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FRANÇOIS LEOTARD, ministre de la Défense, est arrivé mercredi matin à
Goma, l'une des bases zaïroises de l'intervention militaire française
au Rwanda. Il est accompagné de Lucette Michaux-Chevry, ministre
délégué à l'Action humanitaire et aux Droits de l'homme.
Vers midi, le ministre de la Défense a visité dans le sud-ouest du
Rwanda, à 15 kilomètres à l'est de la frontière zaïroise, le camp de
Nyarushishi, où 8.000 réfugiés tutsis sont regroupés. Il y a été
accueilli par le colonel Didier Thibaut, qui commande le peloton de
parachutistes du Commandement des opérations spéciales (COS) chargés
de la protection du camp.
Cachés dans la brousse
Avant de pénétrer dans le camp, François Léotard a rencontré deux
personnalités qui ont valeur de symbole, et de symbole sinistre, aux
yeux des survivants du génocide : Mgr Tahdée NtihiyurwaThaddée Ntihinyurwa, évêque du
diocèse de Cyangugu, qui n'a jamais caché sa sympathie active pour la
dictature ; le préfet de la région, qui fut et reste l'un des grands
coordinateurs des massacres dans toute cette partie du pays.
Puis François Léotard s'est entretenu avec plusieurs responsables du
camp. Il s'est enquis de leurs besoins alimentaires et sanitaires, et
a assuré que la France allait envoyer « très prochainement » de l'aide
humanitaire. Quant aux moyens donnés aux militaires français pour
protéger les rescapés cachés dans la brousse qu'ils peuvent rencontrer
au cours de leurs déplacements, le ministre ne s'est pas posé la
question. Pourtant, tous les journalistes ayant accompagné le corps
expéditionnaire ont pu constater que la réponse faite était trop
souvent : continuez de vous cacher et attendez, nous repasserons d'ici
quelque temps...
Près de petites tentes de plastique bleu ou vert, le ministre a
discuté avec quelques enfants d'une dizaine d'années, leur demandant
si les gendarmes et les soldats rwandais présents dans le camp étaient
« corrects ». L'un d'eux lui répondant « oui », le ministre a pris
l'air rasséréné.
Accompagné notamment du commandant de l'opération « Turquoise », le
général Jean-Claude Lafourcade, et du commandant du détachement
français pour la zone sud-ouest du Rwanda, le colonel Jacques RozierJacques Rosier,
François Léotard a déclaré aux journalistes que les militaires
français n'étaient pas destinés à devenir « une force d'interposition
(...). Notre vocation, c'est de partir pour laisser la place aux
organisations humanitaires et aux Africains (...). Il ne faut pas que
la France se substitue aux Rwandais. »
Pour lui, « la réponse » aux problèmes du Rwanda « ne peut pas être
que française. La vraie réponse, c'est la mission des Nations unies »
et le Rwanda doit rester « un pays multi-ethnique. La seule solution
est politique (...), malgré le génocide » qu'a connu le pays, a-t-il
insisté. Ce dernier membre de phrase doit retenir l'attention : sans
doute implique-t-il que Paris est décidé à peser de tout son poids
pour contraindre le Front patriotique à s'asseoir à une même table
avec les représentants du « gouvernement intérimaire » autoproclamé,
c'est-à-dire avec les organisateurs du génocide en cours. On comprend
dès lors l'insistance mise récemment sur les milices, présentées comme
une entité née on ne sait d'où, semblant oublier qu'elles ne sont
jamais qu'un outil que se sont donné le pouvoir politique et les FAR
(Forces armées rwandaises). Persister dans ce comportement reviendrait
à évacuer purement et simplement le problème de la responsabilité
politique des massacres.
Cette volonté de gommer l'analyse politique de la situation en la
repeignant aux couleurs de l'affrontement tribal irrationnel, dont les
causes se perdraient dans la nuit des temps, se vérifiait à Paris avec
la prestation du ministre aux Affaires européennes, Alain Lamassoure,
devant l'Assemblée nationale. « Il est hors de question pour la France
de prendre part à un conflit ethnique », a proclamé ce dernier, dans
une formule qui renvoie dos à dos les deux camps, celui de la
dictature et celui de l'insurrection populaire dirigée par le FPR.
Des grands moyens militaires
Au cours de son inspection des forces de l'opération « Turquoise »,
François Léotard, interrogé sur la disproportion entre certains des
moyens militaires déployés (14 chasseurs-bombardiers d'appui tactique
au sol Jaguar et Mirage F1-CT, par exemple), s'est contenté de
répondre : « Nous souhaitons ne pas avoir à nous en servir, mais il
serait criminel de ne pas prendre toutes les précautions. » Il a enfin
souligné que l'opération était « très lourde, car il faut projeter nos
forces sur plus de 7.000 kilomètres » et rappelé que, sur les 2.500
hommes, 1.000 assureront les interventions au Rwanda au profit des
populations alors que les 1.500 autres assureront leur soutien.
Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a annoncé
mercredi à Paris que le gouvernement, « soucieux de garder le contact
avec l'ensemble des parties » au Rwanda, a décidé de désigner deux
émissaires chargés des relations avec le FPR et avec le « gouvernement
intérimaire ». Le directeur adjoint des Affaires africaines et
malgaches, Yannick Gérard, « est chargé des relations avec les
autorités constituées dans les zones où s'exerce l'action des forces
françaises », soit dans le tiers ouest du pays tenu par les troupes de
la dictature. Quant aux « contacts déjà engagés avec le FPR », ils
sont confiés à l'ambassadeur Jacques Warin.
A Paris, l'ambassade du Rwanda reste toujours sans ambassadeur depuis
que celui en titre a été relevé pour avoir dénoncé les responsabilités
de l'équipe au pouvoir dans le génocide. Cela n'empêche pas le chargé
d'affaires qui le remplace provisoirement d'arroser les salles de
rédaction de communiqués divers. Celui expédié hier par ses soins se
termine par un appel à « l'extension du mandat de l'opération
``Turquoise'' dans la ``zone FPR'' »..