Fiche du document numéro 22942

Num
22942
Date
2003
Amj
Auteur
Fichier
Taille
819896
Pages
142
Titre
Le rôle de l'État dans le génocide des Tutsi d'avril-juillet 1994 : cas de l'ex-commune urbaine de Ngoma
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Mémoire
Langue
FR
Citation
FACULTE DES SCIENCES ECONOMIQUES,
SOCIALES ET DE GESTION
DEPARTEMENT DES SCIENCES SOCIALES

LE ROLE DE L'ETAT DANS LE GENOCIDE
DES TUTSI D'AVRIL-JUILLET 1994:
Cas de l'ex-commune urbaine de Ngoma
Mémoire présenté en vue de l'obtention
du grade de Bachelor's degree (Licence) en
Sciences Sociales

par
KANAMUGIRE Laurent

Directeur: Professeur Titulaire NIZURUGERO R. Jean
Co-directrice: Mademoiselle NYIRABEGA Euthalie
Butare, Année Académique 2002-2003

i

EPIGRAPHE

« C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau (...) Cela peut se
passer et partout (...). Cela s'est passé, en 1994, au Rwanda » (Primo Lévi, Juif
survivant d'Auschwitz en Pologne cité par Christophe Calais [1998]).

ii

DEDICACE

A mes regrettés parents, frères, sœurs, amis et proches;
aux victimes du génocide rwandais;
aux victimes de toutes les dictatures du monde entier;
à toutes les personnes éprises de paix, de justice et de liberté;
à toi Dévote, mère de mes enfants;
à mes enfants Delphine, Aristide, Basile et Raïssa;

ce mémoire est dédié.

iii

REMERCIEMENTS
Nous remercions sincèrement toutes les personnes qui, de près ou de
loin, ont contribué à la réalisation de ce travail.
Nos remerciements vont tout particulièrement au Professeur Dr.
NIZURUGERO R. Jean qui a bien accepté de diriger ce mémoire. Grâce à ses
conseils, à ses remarques et aux retouches qu'il a apportées à ce travail, celui-ci est
arrivé à terme.
Nous remercions également Mlle NYIRABEGA Euthalie pour ses
conseils et ses corrections qui ont été d'une grande utilité scientifique dans ce travail,
et notre profonde gratitude est également adressée aux Professeurs de la Faculté
des Sciences Economiques, Sociales et de Gestion qui nous ont dispensé une
formation universitaire.
Nos sincères remerciements sont aussi adressés à AG-GENOCIDE
SWITZERLAND pour son assistance financière grâce à laquelle notre travail de
recherche a abouti à ses résultats.
Que les familles KANAMUGIRE Bosco et MUTAMBARUNGU Jeanne
d'Arc,

NYANZIRA

MFASHINGABO

Déo,

KARASIRA

et

Mme

UMULISA

MUKANTAGANDA Odette trouvent ici notre profonde gratitude pour leur soutien
moral.
Nos remerciements sont en outre formulés à l'endroit de Mr
MUTAGANZWA Viateur; Mr NSENGIYUMVA Emmanuel; Mr HABIMANA Ignace; Mr
SHYAKA Jean Claude; Professeur Associé RUZIBIZA Sakera.
Nous remercions enfin Mme UWANYILIGIRA Marie Claudine pour le
travail de secrétariat. Sa disponibilité et son dévouement nous ont particulièrement
marqué.
KANAMUGIRE Laurent

iv

SIGLES ET ABREVIATIONS

A.D.L.

: Association de Défense des Droits et des Libertés de la
Personne Humaine

BACAR

: Banque Continentale Africaine - Rwanda

BCR

: Banque Commerciale du Rwanda

B.G.M

: Bugesera - Gisaka - Migongo

B.N.R.

: Banque Nationale du Rwanda

BRD

: Banque Rwandaise de Développement

CDR

: Coalition pour la Défense de la République

CEFOTEC

: Centre d'Enseignement et de Formation Technique

CND

: Conseil National pour le Développement

DAMI

: Détachement d'Assistance Militaire à l'Instruction

ELECTROGAZ

: Office d'Exploitation et de Distribution d'Eau, d'Electricité et de
Gaz

ESO

: Ecole des Sous-Officiers

F.A.R

: Forces Armées Rwandaises

FARG

: Fonds d'Assistance aux Rescapés du Génocide

F.P.R

: Front Patriotique Rwandais

G.P

: Garde Présidentielle

IPN

: Institut Pédagogique National

IRST

: Institut de Recherche Scientifique et Technologique

MAGERWA

: Magasins Généraux du Rwanda

MDR

: Mouvement Démocratique Républicain

M.R.N.D

: Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement

MINAGRI

: Ministère de l'Agriculture

MINICOM

: Ministère du Commerce

MINIFIN

: Ministère des Finances

MINIFOP

: Ministère de la Fonction Publique

MINIJUST

: Ministère de la Justice

MININTER

: Ministère de l'Intérieur

MINIPLAN

: Ministère du Plan

v

MINISANTE

: Ministère de la Santé

MINITRANSCO

: Ministère des Transports et Communications

MINITRAPEE

: Ministère des Travaux Publics, de l'Energie et de l'Eau

MINUAR

: Mission des Nations Unies d’Assistance au Rwanda

OCIR

: Office des Cultures Industrielles du Rwanda

ONAPO

: Office National de la Population

ONATRACOM

: Office National des Transports en Commun

ONG

: Organisme Non Gouvernemental

ONU

: Organisation des Nations Unies

OPROVIA

: Office des Produits Vivriers Agricoles

PARMEHUTU

: Parti pour l'Emancipation des Hutu

P.L

: Parti Libéral

P.S.D

: Parti Social Démocrate

RDC

: République Démocratique du Congo

R.T.L.M

: Radio Télévision Libre des Milles Collines

SCR

: Service Central de Renseignement

SONARWA

: Société Nationale d'Assurance au Rwanda

SORWAL

: Société Rwandaise d'Allumettes

S.S.

: Schutz Staffel

T.P.I.R

: Tribunal Pénal International pour le Rwanda

UNAR

: Union Nationale Rwandaise

UNESCO

:

United

Nations

for

Education,

Science

and

Culture

Organisation (Organisation des Nations Unies pour la
Science, l'Education et la Culture)
U.N.R

: Université Nationale du Rwanda

vi

LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES
A. TABLEAUX
Tableau I: Effectif de la population selon la nationalité et l'ethnie d'après le
recensement de 1978.......................................................................... 37
Tableau II : Répartition de l'effectif des agents de l'administration centrale suivant
l'ethnie dans quelques ministères........................................................ 38
Tableau III : Demandeurs d'emploi par ethnie en 1989 ............................................ 38
Tableau IV : Personnes engagées en 1989 par ethnie............................................. 39
Tableau V : Répartition des travailleurs des douze entreprises parastatales les plus
importantes.......................................................................................... 39
Tableau VI : Effectif des travailleurs dans les banques et les assurances suivant les
ethnies................................................................................................. 40
Tableau VII : Répartition des salariés du secteur privé par ethnie............................ 41
Tableau VIII : Catégories professionnelles des personnes interviewées.................. 64
Tableau IX : Opinions des personnes interviewées sur la volonté étatique de
monopolisation du pouvoir mono-ethnique.......................................... 66
Tableau

X

:

Opinions

des

personnes

interviewées

sur

la

responsabilité

gouvernementale dans le génocide..................................................... 80
Tableau XI: Niveaux de participation dans le génocide ............................................ 94
Tableau XII: Opinions sur les causes du déclenchement du génocide dans la ville de
Butare.................................................................................................. 95
B. FIGURES
Figure I : Schéma simplifié du système politique selon David EASTON .................. 15
Figure II : L’ARBRE DU GENOCIDE ..................................................................... 110

vii

TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHE

...................................................................................................................... i

DEDICACE

..................................................................................................................... ii

REMERCIEMENTS...............................................................................................................iii
SIGLES ET ABREVIATIONS .............................................................................................. iv
LISTE DES TABLEAUX ET FIGURES .............................................................................. vi
TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... vii
SOMMAIRE

..................................................................................................................... x

UMUSOGONGERO ............................................................................................................... xi
0. INTRODUCTION GENERALE ........................................................................................ 1
0.1. CHOIX ET INTERET DU SUJET ................................................................................... 1
0.2. DELIMITATION DU SUJET .......................................................................................... 2
0.3. ETAT DE LA QUESTION ET PROBLEMATIQUE ........................................................ 2
0.4. OBJECTIFS DE RECHERCHE .................................................................................... 12
0.4.1. Objectif principal................................................................................................ 12
0.4.2. Objectifs spécifiques .......................................................................................... 12
0.5. HYPOTHESES DE RECHERCHE................................................................................ 13
0.6. METHODES ET TECHNIQUES................................................................................... 14
0.6.1. Méthodes ............................................................................................................ 14
0.6.2. Techniques ......................................................................................................... 16

viii

0.7. SUBDIVISION DU TRAVAIL ....................................................................................... 16
CHAPITRE I : CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE............................................ 18
I.1. DEFINITION DES CONCEPTS CLES ET CONNEXES............................................... 18
I.1.1. L’ETHNIE .............................................................................................................. 18
I.1.1.1. Préjugé, ethnocentrisme et racisme.................................................................. 23
I.1.1.2. La recherche hégémonique .............................................................................. 27
I.1.2. L’ETAT................................................................................................................... 28
I.1.2.1. L’Etat post-colonial. ........................................................................................ 31
I.1.2.2. Le rôle de l’Etat ............................................................................................... 33
I.1.2.3. La politique du ventre, le népotisme et la corruption ...................................... 35
I.1.3. LE GENOCIDE ...................................................................................................... 41
I.1.3.1. Le génocide, un crime contre l’humanité ........................................................ 42
I.1.3.2. Le génocide, crime d’Etat ................................................................................ 43
I.2. VERS LE GENOCIDE DES TUTSI D’AVRIL-JUILLET 1994...................................... 45
I.2.1. LES RESSORTS SOCIO-POLITIQUES DU GENOCIDE ................................... 45
I.2.1.1. De l’Etat colonial à l’Etat post-colonial........................................................... 45
I.2.1.2. Les massacres de 1973 et l’avènement de la deuxième République ............... 48
I.2.1.3. La deuxième République face au FPR-INKOTANYI ..................................... 50
I.2.2. LE MASSACRE DES OPPOSANTS POLITIQUES ET LE DEBUT DU
GENOCIDE........................................................................................................... 52
I.2.2.1. Le meurtre des opposants politiques................................................................ 52
I.2.2.2. Le génocide dans tout le pays .......................................................................... 53
I.2.3. LE DECLENCHEMENT DU GENOCIDE A BUTARE ...................................... 55
CHAPITRE II : PRESENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE ET DE
L’APPROCHE DE COLLECTE ET DE TRAITEMENT DES
DONNEES................................................................................................ 58
II.1. APERÇU GENERAL DU MILIEU D’ETUDE............................................................. 58
II.2. METHODE DE RECUEIL ET DE TRAITEMENT DES DONNEES ........................... 63
II.2.1. Choix des personnes d’entretien............................................................................ 63
II.2.2. Choix de l’instrument de recherche....................................................................... 64

ix

CHAPITRE III : PRESENTATION, ANALYSE ET INTERPRETATION DES
RESULTATS D’ENQUETE................................................................... 66
III.1. LA STRATEGIE DE REDUCTION DU POTENTIEL ELECTORAL ET MILITAIRE
DU FPR PAR L’ETAT ............................................................................................... 66
III.1.1. Hutisation du régime politique rwandais ............................................................. 68
III.1.2. Banalisation et sabotage des Accords de Paix d’Arusha d’Août 1993. ............... 72
III.2. DISCOURS POLITIQUES D’INCITATION ET D’EXHORTATION AU GENOCIDE
.................................................................................................................................... 79
III.2.1. Nomination déterminante des plus hautes autorités du pays originaires de Butare
............................................................................................................................... 82
III.2.2. Implication de l’élite dans le génocide avec miroitement d’avantages................ 85
III.3. INTERPRETATION SOCIOLOGIQUE DE LA MISE EN OEUVRE COLLECTIVE
DU GENOCIDE DES TUTSI..................................................................................... 96
III.3.1. LES INFLUENCES EXTRA-SOCIETALES DES REFLEXES
GENOCIDAIRES ................................................................................................. 96
III.3.2. LES ATTITUDES INTRA-SOCIETALES EXCLUSIVISTES ET LA
MATRICE IDEOLOGIQUE DU GENOCIDE .................................................... 98
III.3.3. LE CONTEXTE GEO-DEMOGRAPHIQUE DU GENOCIDE DANS LA
VILLE DE BUTARE .......................................................................................... 103
III.3.4. DISPOSITIONS HOSTILES FAVORABLES A L’EXCLUSION................... 104
III.3.5. LA MATERIALISATION SPATIALE DE L’IDEOLOGIE RACISTE EN
ACTES COLLECTIFS GENOCIDAIRES ......................................................... 107
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS .................................................................. 111
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 120
ANNEXES

................................................................................................................. 124

x

SOMMAIRE
La deuxième moitié du 20e siècle a été marquée au Rwanda par une
série de persécutions et d'humiliations que l'Etat a infligées aux Tutsi, une des trois
composantes de l'ethno-structure sociale rwandaise.
Les massacres de 1959 et des années qui ont suivi ont emporté des
dizaines de milliers de Tutsi tandis que des centaines de milliers d'autres ont été
forcés à l'exil. Depuis lors ils ont vécu une frustrante apatridie au moment où ceux
qui étaient restés au pays subissaient un apartheid ressemblant à une exception
près à celui naguère pratiqué en Afrique du Sud.
Cette politique de conservation égoïste du pouvoir monoethnique
fondée sur la haine ethnique et l'exclusion a atteint son paroxysme lors des défaites
politico-militaires subies par les forces gouvernementales pendant la guerre
déclenchée par le FPR-INKOTANYI, en désignant les Tutsi comme les boucs
émissaires.
Se voyant battu sur le terrain diplomatico-politico-militaire, l'Etat a choisi
l'option de la solution finale: le génocide des Tutsi.
Commencé juste après le crash de l'avion présidentiel le 06 avril 1994
partout dans le pays, le génocide a atteint la ville de Butare deux semaines après,
mais avec une effroyable cruauté.
Grâce aux méthodes et techniques de recherche scientifique
appropriées, nous avons pu établir le rôle joué par l'Etat dans la planification et
l'incitation de la population de la ville de Butare dans le génocide pendant lequel la
communauté internationale a brillé par une indifférence et un silence complices, au
moment où l'Etat français couvrait tactiquement la retraite des forces génocidaires
lors de l'Opération turquoise.

xi

UMUSOGONGERO
Mu Rwanda, igice cya kabiri cy'ikinyejana cya 20 cyaranzwe n'urusobe
rw'akarengane n'itotezwa ubutegetsi bw'icyo gihe bwakoreye bumwe mu moko atatu
agize umuryango nyarwanda ari bwo bw'abatutsi.
Ubwicanyi bwo mu 1959 n'imyaka yakurikiyeho bwahitanye ibihumbi
n'ibihumbi by'abatutsi mu gihe abandi ibihumbi amagana bwatumye bahunga. Kuva
icyo gihe babayeho batagira ubwenegihugu (cyangwa ari imbungamahugu), mu gihe
abasigaye

mu

gihugu

bagirirwaga

ivanguramoko

ridatandukanye

cyane

n'iryakorerwaga muri Afurika yepfo.
Iyo miyoborere yo kugundira ubutegetsi k'ubwoko bumwe, ishingiye ku
rwango n'ihezwa (cyangwa ikumira) byakorerwaga ubundi bwoko

yageze ku

gasongero kayo mu gihe ingabo zari iza Leta zatsindwaga haba muri politiki ndetse
no mu bya gisirikari, mu ntambara yashojwe na F.P.R.- INKOTANYI, ubwo
ubutegetsi bwikomaga abatutsi kuba nyirabayazana.
Babonye

batsinzwe

mu

rwego

rw'imibanire

n'amahanga,

mu

miyoborere no mu ngabo, ubutegetsi bwafashe umwanzuro wa nyuma ari wo wo
gutsemba abatutsi.
Indege y'umukuru w'igihugu ikimara kugira impanuka ku ya 6 Mata
1994, itsembabwoko ryatangiye mu gihugu hose, rigera mu mugi wa BUTARE
nyuma y'ibyumweru bibiri ariko rifite ubukana bukabije.
Twifashishije uburyo bukoreshwa mu bushakashatsi bwa gihanga,
twashoboye kugaragaza uruhare Leta yagize mu gutegura no gushishikariza
abaturage b'Umugi wa Butare gukora Itsembabwoko mu gihe Umuryango
Mpuzamahanga waranzwe no kwigira "ntibindeba" no kwinumira naho Leta
y'Ubufaransa yo ikingira ikibaba ku buryo bukomeye abakoze itsembabwoko ngo
babone uko bahunga mu kiswe "Opération turquoise".

