Citation
La commission rwandaise concernant le comportement des autorités
françaises lors du génocide d'avril à juillet 1994 a terminé ses
travaux à la fin de l'été 2007. Le gouvernement Kagame a, jusqu'à
présent, gardé son rapport sous le coude, espérant peut-être faire
pression sur Paris esquissant un timide rapprochement
diplomatique. Une partie des auditions sont néanmoins accessibles,
celles ayant fait l'objet de séances publiques (1). Amorcées en
octobre 2006, elles se sont déroulées en deux temps. Première phase,
les « témoins de contexte » ; seconde phase, les témoins des faits,
rescapés ou génocidaires. Ces derniers, estimant visiblement avoir été
lâchés en rase campagne par le pays qu'ils considéraient comme leur
allié et protecteur, n'hésitent plus, en effet, à avoir la langue
longue.
Premier « témoin de contexte », Jacques Bihozagara évoquait la
rencontre (à l'initiative des autorités françaises), en 1992, deux ans
avant le génocide, entre une délégation du Front patriotique rwandais
conduite par Paul Kagame et Paul Dijoud, directeur Afrique au Quai
d'Orsay. Lequel sommait ses interlocuteurs de « déposer les armes (et)
demander l'amnistie », sinon, ajoutait-il, « vous trouverez tous les
vôtres déjà exterminés à votre arrivée à Kigali ». Bihozagara
rappelait également le rapport d'enquête internationale réalisé en
1993 par la FIDH et Human Rights Watch, qui dénonçait notamment les
escadrons de la mort mis en place par des proches du président
Habyarimana (dont l'épouse de celui-ci) et plusieurs télégrammes
adressés par le général canadien Dallaire, chef des casques bleus de
la MINUAR, au Conseil de sécurité des Nations unies, dont notre pays
est membre permanent, pour conclure : « Tous ces éléments mis ensemble
montrent que la France était au courant de la planification du
génocide mais a choisi de camoufler la réalité. »
Deuxième témoin, Jean-Marie Vianney Gatabazi, ancien agent de
l'administration territoriale à Byumba, région de combats entre 1990
et 1994. Selon lui, les soldats français de l'opération Noroît (ayant
précédé Turquoise en juin 1994) ont « participé directement aux
combats » et utilisé des armes lourdes contre le FPR ; ont « dispensé
la formation militaire aux milices responsables du génocide »,
n'hésitant pas, par ailleurs, à effectuer eux-mêmes des perquisitions
et des contrôles d'identité à des fins de triage « ethnique ».
Trafic d'armes : Martin Marschner von Helmreich, hommes d'affaires
allemand, était, dans le courant de l'année 1994, en liaison avec la
CCR (2), avec laquelle il avait signé une convention de courtage
financier faisant de lui un partenaire de cette instance dépendant du
Trésor public. Le 29 août 1994, la CCR l'informait avoir « perdu » un
milliard de francs français appartenant à sa filiale Rochefort
Finances. Quinze jours plus tard, le trou était comblé par le Trésor
public, sans que la moindre explication ne soit donnée. Une partie des
fonds détournés auraient transité par la BNP et servi à l'achat
d'armes à destination des forces génocidaires, estime-t-il.
Autre témoin étranger, Pierre Jamagne, coopérant belge entre 1991 et
1994 (projet de carte pédologique), se faisait l'écho de témoignages
concernant des livraisons d'armes aux FAR alors que ceux-ci évacuaient
le pays, donc jusqu'au dernier moment du génocide. Enfin, il déclarait
que lui-même et ses collègues avaient vu, deux ans plus tôt (1992),
des militaires français en tenue de combat « se diriger vers la ligne
de front dans le nord du pays ». Notamment dans les secteurs de Byumba
et Ruhengeri, indiquait-il.
Le soutien français aux forces génocidaires s'est poursuivi après
l'exfiltration de ces dernières au Zaïre, témoignait le colonel Martin
Ndagame, officier des ex-FAR. Cosignataire de la déclaration de Kigeme
(dans la zone contrôlée par Turquoise), qui condamnait les massacres
et se désolidarisait du gouvernement les organisant, il fut aussitôt
conduit à Kavumu, base de Turquoise installée au Zaïre. Motif : « Nous
ne pouvons pas continuer à rester avec vous ici alors que vous vous
opposez à votre gouvernement. »
Les récits produits par des génocidaires confirment tous l'implication
militaire française. Exemple, celui de l'ancien interahamwe,
Jean-Baptiste Dushimimana, garde du corps d'un proche de Habyarimana
puis ayant participé, jusqu'en 1997, à des raids terroristes conduits
depuis le Zaïre pour déstabiliser le nouveau gouvernement d'union
nationale. Lui-même a été « entraîné » au camp de Gabiro par des
Français qui, habillés en civils, « ressemblaient à des touristes ». La formation dispensée visait « trois catégories de gens : des Hutu
venus du Burundi (jeunesse du parti FRODEBU) ; des soldats qu'on
préparait pour le front ; et des interahamwes », précisait-il, avant
de conclure : « Quand le génocide a commencé, nous disposions de tout
le nécessaire : les grenades, les armes et les véhicules. »
(1) Les comptes rendus de ces auditions publiques sont réunis en un
volumineux dossier par la revue annuelle la Nuit rwandaise, dans
son deuxième numéro sortant ces jours-ci, www.lanuitrwandaise.net
(Édition l'Esprit frappeur).
(2) Caisse centrale de réassurance, organisme couvrant des risques
allant des calamités agricoles à ceux de l'armée française à
l'étranger.
Jean Chatain