Fiche du document numéro 2401

Num
2401
Date
Mardi 30 janvier 1996
Amj
Auteur
Fichier
Taille
113045
Pages
2
Titre
7 avril 1994, apocalypse sur le Rwanda
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
JE rentre préparer l'apocalypse... Cette déclaration fut effectuée
publiquement par le colonel Bagosora (ancien élève de l'Ecole de guerre
en France et proche du général-président Habyarimana), le 8 janvier
1993, quittant les pourparlers d'Arusha amorcés entre la dictature en
place à Kigali, le Front patriotique rwandais, les dirigeants des partis
hutu d'opposition. Des micros et des caméras ont enregistré son propos.

Un peu plus d'un an après, le colonel avait atteint son but :
l'apocalypse se déchaînait. Soigneusement planifiée. Elle fera près
d'un million de martyrs - démocrates hutu et familles tutsi - sur une
population de sept millions et demi d'habitants. Une démence meurtrière
à l'état pur, rappelant la folie de meurtres ayant saisi le peuple turc
(là aussi son gouvernement aidant) lors du génocide arménien. Bien sûr,
aussi, l'extermination des tziganes et des juifs par les nazis allemands
et leurs complices des pays occupés, à commencer par la France pétainiste.
Il n'y a plus de diables en enfer ; ils sont tous au Rwanda, gémissait
un prêtre belge rapatrié sur Bruxelles, à la fin d'avril 1994. La tuerie
avait commencé le 7 du mois, après que, la veille au soir, le Falcon 50
(un cadeau de son ami François Mitterrand) transportant le président
Juvénal Habyarimana, ait été abattu (20 h 30 locales) par deux
roquettes. Le signal pour un carnage politico-ethniste à partir de
listes établies à l'avance à travers tout le pays. Tous comptes faits,
le terme démence utilisé ci-dessus ne convient pas. L'extermination a
été voulue et méticuleusement planifiée au plus haut niveau de l'Etat.
Si démence il y a, elle ne concernera que la partie de la population
rwandaise alors aspirée par une rage de sang qui, au niveau de sa
préparation, n'a rien de spontanée. Les dirigeants du pays ont alors,
eux, le regard froid et calculateur.

Qui sont les tueurs ? Les interahamwe, miliciens du MRND, l'ancien parti
unique, et de son allié CDR. Les soldats des FAR (Forces armées
rwandaises), l'armée du régime en place. Mais aussi, et d'abord,
l'appareil d'Etat : gouvernement, préfets, bourgmestres et échelons
subalternes... Derrière eux, des milliers de personnes, acteurs
délibérés du carnage ou contraints à y prendre part contre leur gré, par
peur.

Présent dans les régions de Byumba et de Kibungo, en avril-mai 1994,
j'ai pu recueillir plusieurs témoignages qui interdisent tout jugement
catégorique sur la signification du mot justice. Dans tel endroit, un
chef de famille hutu cache dans son grenier ses voisins tutsi, prenant
ainsi non seulement un risque personnel, mais aussi pour ses enfants.
Pour ne pas être suspecté, il s'est parfois montré non loin de là,
machette à la main, participant au massacre des tutsi d'une colline
voisine. Aujourd'hui, certains survivants peuvent attester avoir été
sauvés par lui, d'autres témoigner qu'il fut massacreur.

Femmes et enfants découpés vivants



Autre récit entendu : dans cette partie du Rwanda (est du territoire),
les mariages mixtes (hutu-tutsi) étaient relativement fréquents. Au
point que les génocidaires, commandés là par Jean-Gabriel Gatete, y
avaient inventé un mot inédit, les Hutsi, pour désigner les enfants
issus de ces couples. Lorsque le père était hutu, on réunissait ses
enfants et son épouse autour de lui ; puis on lui donnait une machette.
S'il refusait, femme et enfants étaient découpés vivants devant lui
avant que le coup mortel ne lui soit enfin donné. S'il acceptait, il
tuait lui-même et survivait... Certains hommes ayant ainsi assassiné
leurs proches ont, par la suite, fui au Zaïre lorsque les forces
libératrices du FPR approchaient. Ils figurent parmi les 700.000
réfugiés revenus au Rwanda ou parmi les 200.000 disparus : morts,
cachés dans la brousse zaïroise ou passés dans des pays voisins
(Tanzanie, Centrafrique ou Angola).

Le Rwanda renaît peut-être de sa tourmente. Il se reconstruit en tant
que pays. Ses plaies demanderont plus d'une génération pour se
cicatriser. Il est un pays ensanglanté, écorché à vif, méfiant vis-à-vis
des donneurs de leçons extérieurs. Le dialogue doit pourtant se
rétablir. Ce qui suppose des efforts de compréhension des deux côtés. En
particulier de la France, si longtemps complaisante, pour ne pas dire
plus, avec le régime qui aboutit au génocide d'avril-juillet 1994.
Encore faut-il pour cela admettre la vérité.

JEAN CHATAIN
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