1

0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. CHOIX ET INTERET DU SUJET
Le choix de ce sujet a été motivé d'abord par le devoir de mémoire pour
les victimes du génocide, ensuite par le besoin de mettre en évidence la haine, le
cynisme et la brutalité ayant caractérisé le génocide même dans des régions
autrefois réputées pacifistes comme

la région de Butare, enfin par l’exigence

académique au terme du second cycle d'études universitaires.
Les gens comprennent difficilement comment presque tous les Hutu ont
été convaincus d'exterminer tous les Tutsi et ce dans des conditions si abominables.
Des maris sont allés jusqu'à égorger leurs épouses et des nourrissons n'ont pas été
épargnés parce qu'ils portaient en eux du sang tutsi. Malgré ces bouleversantes
réalités, certaines voix s'élèvent encore pour nier le génocide ou tentent d'y opposer
un prétendu contre génocide.
Le génocide des Tutsi a néanmoins créé une situation si préoccupante
que l'humanité entière devrait se sentir concernée par les conséquences de cette
tragédie. En plus des dégâts humains et matériels qu'il a occasionnés, les relations
interethniques ont été gravement touchées, d'autant plus que les tueries se faisaient
au nom de l'ethnie. Le chef d'orchestre était l'Etat. Les politiciens, les agents
administratifs, les militaires, les médecins, les miliciens, les policiers communaux, les
enseignants, les paysans, les hommes et les femmes d'Eglise, les commerçants,
etc., ont tous été impliqués pour se débarrasser de l'"ennemi commun".
L'Etat d'après-génocide a hérité d'un pays complètement dévasté sur
tous les plans: humain, social, économique, politique, éducatif, juridique, culturel,
sportif, etc. C'est pourquoi nous avons jugé bon d'analyser sociologiquement le rôle
joué par l'Etat dans la planification et l'incitation du peuple à commettre le génocide
des Tutsi et les massacres des Hutu modérés, c'est-à-dire opposés au régime en
place. Ceci nous permettra à l'inverse d'esquisser le rôle que pourrait jouer l'Etat

2

d'après-génocide dans le rassemblement du peuple pour réparer les torts et les
crimes commis par son prédécesseur, afin de lancer le peuple sur la voie de la
réconciliation et du progrès.

0.2. DELIMITATION DU SUJET
Notre travail se limitera dans le temps et dans l'espace. Ainsi nous
traiterons du génocide d'avril-juillet 1994 dans l’ex-commune urbaine de NGOMA ,
sans nous empêcher de jeter un regard rétrospectif sur les actes préparatoires du
génocide et des massacres depuis 1959 pour des raisons ci-après.
Deux raisons majeures nous ont conduit à cette délimitation à la fois
géographique et temporaire: d'abord le génocide y a commencé un peu plus
tardivement qu'ailleurs dans le pays, le 19 avril 1994, alors qu'ailleurs il avait
commencé juste après le crash de l'avion présidentiel, la nuit du 6 avril 1994. Ensuite
une fois le zèle populaire acquis, le génocide y a pris des proportions gigantesques,
épouvantables.
Et puis, le sujet s'inscrit dans le cadre de la sociologie politique, étant
donné que l'Etat, seul détenteur du pouvoir politique, a été à l'origine de la tragédie
dont il sera question dans ce travail. Il a d'ailleurs contribué intégralement à sa
réalisation.

0.3. ETAT DE LA QUESTION ET PROBLEM ATIQUE
La question du génocide ne laisse pas de préoccuper les esprits
avisés, tel le Professeur Mark Levene de Grande Bretagne :
« Bien sûr, toutes les sociétés n'ont pas emprunté la voix du
génocide . S'il existe dans tous les Etats modernes au moins
une potentialité de commettre ce type d'acte, une question
demeure :qu'ont donc en commun l'Allemagne, la Russie, la
Chine, la Turquie, l'Irak, le Cambodge, l'Indonésie, le Pakistan,
le Bangladesh, la Birmanie, l'Ethiopie, le Rwanda, le Burundi, le
Soudan, et le Guatemala, pour ne nommer que quelques
criminels notables ? Comment établir un lien entre les
génocides commis par l'Allemagne et le Rwanda sous le

3

pouvoir hutu, en d'autres termes entre un géant industriel
moderne, ayant une authentique société civile et une histoire
profondément marquée par la philosophie des Lumières, et un
Etat
lilliputien,
post-colonial,
sous-développé
et
épouvantablement pauvre ? " LEVENE, M., (2000 :3).
Le génocide des Tutsi au Rwanda a emporté au moins un million de
vies humaines d'avril à juillet 1994. Ce chiffre est tiré d'un recoupement de sources
variées (HARSCH, E., 1998 :4). Comparé à celui des Juifs dont le nombre de tués
est estimé à six millions de 1939 à 1945, le génocide des Tutsi est manifestement le
plus rapide et le plus brutal d'autant plus qu'il a été précédé par des massacres
répétitifs depuis 1959, lesquels massacres étaient chaque fois restés impunis.
Les massacres et le génocide des Juifs ont principalement utilisé la
chambre à gaz, cela pour préserver le secret des opérations et minimiser le coût des
moyens matériels et humains (SHIRER, W., L., 1960 :447). Les exécutants de
l'holocauste juif étaient minutieusement choisis parmi les forces spéciales de l'armée
hitlérienne (les S.S.ou échelon de protection et la Gestapo ou police secrète). Le
génocide des Tutsi, lui, a utilisé principalement la machette et la massue, l'arme à
feu n'intervenant que pour donner l'ordre de commencer les tueries ou pour briser
une éventuelle résistance des Tutsi. En outre toute la population hutu était invitée
par les autorités à participer à la chasse aux Tutsi. Les discours officiels des
autorités gouvernementales diffusés à la radio nationale et à la RTLM en témoignent
à suffisance. Ces discours à la radio étaient relayés par des journaux extrémistes
comme Kangura.
Un chiffre aussi élevé de tués en si peu de temps à l'aide de moyens si
rudimentaires témoigne sans l'ombre d'un doute du très grand nombre d'exécutants
et d'adhésion quasi totale d'une grande partie de la population à l'idéologie
génocidaire.
Beaucoup d'ouvrages, de publications et de témoignages sur le
génocide rwandais abondent. KIMONYO J.P. (2003:3) évoque la participation
massive des Hutu dans les massacres et le génocide: "L'ampleur de la mobilisation
dans l'exécution du génocide est frappante (…). Ce n'est pas tous les Hutu, loin s'en

4

faut, qui ont participé au génocide. En bout de ligne un constat cependant demeure:
une partie significative de la population a bougé".
KAGABO J. (1995 :107) a décrit le génocide en insistant surtout sur le
caractère cruel et sadique du génocide: "on ne le tue pas, on va lui fracasser la tête,
le torturer jusqu'à ce que folie s'en suive, on ne le tuera que quand il sera fou (…). Il
est donc mort fou, comme l'avaient programmé ses assassins". Il s'agit là d'une
victime du génocide dans la ville de BUTARE.
KAGABO J. (1995 : 117-118) a aussi émis une critique sur le type de
rapport à la mort concernant aussi bien les bourreaux que les proches des victimes,
surtout les rescapés.
"La question de fond, c'est qu'il faut réfléchir sur le pourquoi des
réponses à l'appel au meurtre. Il faut réfléchir sur ce type de
rapport à la mort. La mort que l'on peut donner en toute bonne
conscience, cruellement… Il me semble que beaucoup de
rwandais savent à peine qu'ils ont fait les frais d'un génocide.
Ils ont perdu les leurs, mais ils n'ont pas tout à fait conscience
que ça s'est passé d'une façon politique, systématique,
préparée. Ils disent seulement: "On a tué!". Ils sont là et pour
peu qu'ils rencontrent un cousin lointain qui vient du Burundi, de
l'Uganda, ils éprouvent comme une compensation, une
solidarité de type clanique".
Human Rights Watch nous donne une idée sur le plan d'extermination:
"17 février 1994, des officiers haut-gradés de la gendarmerie rencontrèrent
HABYARIMANA pour lui faire part de leurs craintes à propos d'une reprise de la
guerre, HABYARIMANA répondit: "Si le FPR commence la guerre, nous avons des
projets de nous occuper de leurs complices" (DES FORGES, A., 1999: 195).
En effet, depuis les années 1963, les Tutsi étaient chaque fois
massacrés ou persécutés chaque fois que l’armée rwandaise était attaquée par les
assaillants dits « Inyenzi ». KROP, P., (1994 :64) parle de massacres qui peuvent
être considérés comme des tueries expérimentales. Voici ce qu'il dit des massacres
de 1990.

5

"En octobre 1990, les Tutsi sont désignés par les idéologues du
Parti MRND (Parti-Etat)" comme une variante des Juifs, les
Falasha, et les premières réunions exterminatrices se trament
dans un bâtiment appelé, par dérision, "synagogue". Le Hutu
Power est né. Le 10 décembre 1990, Kangura, la revue
extrémiste financée par des proches du Président Juvénal
HABYARIMANA, publie les "dix commandements du Hutu ". Le
huitième commandement est explicite: "Les Hutu doivent
cesser d'avoir pitié des Tutsi." Dans les campagnes, on
constitue et on arme les milices".
Une préparation psychologique est donc à l’œuvre. Elle est matérialisée
au coup par coup par des massacres localisés dans certains coins du pays comme
Bigogwe, Kibirira, Murambi, Bugesera.
Citant Africa janvier, KROP, P. (1994 :66) poursuit: "Au début de 1992
nous avons perpétré notre premier massacre. Près de 70 d'entre nous ont été
envoyés à RUHENGERI tuer des Tutsi du clan Bagogwe. Nous en avons massacré
environ 10000 en un mois, à partir de notre base du camp militaire de MUKAMIRA à
RUHENGERI. Deux semaines plus tard, on nous envoyait à BUGESERA, où nous
avons liquidé environ 5000 personnes". Le signal du massacre de BUGESERA est
donné par plusieurs réunions publiques puis, le 3 mars, par un message de RadioRwanda. Après avoir désarmé des Tutsi qui voulaient se défendre, l'armée laissait
les miliciens se ruer sur eux et les massacrer. Ce désarmement des Tutsi et ce
message de Radio-Rwanda indiquent clairement l'implication directe de l'Etat dans
les massacres collectifs ayant précédé le génocide d'avril-juillet 1994.
Ce n’est pas pour rien que des ressortissants de Butare vont être
désignés à la tête du pays. Ils vont l’être dans l’intérêt du génocide.
DESFORGES , A. (1999 :501) parle de l'extirpation des esprits de l'idée
ancrée que Hutu et Tutsi pouvaient vivre ensemble pacifiquement dans BUTARE
surtout:
"Pour les Tutsi, Butare était le dernier espoir, comme refuge et
comme point de passage vers le Burundi. Pour les
organisateurs du génocide, Butare représentait un obstacle
susceptible de gêner la conduite définitive de la campagne

6

nationale d'extermination des Tutsi. Afin de mener ce projet à
son terme, le gouvernement intérimaire devait éliminer les
quelques 140000 Tutsi qui vivaient dans la préfecture, comme
les dizaines de milliers d'autres qui y avaient trouvé refuge".
En effet, les Tutsi menacés par le pouvoir de Kigali se sentaient plus en
sécurité quand ils arrivaient à Butare. Les Hutu et les Tutsi de Butare étaient plus ou
moins solidaires et cette solidarité a été rompue par la naissance du Hutu power
dans les partis politiques d’opposition.
DESFORGES fait état du volte-face accompli par les partis politiques
d'opposition: "Le PSD était fort à BUTARE, mais après le 6 avril, il n'y avait plus de
PSD. Il n'y avait seulement que deux groupes ethniques, les Tutsi et les Hutu: les
Tutsi à tuer et les Hutu à tuer s'ils refusaient de tuer" (DES FORGES, A., 1994: 519).
Des massacres généralisés ont été précédés par des tueries sélectives
organisées et exécutées par des militaires. DESFORGES, A. (1994 : 544) évoque
l'enlèvement et l'exécution de GICANDA, la Reine restée au Rwanda depuis 1959 en
ces termes:
"La nouvelle de l'enlèvement par les soldats de cette grande
dame et des personnes de son entourage à l'arrière d'une
camionnette se répandit rapidement. Elle eut pour effet
d'alarmer les Tutsi et tous ceux qui s'opposaient au génocide.
Ils en conclurent que si les soldats avaient osé s'en prendre à
cette personnalité respectée, personne n'était plus en sécurité."
Continuant la présentation de l’action génocidaire, DESFORGES, A.
(1994 : 549) décrit des tueries commises par le voisinage qui emboîte le pas aux
militaires :
"Alors que la plupart des soldats se concentraient sur les
membres de l'élite, d'autres, avec des gendarmes,
supervisaient les miliciens qui ratissaient les quartiers pour
éliminer les Tutsi. Une résidente du quartier ouvrier de Ngoma,
une dame frêle âgée de quatre-vingt-cinq ans environ, observa
le génocide avec horreur. Elle avait été témoin des massacres
des Tutsi depuis les années cinquante, mais, selon ses dires,
celui-là était différent parce qu'on "tuait les bébés sur le dos, les
enfants qui commençaient à marcher, les femmes enceintes,

7

les vieillards." Cette femme déclara: "les miliciens venaient
toujours avec deux ou trois soldats. Ces derniers ne tuaient
pas, ils accompagnaient simplement les miliciens qu'ils
regardaient tuer."
Les auteurs du génocide ont en outre bénéficié de l’appui des
puissances étrangères notamment la France. MUKAGASANA, Y. (1999:161-162)
souligne le rôle de la France dans la tragédie rwandaise:
« L'histoire de mon pays me paraît tout à coup si simple. On a
chassé les Tutsi de leur pays de 1959 à 1990 avec l'aide de la
Belgique, et quand les Tutsi ont voulu rentrer, on a fait appel à
la France pour les en empêcher. Et la France a accepté. Et
comme les Tutsi résistaient, on a imaginé leur génocide. Et la
France a armé le bras des génocidaires. Et quand le génocide
était là, la France et d'autres pays ont voté le retrait des
casques bleus. Mon Dieu, c'est si simple ».
Une force spéciale française dénommée DAMI a été déployée au
Rwanda pour entraîner les FAR et les miliciens (Annexe 20).
Au vu de ce qui précède, toutes les catégories professionnelles ont été
impliquées dans le génocide et les massacres d'avril-juillet 1994. Diverses stratégies
ont été adoptées pour cette fin, jusqu’au point de faire intervenir une puissance
militaire occidentale, la France. Cette participation collective n'a pas été le fruit du
hasard. Elle a été l'œuvre mûrement réfléchie par l'Etat et mise à exécution par ses
subordonnés.
Le génocide des Tutsi a pris fin grâce à la victoire du FPR-INKOTANYI,
sinon il n'y aurait presque pas eu de survivants. Ce ne sont pas les forces
génocidaires qui ont arrêté les tueries de leur propre gré, ni une force internationale
de maintien de la paix (bien que présente en ce moment fatidique et crucial pour les
suppliciés ) qui se serait interposée pour arrêter le génocide et d'autres crimes contre
l'humanité. Le sort des Tutsi était entre les mains de l'Etat assassin qui bénéficiait
tant du silence,

de l'indifférence de la communauté internationale que de la

complicité active d’une puissance occidentale, la France. Pourtant ce sont les
Américains, les Russes, les Anglais et les Français qui avaient mis fin à la tragédie

