Citation
« Les milices gouvernementales veulent nous tuer. » Ainsi débutait, il
y a plus d'un mois, le fax adressé par les réfugiés de l'hôtel
Mille-Collines, à Kigali, à la rédaction de « l'Humanité ». Nous avons
publié ce document. Vendredi, les tueurs sont entrés dans l'hôtel pour
commettre le crime programmé. La barbarie succède à la barbarie au
Rwanda. Après deux mois de silence, la plupart des dirigeants
politiques français accordent enfin une attention à la tragédie. Il y
a deux mois, les informations en provenance de ce petit pays d'Afrique
centrale nous avaient amenés à décider le départ d'un envoyé spécial
de « l'Humanité » sur place. Immédiatement, nous avons répercuté
l'immensité des crimes commis par l'armée et les miliciens de la
dictature. Les articles de Jean Chatain sur les massacres dans les
églises, l'anéantissement de villages entiers, la chasse aux enfants
tutsis donnaient l'ampleur du génocide. Ceux qui, aujourd'hui, se
prononcent en faveur d'une intervention militaire française au Rwanda
ne pipaient mot. Je me souviens d'un éminent confrère m'assénant : «
Vous en rajoutez ! » Nous ne tirons aucune gloire à avoir révélé la
vérité, mais force est de constater qu'à notre signal d'alarme bien
peu avaient alors réagi. Pendant ce temps, les massacres se
poursuivaient, et ils se poursuivent encore aujourd'hui.
On peut aisément comprendre que de nombreux Français horrifiés par les
images vues à la télévision soient favorables à une intervention
prétendant protéger les populations. Le gouvernement français joue sur
cette légitime émotion pour annoncer une opération sans donner à
l'opinion publique les clés pour comprendre. Peu de Français savent
que la dictature rwandaise a été soutenue à bout de bras par Paris. La
grande majorité de nos concitoyens seraient extrêmement étonnés
d'apprendre qu'il y a trois semaines encore des armes françaises ont
été livrées aux tueurs et que des militaires rwandais effectuant des
stages en France viennent d'être réexpédiés dans les zones de
combats. Un des pires tyrans d'Afrique, Mobutu, vient d'être nommé «
médiateur » au Rwanda et en profite pour régler discrètement ses
problèmes intérieurs. Qui s'en étonne ? Le journal belge « le Soir »
affirme que deux militaires français sont responsables de l'attentat
contre l'avion des présidents du Rwanda et du Burundi. Les démentis du
Quai d'Orsay ne sont-ils pas trop précipités pour convaincre ?.
Une intervention militaire française n'aurait-elle pas pour objectif
réel de figer la situation sur le terrain, donc de contrer l'avance du
Front patriotique rwandais, et sous couvert de « réconciliation
nationale » de trouver une issue conforme aux intérêts de la France
officielle ? Qu'il faille prendre des dispositions urgentes pour
arrêter la tuerie est une évidence. Mais pas n'importe comment. Et
surtout pas avec n'importe qui. Les professionnels français à qui l'on
a fait jouer pendant des années au Rwanda le rôle de gendarme et de
complice d'une dictature ne seraient pas les bienvenus à Kigali. En
revanche, rien n'empêche Paris d'assurer la logistique aux quatre
mille soldats africains prêts à partir pour le Rwanda. A moins que le
gouvernement français considère ces hommes comme incapables de mener
une mission de paix et l'OUA comme un vulgaire « machin ».