidien, chaque radio. Il y en a sept, huit qui sont sur cette ligne. Donc, je connais dans chacun de ces médias des gens qui sont en désaccord complet ! Complet avec… Qu’est-ce qui m’a posé la question ? C’est vous, pardon. Des gens qui sont en désaccord complet avec ce qu’écrit telle ou telle autre personne ! Qu’on connaît bien, c’est toujours les mêmes, hein. Ou qui s’inspirent de Saint-Exupéry, que je peux citer puisqu’il n’est plus dans un journal aujourd’hui. Lui, il raconte sa thèse en bande dessinée, qui est…, c’est effrayant ce qu’il raconte [rire] mais… Donc, dans chaque journal, les gens qui connaissent un peu l’Afrique disent : « Mais bien sûr, c’est faux ! C’est… ». Bon. Mais ils ne sont pas mobilisés toute la journée par le fait d’écrire le contraire. Vous voyez ? Puis les autres disent : « On n’y comprend rien à toutes ces histoires en Afrique ». Donc la place est libre pour des sortes d’accusateurs obsessionnels, en fait. Alors ça, c’est dans une partie des médias. Les ONG, on en a cité une. Il y en a quelques autres qui, de toute façon, ont toujours, toujours attaqué ce que la France a fait en Afrique. Même quand la France le faisait à la demande des Africains, même quand la France était remerciée par les Africains. Survie a toujours été d’une position très radicalement critique, par rapport à ça. Dans le monde politique, bon, personne ne croit aux accusations en fait. Il y a des gens qui posent des questions mais personne ne croit aux accusations. Simplement, comme c’est très compliqué, c’est il y a longtemps, on mélange les époques, il y a un fond d’ambiance du genre : « Vous voyez ce qu’on a fait, ce n’est pas bien quand même. Les accusations sont exagérées mais on a dû faire des choses pas bien ». Pour arriver à une vision claire, il faut entrer dans le détail, notamment de la chronologie. Ce que j’ai essayé de faire, devant vous et grâce à vous.
[1 h 16’ 26’’]
Bon, à qui ça profite ? A qui ça profite ? Je ne pense pas qu’on puisse trouver une expli…, enfin il n’y a pas un organisateur de tout ça. Je ne crois pas. Kagame, par exemple, c’est pour des raisons personnelles, qu’il veut prendre le pouvoir. Il est issu d’une grande famille de Tutsi. Il veut venger les massacres de 62. Il veut prendre le pouvoir et l’exercer tout seul, comme on le voit. Il n’est pas manipulé par les Américains. Ce n’est pas parce que…
[1 h 16’ 54’’]
[Un député, sans doute Philippe Meunier, lui fait une remarque mais c’est inaudible].
[1 h 16’ 55’’]
Il a été formé aux Etats-Unis, c’est vrai. Il a été détecté par Museveni. Il l’a aidé dans le maquis puis il a joué un rôle important. Il est brillantissime, hein ! C’est un calculateur, froid, il joue plusieurs coups d’avance. Il comprend bien les opinions occidentales. D’ailleurs à Kigali, il y a toute sorte de bons spécialistes de l’opinion française, belge, hein, etc., américaine, bon, tout ça. C’est normal ! Mais je pense qu’il y a une motivation personnelle, personnelle. Mais naturellement, il connaît des gens aux Etats-Unis. Mais je ne pense pas que les Américains aient soutenu Kagame dans le cadre d’une sorte de plan anti français. Je ne dirais pas ça. D’ailleurs, la diplomatie américaine, au sommet – le Président – était indifférent, au niveau moyen, était pour ce que faisait la France. Il y a plein de témoignages de responsables américains du département d’Etat disant : « Ce qu’a fait la France depuis 90, c’est bien, c’est courageux. Bon. Heureusement que vous êtes là ». En 93 : « Bravo, très bien ! ». Il y a un diplomate américain entendu par la mission Quilès qui a dit ça de façon très claire. Après, ça ne veut pas dire que Kagame n’a pas des relations avec des militaires américains ou des gens des services. Mais je pense que c’est plus lié à l’intérêt pour les Américains et les Israéliens et d’autres de soutenir Museveni pour avoir une base arrière contre [sic] l’Ouganda. Je pense que c’est plus ça qu’une sorte de plan particulier. Quant à Tony Blair et autres, c’est vrai qu’après, Kagame a joué la carte, un peu comme Museveni : « Je suis le bon élève du FMI ». D’ailleurs Museveni, lui aussi, il est conseillé par des gens comme ça. Vous voyez ? Donc ils ont joué cette carte, c’est tout à fait évident. Après, il y a un engrenage, il y a une logique. Ils se tournent en disant : « On veut que les entreprises viennent plus ». Ils veulent extirper la langue française. Et même les responsables qui parlent bien français font semblant de ne pas comprendre. Par exemple, à un certain moment, l’excellente ministre des Affaires étrangères du Rwanda – qui est une femme brillante –, elle parle en français comme ça, mais à certains moments elle est obligée de faire comme si elle ne comprenait pas. Bon. Ça c’est une sorte d’engrenage mais ça n’explique pas les évènements, depuis l’origine.