8

juive par leur victoire sur le pouvoir nazi. C'est en quelque sorte le principe de "deux
poids deux mesures" qui a été appliqué.
Les conséquences d'une telle tragédie ne se sont pas fait attendre :
beaucoup de veuves et d'orphelins dans le dénuement total, handicapés et mutilés
incapables de subvenir à leurs besoins vitaux par le travail, maisons détruites et
biens pillés, beaucoup de personnes présumées coupables de génocide et d'autres
crimes contre l'humanité en prison ou en cavale, appareil judiciaire submergé, etc.
Outre ces conséquences physiques et physiologiques, psychiques et
sociales déplorables, cette tragédie a en outre élargi le fossé entre les relations
Hutu-Tutsi que l'Etat d'après-génocide tente de combler par des initiatives de
réconciliation

et

d'unification

de

la

société

brimée

par

trois

décennies

d'obscurantisme et de tyrannie.
C'est cette œuvre macabre que nous allons analyser tout au long de
notre travail, étape par étape, de la conception à l'extermination quasi totale des
Tutsi dans l'ex-commune urbaine de Ngoma ou la ville de Butare, longtemps
considérée comme havre de paix et lieu de cohabitation

pacifique entre des Hutu

et des Tutsi.
En effet, l'Etat colonial a littéralement torpillé le fondement même de la
nation rwandaise, à savoir la coexistence pacifique des Hutu et des Tutsi qu'il a
baptisés ethnies pour ses intérêts coloniaux.
Au lieu d'unir ce qui avait été désuni par le système colonial, les deux
républiques ont exaspéré la polarisation ethnique par l'exclusion et des massacres à
répétition depuis 1959. Ces persécutions ont culminé en un grand génocide, malgré
les pompeux slogans de paix et d'unité qui n'avaient jamais quitté les lèvres des
politiciens.
VIDAL, C. (1995 : 20-21) parle du rôle des autorités civiles et militaires
dans l’arrestation des Tutsi et dans l'organisation du génocide.
« Elles procédèrent aux arrestations: celles-ci concernèrent
principalement des Tutsi, tout particulièrement ceux qui

9

exerçaient des activités leur conférant une position sociale
relativement influente, membres de professions libérales,
professeurs, prêtres, fonctionnaires, cadres, commerçants et
leurs épouses. De très nombreux Hutu, originaires du Sud,
furent également incarcérés. Quelles que soient leurs
différences d'origine et de situation, les détenus étaient
suspects de complicité avec le FPR (…). On verra qu'en 1994,
le génocide, loin d'être perpétré dans l'anarchie, fut encadré par
une organisation qui couvrit tout le territoire, des préfectures
aux secteurs communaux. Cette organisation préexistait aux
massacres, elle avait fait ses preuves en octobre 1990 ».
Le même auteur (1995 : 21) critique la pratique du double discours
politique:
"…le Président de la République, le 5 octobre 1990, jour où
furent lancées les arrestations en grand nombre, affirma ne pas
considérer que l'origine ethnique ou régionale fut en elle-même
un indice de culpabilité. Mais le ministre de la Justice donna un
tout autre point de vue: "s'agissant du grand nombre
d'intellectuels tutsi figurant parmi les détenus, le ministre
MUJYANAMA a jugé que ces derniers sont complices. Car, a-til souligné, pour préparer une attaque de telle envergure, il
fallait qu'il y ait des gens de confiance. Les Rwandais de la
même ethnie offrent mieux cette possibilité."
Ce système persistera jusqu'en 1994: le discours présidentiel offrira des
garanties verbales pour l'extérieur, tandis que les pratiques effectives, organisées
aux plus hauts niveaux étatiques de décision, seront tout autres.
Elle critique aussi la désignation par l'Etat de l'ennemi principal et de
ses complices:
"L'accusation de complicité sortit du domaine judiciaire pour
envahir le champ politique, puis est largement diffusée,
martelée par les médias écrits et parlés. Cette accusation
culmina dans un étrange document, daté du 21 septembre
1992, émanant de l'état major de l'armée rwandaise et destiné
à une large diffusion, document qui définit et désigne l'ennemi
et ses complices. L'ennemi principal "est le Tutsi de l'intérieur
ou de l'extérieur extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n'a
jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la
Révolution sociale de 1959 ; quant à ses complices, ils se
recruteraient dans divers groupes sociaux parmi lesquels

10

figurent notamment les réfugiés tutsi, les Tutsi de l'intérieur, les
Hutu mécontents du régime en place, les sans-emploi de
l'intérieur et de l'extérieur du Rwanda, les étrangers mariés aux
femmes tutsi" (VIDAL , C., 1995 : 21-22).
En outre, parlant de la culture de l'impunité pratiquée par le système
judiciaire rwandais d'alors, VIDAL évoque à la page 23 la domination des autorités
judiciaires par le pouvoir politique, laquelle domination rendra évidente la faiblesse
dudit système.
La domination en question atteindra le clergé qui n'a pas manqué
d'adhérer à l'idéologie d'exclusion par notamment l’intervention du Président
Habyarimana dans la nomination aux hautes fonctions ecclésiastiques et l’ingérence
des hommes d’Eglise dans la chose politique. Cela a été remarqué lors d'une
réunion d'Evêques protestants et catholiques discutant sur la liste des députés
comprenant les membres des partis d'opposition devant entrer au Parlement. Il y
avait dans chacun des partis d'opposition une branche dite Power. La branche Power
était la branche attachée à l'idéologie "hutisante". Ces partis avaient élu des députés
qui devaient entrer au Parlement de transition. Cette liste fut rejetée par ces prélats
(RWANDA RUSHYA , n° 47, 1993 ).
L'on remarque par cette attitude des hommes d'églises venant appuyer
celle des hommes politiques que le pire était possible. On avait l'habitude de voir les
confessions religieuses se tenir en dehors de la chose politique. Mais cette fois-ci,
elles se sont rangées du côté de l'idéologie dominante, celle de l'exclusion qui allait
aboutir au génocide avec des conséquences incalculables.
Parmi les conséquences du génocide, la situation des veuves est des
plus complexes. SCHOTMANS, M. (2000 : 13) fait état de la situation des veuves
hutu ayant été mariées à des hommes tutsi:
"Je suis hutu, j'étais mariée à un Tutsi et j'éprouve maintenant
tous les problèmes des Tutsi. Je n'ai plus d'enfants. Ma famille
n'a pas été impliquée dans le génocide, mais je ne peux pas
aller demander une aide à mes frères et sœurs ; ils doivent se
rappeler de moi et de mes problèmes. Je parle de mes
problèmes avec les autres rescapés".

11

"Je suis hutu. J'étais mariée à un Tutsi. Mon mari et trois de nos
quatre enfants ont été tués. Je ne m'entends pas avec ma
famille, parce que ce sont eux qui ont fait ce qui est arrivé. Mon
père est venu avec les tueurs pour leur montrer mes enfants.
Quand je l'ai dénoncé, il s'est suicidé. Ma famille a participé
comme les autres."
"Je suis hutu. On a tué mon mari et mes deux enfants. Je me
considère comme une rescapée.. Je suis même plus menacée
que les rescapés Tutsi, parce que le témoignage d'un Hutu vaut
plus que celui d'un Tutsi. Ici, ce sont surtout les veuves hutu qui
étaient mariées à des Tutsi qui dénoncent les tueurs. Mais les
veuves tutsi, mariées à des Hutu, ne dénoncent pas, elles ne
veulent pas témoigner contre leurs maris."
BROWN, A. (2001: 5) a également écrit quelque chose sur le génocide
rwandais, citant un procureur du TPIR : "The genocide was not an explosion of a
rage by the population after the attack (on the presidential plane ) but rather the
consequence of a deliberate policy of a political and a military elite ". Cela veut dire:
"Le génocide n'a pas été une explosion de rage d'une population après l'attaque de
l'avion présidentiel mais plutôt la conséquence d'une politique délibérée d'une élite
politico-militaire".
Considérant donc les circonstances ayant entouré la tragédie
génocidaire et les conséquences qui s'en sont suivies, beaucoup de problèmes
subsistent dans l'esprit des gens: pourquoi un si grand nombre de Hutu s'est-il levé
comme un seul homme pour tuer leurs voisins tutsi et cela sur tout le territoire
national , y compris à BUTARE, jadis considéré comme lieu sûr pour les Tutsi? Une
réelle et durable cohabitation sans heurts tragiques est-elle possible après pareille
trahison? Ou bien s'agit-il d'une cohabitation de façade? Si tel est le cas, où allonsnous?
Telle est la question actuellement. Voici maintenant les problèmes
systématisés que cette question nous a posés et que nous allons essayer de
résoudre par le travail de mémoire.

12

La problématique étant l'ensemble des problèmes articulés envisagés
dans une recherche, nous énumérons ci-après les problèmes auxquels nous allons
tenter de trouver des réponses.

1. Pourquoi l'Etat s'est-il résolu à commettre le génocide des
Tutsi? Quels étaient son but et sa motivation principale?
2. Par quelles stratégies l'Etat a-t-il persuadé la population de
BUTARE à adhérer à l'idéologie génocidaire?
3. Comment l'Etat a-t-il procédé pour arriver à ses fins
génocidaires ? Et quels ont été les moyens matériels et
humains du génocide?
4. Quelles en furent les conséquences ?

0.4. OBJECTIFS DE RECHERCHE
0 . 4 .1 . O bje c ti f pr i nc i pal
Etablir scientifiquement le rôle de l'Etat dans le génocide des Tutsi.
0 . 4 .2 . O bje c ti fs s pé ci fi que s
Pour arriver à l’objectif principal, nous nous sommes fixés des objectifs
intermédiaires.

1. Explicitation des conséquences de la culture de la haine ethnique véhiculée
par l'Etat, notamment les erreurs des négationnistes et des révisionnistes;
2. Mise au clair des facteurs et conditions de la culture de la tolérance, du
respect mutuel, de l’unité et la réconciliation, de l'amitié entre peuples et
nations.
3. Faire

mémoire

des

anti-valeurs

comme

l’exclusion,

institutionnalisée, l’intolérance et la négation de l’humanité.

la

criminalité

13

0.5. HYPOTHESES DE RECHERCHE
L'hypothèse se définit comme une proposition de réponse à une
question posée. Elle implique la formulation de relations entre certaines variables
complexes.
Selon GRAWITZ, M., (1999 :211) "l'hypothèse est une explication
provisoire de la nature des relations entre deux ou plusieurs phénomènes.
L'hypothèse scientifique doit être confirmée ou infirmée par les faits". Pour notre cas,
nous formulons ci-après deux hypothèses qui semblent expliquer provisoirement la
nature des relations entre deux variables, à savoir l'Etat (ou le rôle de l'Etat) et le
génocide des Tutsi. Le génocide des Tutsi dépendant entièrement de la volonté et de
la puissance de l'Etat.

Première hypothèse
La réduction jusqu'au strict minimum ou au plus bas niveau possible du
potentiel électoral et militaire du FPR par l'Etat constitue la motivation principale de
l'Etat dans la planification et la perpétration du génocide des Tutsi

en vue de

constituer une "République exclusivement hutu".

Deuxième hypothèse
Les discours politiques d'exhortation au génocide prononcés par le
Président de la République, son Premier Ministre, d'autres autorités politico administratives du Gouvernement intérimaire, ainsi que l'attitude des responsables
militaires ont incité la population de BUTARE à s'impliquer totalement dans le
génocide.

14

0.6. METHODES ET TECHNIQUES
0 . 6 .1 . Mé thode s
La méthode structuro-fonctionnaliste nous aidera à comprendre
comment les différents niveaux de la hiérarchie sociale ont coordonné leurs actions
pour accomplir correctement leurs rôles respectifs jusqu’au bout. Etant donné que
les fonctions ne sont jamais séparées des structures et que donc les aspects
fonctionnels sont reliés aux aspects structurels, les planificateurs du génocide ont
accompli leurs fonctions (leurs rôles) dans les places qu'ils occupaient (leurs statuts).
La méthode systémique nous aidera à comprendre comment les
appareils étatiques et non étatiques ont conjugué leurs efforts pour accomplir le
génocide et des massacres tout en essayant de convaincre l’opinion nationale du
bien –fondé de leur macabre plan. JAVEAU reprend l'analyse systémique de
l'Américain EASTON qui décrit les relations entre le système politique et son
environnement sous la forme d'un circuit fermé de type cybernétique, et fait de
l'expression des exigences, véhiculées par les idéologies politiques, le point crucial
de son analyse.
En effet, la logique cybernétique s'explique comme la dynamique qui
fait fonctionner un système politique grâce aux exigences auxquelles il est appelé à
répondre et aux soutiens dont il est bénéficiaire. Ces exigences et ces soutiens
poussent les acteurs du système à essayer telle action et à corriger telle erreur. Les
décisions prises et les actions entreprises influent en retour sur les nouvelles
exigences et les soutiens ultérieurs.

15

Demands (exigences)

The political
Support (soutien)

Decisions and actions

system

Outputs (Sorties)

Inputs (Entrées)

Figure I : Schéma simplifié du système politique selon David EASTON

Source : SCHWARTZENBERG, R.-G., (1974 : 119).
Les décideurs politiques hutu favorisaient les Hutu au détriment des
Tutsi et attendaient en retour des soutiens de la part des Hutu dans toute action,
même manifestement illégale, insensée et déloyale.
La méthode dialectique nous permettra d’appréhender les facteurs et
conditions de division afin de comprendre les contradictions et conflits ayant jalonné
l’histoire du peuple rwandais pour aboutir finalement à la pire des tragédies : le
génocide des Tutsi. Cette méthode nous permettra aussi de voir comment la
diversité humaine et socioculturelle enrichit les communautés, au lieu de les abrutir.
La méthode historico-comparative nous aidera enfin à analyser les
démarches entreprises par les différents régimes politiques en vue de saper les
fondements de l’unité nationale pour finalement aboutir au génocide d’avril-juillet
1994. Cette méthode nous donnera ensuite accès aux facteurs de réaménagement
de l’espace socioculturel rwandais en cherchant dans la culture et la tradition
rwandaises des éléments favorisant la cohésion sociale. Elle nous aura au préalable
permis de revoir les épisodes tragiques traversés par le peuple rwandais depuis
1959 jusqu’à nos jours. JAVEAU, C. (1976 : 23) nous éclaire à ce sujet quand il

16

énonce : « ...Il est vrai que l’histoire est appelée à nourrir substantiellement la
sociologie ».
0 . 6 .2 . Te c hni que s
Nous

utiliserons

l’enquête

par

entretien

qui

est

un

procédé

d’investigation scientifique, utilisant un processus de communication verbale, pour
recueillir des informations, en relation avec le but fixé. Cela nous fera côtoyer les
témoins de l’horreur et les divers acteurs ou agents susceptibles de nous éclairer sur
ce qui s’est passé, comment ça s’est passé et par qui cela est arrivé.
La technique documentaire nous fera connaître les différentes
idéologies ayant poussé les Hutu au génocide des Tutsi, ainsi que les grands
bailleurs de ce génocide. Elle nous donnera aussi des informations que nous
n’aurons pas pu trouver lors des interviews, ces dernières s’avérant par ailleurs peu
nombreuses et quelquefois contradictoires. JAVEAU, C. (1976 :74)donne ce conseil
quant à l’analyse d’un document : « Devant certains documents, comme des
ouvrages littéraires, des bandes dessinées, des discours politiques, des prospectus,
des livres de classe, etc., le sociologue est confronté au problème de découvrir,
derrière les messages explicites, des significations qui lui paraîtront pertinentes pour
l’étude à laquelle il se livre. Il peut s’agir par exemple de mettre en évidence le
système de valeurs qui sous-tend un ensemble de déclarations officielles ».

0.7. SUBDIVISION DU TRAVAIL
Notre travail est articulé sur une partie théorique et une partie empirique
précédées par une introduction générale et coiffées par une conclusion générale et
des recommandations.
La partie théorique comporte un chapitre intitulé « Cadre conceptuel et
théorique » avec deux sections dont la première porte sur la définition des concepts
clés et connexes et la deuxième sur les ressorts socio-politiques du génocide des
Tutsi.

17

La partie empirique comporte deux chapitres qui portent respectivement
sur la présentation du terrain de recherche et de l’approche de collecte et de
traitement des données ; et sur la présentation, l’analyse et l’interprétation des
résultats d’enquête.

