Le site d’informations Mediapart a publié jeudi sur son site une vidéo de 52 secondes filmée sur le terrain au Rwanda le 28 juin 1994 et montrant un officier supérieur français restant impassible quand un sergent-chef l’alerte sur les violences en cours dans les collines, à quelques kilomètres.
Des associations, parties civiles dans un des dossiers liés au génocide rwandais de 1994, le massacre de centaines de Tutsis en trois jours dans les collines de Bisesero malgré la présence à proximité de soldats français de la force Turquoise, s’efforcent de relancer une instruction en panne 24 ans après les faits.
Une vidéo contredit la position de l’armée française
La vidéo diffusée par Mediapart contredit la position de la hiérarchie militaire française. Celle-ci a toujours affirmé n’avoir eu connaissance de la situation à Bisesero que le 30 juin 1994.
Or, la scène filmée montre le patron des opérations spéciales françaises au Rwanda, le colonel Jacques Rosier, recevoir de l’un de ses subordonnés des informations sur les violences en cours dans les collines de Bisesero.
Le sergent-chef en discussion avec le colonel l’informe également que les militaires français ont dû protéger leur guide qui aurait aidé quelques jours avant les génocidaires Hutus. «?Quand on est tombés sur une bande de Tutsis qui fuyaient dans les collines et qu’ils l’ont reconnu, explique-t-il, j’ai cru qu’ils allaient le lapider?».
Les images sont extraites des archives de l’ECPAD, l’agence audiovisuelle du ministère de la défense.
Les associations tentent de relancer l’instruction
L’association Survie, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et des rescapés de ces massacres commis du 27 au 30 juin 1994 accusent l’armée française d’avoir laissé faire.
Une plainte contre X déposée par six rescapés a donné lieu en 2005 à l’ouverture d’une information judiciaire.
Elle avait pour but d’établir les raisons de l’absence de réaction de la force Turquoise, mise en place le 22 juin sous mandat de l’ONU pour mettre fin aux violences au Rwanda, et les responsabilités éventuelles de ses commandants. Mais les juges ont notifié le 27 juillet dernier aux parties civiles la fin de leur instruction, sans mise en examen.
Les parties civiles leur ont adressé jeudi des observations, assorties de demandes d’actes, pour relancer les investigations.
«
Cette volonté de mettre fin à l’enquête judiciaire est prématurée et ne vous permet pas de tirer toutes les conséquences judiciaires des faits établis par les éléments du dossier », écrivent-elles.
«
L’information judiciaire a en effet permis d’établir, sans contestation sérieuse possible, que les plus hautes autorités militaires françaises ont eu connaissance, dès le 27 juin 1994, de la poursuite du génocide sur les collines de Bisesero et qu’aucune mesure, jusqu’aux initiatives personnelles de militaires de terrain le 30 juin 1994, n’a été prise pour intervenir et y mettre un terme », ajoutent-elles.
La France complice du génocide??
Pour les parties civiles et leurs avocats, cette «?abstention volontaire d’intervenir?» relève de la complicité de génocide.
Ils estiment que l’enquête doit se poursuivre pour déterminer les responsabilités pénales individuelles de cette inaction. Ils demandent notamment aux juges de procéder à toute une série de confrontations et d’auditions de responsables politiques et militaires français de l’époque.
Les parties civiles et leurs avocats demandent aussi le versement au dossier de documents (comptes rendus, journaux de marche des unités concernées, enregistrements vidéo, etc.)
L’armée française estime ne rien avoir à se reprocher
Les autorités françaises ont toujours déclaré n’avoir aucune responsabilité dans les massacres, malgré les critiques du président rwandais Paul Kagamé, un Tutsi, qui affirme qu’elles ont favorisé les génocidaires Hutus.
L’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées sous François Mitterrand (1991-1995), a demandé en mai dernier dans une interview au Monde l’ouverture des archives militaires sur l’opération «?Turquoise?» pour démontrer que l’armée française n’avait rien à se «
reprocher ».
«
Notre mission était d’arrêter les massacres. Point à la ligne. Je ne voulais pas que nous puissions nous trouver impliqués dans les combats », a-t-il dit. «
Nous avons été les seuls à intervenir et à sauver des gens?! »