Fiche du document numéro 23089

Num
23089
Date
Vendredi 9 septembre 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
91925
Pages
2
Urlorg
Sur titre
De Vichy à Le Pen
Titre
Les liaisons dangereuses de François Mitterrand
Nom cité
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Cote
no 15574
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
A quelques jours d'intervalle, deux ouvrages viennent de livrer à l'opinion publique une masse de détails sur les relations particulières qu'a entretenues François Mitterrand avec l'extrême droite, au cours de sa carrière politique. Le premier, « Une jeunesse française: François Mitterrand, 1934-1947 », écrit par Pierre Péan, avec le concours permanent de l'actuel hôte de l'Elysée, est édité par Fayard. L'enquête s'efforce de présenter les liens du futur homme d'Etat avec la droite nationale comme relevant d'une époque révolue. Seules auraient été maintenues quelques amitiés, par-delà d'irréductibles clivages politiques. C'est, par exemple, le cas des « bons rapports » conservés jusqu'au bout par le premier président de gauche de la Ve République avec René Bousquet, chef de la police de Vichy, et responsable à ce titre de l'extermination de centaines de milliers de juifs. On y trouvera, à la page 315, cette intolérable déclaration du chef de l'Etat recueillie par l'auteur fin mai 1994: René Bousquet « n'était pas un vichyssois fanatique, comme on l'a présenté... C'était un homme d'une carrure exceptionnelle, plutôt sympathique, direct, presque brutal. Je le voyais avec plaisir. Il n'avait rien à voir avec ce qu'on a pu dire de lui. Il a suscité un véritable culte de l'amitié autour de lui ».

Tout autre est « la Main droite de Dieu », une très sérieuse enquête - publiée par les éditions du Seuil - réalisée par Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Pérez, trois journalistes qui partagent une même répugnance pour l'extrême droite. L'hôte de l'Elysée, qu'ils ont rencontré le 27 mai 1994, ne s'y est pas trompé: « Je vois bien le cheminement de vos questions. Je serais dans un tribunal, on ne me poserait pas de questions différentes. Mais c'est votre droit, vous êtes libres! » (page 9). Les questions posées attestent en effet d'une démarche profondément différente de celle qu'a suggérée le président de la République à Pierre Péan. Il ne s'agit plus de renvoyer à la jeunesse du chef de l'Etat ses rapports avec l'extrême droite, mais de montrer sous quelle forme ils se sont poursuivis jusqu'à aujourd'hui. « Pourquoi François Mitterrand a-t-il favorisé, dès 1982, la percée du Front national? Pourquoi a-t-il tenu à faire déposer chaque année une gerbe sur la tombe de Pétain? Pourquoi a-t-il pardonné aux généraux putschistes d'Algérie? Pourquoi a-t-il conservé d'anciennes amitiés vichyssoises? » Un an d'enquête, près de cent cinquante entretiens, l'étude de documents oubliés, parfois inédits, ont permis aux auteurs de mettre au jour des faits irréfutables. Nous n'en citerons que quelques-uns. Une première entrevue a lieu dès 1981 à la demande du défunt François de Grossouvre, alors conseiller à l'Elysée, et Jean-Marie Le Pen. Elle est suivie, le 29 mai 1982, d'une rencontre entre Guy Penne, également conseiller, et à nouveau Jean-Marie Le Pen. Ce dernier lui demande de transmettre une lettre à François Mitterrand, où il l'enjoint d'intervenir en sa faveur auprès des directions de chaîne de télévision. Selon les auteurs: « Sur les conseils de Michel Charasse, François Mitterrand signe le 22 juin une réponse écrite (...) la radio-télévision ne saurait méconnaître l'obligation de pluralisme qui lui incombe » (page 21). Une semaine plus tard, le leader du Front national est l'invité en direct du journal de 23 heures sur TF1. Il se félicite publiquement de ce que « sa lettre porte ses fruits et de ce que François Mitterrand réussisse à se faire obéir ». A l'époque, le parti de Le Pen végétait autour de 0,2 % des suffrages... Qui peut nier que l'aventure télévisuelle du chef de l'extrême droite ait contribué à sa promotion électorale?

L'enquête des trois journalistes fourmille de petites révélations qui viennent toutes étayer le caractère délibéré de cette promotion. En juin 1982, Pierre Bérégovoy est encore secrétaire général de l'Elysée. Il déclarera plus tard à Franz-Olivier Giesbert: « On a tout intérêt à pousser le Front national, il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattables. C'est la chance historique des socialistes » (page 26). Trois ans plus tard, notent les auteurs, « l'opération S.O.S.-Racisme commence. Après s'être employé à diviser la droite, il s'agit de ressouder un électorat de gauche en déshérence en favorisant l'émergence d'un pôle antiraciste » (page 29). Il est confirmé que c'est Jean-Louis Bianco qui pilote tout de l'Elysée.

Un certain nombre d'événements reconstitués par les trois journalistes ont été évoqués à l'époque par « l'Humanité ». Il y eut même un communiqué de la direction du Parti communiste français, des discours de son secrétaire général. Des protestations constantes, dès 1984, contre la complaisance du pouvoir vis-à-vis de Le Pen. A l'époque, tout cela semblait à peine crédible. La réalité se situait encore au-delà de ce que nous déplorions.

Selon des témoins cités par les auteurs, des rencontres auraient encore eu lieu, lors de l'élection législative de 1993, entre Bernard Tapie et, sinon Le Pen, en tout cas le candidat local du Front national. On en connaît le résultat. Tapie aurait déclaré alors: « Ce n'est pas avec de grandes idées que l'on fait avancer le monde. Une élection, ça se gagne en divisant l'adversaire et en gagnant le maximum de voix sur son nom » (page 77). C'est avec cette conception utilitariste de la politique que l'enquête « la Main droite de Dieu » peut aider à rompre.

« Une jeunesse française », par Pierre Péan, éditions Fayard, 616 pages, 160 francs. « La Main droite de Dieu », par Emmanuel Faux, Thomas Legrand, Gilles Perez, éditions Le Seuil, 272 pages, 110 francs.

ARNAUD SPIRE.
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