18

CHAPITRE I :
CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE
I.1. DEFINITION DES CONCEPTS CLES ET
CONNEXES

I.1.1. L’ETHNI E
Selon le dictionnaire Grand Larousse de la langue française (1930),
« l’ethnie vient du mot grec « ethnos » et veut dire toute classe de condition
commune, race, peuple, nation ». Il s’agit d’un groupement organique d’individus de
même culture et parlant la même langue.
Quant à l’adjectif dérivant du mot ethnie, c’est-à-dire « ethnique », le
même dictionnaire dit qu’il vient du bas latin ecclésiastique « ethnicus », qui signifie
« des païens » et du grec « ethnikos » qui signifie « national », et qui indique la race
et le lieu d’origine. Dans les auteurs ecclésiastiques, « ethnique » veut dire donc qui
appartient aux païens ou aux gentils : les superstitions ethniques.
Le dictionnaire ROBERT (1967) nous dit que « l’ethnie est un ensemble
d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisations,
notamment la communauté de langue et de culture ».
AMSELLE, J. L. et M’BOKOLO, E. (1985 : 14-15) analysent le concept
ethnie et étudient les contours idéologiques de ce terme apparu dans le vocabulaire
français à la fin du 19e s., plus précisément en 1896 :
« L’apparition et la spécification tardives des termes « tribu » et
« ethnie » conduisent à poser le problème de la congruence
entre une période historique (colonialisme et néo-colonialisme)
et l’utilisation d’une certaine notion ». Voici ce que disent ces
deux auteurs des concepts « tribu » et « ethnie » : « Si le terme
« tribu » en français, a à peu près le même usage que celui d’
‘’éthnie », il désigne chez les anthropologues anglo-saxons un

19
type d’organisation sociale propre : celui des sociétés
segmentaires. Celles-ci (ces sociétés segmentaires) sont
définies de façon classique par la présence d’éléments sociaux
de nature identique (lignage, etc) et provenant des scissions
successives d’une même cellule initiale et elles se distinguent
en cela des sociétés étatiques à pouvoir centralisé ».
AMSELLE, J.L., et M’BOKOLO, E. (1985 :L.16) citent FORTES, M. qui
donne une autre conception du terme ethnie : « l’ethnie ne représente que l’horizon
le plus lointain que les groupes connaissent, au-delà duquel les rapports de
coopération

et

d’opposition

ne

sont

plus

significatifs

ou

ne

le

sont

qu’exceptionnellement. » Là, les mouvements migratoires des populations jouent un
rôle considérable dans la composition ethnique des populations. M. FORTES insiste
également sur le caractère relatif de la réalité ethnique qui varie en fonction de la
position géographique et sociale occupée par l’observateur.
Citant NICOLAS G., les deux auteurs nous donnent ceci :
« une ethnie, à l’origine, c’est avant tout un ensemble social
relativement clos et durable, enraciné dans un passé de
caractère plus ou moins mythique. Ce groupe a un nom, des
coutumes, des valeurs, généralement une langue, propres. Il
s’affirme comme différent des autres, de ses voisins. Une
ethnie peut correspondre à une culture ou une civilisation.
Enfin, pour lui, une ethnie n’est ni une culture, ni une société,
mais un composé spécifique, en équilibre plus ou moins
instable, de culturel et de social. »
Les progrès technologiques réalisés ces derniers temps dans les
transports et les communications ont ouvert la voie au métissage des races et des
ethnies.
FRANCHE, D. (1997) compare les relations conflictuelles françaises à
celles du Rwanda
« La dualité nationale, pour être succinct, est l’affirmation d’une
explication ethnique aux différences sociales (en France, on
opposait les nobles francs aux roturiers gaulois). Appliquée au
Rwanda, et ceci dès la colonisation, cette bouillie fut calquée
sur les Tutsi (les francs locaux) et les Hutu (assimilés aux sousdéveloppés gaulois). Avec en arrière plan, l’ombre de ceux qui
avaient intérêt à instaurer un tel parallèle (Colons, curetons,

20
etc.) afin de s’approprier la suprématie sur les mythifiées
sources du Nil, c’est une logique de mort que ce livre nous
présente... une logique qui, hélas, aboutit à sa conclusion
inéluctable : les massacres, la misère, les exodes...en bref, ce
que nous avons tous lu dans les journaux ou vu à la
télévision ».
Un chercheur russe nommé SHIROKOGORROFF a défini l ‘ethnie
comme
« un groupe de personnes
de langue , coutumes et
organisation sociale communes, admettant une même origine,
et qui offre un cadre distinct aux processus de modifications
aussi bien culturelles que biologiques. Plus tard, Shirokogorroff
souligne de plus en plus que l’ethnie est un phénomène non
pas statique mais dynamique, ou deux forces agissent, l’une
consolidatrice et l’autre différenciatrice. Elle se trouve en
transformation permanente et c’est le caractère de ce
phénomène d’ethnie qui la détermine. A sa théorie de l’ethnie ,
Shirokogoroff en attache une autre, celle du milieu. Il examine
les trois milieux qui déterminent le processus de l’ethnie :le
géographique imposé par la nature, le culturel créé par
l’homme, et l’interethnique , résultat des intercommunications
et des relations avec d’autres groupes »(Encyclopaedia
Universalis , 1968 : 309)
Tandis que dans les sciences politiques, une « ethnie » correspond à
« une communauté linguistique, établie sur un territoire
traditionnel, comprenant aussi des membres bilingues et même
ceux qui , par la force des circonstances, ont abandonné leur
langue ancestrale mais se sentent solidaires de leur souche
d’origine. Le concept d’ethnie , dans le langage des hommes
politiques, est étroitement lié à celui des minorités nationales,
et c’est pourquoi on entend plus souvent par ethnie la
population des territoires occupés par un Etat étranger que
celle de l’Etat occupant ». (Encyclopaedia Universalis,
.1968 :309)
L’Etat occupant conçoit, met au point et diffuse un vocabulaire qu’il
utilisera comme moyen ou instrument d’exploitation et de domination, de division et
de règne. Ce vocabulaire, cristallisé dans la conscience collective, sera récupéré par
les indépendantistes.

21
C’est dans cette optique que l’idéologie d’exclusion importée au
Rwanda par les colonisateurs a été assimilée petit à petit par la société rwandaise et
a eu des effets désastreux.
Les définitions données au mot « ethnie » par différents auteurs font
constater que les Hutu et les Tutsi ne constituent pas des ethnies au sens où nous
définissons ce concept. Après tout il n’existe pas de langue hutu ni de langue twa, ni
de langue tutsi. Il n’existe pas de contrée exclusivement habitée par les Hutu ou les
Tutsi. Le Rwanda ne connaît pas de culture spécifiquement hutu ou tutsi. Pourquoi
alors parler d’ethnie hutu ou d’ethnie tutsi si ce n’est par pur intérêt idéologique,
politique et économique ? Les termes Hutu, Tutsi et Twa existaient bel et bien avant
la colonisation mais ils désignaient davantage l’appartenance à un mode de
production que l’appartenance raciale. Les agriculteurs étaient appelés Hutu ; les
éleveurs (de vaches) étaient appelés des Tutsi tandis que les chasseurs et potiers
étaient appelés des twa.
La conception de Shirokogorroff et celle des sciences politiques nous
amènent à considérer l’ethnie comme un phénomène dynamique se trouvant en
transformation permanente dans un milieu donné et dans un contexte culturel où les
intercommunications et les interrelations sont en continuelle interaction.
Arrivé en Afrique et particulièrement au Rwanda, le colonisateur
européen avait dans ses bagages les luttes de classes opposant chez lui bourgeois,
nobles et prolétaires. Il a alors inventé l’opposition artificielle Hutu-Tutsi en prenant
des mesures administratives (cartes d’identité avec mention ethnique) pour servir ses
intérêts coloniaux en privilégiant ostensiblement les uns au détriment des autres.
Cela s’est passé dans les années 1930 (Rwanda Rushya n°11, Nzeli 1991, 10)
quand l’administration coloniale a renvoyé la majorité des chefs et sous-chefs hutu
pour les remplacer par des Tutsi. Le racisme ethnique trouvait alors ses ressorts qui,
en 1959, nourriront les troubles et la chasse aux Tutsi.
Le Nouveau Petit Robert quant à lui parle de nettoyage, de purification
ethnique comme une revendication violente d’un territoire par un groupe humain au
détriment du ou des autres groupes qui l’occupent (exactions, déplacement de
populations). Cette opposition a été exploitée par l’Etat post colonial rwandais pour

22
servir ses intérêts néo-coloniaux en massacrant les Tutsi, en forçant une grande
partie à l’exil et en marginalisant celle qui était restée au pays. Une autre partie a
d’ailleurs été déplacée vers les régions jadis inhospitalières comme le BUGESERA
où la mouche tsé-tsé a fait des ravages dans les premiers jours. Cela ne pouvait être
fait que par la seule volonté et la toute puissance de l’Etat.
Prenant en bloc tribalisme, ethnicité et champ étatique, voici ce que dit
BAYART, J.-F., (1989 : 67) à propos du pouvoir politique en Afrique postcoloniale :
« Le tribaliste pense plus ou moins consciemment que les
hommes et les femmes de sa tribu et de son clan sont
supérieurs aux autres et qu’en conséquence les autres doivent
les servir et leur obéir. Le tribaliste cherche à imposer
l’hégémonie, la prédominance de sa tribu et de son clan. Dans
la réalité, les idées et les sentiments tribalistes ne sont le plus
souvent exploités par certains que pour se créer une clientèle
qui puisse les aider à satisfaire leurs intérêts et leurs ambitions
égoïstes. En ce qui concerne l’ethnicité, il dit que c’est un
processus de structuration culturelle et identitaire, plutôt qu’une
structure donnée. Comme telle, elle est inséparable d’un autre
procès de structuration, celui, politique, d’un champ étatique.
Notion relationnelle et non substantielle, l’ethnicité est un cadre
parmi d’autres de la lutte sociale et politique. Produit de
l’habitus et de l’accumulation, fabriquée « par le bas » autant
que par «la bourgeoisie nationale » et « l’impérialisme »,
l’ethnicité s’entrecroise avec les lignes de la stratification
sociale et celles de l’intégration au champ de l’Etat» et
constitue un élément aussi bien défavorable que nuisible dans
la promotion sociale globale.
L’ethnie n’est donc pas une substance. Elle est la résultante non figée
des rapports intercommunautaires dans un milieu géographique et culturel donné,
susceptible lui-même de modifications dues aux influences environnementales.
L’ethnicité est porteuse de risques socio-politiques graves quand elle est considérée
comme substantielle et non relationnelle par l’idéologie dominante.
La mobilité sociale connaît alors des ratés et la coexistence pacifique
se trouve conséquemment en porte-à-faux. La société se trouve de plus en plus
minée par des idéologies de discrimination et d’exclusion. C’est ainsi que toutes
sortes de préjugés sont forgés et entretiennent irrésistiblement l’ethnocentrisme,
corollaire du racisme.

23
I.1.1.1. Préjugé, ethnocentrisme et racisme

a) Préjugé
Selon le Robert, le mot préjugé signifie croyance, opinion préconçue
souvent imposée par le milieu, l’époque, l’éducation, parti pris. Préjugé de race, de
secte, … d’ethnie : préjugé indéracinable, tenace.
BANTON, M. (1971 :32) décrit le mot préjugé de la façon suivante : « le
principal mérite de l’étude psychologique des tensions raciales avant la deuxième
Guerre Mondiale, fut d’abandonner l’idée que la cause du préjugé existait dans
l’objet même du préjugé et de la remplacer par l’idée que la cause en était subjective
et résidait dans la personne qui manifestait une telle attitude, on représentait enfin le
préjugé comme un phénomène pathologique, irrationnel, engendré par les anomalies
de l’individu. »
Par la suite, il analyse le mot antipathie :
« l’antipathie peut être motivée par l’ignorance, par l’intérêt
économique, par un désir de maintenir l’exclusivité d’un groupe,
etc. On arrive à cette attitude d’une manière rationnelle et la
cause en réside dans le rapport du sujet avec l’objet de
l’agression ou dans l’image qu’il se fait de l’objet. Les attitudes
de ce genre se transmettent culturellement et socialement,
tandis que le préjugé a quelque chose de surajouté.
L’antipathie est à la base de l’agression directe et peut se
modifier par des procédés rationnels, comme l’éducation, tandis
que l’on ne peut déraciner un préjugé à moins de soigner le
déséquilibre psychique de l’individu » (Ibidem : 32).
Selon BANTON, M. (1971 : 33), il y a une façon d’aborder les rapports
de races par l’attitude, qui est à la base de préjugés. Il a défini ainsi le préjugé :
« une généralisation antérieure à la situation à laquelle elle s’applique et dirigée
envers les peuples, groupes ou institutions sociales, généralisation qui sert de guide
à l’action, bien qu’elle ne corresponde pas aux faits objectifs. » Il poursuit en donnant
les principales caractéristiques du préjugé : « le préjugé a un caractère
essentiellement sentimental, il répond aux fonctions psychiques de l’individu qui en
fait montre et il a aussi un caractère rigide, car lorsqu’on essaie de démontrer la
fausseté d’une opinion à ceux qui ont des préjugés, ceux-ci ne modifient en rien leur

24
manière de voir et arrivent même à déformer les preuves que l’on avance, au profit
de leurs préjugés ». Cette sentimentalité et cette rigidité sont en pratique l’indice de
dispositions hostiles favorables au racisme, à l’ethnocentrisme et aux attitudes
discriminatoires.

b) Racisme, ethnocentrisme.
Lors d’un colloque réuni à Athènes en 1981 sur le racisme et la
discrimination raciale, des scientifiques de diverses disciplines et nationalités ont
défini le racisme comme suit : « Le racisme est le dogme selon lequel un groupe
ethnique est condamné par nature à l’infériorité héréditaire, tandis qu’un autre
groupe est destiné à la supériorité héréditaire » (PRASAD, L., 1982 :53).
Leur rapport à l’issue de ce colloque indique :
« ….dans presque toutes les sociétés, il se trouve des hommes
qui s’approprient les mérites culturels du groupe auquel ils
appartiennent. Toutefois, l’idée selon laquelle certains groupes
d’individus sont supérieurs à d’autres en raison de leur
patrimoine génétique est aujourd’hui considérée comme
totalement erronée…» PRASAD, L.(1982 :54)
Ces chercheurs continuent en disant que « la théorie moderne du
racisme est le produit de l’ère coloniale et qu’elle a pris de l’ampleur en raison de
facteurs économiques. La révolution industrielle en Europe ayant ouvert la voie à la
production de marchandises à grande échelle, les empires coloniaux mirent tout en
œuvre pour exploiter au maximum l’économie des peuples colonisés, moins
développés. Le racisme moderne ne remonte donc pas aussi loin qu’on le pense
souvent et c’est un produit de la colonisation et du darwinisme social » (Ibidem : 54) .
Les gens luttent pour la survie et ceux qui détiennent le pouvoir ne veulent pas le
lâcher parce qu’il est la source des richesses. Quand les colonialistes ont abandonné
leur pouvoir au profit des nationaux, il leur ont légué un système politique fondé sur
l’exclusion, la discrimination et le sectarisme.
PRASAD, L. (1982 : 58) nous donne l’explication du darwinisme social :
« sociétés et cultures différentes s’affrontent dans leur lutte pour la vie et seules les
plus aptes survivent en raison de leur supériorité biologique ; dans leur optique, la
culture de l’homme blanc est considérée comme la plus apte à survivre ».

25
En tentant d’expliquer le racisme, les scientifiques réunis à Athènes
évoquèrent plusieurs facteurs à l’origine de la discrimination et des préjugés raciaux.
Pour eux, « il est indéniable que les discriminations et préjugés raciaux sont bien
davantage liés à des facteurs économiques. Une autre cause de la discrimination et
des préjugés raciaux attribue le racisme à une répulsion instinctive qu’éprouverait un
groupe à l’égard d’un autre, d’apparence différente »(PRASAD, L., 1982 : 57). Ce
facteur est d’ordre psychologique. En plus de ces deux facteurs, un autre non moins
significatif est cité : le facteur démographique. Les chercheurs réunis à Athènes
donnent dans quelles mesures ce facteur a une influence sur les relations entre
groupes : « …les proportions démographiques entre groupes, le nombre des
groupes repérables et leur concentration géographique à l’intérieur d’un pays influent
également sur les relations entre groupes et entraînent l’apparition d’attitudes
discriminatoires et de préjugés. » Ces attitudes et ces préjugés ne manquent pas
d’entraîner des effets néfastes dans la société. Les chercheurs disent que « les
victimes du racisme ne peuvent qu’être profondément perturbées sur le plan
psychologique. Haine de soi, angoisse, dépression, alcoolisme, abus de drogues et
nombre d’autres détériorations d’ordre physiologique et psychologique sont autant de
méfaits dus au racisme dont tout un peuple vient à pâtir. Il n’est pas rare que la
frustration d’un groupe se mue en hostilité envers le groupe dominant, ce qui se
traduit par des comportements pouvant aller de la résistance non violente et passive
au crime politique ou à la guérilla » (PRASAD, L., 1982 :57).
Peu avant 1981, la déclaration sur la race et les préjugés raciaux de
1978, la première adoptée par la conférence générale de l’UNESCO, définit le
racisme comme « toute théorie faisant état de la supériorité ou de l’infériorité
intrinsèque de groupes raciaux ou ethniques qui donnerait aux uns le droit de
dominer ou d’éliminer les autres, inférieurs présumés, ou fondant des jugements de
valeur sur une différence raciale ou ethnique » (PRASAD, L., 1982 :13).
La

conférence

d’Athènes

nous

éclaire

sur

l’universalité

de

l’ethnocentrisme : « …dans toutes les cultures du monde, certains individus
considèrent que leur mode de vie est supérieur à celui de leurs voisins, même les
plus proches, et l’ethnocentrisme peut être considéré comme un phénomène plus ou
moins universel. Il convient néanmoins de relever que les sociétés racistes sont

26
toujours ethnocentriques, mais que nombre de sociétés fortement ethnocentriques
ne sont pas racistes » (PRASAD, L., 1982 : 53-54).
Sur le plan idéologique, continue le même auteur «le système raciste
tente de convaincre les membres de l’ethnie dominante du danger que représentent
pour eux les autres ethnies et de la justesse, si ce n’est de la justice, de leur
domination sur elles». Ainsi naît la recherche de l’hégémonie dont il est question au
paragraphe suivant en marginalisant les autres ethnies ou tout simplement en les
niant. Citons à cet effet le Journal KANGURA n°5 paru en décembre 1990 deux mois
après le début de la guerre d’octobre 1990. :
« Il faut rappeler que les Tutsi ont créé de toute pièce une tribu
qui n’existe pas, la tribu des Banyarwanda. La tribu
Banyarwanda n’existe nulle part en Afrique mais on l’évoque
pour créer délibérément la confusion. Il en est de même du fait
que lorsque les Tutsi avaient remarqué qu’ils avaient perdu leur
langue à l’instar des autres nomades du monde, ils ont cherché
vainement à convaincre le monde qu’il existe une langue
« Kinyarwanda ». L’opinion doit savoir qu’il n’y a que le
KIHUTU qui existe comme langue des Bahutu tout comme les
NANDE parlent le Kinande, les Hunde le Kihunde.... » NGEZE,
H. (1990 :5). Ngeze prêchait dans son journal néo-nazi
l’hégémonie des Hutu dans l’Afrique Interlacustre .

