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Ce que l’on sait des faits tient en quelques mots. À l’occasion des commémorations du 25ème anniversaire du Génocide des Tutsis du Rwanda, la Présidence de la République française a décidé de constituer une commission d’historiens chargée d’enquêter sur les archives documentant le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994.
Lors de la désignation des membres de cette commission, dont la composition devrait être dévoilée ce vendredi 5 avril, deux historiens ont été récusés par la présidence : Stéphane Audoin-Rouzeau et Hélène Dumas.
L’alerte a été donnée lors d’une journée d’études organisée à l’ENS, à l’occasion d’une table ronde consacrée au rôle de la France et de la communauté internationale. Les archives doivent s’ouvrir et une Commission d’historiens être réunie pour en définir les modalités de consultation, en expertiser les contenus.
Lors d’une table ronde précédente, l’Amiral Lanxade avait réitéré sa croyance dans l’absence d’implication de la France dans le processus génocidaire tandis que le LCL Ancel, artilleur en poste au 68ème RAA et missilier, tenait la thèse contraire.
Si au fond on voulait départager les deux thèses — ce qui est de l’ordre de la gageure, tant elles sont dissymétriques et tant les témoignages s’accumulent… — alors l’ouverture des archives constituerait un enjeu fondamental. Qui plus est, faire toute la lumière sur le douloureux passé des relations entre la France et le Rwanda en convoquant des historiens d’horizons variés constituerait un message fort, témoignant d’une réelle volonté de redéfinir des liens de la France avec l’Afrique. Pourtant, la décision qui s’annonce souligne bien l’inverse.
N’est-ce pas là, en effet, un message de fébrilité qu’envoie — peut-être involontairement — l’Élysée en s’opposant à la présence des deux historiens dans cette commission ? Quelle légitimité aura une commission qui se prive ici de la seule chercheuse française spécialiste du génocide parlant le kinyarwanda ? Quelle perspective peut avoir une commission qui exclut un historien dont la très grande expérience en matière d’anthropologie historique des violences de masse est partout reconnue ? Les futurs dirigeants de ce qui risque fort d’apparaître comme une instance univoque et complaisante n’ont-ils pas le sentiment de brûler leurs vaisseaux et de mettre à mal leur réputation historienne dans un projet ainsi compromis ?
Nous, historien•ne•s français•e•s, ou simples observatrices et observateurs citoyen•ne•s, prenons acte de l’évolution de la question et, attristés, constatons que de vérité il n’est pas question, mais bien plutôt d’un refus de voir persistant et mal déguisé, de calculs de rencontres dictés par l’immédiat.
Ajoutons qu’une fois de plus, des gouvernants et leurs soutiens s’emparent de sujets fondamentaux — il en va de la souffrance de centaines de milliers d’êtres, mais aussi de la conscience d’un pays, le nôtre — et les administrent comme on n’oserait le faire d’une querelle de voisinage.
Alors que les gouvernants de ce pays nous abreuvent de leur exigence de transparence, il serait temps de parler de courage et de vérité. Et l’ouverture des archives documentant l’implication française au Rwanda à partir de 1990 et durant ces mois hideux de 1994 aurait pu constituer une mise à l’épreuve de cette exigence. On en est visiblement dramatiquement loin.
Christian Ingrao (CNRS, IHTP)