Citation
Dans une interview à « l'Humanité », l'auteur de « Mort d'un
pasteur... » évoque les pressions qui se sont exercées pour le
dissuader de mettre le nez dans une affaire où il est beaucoup
question de réseaux de pédophilie et d'hommes de pouvoir.
Bernard Violet, journaliste indépendant, a rouvert le dossier de
l'assassinat de Joseph Doucé, ce pasteur retrouvé mort en juillet 1990
près de Paris. Son livre intitulé « Mort d'un pasteur... », qui paraît
cette semaine aux éditions Fayard, fait rebondir l'affaire, restée
jusqu'à ce jour une énigme. L'auteur affirme avoir découvert le mobile
du meurtre de ce pasteur baptiste qui vouait sa vie à la défense de
toutes les minorités sexuelles. Cet homme qui fréquentait également
les plus hauts personnages de l'Etat se trouvait en fait au milieu
d'une gigantesque affaire de trafics de photos pédophiles et de
chantage. Des éléments totalement inconnus que nous révèle Bernard
Violet en répondant aux questions de « l'Humanité ».
Avez-vous rencontré des difficultés au cours de votre enquête ?
De différentes sortes : des avocats et des magistrats se retranchant
derrière le sacro-saint secret de l'instruction, des menaces de
pédophiles du style : « Vous mettez les pieds là où il ne faut pas »,
des menaces de poursuites judiciaires si certains patronymes étaient
cités ; menaces de faire pression par des « policiers amis » ; menaces
pour mon intégrité physique. L'ex-inspecteur Dufourg s'est montré
particulièrement contrarié que j'enquête du côté de son journal «
National Hebdo ». Pour ses amis de l'extrême droite, il y avait deux
façons de gérer ma pugnacité, « intelligemment et bêtement ». Bêtement
: ils savent où tu habites... J'ai également reçu un curieux
avertissement concernant des écoutes téléphoniques dont j'aurais été
l'objet. Il paraît que je dérangeais également du côté du « château »,
autrement dit à l'Elysée. C'est le capitaine Barril, ex-membre de la
fameuse cellule élyséenne, qui me l'a affirmé.
Le pasteur Doucé était-il simplement homosexuel et baptiste, comme il aimait se présenter ?
Ce Belge naturalisé français en 1982 était tout cela mais pas
simplement. Créateur à Paris, en 1976, du Centre du Christ libérateur
(CCL), il était un homme de foi, sincère dans ses convictions : la
défense des gays, des lesbiennes, des bisexuels, transsexuels,
travestis, pédophiles et sadomasochistes. Au total, 10.000 visiteurs
sont venus le consulter pour exprimer leurs angoisses. Cela n'allait
pas sans difficultés, notamment matérielles.
Vous révélez que le CCL va vivre pendant cinq ans grâce à l'argent du roi du cinéma porno des années soixante-dix !
Le pasteur Doucé n'était pas un homme intéressé par l'argent, mais il
en avait besoin, comme tout le monde. Les cotisations et les quêtes ne
suffisent pas à couvrir les frais de sa revue. Pour payer le loyer de
l'immeuble de la rue Clairaut, c'est souvent un véritable
casse-tête. Il accepte donc un don mensuel de 5.000 francs du roi du
cinéma porno des années soixante-dix. Cela ne l'a pas empêché
d'appartenir à la Grande Loge de France, dont il est exclu en 1982
pour « agissements et propagandes en faveur de la pédophilie ».
C'est également dans ces années quatre-vingt qu'il fait la
connaissance d'un ancien militant néonazi.
C'est à l'occasion d'une université d'été réunie à Marseille, en 1987,
qu'un groupe gay demande l'exclusion des responsables de la revue « Gaie France », dirigée par Michel Caignet, le militant de la FANE
(Fédération d'action nationaliste européenne), créée par Mark
Frederiksen. Doucé accepte depuis quelques mois que Caignet fasse de
la publicité gratuite pour les ouvrages publiés par ses maisons
d'édition dans « Gaie France », une revue qui, depuis février 1994,
est interdite à la vente pour « prosélytisme en faveur de la
pédophilie ». En dehors de ces relations d'affaires, Doucé considère
l'exclusion de Caignet comme antidémocratique.
C'est pourtant ce même Caignet qu'on retrouve au centre d'un vaste trafic de photos pédophiles qui pourrait, selon vous, expliquer la disparition du pasteur ?
La centaine de mes interlocuteurs, amis ou ennemis du pasteur
- parmi lesquels le sénateur Henri Caillavet -, sont unanimes pour
reconnaître que, si le pasteur Doucé revendiquait fièrement et
publiquement son homosexualité, il n'a jamais été pédophile. Il était
simplement leur avocat. Pour répondre précisément à la question, il
est exact qu'en 1989 la brigade des mineurs met à jour un vaste trafic
de photos d'enfants dans lequel on retrouve le néonazi Caignet et deux
compères : Bernard Alapetite et Jean-Manuel Vuillaume, qui se
présentent comme des photographes et éditeurs d'art. Parmi les
inculpés : des éducateurs, des animateurs de colonie de vacances, des
hauts fonctionnaires, et même un prêtre.
Qui est ?...
Nicolas Glencross, curé, depuis 1948, d'une petite paroisse de la
Nièvre, Saint-Léger-des-Vignes. Dans la région, chacun sait que la
porte du presbytère qu'il a fait construire, route de la Machine,
reste toujours ouverte. Certes, on y voit souvent de nombreux jeunes
gens et jeunes filles, mais on ne saurait penser à mal. Son hobby : le
dessin. « J'ai un crayon dans les yeux, j'aime capter ce qui est
fugitif », dira-t-il au juge d'instruction, Catherine
Scholastique. Chaque année, il ramène des enfants de ses voyages en
Inde, au Pérou, au Sri Lanka. Bref, il réalise entre 20.000 et 30.000
photos d'enfants en l'espace de quarante ans ! Les garçons se sont le
plus souvent retrouvés nus, dans des poses académiques ou
suggestives. Les mineurs recevaient 50 francs par séance. Ecroué à
Fresnes en 1990, à soixante-dix-sept ans, il finit par mourir en
décembre 1991.
Quel rapport faites-vous entre le curé Glencross et la disparition du pasteur Doucé ?
Mon livre met au jour de nombreuses convergences. Je me retrouve
devant deux hypothèses. La première : on a voulu faire parler le
pasteur Doucé, qui connaissait Glencross. L'inspecteur Dufourg apprend
- par Caignet, qu'il connaît indirectement - qu'une personnalité
proche du pouvoir socialiste serait plus ou moins « impliquée » dans
une énorme affaire de pédophilie. Le 19 juillet, le policier se
présente en compagnie d'un complice au domicile du pasteur. Au cours
des heures qui suivent, il essaie de convaincre son « otage » de lui
confier le nom de la personnalité en question. Le pasteur
refuse. L'inspecteur s'énerve, brutalise le pasteur, qui succombe.
La seconde hypothèse : on a voulu faire taire le pasteur pour que
l'affaire Glencross ne soit pas rendue publique. Car apparaissent
alors des noms, comme celui d'Hubert Védrine, ancien porte-parole de
l'Elysée qui, pour pouvoir se présenter aux élections municipales,
s'est fait domicilier chez le père Nicolas Glencross ! On réduit donc
Doucé au silence tout en s'arrangeant pour faire « porter le chapeau »
à Dufourg.