27

I.1.1.2. La recherche hégémonique
L’hégémonie peut se définir comme « un pouvoir de classe réussi,
comme un pouvoir de classe ressenti comme nécessaire sur l’ensemble de la
société. Les institutions de l’ordre idéologique diffusent les valeurs de la classe
dominante dans

toute la société. Et celle-ci intériorise à ce point ces valeurs

particulières qu’elles finissent par être ressenties comme universelles, à l’abri de
toute remise en question » SCHWARTZENBERG, R.-G. (1974 :91).
BAYART, F. (1989 :146).décrit les groupes au pouvoir à la recherche
de l’hégémonie :
« Une telle recherche hégémonique vise à la création et à la
cristallisation d’un rapport de forces relativement stable entre
les différents groupes dominants, anciens et nouveaux, et entre
les segments régionaux ou ethniques de ceux-ci, dans le cadre
national fixé par le colonisateur, à l’aménagement des rapports
entre cette classe dominante en voie de formation et la masse
de la population ; à l’agencement des rapports entre cette
classe dominante et le pôle de pouvoir politique et économique
occidental ; à l’élaboration d’une éthique ou d’un sens commun
qui donne sa cohérence à l’ensemble et qui cimente le nouveau
système d’inégalité et de domination, tout en le camouflant » .
Ces hommes et ces femmes au sommet de l’Etat cherchent
inlassablement à se maintenir au pouvoir par tous les moyens possibles et s’y
accrochent, poussant ainsi le peuple à se révolter contre eux. Ce comportement
populaire engendre des répressions sanglantes qui peuvent aller jusqu’au pire des
crimes , le génocide. C’est ce que les leaders hutu ont fait depuis 1959 jusqu’en
1994.

28

I.1.2. L’ET AT
Encyclopaedia Universalis (1968 ) définit l’Etat de la manière
suivante : « Etymologiquement, ce mot vient du latin status, qui veut dire «
debout « . Il traduit une stabilité de la situation. Grâce à l’adjonction du déterminatif
rei romanae, l’état de la chose romaine, ou de la chose publique, ou encore, l’état de
la République ».
« Le sens attribué actuellement à ce mot remonte au début du 16e
siècle et est l’œuvre de Nicholas Machiavel, auteur de « Le Prince » . A ce propos
Machiavel précise : « Toutes les dominations qui ont eu ou ont l’autorité sur les
hommes sont des Etats, et sont ou Républiques ou Principautés » (Encyclopaedia
universalis, 1968, 583).
Certains voient dans l’Etat « une société, une forme de vie collective,
une certaine manière d’être des communautés humaines ; les autres limitent l’Etat à
l’un de ses éléments : un pouvoir, une organisation de la contrainte, un appareil de
coercition ou de coopération forcée ». Ces derniers caractérisent l’Etat de la même
manière que le font Weber, Harnecker et Gramsci, et dont les définitions de l’Etat
correspondent à l’Etat dont il est question dans ce travail.
Weber définit l’Etat comme

suit : « L’Etat moderne est un

groupement de pouvoirs de caractère institutionnel qui a cherché, avec
succès, à monopoliser , dans les limites d’un territoire, la violence physique
légitime comme moyen de domination, et qui, dans ce but, a réuni dans les
mains des dirigeants les moyens matériels de gestion. Les trois éléments
essentiels de l’Etat sont la population, le territoire, et l’organisation politique
« (LAROUSSE ,1979 :126).
La population produit la main-d’œuvre (pour la construction
comme pour la destruction), le territoire dispose de ressources naturelles dont
l’exploitation est assurée sous l’œil bienveillant comme malveillant de
l’organisation politique.

29
HARNECKER, M. (1974 :99) définit l’Etat comme un « ensemble
d’appareils institutionnels et de normes constituant la structure juridico-politique de la
société, destinés à régler le fonctionnement des structures économique et
idéologique de cette même société ».
GRAMSCI, cité dans l’Encyclopaedia Universalis, a défini l’Etat comme
« l’ensemble des institutions

par lesquelles la classe fondamentale, au niveau

économique, exerce sa domination politique, et son hégémonie idéologique par le
biais des intellectuels organiques ». Pour le cas du Rwanda, les intellectuels tels
que MUGESERA Léon, NAHIMANA Ferdinand et autres BARAYAGWIZA JeanBosco peuvent être considérés comme des intellectuels organiques de l’Etat chargés
de la production et de la reproduction intellectuelles de l’idéologie génocidaire.
Gramsci poursuit en disant que
« l’Etat c’est le gouvernement ou l’organisation étatique qui
recouvre aussi bien des éléments idéologiques que les
éléments institutionnels. Les structures institutionnelles de l’Etat
englobent
aussi bien l’appareil politique que l’appareil
administratif. Le premier est analysé comme un appareil
spécialisé de gouvernement, contrôlant le processus de
décisions impératives. A cet égard il détient non seulement le
monopole de la contrainte légitime, mais contrôle également, à
des degrés divers, la communication politique et l’encadrement
collectif. Mais l’administration , au sens courant, doit être
incluse dans cet ensemble bureaucratique qui finalement
constitue l’ensemble de l’organisation étatique ».
Des structures idéologiques cimentent littéralement cet ensemble ,
faute de quoi l’Etat perd toute réalité.
FERREOL, G. (1991 : 31) définit l’appareil étatique comme étant « un
ensemble de professionnels hiérarchiquement organisés, répartis en fonction des
grands domaines d’intervention de la puissance publique (diplomatie, économie et
finances, armée, éducation, travaux publics, justice, police, santé, culture, etc.) ».
En somme, l’Etat est une organisation politique qui dirige la vie de la
communauté des individus constituant une nation ou une fédération de nations.

30
L’Etat rwandais comme tous les Etats africains, asiatiques et sudaméricains, c’est un Etat issu de l’Etat colonial occidental. Ce dernier, ayant été
« incapable d’intégrer la société à sa logique de fonctionnement, a fini par s’effacer
au profit de l’Etat indépendant » (MEDARD, J.F., 1991 : 245).
En poussant trop loin sa volonté de domination sur le tissu social avec
le système de parti unique comme instrument idéologique de domination,
d’oppression et de répression, l’Etat rwandais post-colonial s’est finalement fragilisé.
Selon MEDARD, J.-F. (1991 :246), « l’Etat ne peut fonctionner que dans la mesure
où la société lui reconnaît une légitimité minimale, ce qui suppose la mise sur pied
d’institutions représentatives de l’échelon local à l’échelon central du système
politique ». Or, dans beaucoup de pays africains, l’identité collective est toujours
articulée autour de l’ »ethnie ». Ainsi, lors du courant des indépendances, les
clivages entre Hutu et Tutsi sont poussés jusqu’au paroxysme par le colonisateur en
changeant son fusil d’épaule. Il se résout à écarter le Tutsi de la scène politique
nationale et internationale, installe le Hutu au pouvoir qui exerce

un pouvoir

autoritaire sans partage et ne tardera pas à engendrer des conflits sociaux qui seront
à l’origine du génocide d’avril-juillet 1994.
La source structurale des conflits sociaux est selon Dahrendorf l’inégale
distribution de l’autorité entre les personnes et les groupes. Et pour définir l’autorité,
Dahrendorf s’inspire de Max Weber en ces termes : « C’est la probabilité qu’un ordre
ayant un certain contenu spécifique entraînera l’obéissance d’un groupe donné de
personnes. » Ainsi définie, l’autorité se distingue du pouvoir que Weber a défini
comme étant « la probabilité qu’un acteur impliqué dans une relation sociale sera en
mesure d’obtenir ce qu’il veut en dépit de la résistance rencontrée, quelle que soit la
base sur laquelle se fonde cette probabilité. » (ROCHER, G., 1969 :393).
Etant donné que le pouvoir sans partage crée des frustrations au sein
des groupes défavorisés dans une société donnée, des mouvements de contestation
naissent aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des pays. Des revendications
politiques et sociales se multiplient et l’Etat, incapable de gérer la crise qu’il a luimême générée, s’applique à créer des boucs émissaires auxquels il attribue les
causes de ses échecs. Ces boucs émissaires se retrouvent dans les groupes
longtemps écartés des affaires de l’Etat et partant, des avantages que ce dernier

31
procure. Pour arriver à ses fins dans la « gestion de cette crise, il (l’Etat) se cherche
des solidarités sur des bases plutôt subjectives qu’objectives : corruption, népotisme,
régionalisme, ethnisme, clientélisme, etc. Au lieu de détendre l’atmosphère sociale
en assouplissant ses appareils de fonctionnement, l’Etat augmente la tension sociale
en rendant rigides ses appareils.
Les marxistes définissent l’Etat de la manière suivante : « immense
appareil bureaucratique et militaire, l’Etat n’est pas autre chose qu’une machine
d’oppression d’une classe par une autre . L’Etat est l’instrument coercitif de
contrainte et de répression utilisé par la classe dominante

pour maintenir sa

domination. La classe dominante est à la fois la classe possédante (qui possède les
instruments de production) et la classe dirigeante (qui dirige l’appareil d’Etat) » .
SCHWARTZENBERG, R.-G., (1974: 67-68). Cette classe forme un bloc quasi
impénétrable où la mobilité sociale est quasi inexistante. C’est l’une des principales
caractéristiques de l’Etat post-colonial.
I.1.2.1. L’Etat post-colonial.
L’Etat post-colonial est un produit du mélange des systèmes des Etats
européens ayant successivement pris position dans un pays donné. Pour le cas du
Rwanda, l’Etat post-colonial rwandais est un produit du mélange des Etats allemand,
belge et français. L’Allemagne a pris position au Rwanda à la fin du 19e siècle au
moment où le racisme en général et l’anti-sémitisme en particulier se développaient
sensiblement en Europe. La Belgique des Flamands et des Wallons dont
l’antagonisme socio-politique perdure jusqu’à nos jours a succédé à l’Allemagne au
Rwanda avec la politique de « diviser pour régner ». La France a finalement
supplanté la Belgique sous le régime HABYARIMANA en brandissant l’étendard de
la Révolution française de 1789 comparée à la « révolution » Hutu de 1959. C’est
donc avec l’arrivée des blancs que le Rwanda a perdu son indépendance. MAQUET
, E., et al (1971 : 130) dit : « Il est en effet bien établi aujourd’hui que le Rwanda
ancien avait ses structures politiques, sociales, économiques solides et une intense
activité intellectuelle et sprirituelle ».

32
BADIE et BIRNBAUM, cités par Guy Rocher, estiment que
« les sociétés du tier- monde ont abordé la construction
étatique essentiellement par mimétisme, par reprise plus ou
moins forcée de modèles exogènes, issus des sociétés
industrielles de l’Est et de l’Ouest, artificiellement plaqués sur
des structures économiques, sociales et politiques qui
réclamaient probablement un autre type d’organisation ; et d’en
conclure que « l’Etat reste en Afrique comme en Asie un
produit d’importation, une pâle copie d’importation, une pâle
copie des systèmes politiques et sociaux européens les plus
opposés, un corps étranger de surcroît lourd, efficace et source
de violence » ROCHER, G., (1969 : 477).
Efficace grâce à ses moyens d’intimidation, d’oppression et de
répression. D’un côté, G. Rocher définit la colonie, d’un autre, la société coloniale :
La colonie, ou ce que Balandier appelle la situation coloniale, doit (…) être
considérée comme « un type particulier de société globale, un type de système
social ayant ses traits propres, tant en ce qui concerne son mode d’organisation que
son évolution culturelle et la psychologie des acteurs – membres ». Quant à la
société colonisée, il dit que c’est « une société économiquement peu avancée, dont
le développement économique, politique, culturel et social est soumis à l’ensemble
des rapports de dépendance dans lesquels elle se trouve obligatoirement engagée
avec une ou plusieurs sociétés économiquement plus avancées »
En second lieu, poursuit Rocher, « on trouve généralement dans la
société colonisée elle-même le désir, au moins latent, d’un développement
autonome. C’est précisément ce désir qui fait de la situation coloniale un problème
pour ceux qui la subissent et qui déclenche finalement les mécanismes menant à
l’indépendance ou à une indépendance relative ».
Lors de la remise du pouvoir aux Rwandais, la Belgique a tout fait pour
que ses intérêts au Rwanda ne soient pas touchés. L’Etat belge a joué son rôle de
puissance tutélaire en passant le pouvoir au parti politique qui répondait le mieux à
ses vœux et à ses aspirations (le PARMEHUTU). Le niveau de développement
encore très bas de la société rwandaise et son insertion dépendante dans le système
mondial ont poussé l’Etat post-colonial rwandais à un mimétisme et à un
autoritarisme politique généralisé. L’UNAR voulait une indépendance immédiate

33
tandis

que

le

PARMEHUTU

voulait

une

émancipation

progressive

sous

commandement belge. L’Etat rwandais issu de la colonisation s’est placé dans un
statut de dépendance politique et économique et a joué le rôle d’exécutant des
ordres de la métropole.
I.1.2.2. Le rôle de l’Etat
D’après HARNECKER, M. (1974 : 100),
« lorsque la division du travail s’accroît dans une société,
s’accroît aussi la nécessité de compter sur une équipe de
personnes capables d’organiser et d’administrer la société dans
son ensemble. Ces personnes travaillent dans des appareils
institutionnels obéissant à certaines normes. Ces appareils
institutionnels et normes existants sont utilisés pour soumettre
les différentes classes de la société aux intérêts des classes
dominantes ; et de nouveaux appareils, de nouvelles
institutions, sont créés à des fins fondamentalement
répressives : détachements armés, prisons, institutions
coercitives de toutes sortes, etc.
L’Etat a une double fonction : l’une technico-administrative
exercée par un corps de fonctionnaires travaillant pour
l’appareil d’Etat, l’autre de domination politique exercée par un
appareil fondamentalement répressif (armée régulière, police).
Cette double fonction permet à l’Etat de monopoliser la
« violence légitime » qui maintient sous la sujétion de la classe
dominante toutes les autres classes qui dépendent d’elle » .
En outre, le rôle de l’Etat est défini dans les quatre capacités
essentielles qu’un système politique doit mettre en œuvre pour le bon
fonctionnement de ce premier. Ces capacités sont, d’après CHEVALLIER, G. (1986 :
231), les suivantes :

-

La capacité régulative concerne le contrôle, la coordination des
comportements des individus et des groupes. Cette capacité de régulation
peut s’exercer par l’imposition des normes, par l’action de l’administration
et des tribunaux, etc. Cette capacité régulatrice peut être plus où moins
forte. Dans les systèmes totalitaires, l’ambition est de régler, de contrôler
l’ensemble de la vie sociale. En revanche, les systèmes libéraux appliquent

34

leur contrôle à des secteurs plus restreints ; ils reconnaissent davantage
l’autonomie des individus et des sous-systèmes. L’Etat joue le rôle d’arbitre
dans les conflits sociaux. Il règle les différends qui opposent les individus
entre eux, entre les individus et les groupes ou entre les groupes euxmêmes.
-

La capacité extractive : Tout système doit pouvoir extraire de son
environnement interne ou international les ressources nécessaires à son
fonctionnement : moyens économiques et financiers, soutien politique, etc.