[1 h 18’ 48’’]
Voilà, je terminerai par la remarque sur la République Centrafricaine parce que ça sert de conclusion. Moi, quand je vois que, donc, la France qui a été le seul pays à détecter tout de suite le risque en 90, le seul pays à s’engager courageusement en 83 [sic] – en 93 – le seul pays qui se soit engagé encore plus courageusement en 94 et le seul pays qui est attaqué de façon fausse et effarante, je me dis qu’il faut être quand même d’une prudence extrême dans tout engagement. Même quand on a le Conseil de sécurité avec soi ! C’est-à-dire dans l’affaire de 94, Turquoise c’est une opération Conseil de sécurité ! Bon alors en RCA, en même temps, moi j’ai approuvé la décision du Président sur le Mali. Quand il y a un risque avéré, que tout le monde demande qu’on y aille, que le Conseil de sécurité est d’accord, c’est quand même presque impossible pour la France de dire : « Je ne suis pas là, ça ne m’intéresse pas ». En RCA, le contexte juridique est le même en droit international : il y a un accord du Conseil de sécurité ! Seulement, dès lors qu’on est dans une guerre civile féroce, et qu’on est là, avec des moyens toujours insuffisants, on ne va pas contrôler l’ensemble du pays. Même si les Européens y viennent en traînant les pieds, même si c’est labellisé « ONU ». On court un risque, quand même. On court… Et les mêmes systèmes accusatoires peuvent être déclenchés demain ! S’il s’est passé des choses abominables à deux kilomètres de l’endroit où étaient des forces françaises. Donc on dira : « Vous ne pouviez pas ne pas savoir, nianiania… Qu’est-ce que vous avez fait ? ». Bon. C’est terrible à dire parce que la France se sent quand même inspirée par un rôle particulier, une mission, l’ingérence, enfin dans des conditions légales, bon. Et donc, c’est très compliqué. Surtout, comme vous l’avez fait remarquer, on sous-estime toujours la dimension ethnico-tribale parce que le politiquement correct fait qu’on ne sait plus analyser les choses en ces termes. Aujourd’hui, les journalistes qui reviennent de RCA décrivent un degré de haine énorme, effrayant, effrayant ! Effrayant. Et donc, est-ce que c’est contrôlable ? Est-ce qu’on peut imposer des sortes d’accords d’Arusha à ces groupes-là ? Ça peut marcher s’il y a des responsables qui arrivent à engager leurs propres forces. Ils ne vont rien contrôler en plus. Donc, moi, je termine par une interrogation inquiète là-dessus.
[1 h 21’ 01’’]
Patricia Adam : Et la tutelle ?
[1 h 21’ 03’’]
Hubert Védrine : [sourire] Oui en effet, la RCA, c’est tellement compliqué et dangereux que – n’engageant que moi, en abusant de la liberté extraordinaire dont je jouis –, je me suis demandé deux ou trois fois publiquement s’il ne fallait pas à avoir recours à une tutelle des Nations unies pour la RCA. Pas simplement qu’il y ait une force des Nations unies, mais pour que la France ne soit pas en première ligne par rapport aux évènements à venir. La tutelle est toujours dans la charte des Nations unies. On pourrait tout à fait, nous, dire : « Ce pays n’est pas gérable comme ça, il faut une tutelle. L’ONU prend en charge avec l’Union africaine. On met en place une équipe avec un ou deux anciens présidents africains, ils gèrent ça pendant deux ans. Bon. La France est là, elle soutient. Elle se…, elle reste courageuse et disponible. Mais pas en première ligne politiquement ». Alors évidemment, quand je dis ça aux responsables, ils me disent : « Oui, mais c’est insupportable pour les Africains cette idée, qu’un pays africain doive être mis sous tutelle ». On a quasiment fait la même chose pour le Timor, en fait, à un moment donné.
[1 h 22’ 04’’]
Patricia Adam : Ouais…
[1 h 22’ 05’’]
Hubert Védrine : Donc, je pense qu’il faudrait en tout cas creuser une piste qui n’amène pas à ce que la France soit un jour accusée d’avoir fait ce qu’elle était venue empêcher.
[1 h 22’ 18’’]
Patricia Adam : Merci Monsieur le Ministre. Je pense que nous avons particulièrement apprécié cette audition et cet éclairage. Merci.
[1 h 22’ 26’’]
Hubert Védrine : Merci.
[1 h 22’ 27’’]
Patricia Adam : [s’adressant à Patrick Labaune] Tu as une autre question ?
[1 h 22’ 28’’]
Patrick Labaune : Non, non, pas du tout. C’est une remarque : il manque des cartes ! Ça aurait été intéressant d’avoir une carte [inaudible].
[1 h 22’ 33’’]
[Hubert Védrine se tourne vers la carte du monde accrochée au mur derrière lui]
[1 h 22’ 35’’]
Patrick Labaune : Non, non, c’est trop loin Monsieur le Ministre. Vous m’avez fait la remarque d’ailleurs. C’est pour ça que je me permets de vous relancer.
[1 h 22’ 38’’]
Patricia Adam : Ça aurait été difficile mais on y veillera pour les fois suivantes, il y aura certainement des fois suivantes [sourire]. Merci, à très bientôt.
[1 h 22’ 45’’]
Hubert Védrine : Oui, c’est intéressant pour montrer… [le son est coupé].
[Fin de la transcription à 1 h 22’ 46’’]