Avril 1994, aéroport de Kigali. Un avion militaire décolle vers la France, l’un des derniers à évacuer des ressortissants français et des orphelins rwandais dans le cadre de l’opération Amaryllis. Le génocide a commencé depuis quelques jours et il fera près d’un million de morts en trois mois. Parmi les évacués, un petit garçon de quatre ans et son frère aîné. Quelques heures plus tôt, ils ont couru vers un 4x4 militaire. Le grand a dit au plus jeune de se presser. Il l’a aussi poussé à accepter ce chewing-gum que lui tendait un soldat français. La fraîcheur de la gomme, la moiteur de l’atmosphère au moment de rentrer dans l’avion… Ces sensations sont les rares souvenirs qu’Hervé Berville garde de son pays natal, le Rwanda.
Samedi 6 avril, le député La République en marche (LRM) des Côtes-d’Armor retrouvera le tarmac de l’aéroport de Kigali, vingt-cinq ans après l’avoir quitté. Emmanuel Macron, qui a invoqué des problèmes d’agenda pour justifier son absence, a fait de lui son «
représentant personnel pour porter un message d’amitié, de compassion et de solidarité » aux commémorations du génocide qui débuteront officiellement le lendemain, jour du début des massacres.
Symbole fort
La présence d’Hervé Berville à Kigali est un symbole fort. C’est la première fois qu’un représentant du gouvernement français va assister aux commémorations du génocide. Mais, pour tous ceux qui prônent une normalisation des relations entre la France et le Rwanda, ce n’est pas assez. «
L’absence d’Emmanuel Macron décevra beaucoup de Français attachés à connaître la vérité sur le rôle de notre pays lors du dernier génocide du XXe siècle », a déploré l’ancien ministre Bernard Kouchner dans le Journal du Dimanche du 31 mars. «
J’aurais aimé qu’il vienne en personne, ainsi que tous les chefs d’Etat français qui l’ont précédé depuis 1994 », note Marcel Kabanda, président d’Ibuka France, l’organisation qui chapeaute les associations de victimes.
En 2008, Rama Yade, secrétaire d’Etat chargée des droits de l’Homme sous Nicolas Sarkozy, fut attendue aux commémorations. Un voyage annulé peu avant son départ. Idem pour Christiane Taubira, garde des Sceaux de François Hollande en 2014. La présence d’Emmanuel Macron, invité par Paul Kagame, était également espérée par les membres de la communauté rwandaise de France. « La relation entre les deux pays est complexe, avec un lourd passé, indique Hervé Berville. Mais il y a la volonté politique des présidents d’avancer pas à pas, de manière irréversible. La voie n’est pas normalisée mais il y a un chemin qui est tracé. »
En mai 2018, Paul Kagame a été reçu à l’Elysée pour la première fois depuis 2011, après une rencontre avec Emmanuel Macron en marge d’un sommet à New Delhi, et une autre six mois plus tôt, à l’assemblée générale des Nations unies à New York. Le soutien de la France à Louise Mushikiwabo, ex-ministre des affaires étrangères du Rwanda élue en octobre à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), est la preuve de ce rapprochement. «
Les deux présidents se voient et se parlent, note Richard Gisagara, avocat et membre de la communauté rwandaise. Ce qui compte, c’est ce qu’ils vont faire de cette nouvelle relation sur le plan économique, diplomatique… »
En février 2010, Nicolas Sarkozy fut le premier chef d’Etat français à se rendre au Rwanda après le génocide. «
Ce qui s’est passé a laissé des traces indélébiles, inacceptables et oblige la communauté internationale, dont la France, à réfléchir à ses erreurs qui l’ont empêchée d’arrêter ce crime épouvantable », avait-il affirmé au mémorial de Kigali, sans toutefois formuler de repentance contrairement à la Belgique.
Emmanuel Macron aurait-il dû s’excuser ?
Au nom de la France, Emmanuel Macron aurait-il dû s’excuser s’il s’était rendu à Kigali ? «
Ce débat ne doit pas occulter l’essentiel, le rapprochement concret opéré depuis deux ans, assure Hervé Berville. Il est évident qu’il y a eu une cécité et un échec collectifs, de l’ensemble de la communauté internationale. Je suis attaché à la vérité mais je ne suis ni juge, ni historien et ce n’est pas à moi d’apporter des réponses aux questions qui peuvent se poser. Une meilleure connaissance du génocide des Tutsi est en effet nécessaire et pour y arriver on doit pouvoir avoir accès à tous les documents. » Vendredi 5 avril, la création d’une commission chargée d’examiner les archives militaires entre 1990 et 1994 devrait être annoncée par l’Elysée.