-

La capacité distributive concerne l’allocation, par le système politique, de
biens, de services ou d’honneurs aux individus et aux groupes sociaux.

-

La capacité responsive : Le système répond aux impulsions de son milieu,
spécialement aux demandes qui lui sont présentées par les individus et les
groupes.
PYE, cité par SCHWARTZENBERG, R.G., (1974 : 231-232) discerne

trois types de capacités : innovation, mobilisation, survie. La capacité d’innovation,
c’est la capacité d’adaptation à des problèmes nouveaux, c’est la capacité de
répondre par des méthodes flexibles à des impulsions nouvelles, à des situations
imprévues.
La capacité de mobilisation, c’est la capacité de mobiliser les
ressources(humaines et matérielles) pour réaliser l’entreprise collective.
La mobilisation suppose la conversion des aspirations confuses des
masses en programmes et en politiques ; la diffusion du projet collectif ; l’extraction
des ressources (humaines, économiques, etc.)nécessaires ; la coordination des
comportements et des activités ; le dosage de la contrainte, c’est-à-dire le maintien
et l’établissement d’un certain ordre public.
La capacité de survie se traduit par la diffusion des attitudes favorables
à son maintien par des structures, spécialisées ou non, de socialisation
politique(école, université, église, armée, parti politique). En recrutant à la vie
politique ceux qui désirent y être associés, ou ceux qui, s’ils n’y étaient pas associés,
risqueraient de mettre en péril la stabilité politique du système et de former une

35
contre –élite révolutionnaire qui parvient à la longue à mettre à mal la puissance de
l’Etat caractérisée par une omniprésence excessive.
Le dirigisme de l’Etat réfère donc à sa puissance qui atteint une
ampleur inégalée, avec sa bureaucratie hypertrophiée, un appareil de coercition
omniprésent, le contrôle vigilant qu’il exerce sur l’activité des citoyens etc. … Dans
ces conditions, l’Etat entend couvrir l’intégralité du champ social et prétend exercer
une emprise totale sur les individus. Aucune limite n’existe

à la diffusion de la

puissance étatique. La société « ne présente aucune aspérité et est incapable de
résister à l’ascendant étatique ». « L’Etat contrôle la vie sociale dans ses moindres
aspects : omniprésent, omnipotent et omniscient, il couvre la société d’un maillage
extrêmement fin et serré et dirige l’ensemble des activités sociales, soit directement,
soit indirectement, immanent en même temps que transcendant, il s’interpose
comme tuteur, superviseur, éditeurs dans tous les rapports sociaux » (CHEVALLIER,
J., 1986 :217).
Malgré l’omniprésence et l’omnipotence dont il se targue, l’Etat se voit
souvent confronté à une série de maux sociaux qu’il a lui-même produits à cause de
la surcharge des exigences et de l’insuffisance des soutiens. La description des
capacités de l’Etat selon PYE correspond également à celle de l’Etat dont nous
étudions le rôle dans l’action génocidaire.
I.1.2.3. La politique du ventre, le népotisme et la corruption

La corruption s’ajoute au clientélisme et au trafic d’influence et fait
des ravages dans les institutions étatiques. Le combat qui se fait autour de la
fonction publique pour acquérir quelque poste de responsabilité politique ou
administratif ne laisse pas de faire des victimes. Les cartes qui sont le plus
brandies sont l’ethnie et la région d’origine, pour pouvoir s’approcher de la
« table à manger ». Voici ce qu’en dit BAYART, J.-F., (1989 :10) : « La facilité
avec laquelle les notables pressentis s’imaginent promus à des postes de
responsabilité

moyennant

finance

et

contre

toute

vraisemblance

institutionnelle dénote une conception relativement cohérente de la politique ».
Les Camerounais parlent à ce propos de « politique du ventre ». Ils savent

36

que la chèvre broute là où elle est attachée. Un décret présidentiel relève-t-il
un directeur ou un préfet de ses fonctions, le petit cercle d’amis et l’entourage
familial expliquent l’événement aux villageois en disant : « on lui a enlevé la
bouffe. » Le plus embêtant, continue Bayart, c’est que l’intéressé lui – même,
démis ou promu, est convaincu intimement qu’on lui a enlevé ou donné la
bouffe »…Et à un observateur qui s’inquiétait de l’ »appétit » de ses ministres,
le chef du gouvernement guinéen rétorqua : « Dis donc, laisse les gens là
bouffer tranquillement. Ils auront ensuite le temps de réfléchir. » Cela rappelle
bien ce qui se passait au Rwanda post-colonial. A un fonctionnaire qui perdait
son emploi on disait qu’on avait renversé son assiette ou son plat. » En
Kinyarwanda on disait « Yubikiwe imbehe. ». Au contraire quand il était promu
on disait : « Yongeye yariye. » [Il va encore manger].
Cette expression montre d’emblée les situations de pénurie
alimentaire qui prévalaient en Afrique et au Rwanda en particulier. Bayart
résume en disant que « la politique du ventre est un phénomène social total,
tel que l’entendait Marcel Mauss ».

Les expressions précédentes en

kinyarwanda montrent à l’évidence que le service public était symboliquement
assimilé à une politique du ventre.
Il est de notoriété publique que les solidarités dans les pays non
encore suffisamment industrialisés, c’est-à-dire dans les sociétés qui
connaissent une trop faible division du travail, se fondent sur les liens de
parenté. Le sociologue Emile DURKHEIM dit à ce propos qu’il s’agit là des
solidarités mécaniques, caractéristiques des sociétés traditionnelles ou protoindustrielles. Dans ces types de sociétés, les considérations claniques,
ethniques, régionales prennent le dessus sur les considérations de
compétence, de capacité. Cela se remarque dans les procédures d’offre
d’emploi, de marché publique, dans les procédures d’octroi de crédits de
banque, de bourses d’études, dans la promotion au niveau de la fonction
publique, etc. Pareilles solidarités engendrent des inégalités et des
frustrations. Pour acquérir quoi que ce soit en dehors du népotisme, l’on est

37

obligé d’emprunter la voie de la corruption. Ces attitudes et ces frustrations
suscitent des mécontentements et des révoltes qui peuvent parfois conduire à
l’éclatement du tissu social. Ces phénomènes sont fréquents dans les Etats
post-coloniaux et ont pris une grande ampleur dans la 1ère

et la 2ème

République surtout avec le sacro-saint équilibre ethnique et régional prôné par
le MRND.
Les tableaux statistiques suivants sur l’équilibre ethnique sont on
ne peut plus éloquents :
Tableau I : Effectif de la population selon la nationalité et l’ethnie d’après le
recensement de 1978

Ethnie ou nationalité

Effectif total

%

Bahutu

4 295 275

89.7

Batutsi

467 587

9.77

Batwa

22 140

0.46

3 567

0.07

Sous total

4 788 569

100%

Etrangers

41 911

0.8

Naturalisés

Total
Source : UNR, (1991 : 315)

4 830 480

38

Tableau II : Répartition de l’effectif des agents de l’administration centrale
suivant l’ethnie dans quelques ministères

Ministère

Total

%

Bahutu

%

Batutsi

%

MINISANTE

2.091

32.9

1.690

80.9

400

19.1

MINIFIN

462

7.6

374

81

88

19

MINICOM

102

1.6

84

82.4

18

17.6

MINITRANSCO

520

8.6

430

82.7

90

17.3

MINAGRI

1.265

20.9

1.074

85

190

15

MINIJUST

172

2.8

143

83.2

29

16.8

MINIFOP

216

3.5

187

86.6

29

13.4

MININTER

712

11.6

633

89.1

78

10.9

MNITRAPEE

360

5.9

315

87.8

44

12.2

MINIPLAN

149

2.4

116

80.6

29

19.4

Source : UNR, (1991 : 316)
Le MINADEF ne comptait que deux officiers tutsi seulement. Les
statistiques sur les hommes de troupe n’étaient pas disponibles
(Source : nous-même).

Tableau III : Demandeurs d’emploi par ethnie en 1989

Ethnie

Effectifs

%

Bahutu

4.240

80.3

Batutsi

1.022

19.3

Batwa

13

0.3

4

0.1

5.279

100%

Naturalisés
Total
Source : UNR, (1991 :317)

39
Tableau IV : Personnes engagées en 1989 par ethnie

Ethnie

Effectifs

%

Bahutu

1.985

85.4

Batutsi

332

14.3

Batwa

6

0.2

Naturalisés

2

0.1

2.325

100%

Total
Source : UNR, (1991 : 317)

Tableau V : Répartition des travailleurs des douze entreprises parastatales les
plus importantes

Entreprise parastatale Effectif total

%

Bahutu

%

Batutsi

%

B.G.M.

209

3.8

156

74.4

53

25.3

OPROVIA

357

6.6

313

88.5

41

11.5

MAGERWA

478

8.8

433

92.1

38

7.9

B.N.R.

551

10.2

496

90.2

54

9.8

D.R.B.

278

5.1

264

95

14

5

OCIR thé Shagasha

341

6.3

244

71.6

97

28.4

ONATRACOM

641

11.9

566

87.7

79

12.3

Projet Crête Zaïre-Nil

258

4.7

216

83.7

42

16.3

OCIR Café

662

12.2

627

94.8

35

5.2

SONARWA

302

5.5

272

89.8

31

10.2

ELECTROGAZ

1065

19.7

815

76.6

249

23.4

ONAPO

254

4.7

245

97.3

7

2.7

TOTAL

5.396

100%

4 647

86.3

740

13.7

Source : UNR., (1991 :319)
Ces statistiques proviennent du Rapport Annuel 1989 du Ministère de la
Fonction Publique et de la Formation Professionnelle lequel rapport donne l’effectif
total des agents de l’administration centrale qui se présentait comme suit : 7290

40
personnes dont 6182 Bahutu, 1100 Batutsi et 3 Batwa. Les proportions étaient de
85% de Bahutu, de 15% de Batutsi.
Ces calculs du reste discutables, élaborés par des universitaires au
service de l’Etat montrent à quel niveau la question ethnique était gérée par le
régime politique divisionniste en place.
En agissant de la sorte, les responsables politiques qui prenaient de
tels décisions discriminatoires suivaient à la lettre le schéma adopté par les anciens
maîtres notamment le Colonel Guy Logiest : « J’estimais nécessaire de mettre
rapidement sur pied une force autochtone composée officiellement de 14% de Tutsi
et de 86% de Hutu, mais pratiquement de près de 100% de Hutu (RUTEMBESA, F.
et al, 2000 : 115).

Tableau VI : Effectif des travailleurs dans les banques et les assurances
suivant les ethnies

Banques et

Effectif

assurances

total

%

Bahutu

%

Batutsi

%

B.C.R.

583

31.3

518

89.1

63

10.8

B.R.D.

107

5.7

93

86.9

14

13.1

BACAR

105

5.6

93

89.4

11

10.5

B.N.R.

551

29.6

496

90.1

54

9.8

Caisse

45

2.9

34

75.6

11

24.4

Banques Populaires 168

9

146

86.9

22

13.1

SONARWA

302

16.2

272

89.8

31

10.2

TOTAL

1.861

100%

1.652

88,8

206

11

Hypothécaire

Source : UNR, (1991 :320)

41

Tableau VII : Répartition des salariés du secteur privé par ethnie

Entreprise

Effectif

Bahutu

%

Batutsi

%

Sulfo Rwanda

447

412

92

35

7.8

Colas

821

815

99

6

0.73

B.C.R.

583

518

88.8

63

10.8

UTEXRWA

800

631

78.87

67

8.3

SORWAL

100

85

85

15

15

93

82

88.17

11

11.8

NAHV-RWANDA

134

116

86.56

18

13.4

MURRI-FRERE

103

76

73.78

27

26.2

ABAY

114

70

61.40

30

26.3

AKAGLAHYCO

105

89

84.76

15

14.3

ASTALDI

142

114

80.28

28

19.7

Deutsch-Welle

89

64

71.91

25

28

RWANTEXCO

171

159

92.98

12

7

Briqueterie Ruliba

148

128

86.48

18

12.1

RWANDEX

116

100

94.33

15

12.9

3966

3459

87.21

385

9.7

Hôtel Umubano

Chillington
Total
Source : UNR, (1991 : 321)
I.1.3. LE GEN OCIDE
Lancé par un professeur américain à Yale University appelé Raphaël
LEMKIN d’origine juive (1900 – 1959), le mot génocide parut en 1944 dans son
ouvrage sur le Règne de l’Axe en Europe occupée (Axis Rule in occupied Europe).
Ce mot a reçu sa consécration officielle grâce au parrainage de PANAMA, de CUBA
et de l’INDE, dans une résolution de 1946 de l’Assemblée Générale de l’ONU (cfr la
Grande Encyclopédie, 1976).

42

Du grec genos « race » et du latin caedere « tuer », le mot
génocide signifie donc étymologiquement destruction méthodique d’un groupe
ethnique. Le génocide est souvent rapproché dans les dictionnaires de langue
française au mot ethnocide qui signifie destruction de la civilisation d’un
groupe ethnique par un autre groupe plus puissant (le Robert).
Encyclopaedia Universalis (1968) décrit le génocide de la façon
suivante :
« Aussi ancien que l’humanité qui a souvent assisté, sans
beaucoup réagir, aux massacres des populations, ce crime n’a
été pourtant défini comme tel qu’au lendemain de la seconde
Guerre Mondiale, au cours de laquelle, il est vrai, il a été
perpétré par les tenants de l »Etat gangster » nazi, avec une
ampleur encore jamais égalée. L’extermination systématique
des Juifs, des Tziganes et d’autres « races » considérées
comme inférieures, que leurs membres aient été ressortissants
ou non du IIIe Reich, a contraint l’humanité à ne plus
abandonner à la compétence exclusive de l’Etat le traitement
des êtres humains qui se trouvent en son pouvoir… Le
génocide, s’il n’est pas le seul reste le plus grave des crimes
contre l’humanité. Il est aujourd’hui juridiquement identifié grâce
à la « Convention pour la prévention et la répression du crime
de génocide », adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale
des Nations Unies le 09 décembre 1948 ».
VERDIER, R. (1995 :137) définit le génocide comme suit : « Le
génocide est une catégorie criminelle, la forme extrême du crime contre l’humanité,
le crime absolu, inavouable et inavoué. Innombrable dans ses victimes, c’est par
essence un meurtre pluriel, perpétré par plusieurs criminels, en des lieux différents, à
des moments différents, donc d’une infinie complexité dans sa réalisation ».
I.1.3.1. Le génocide, un crime contre l’humanité
Le concept de génocide signifie l’extermination de groupes humains
entiers comme tels. Seuls les groupes nationaux, ethniques, raciaux et religieux sont
pris en considération, à l’exclusion donc des groupes politiques, économiques et
culturels (article 2 de la convention de 1948)… Les actes constitutifs du génocide
aboutissent toujours à l’anéantissement physique et biologique du groupe, ce qui

43
constitue d’ailleurs l’essence de ce crime, quelques soient les moyens mis en œuvre
pour atteindre ce but : meurtre d’un nombre plus ou moins grand de membres,
atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, soumission intentionnelle du
groupe à des conditions d’existence susceptibles d’entraîner sa destruction physique
totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances, transfert forcé d’enfants
à un autre groupe (article 2). De tels actes ne pourront jamais être perpétrés par
quelques individus isolés : de par sa nature, le génocide ne peut donc être qu’un
crime collectif, commis par les détenteurs du pouvoir de l’Etat, en leur nom ou avec
leur consentement exprès ou tacite. La recherche des responsables n’en sera pas
facilitée et le partage des responsabilités souvent difficile à faire dans le cas de ce
crime qui, par excellence, est un crime d’Etat.
I.1.3.2. Le génocide, crime d’Etat
Bien que les mains de l’Etat français ne soient pas propres dans le
génocide rwandais, voici ce que stipule à propos de ce crime le Répertoire de la
Pratique Française en matière de Droit International Public : « M. Chaimont,
représentant de la France à l’Assemblée Générale de l’ONU en sa 73e séance du 13
octobre 1948, est d’avis que le crime de génocide existe à partir du moment ou un
individu est atteint par des actes de génocide. Si le mobile du crime existe il y a
génocide, même si un seul individu est atteint… Il poursuit en disant que les
théoriciens du nazisme et du fascisme n’auraient pas pu commettre leurs crimes s’ils
n’avaient pas été appuyés par leurs gouvernants » (1966).
Lors de la 97e séance du 09 novembre 1948, M. Spanien (1948 :8)
renchérit : « Le génocide ne s’effectue que par l’intervention criminelle des pouvoirs
publics : c’est ce qui le distingue de l’assassinat pur et simple. Par la convention que
la commission est en train d’élaborer, il ne s’agit pas de réprimer des meurtres
individuels, mais bien de prévenir et de réprimer les crimes commis par des
gouvernants… »
A propos de l’organisation du génocide par l’Etat, DESFORGES, A.
(1999 : 261) écrit :

44
« Par le passé, le gouvernement rwandais mobilisait
fréquemment la population pour différentes campagnes,
notamment de lutte contre l’analphabétisme, de vaccination des
enfants ou d’amélioration du statut des femmes. Les autorités
utilisaient alors les appareils administratifs et politiques en
demandant à leurs agents de s’investir au – delà de leurs
tâches habituelles, dans un temps limité, pour permettre la
réalisation d’objectifs nationaux de première importance. Les
organisateurs du génocide exploitèrent de la même manière les
structures administratives, politiques et militaires existantes et
appelèrent les fonctionnaires à mener une campagne
d’extermination des Tutsi et des Hutu, présumés être des
opposants à l’idéologie Hutu-Power. Ils parvinrent par des
réseaux administratifs, politiques et militaires, à atteindre tous
les Rwandais et incitèrent ou contraignirent la plupart des Hutu
à accepter les massacres, ou à y participer. »
Quand les expéditions criminelles se mettaient en route pour aller
massacrer les Tutsi, les responsables locaux appelaient les Hutu en leur disant
d’aller à l’ »Umuganda », au « travail », le mot « Umuganda » signifiant travaux
communautaires de développement institués officiellement par HABYARIMANA,
deux ans après sa prise du pouvoir en 1973.
Toute la société rwandaise encadrée par une société civile elle-même
greffée à une société politique totalitaire était embarquée dans un parti unique qui la
menait inéluctablement au bord de sa perte.