L’histoire d’Hervé Berville, qui représentera le président Macron à Kigali, s’imbrique entre les deux pays. Né dans une famille Tutsi en 1990, il perd sa mère quatre mois avant le début du génocide, d’une maladie. Son père est mort quelques années auparavant. Gazigwa Hervé est destiné à l’adoption, dans un pays où le drame est déjà en train de germer. «
J’ai eu la chance d’avoir été placé en orphelinat avant le début du génocide ce qui m’a en quelque sorte préservé, confie le député, élu en 2017. Si ce n’avait pas été le cas, l’issue aurait été tout autre. » Plusieurs membres de sa famille ont péri dès le 7 avril 1994.
Si Hervé Berville est inconnu au sein des associations françaises de victimes du génocide, c’est peut-être parce qu’il ne s’est jamais senti «
la légitimité pour parler d’un sujet qu’eux ont vécu dans leur chair ». Ses souvenirs des tensions dans le pays, ce sont des «
scènes de confusion, des cris et des bruits de tir », mais pas des massacres. Il se souvient en revanche du jour de son arrivée, au printemps 1994, dans la famille bretonne qui l’a adopté à Pluduno, près de Saint-Brieuc. Il avait posé ses pieds nus sur le carrelage de la maison. «
Je me suis dit « je vais vraiment habiter dans un pays où le sol est si froid ? », relate-t-il.
« Les décisions relèvent du chef de l’Etat »
A l’entendre, dès le lendemain, il embrassait sa nouvelle vie de jeune Breton. «
C’est l’enfant de la commune », dit de lui le maire de Pluduno, Michel Rafffray. Il grandit dans une famille nombreuse. Sa mère est fonctionnaire, son grand-père agriculteur. Deux statuts qui font que « vous êtres tributaires de la politique nationale » et attisent son intérêt pour la chose publique. Les questions qu’on lui pose sur son histoire rwandaise le poussent à s’intéresser aux enjeux internationaux. L’adolescent se passionne pour les Nations unies et Kofi Annan. Rapidement il sait qu’il veut œuvrer à «
l’intérêt général ».
A 19 ans, il entre à Science Po Lille. Déjà, il est ce garçon que ses collègues à l’Assemblée nationale, où il est réputé être un bon soldat de l’exécutif, décrivent : très drôle, très vif, un « ambianceur ». Les questions internationales l’intéressent, il hésite entre l’économie et la politique et embrasse un parcours d’économiste spécialiste des politiques de développement dont il a fait son cheval de bataille au Palais-Bourbon. Diplômé de la London school of Economics, il avait rejoint l’Agence française du développement (AFD) au Mozambique. De là, il était retourné au Rwanda pour la première fois, à 25 ans : «
Je me sentais prêt ». Il n’avait pas perdu le contact avec ses racines et toujours échangé avec son frère, adopté par une famille française dans le Nord.
Avant cela, celui qui a été pris sous son aile par Richard Ferrand à l’Assemblée, s’était déjà imprégné de l’histoire rwandaise. La période qui a précédé le génocide, que raconte notamment l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga dans Notre-Dame du Nil (Prix Renaudot en 2012), l’intéresse particulièrement. Pour préparer sa venue au Rwanda, Hervé Berville lui a parlé, mais il a aussi rencontré les acteurs français au cœur de la controverse sur le rôle de la France, accusée d’avoir soutenu le régime génocidaire. Il a vu Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée en 1994, Guillaume Ancel, ancien militaire fustigeant le rôle de l’armée en 1994, Jacques Kabale, ambassadeur du Rwanda à Paris, Louise Mushikiwabo…
Pour Hervé Berville, si la réconciliation franco-rwandaise doit se faire, elle sera progressive. La nomination d’un ambassadeur à Kigali, alors que le poste est vacant depuis 2015, et la question des Droits de l’Homme ne figurent pas au programme de la visite. «
Je viens rendre hommage aux victimes du génocide, assure Hervé Berville.
Les discussions et décisions évoquées relèvent du chef de l’Etat et du ministre des affaires étrangères. »