45

I.2. VERS LE GENOCIDE DES TUTSI D’AVRILJUILLET 1994

I.2.1. LES RE SSOR TS SOCIO-P OLITI Q UES DU
GENOCI DE
I.2.1.1. De l’Etat colonial à l’Etat post-colonial
La stratégie politique des colonisateurs, allemand et belge, fut de
gouverner par l’intermédiaire de la classe dirigeante qu’ils trouvèrent sur place en
arrivant au Rwanda. Cette stratégie consista à conférer le pouvoir administratif et les
avantages qui en découlaient à une minorité d’origine tutsi (VIDAL, C., 1995 : 6).
Les premiers arrivèrent vers la fin du XIXè S. et, pendant une
occupation assez lâche, ne touchèrent pas au solide système social rencontré au
Rwanda. Quant aux seconds , ils firent jouer ce système à leur profit dès 1916, date
de leur arrivée au Rwanda, par la force des armes. Depuis lors , ils utilisèrent la
chefferie qu’ils firent constituer exclusivement de chefs tutsi dans leur administration
du territoire tout en leur accordant les bénéfices de la civilisation occidentale(l’école,
la fonction publique, etc.) au détriment des Hutu et des autres Tutsi de la basse
classe. Cela ne devait que susciter des mécontentements et des révoltes au fur et à
mesure de la cristallisation des complexes et des frustrations au sein de la
population. Ces révoltes ayant par ailleurs été initiées par le colonisateur, confronté à
la volonté d’émancipation politique et sociale immédiate exprimée par les nationaux.
Quand le processus de décolonisation se déclencha, la puissance
belge se désolidarisa du groupe au pouvoir qui voulait une indépendance immédiate,
et transforma radicalement le groupe dominant qui, de Tutsi, devint Hutu, tandis
qu’était légitimée une idéologie ethniste, conférant la puissance politique aux seuls
Hutu.
JORDANE, B. (2000 : 85) fait état d’un renversement d’alliances en
1959 : « Les élections de 1965 donnent lieu à une Assemblée Nationale composée

46
uniquement de membres du Parmehutu. On assiste au cours de l’année 1959 à un
renversement d’alliances de la part de la tutelle coloniale : l’administration belge et
l’Eglise, alliés traditionnels de l’élite tutsi, changent de camp et décident de soutenir
la cause défendue par les leaders hutu ».
C’est de ces années-là que datent des sentiments d’appartenance
ethnique explicitement associés à la haine de l’autre, sentiments que les politiciens
ne cesseront d’exacerber. La carte d’identité avec mention ethnique instaurée en
1930 fut plus tard un outil important de distinction ethnique et d’identification des
proies lors des massacres.
Des manipulations politico-administratives entreprises par le système
colonial belge aboutirent aux massacres des Tutsi de 1959, lesquels massacres
furent qualifiés de « Révolution » hutu. Les Tutsi qui ne furent pas massacrés furent
contraints de s’exiler dans les pays limitrophes. Ainsi naquit une diaspora rwandaise
tutsi qui ne cessa de croître au rythme des pogroms organisés par l’Etat post colonial
à l’encontre des Tutsi restés au Rwanda. Les années 1959, 1960, 1963 et 1973 sont
toujours marquées dans la mémoire collective. C’est à ces moments-là que les Tutsi
ont commencé à être persécutés, humiliés, tués, pourchassés et forcés à l’exil par
les nouvelles autorités. Le discours prononcé à Paris par Mr MAKUZA Anastase
alors Président de l’Assemblée Nationale en dit long dans ce qu’il a appelé
« Akagambane k’ibyitso n’umujinya wa rubanda », (la trahison des complices et la
colère de la masse). KANGURA n° 10 (février 1991,6).
L’Eglise n’a pas manqué au rendez-vous de la décolonisation comme
elle n’avait pas manqué à celui de la colonisation. Après la seconde Guerre
Mondiale, le continent tout entier a commencé à s’acheminer vers son émancipation.
Tout le pays étant alors fortement christianisé, l’Eglise n’a pas négligé ses anciens
fidèles privilégiés de l’époque de l’évangélisation ; elle a dû jouer la carte du plus
grand nombre et, à sa suite, l’administration, sur laquelle elle exerçait toujours une
forte influence, s’est mise petit à petit à l’imiter. Deux fortes personnalités religieuses
ont profondément marqué l’histoire du Rwanda dans ce sens.
Le premier évêque du Rwanda, Monseigneur CLASSE, a déclaré en
1930 que les Tutsi étaient des chefs-nés, qu’ils étaient intelligents et dynamiques, les

47
seuls capables de comprendre et de suivre le colonisateur (GOUTEUX, J.P.
1998 :96). Tout au début Monseigneur CLASSE exerça une grande influence sur les
autorités coloniales pour écarter des chefs hutu dans la direction du pays : « Si nous
voulons nous placer au point de vue pratique et chercher l’intérêt vrai du pays, nous
avons dans la

jeunesse mututsi un élément incomparable de progrès... Qu’on

demande aux Bahutu s’ils préfèrent être commandés par des roturiers ou par des
nobles, la réponse n’est pas douteuse ; leur préférence va aux Batutsi, et pour
cause. Chefs-nés, ceux-ci ont le sens du commandement... C’est le secret de leur
installation dans le pays et de leur main-mise sur lui » (GATWA, T., 2001 : 79). Le
piège venait d’être tendu et posé dans les rapports interethniques rwandais.
Le mandement de carême de Monseigneur PERRAUDIN en février
1959 l’atteste : « Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont,
pour une grande part, liées aux différences de races, en ce sens que les richesses
d’une part, le pouvoir politique et même judiciaire de l’autre, sont en réalité en
proportion considérable entre les gens d’une même race » (ELIAS, M., et al., 1991 :
68).
Se conformant aux recommandations de l’ONU, la Belgique décida de
mettre en œuvre une réorganisation administrative qui visait à « démocratiser » les
institutions rwandaises. Des élections furent alors organisées et furent le point de
départ des révoltes qui furent qualifiées de « révolution hutu ». En juin 1960, des
élections communales furent organisées et les affrontements entre Hutu et Tutsi
redoublèrent d’intensité. Ces élections furent suivies de l’annonce par Bruxelles de la
constitution d’un gouvernement provisoire dont la direction est confiée au président
du PARMEHUTU, Grégoire KAYIBANDA. Ces changements sont accompagnés de
massacres de Tutsi et des milliers de leurs congénères continuèrent à s’enfuir dans
les pays limitrophes. Toutes ces tragédies se déroulèrent aux yeux de la
Communauté internationale qui n’intervint pas, sous prétexte du respect du principe
de non immixtion dans les affaires intérieures d’un Etat souverain. Les exilés ne
resteront pas les bras croisés dans leurs pays d’accueil. Ils tenteront à maintes
reprises de reprendre le pouvoir par la force des armes, mais ils se heurteront
chaque fois à la puissance belge restée au Rwanda qui se mettait chaque fois du
côté des forces gouvernementales. Par exemple en 1963, les forces rebelles

48
arrivèrent aux portes de KIGALI et ne furent repoussés qu’au pont de KANZENZE
sur la NYABARONGO par des troupes gouvernementales encadrées par des
officiers belges.
Des raids effectués de l’extérieur par des monarchistes accentuèrent la
peur ressentie par le nouveau régime et cette peur fut payée par les Tutsi restés
dans le pays, des milliers de civils furent massacrés, notamment à GIKONGORO.
Ces représailles poussèrent plus d’un tiers de la population tutsi à s’exiler.
KAYIBANDA se maintint au pouvoir jusqu’en 1973, date de son éviction par un coup
d’Etat militaire dirigé par un nordiste, le Général – major Juvénal HABYARIMANA.
KAYIBANDA avait voulu

prolonger son mandat en faisant adopter une réforme

constitutionnelle le 3 mai 1973 pour supprimer la limitation à trois du nombre de
mandats présidentiels que pouvait successivement briguer la même personnalité,
alors que son régime se rendait de plus en plus impopulaire.
I.2.1.2. Les massacres de 1973 et l’avènement de la
deuxième République
En février, des massacres d’étudiants et de professeurs tutsi se
produisirent à l’Université de BUTARE faisant quelque trois cents victimes, mêmes
plus, et KAYIBANDA laissa faire (NTURANYENABO, C., 1993 : 24). Ces pogroms se
répandirent dans tout le pays et des milliers de Tutsi furent massacrés ; leurs biens
furent pillés et leurs maisons brûlées. Les rescapés prirent le chemin de l’exil et ceux
qui restèrent dans le pays furent habités par une peur et une angoisse permanentes,
car constamment exposés aux massacres et à d’autres formes de persécutions.
« Quoique ne craignant plus d’autres attaques extérieures, le Rwanda
vivait dans une pénible tension politique, le pouvoir imposant une constante
surveillance policière » (VIDAL, C.,1995 : 7-8). Le parti PARMEHUTU au pouvoir
avait déjà absorbé tous les autres partis.
PRUNIER, G. (1995 :57) critique le pouvoir post-colonial rwandais :
« Under Kayibanda’s presidency the young hutu republic took
on a strange tinge. In many ways the President was in fact the
mwami of the Hutu. Like the mwami, the President was

49
personnally responsible for all appointments and nominations,
even at very low levels of the administration, a practice
continued by General Habyarimana when he took power
« (Sous le régime Kayibanda, la jeune république Hutu prit une
étrange stratégie. Comme le mwami (roi) le Président était
personnellement responsable de toutes les nominations même
au plus bas niveau de l’administration, une pratique continuée
par le Général Habyarimana quand il prit le pouvoir).
Le conflit politique déborda l’ordre ethnique et s’étendit sur l’ordre
régional. Les leaders hutu du Nord se virent progressivement écartés du pouvoir et la
guerre intestine que se livrèrent les politiciens fragilisa le pouvoir de KAYIBANDA.
Débordés, KAYIBANDA et son groupe de GITARAMA perdirent le pouvoir le 5 juillet
1973 au profit de Juvénal HABYARIMANA et son équipe des préfectures GISENYI et
RUHENGERI. Ces derniers ne tardèrent pas à instaurer un régime autoritaire,
dictatorial et répressif, tempéré par des slogans de paix, d’unité, d’ »équilibre »
ethnique et régional. Juvénal HABYARIMANA était à la fois Président de la
République, Président du MRND (Parti-Etat), Ministre de la Défense, Chef d’Etat
Major de l’Armée et de la Gendarmerie. Il était devenu comme un petit dieu. Il était
chanté et loué dans des chansons populaires.
JORDANE, B. (2000 :13) critique le régime Habyarimana qu’il qualifie
aussi de continuation du MDR-Parmehutu : « Devenu parti unique en 1965, le MDRParmehutu a progressivement structuré la vie politique rwandaise sur des bases
ethniques. Le régime du Général Habyarimana ne les a guère modifiées, il a
simplement réussi, avec une grande habileté et force propagande en faveur d’un
monopartisme « unificateur » à en assurer une gestion pacifique, jusqu’à l’offensive
du FPR-INKOTANYI le 1er Octobre 1990 ».

50

I.2.1.3. La deuxième République face au FPR-INKOTANYI
Quand le FPR-INKOTANYI lança son offensive militaire, politique et
diplomatique en octobre 1990, les Tutsi de l’intérieur furent considérés comme
complices (ibyitso) des « INYENZI » – INKOTANYI. Ils furent souvent ou toujours
pointés du doigt pour servir de bouc émissaire à toutes les défaites militaires subies
par les forces armées gouvernementales.
Les combats qu’avait connus l’armée rwandaise remontaient à 1966
lors des dernières attaques « INYENZI ». Depuis lors, cette armée a eu comme
grandes préoccupations des tâches para et extra-militaires, comme d’ailleurs bien
des forces armées des pays d’Afrique noire.
MARTIN, M. (1972 :56) l’a constaté :
« L’observation et l’interprétation des comportements des
militaires africains font apparaître trois formes de dépossession,
chacune d’elle suscitée par un facteur bien spécifique. Ce sont
en premier lieu, les frustrations provoquées par ce que nous
appellerons l’improbabilité de belligérance en Afrique noire ; en
second lieu, les frustrations nées de la politique d’utilisation des
organisations militaires à des tâches de nature para et
extramilitaire ; en troisième lieu, enfin les frustrations
provoquées par la menace ou l’atteinte aux privilèges et au
statut des forces armées ».
L’armée

rwandaise

par

exemple

s’occupait

plus

des

travaux

communautaires de développement (Umuganda) et de l’animation que de
l’entraînement militaire, à l’exception de quelques unités d’élite comme la Garde
présidentielle,

le

bataillon

paracommando

de

Kanombe

et

l’escadron

de

reconnaissance de Kigali.
N’étant pas sûres de mener victorieusement la guerre contre le F.P.R.INKOTANYI, les FAR tournaient souvent leurs armes contre les civils tutsi désarmés
et les Hutu modérés opposés à ces comportements. A ce propos, MAS, M.
(1999 :22) compare les FAR et le FPR-INKOTANYI en ces termes : « Les troupes du
FPR s’entraînent en vraie grandeur depuis plus d’une décennie. Ce n’est pas le cas

51
de l’armée gouvernementale rwandaise. La répression lui a tenu lieu d’exercice
militaire. Ses démonstrations de force à usage interne n’ont d’effets que sur les civils
désarmés. Face au FPR, le terrain militaire s’avère incertain. Pour élargir le cercle de
ses alliances, le pouvoir repasse à l’aiguisoir l’arme inusable du repoussoir tutsi ».
Les professeurs du Campus Universitaire de Nyakinama à Ruhengeri
définissent le substantif INKOTANYI. Il désigne :
1° »Le batailleur acharné qui ne capitule pas comme cela est
illustré par l’exemple suivant : « Niba agututse mwihorere ni
inkotanyi ntiwakira umurwano we : S’il t’a insulté, laissez-le ;
c’est un bagarreur infatigable et tu ne pourrais lui résister ».
2° personne zélée, acharnée : « Aba bakinnyi b’umupira iyo
batagira Kabano w’inkotanyi baba batsinzwe : ces footballeurs
auraient été battus sans Kabano qui est un joueur enragé ».
(UNR, 1991 :127).
Cette perception par les intellectuels hutu du sort des armes montre
que, en fait, le pouvoir devait se préparer à massacrer les civils tutsi, la victoire sur le
FPR-INKOTANYI (bagarreurs infatigables) étant virtuellement impossible.
Comme pour dissuader le FPR- INKOTANYI à continuer son offensive
sur KIGALI , les responsables politico-militaires organisèrent une rafle des Tutsi dans
la ville de KIGALI dans la nuit du 4 au 5 octobre 1990, en simulant une riposte à
l’attaque des rebelles qui se seraient infiltrés à l’aide de la complicité des Tutsi. Ce
fut une véritable mascarade. Ils prirent en otages 8000 Tutsi et quelques Hutu du sud
opposés au régime. Ils les parquèrent dans le stade régional de NYAMIRAMBO, où
beaucoup d’entre eux moururent de faim , de soif et d’autres traitements inhumains.
Des exemples sont nombreux qui prouvent le rôle de l’Etat dans les
massacres des personnes civiles sans armes, après la défaite de son armée. Notons
d’abord l’exécution des prisonniers de la prison centrale de RUHENGERI le 25
janvier 1991 après le raid spectaculaire du FPR-INKOTANYI sur la ville de
RUHENGERI dans la nuit du 22 au 23 janvier 1991. Cette attaque humilia
notoirement les responsables politiques et militaires du pays, surtout ceux originaires
du Nord du pays et qui étaient très influents au sein du régime.

52
Cette attaque eut lieu deux mois après l’annonce faite à GABIRO par le
Président HABYARIMANA de venger les militaires tués dans les combats du
MUTARA. Une féroce répression s’abattit alors sur les Tutsi du Nord du Pays
(BAGOGWE et BAHIMA) et l’armée se chargea de cette terrible besogne. Les plus
hauts responsables politiques et militaires durent se rendre sur place en provenance
de KIGALI pour exhorter les autorités locales à laver l’affront régional (Nord contre
Sud) et national (A.D.L., 1992 : 94).
Les militaires du bataillon paracommando de KANOMBE donnèrent le
ton, exécutant tous les prisonniers libérés par les rebelles capturés dans les
faubourgs de la ville. Les exécutions eurent lieu dans l’enceinte du groupement de
gendarmerie, à NYAKINAMA, près de la prison, près du pont sur la RWEBEYA sur la
route asphaltée RUHENGERI- GISENYI (A.D.L, 1992 : 119).
Ces massacres s’étendirent sur toute la région habitée par les
BAGOBWE d’autant plus intensément que le Président HABYARIMANA et plusieurs
hauts dignitaires de son régime étaient originaires de cette région. D’autres
massacres furent perpétrés à BUGESERA et à MURAMBI et provoquèrent l’offensive
du FPR-INKOTANYI du 8 février 1993 qui s’est arrêtée aux portes de KIGALI grâce
aux cris des représentations diplomatiques accréditées à KIGALI et à l’intervention
musclée de l’armée française aux côtés de l’armée gouvernementale rwandaise. De
telles attitudes continueront jusqu’à la veille du crash de l’avion présidentiel qui
constituera l’alibi officiel du génocide et des massacres.

I.2.2. LE M AS S ACR E DES OP POS AN T S POLITI QUE S E T
LE DEB UT DU G ENOCID E
I.2.2.1. Le meurtre des opposants politiques
Après la mort du Président HABYARIMANA le soir du 06 avril 1994, les
opposants politiques sont assassinés par la Garde présidentielle et Agathe
UWIRINGIYIMANA, Premier Ministre est parmi les premières victimes de ces
massacres politiques. Ces massacres politiques sont parrainés par un comité de
crise composé essentiellement d’officiers supérieurs et dirigé par le Colonel

53
BAGOSORA, Chef de Cabinet au Ministère de la Défense Nationale, alors qu’il avait
déjà dépassé l’âge de la retraite. KAMBANDA Jean, qui a remplacé Agathe

UWIRINGIYIMANA justifie les massacres en ces termes : « Le président de la
République- il importe que les gens le sachent- n’est pas un homme ordinaire,
n’est pas un homme comme les autres. Quand il meurt, c’est comme un
parent qui meurt, il laisse donc de ce fait beaucoup d’orphelins, que ce soit
parmi les gens qui l’aiment ou parmi les gens qui ne l’aiment pas. C’est donc
cela qui a entraîné en grande partie ces troubles, notre souhait étant que les
gens essaient de le comprendre » (CHRETIEN, J.-P., 1995 : 301).
Le Premier Ministre continue à justifier les massacres en évoquant les
problèmes que les Rwandais avaient longtemps accumulés et qui ont eu comme
conséquence « légitime » une certaine frustration de la population, une certaine
colère mal définie qui ne leur a pas permis de se maîtriser après la disparition du
chef de l’Etat, « adulé » par la population grâce au culte de la personnalité dont il
était l’objet. N’avait-il pas été chanté, loué comme le père de la nation, le PrésidentFondateur, le Guide, pendant plus de vingt ans ?
Interrogé le 17 avril 1994 par le Journaliste de Radio-Rwanda, Jean
Baptiste BAMWANGA sur la raison de ces massacres, Frodouard KARAMIRA
répondit en ces termes : « ….le problème de sécurité… est accru par le fait que ces
gens armés au sein de la population … pendant que d’autres auxquels ils (les fusils)
ont été distribués n’ont pas eu le temps d’être rassemblés, d’être suivis pour une
meilleure utilisation… » (CHRETIEN, J.P., 1995 : 302). En fait, les armes ont été
distribuées pour tuer, non pas pour un autre usage.
I.2.2.2. Le génocide dans tout le pays
Grâce à la Radio-Rwanda, relayée par RTLM, le génocide s’étendit sur
tout le territoire national. Le 18 avril 1994, le même journaliste interroge le
bourgmestre

de

Runda

dans

la

préfecture

de

GITARAMA : »Monsieur

le

Bourgmestre, je voudrais vous poser une autre question qui nous préoccupe ces
derniers temps, à savoir le FPR qui diffuse sur sa radio que les Rwandais sont des
assassins, que le gouvernement est un gouvernement d’assassins, et même que les

54
gens exterminent la population sous l’œil indifférent du gouvernement… »
(CHRETIEN, J.P., 1995 :303).

Le même jour, c’est-à-dire la veille de la visite à Butare de l’équipe
gouvernementale dirigée par le Président SINDIKUBWABO lui-même, un
communiqué anonyme des « intellectuels de Butare » justifie hypocritement le
génocide en cours dans leur région par le manque de forces de sécurité :
« Le FPR- INKOTANYI doit comprendre que, du fait même qu’il a ouvert les
hostilités, les forces armées du pays n’ont pas pu se déployer partout pour
sauver des vies innocentes ; elles ont dû affronter le FPR et se déployer sur
les frontières en vue de sauvegarder l’intégrité du pays » (CHRETIEN, J.P.,
1995 :303).
Le peuple suit aveuglément le gouvernement dit des Abatabazi dans
des actes génocidaires. Voici par exemple ce que raconte un paysan lors de son
interview avec Valérie BEMERIKI, journaliste de RTLM :
« Je m’appelle GASHUMBA Simon, habitant le secteur
BUTANGAMPUNDU, cellule Muhondo, commune Mugambazi
(Kigali-Ngali) Ce que je peux dire au sujet de nos autorités, je
remercie particulièrement ce gouvernement-là, et je soutiens le
chef de l’Etat, eux qui, s’étant rendus compte que le Rwanda a
été assailli par l’ennemi, ont eu la lumineuse idée d’organiser
l’autodéfense générale. Concernant donc cette autodéfense, ce
gouvernement – là soutient beaucoup cela ; presque nous tous,
nous sommes en train d’apprendre le maniement des fusils… »
(CHRETIEN, J.P., 1995 : 305).
Ce maniement des armes à feu a été enseigné à tous les hommes
valides, surtout les jeunes « Interahamwe » sur toute l’étendue du pays pour traquer
l’ »ennemi », le « complice de l’ennemi ». Même si les armes à feu n’ont pas été
distribuées à tout le monde, tout le monde avait une machette ou une massue, ou un
gourdin, ou une lance, ou un arc et des flèches. Bref, tout un arsenal d’armes
modernes et traditionnelles était à la portée du « peuple majoritaire » (Rubanda
nyamwinshi) pour « sauver la nation » de l’ »ennemi minoritaire ».

55

I.2.3. LE DECL ENCH E M ENT DU GEN O CIDE A BUT AR E
Comme partout ailleurs dans le pays, les massacres furent toujours
précédés de réunions des « conseils de sécurité ». A Butare, le Préfet était opposé
aux massacres et pour que le génocide puisse atteindre cette partie du pays, il fallait
un autre préfet, favorable ou du moins non ouvertement opposé à la politique
génocidaire. C’est ainsi que le soir du 19 avril 1994 à 20h, Radio Rwanda annonçait
que HABYARIMANA Jean Baptiste (un tutsi) n’était plus préfet de BUTARE (DES
FORGES, A., 1999, 518). La population de Butare apprit généralement la destitution
du Préfet HABYARIMANA le 20 avril. Une bonne partie des communes proches de la
ville étaient restées jusque – là calmes.
Voici par exemple comment la situation se présentait jusqu’à la date de
la destitution du préfet HABYARIMANA tel que relaté par DESFORGES : « Dans
bien des endroits, Hutu et Tutsi patrouillaient, ou gardaient les barrières ensemble.
Antoine SIBOMANA, bourgmestre de MBAZI, avait mis en place une défense
coordonnée des Hutu et des Tutsi pour repousser les attaques de la commune
voisine de MARABA ; plusieurs assaillants (interahamwe) avaient été tués »
(DESFORGES, A., 1999 : 525).
Avant sa destitution, le Préfet HABYARIMANA fit organiser des
réunions de sécurité pour contenir la violence qui gagnait de plus en plus la
préfecture à partir des foyers de violence de GITARAMA, de KIGALI et de
GIKONGORO. Mais lors de ces réunions, des partisans du hutu power en profitèrent
pour susciter des troubles dans la communauté. Par exemple dans une réunion de
secteur à Tumba, un médecin bien connu, Sosthène MUNYEMANA, mentit en
rapportant que le FPR avait attaqué des gens à Kigembe et que quinze personnes
s’étaient réfugiées à son domicile à Butare. Des témoins affirmèrent que ces paroles,
ayant provoqué une réaction de colère, déclenchèrent des dissensions entre Hutu et
Tutsi, qui avaient jusqu’alors bien travaillé ensemble pour empêcher les violences
(DESFORGES, A., 1999, 526). Il a alors fallu que le gouvernement intérimaire
nomme un préfet qui n’était pas en mesure de constituer un obstacle à la violence

56
génocidaire. Il nomma alors quelqu’un d’inexpérimenté en politique, du nom de
Sylvain NSABIMANA, agronome responsable agricole de la commune Mbazi. Celuici refusa d’ailleurs le poste, invoquant son manque d’expérience, mais fut contraint
par son parti le PSD de peur que le poste ne revienne au MRND. Il semblerait en
outre que la main du Comité exécutif des Interahamwe se soit introduite dans la
nomination de Sylvain NSABIMANA : « NSABIMANA apprit des mois plus tard que
sa nomination avait été étudiée et approuvée par le Comité Exécutif des
Interahamwe, ce qui indique le pouvoir exercé à l’époque par cette milice, au sein
des milieux gouvernementaux » (DESFORGES, A., 1999, 527). Une telle nomination
avait visiblement comme but principal de faciliter l’extension du génocide dans la
commune de Ngoma jusque –là paisible.
Lors de la cérémonie d’investiture du nouveau préfet, les poids lourds
du gouvernement intérimaire étaient présents en ce matin du 19 avril 1994. Il s’agit
surtout du Président lui-même, Mr SINDIKUBWABO Théodore, du Premier Ministre
KAMBANDA Jean, des Ministres Justin MUGENZI (du Commerce), Pauline
NYIRAMASUHUKO (de la Famille et des Affaires sociales), Eliezer NIYITEGEKA (de
l’Information), Agnès NTAMABYALIRO (de la Justice), Straton NSABUMUKUNZI (de
l’Agriculture) et de Callixte KALIMANZIRA, alors chargé provisoirement du ministère
de l’Intérieur. Pratiquement tous les grands partis politiques étaient représentés au
plus haut niveau. Le MRND, le MDR, le PSD et le PL. Bref, l’opposition politique
n’existait plus ; tout le monde s’était détourné des Tutsi pour faire cause commune
avec la partie génocidaire. De ces 8 personnalités, 5 étaient originaires de Butare, à
savoir SINDIKUBWABO, KAMBANDA, NYIRAMASUHUKO , KALIMANZIRA,et
NSABUMUKUNZI. Cette équipe renforcée par les durs partisans du hutu power était
descendue à BUTARE pour « réveiller » les « ABANYABUTARE BIGIZE BA
NTIBINDEBA » (ou les gens de BUTARE se sont faits les « ça ne me concerne
pas »), pour qu’ils se mettent aussi au « travail ». Ils s’y sont effectivement mis
puisqu’ls ont remporté la palme du plus grand nombre de Tutsi tués endéans 3 mois
de « travail assidu » avec un retard de 2 semaines. Des discours chargés de venin
mortel ont été à la base de ce revirement populaire vers une attitude criminelle
jamais observée dans la commune de NGOMA. Des discours prononcés en la
circonstance et qui incitèrent la population à se mettre du côté des génocidaires
sonnèrent le glas des Tutsi de BUTARE.

57
Citons d’emblée le Bourgmestre KANYABASHI :
« Nous nous permettons une fois encore, comme nous n’avons
cessé de le montrer, que nous soutenons votre gouvernement,
et que nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir
pour lui permettre de réaliser ses objectifs ». Or le
gouvernement intérimaire avait déclaré ouvertement à la Radio
qu’il fallait tuer les Tutsi, les exterminer. Le Président l’a
confirmé ce matin du 19 avril 1994 à BUTARE : « …ceci signifie
que « les figurants qui ne font qu’assister », (…) ceux qui ne se
sentent pas concernés », doivent se montrer. Qu’ils nous
cèdent la place et nous laissent « travailler » et qu’ils nous
observent faire, étant en dehors de notre cercle. Celui qui se dit
« ceci ne me concerne pas et j’ai même peur » qu’il nous cède
la place. Ceux qui sont chargés de nous débarrasser de lui
qu’ils nous en débarrassent rapidement. D’autres bons
« travailleurs qui veulent travailler » pour leur pays sont là ».
(DESFORGES, 1999, 530). Un peu avant lui, le Premier
Ministre KAMBANDA avait parlé des Bourgmestres qui s’étaient
rendus à MULINDI (bastion du FPR) et qui devaient être
considérés comme complices du FPR.
Le Président donne alors l’ordre de s’en débarrasser pour pouvoir
gagner la guerre. Les ministres MUGENZI et NIYITEGEKA s’exprimèrent également
et la réunion eut l’apparence du conseil du gouvernement tenu à BUTARE. Après
leurs discours, le bourgmestre de HUYE, Jonathas RUREMESHA s’enquit de ce qu’il
devait dire aux habitants de sa commune qui voulaient « déclencher les hostilités ».
MUGENZI répondit alors au nom du gouvernement : » Si la population est en colère,
il faut la laisser faire ce qu’elle veut ». RUREMESHA n’essaya plus depuis lors
d’arrêter les violences (DESFORGES, A., 1999, 531). Les autres bourgmestres
laissèrent

vraisemblablement

leurs

populations

faire

ce

qu’elles

voulaient.

NIYITEGEKA était chargé de l’Information et de ce fait était Rapporteur du Conseil
du Gouvernement. Ce qu’il fit avec force détermination le soir du 19 avril 1994.
L’arrêt de mort des Tutsi de Butare était donc signé le 19 avril 1994 et dès le 20, les
journées et les nuits les plus longues de leur vie allaient commencer jusqu’à l’arrivée
des troupes du FPR-INKOTANYI au milieu du mois de juillet 1994.

58

CHAPITRE II :
PRESENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE ET
DE L’APPROCHE DE COLLECTE ET DE
TRAITEMENT DES DONNEES
II.1. APERÇU GENERAL DU MILIEU D’ETUDE
S’agissant des entités administratives et de leurs structures nous
utiliserons souvent la terminologie en vigueur avant et pendant le génocide.
L’ex-commune urbaine de NGOMA (actuellement la ville de Butare)
dans laquelle nous avons mené notre enquête est située dans la province de Butare
(ex-préfecture de Butare) au sud du Rwanda. Elle comprend 8 secteurs, à savoir
Matyazo, Ngoma, Butare-ville, Tumba, Cyarwa-Sumo, Cyarwa-Cyimana, Nkubi et
Sahera. Avant la récente réorganisation territoriale et administrative, elle était
entourée par les communes Nyaruhengeri au sud-est, Gishamvu au sud-ouest,
Runyinya à l’ouest, Shyanda et Ndora à l’est. Sa superficie avoisine 40 Km² et
l’essentiel des structures administratives et infrastructurelles de l’ex-commune
urbaine de Ngoma se situe dans la ville et l’on peut estimer que plus de la moitié de
sa population se situe dans le périmètre urbain ou péri-urbain.
Au point de vue climatique, notre terrain d’enquête appartient au climat
tropical caractérisé par une température moyenne de 19°C (minimum : 11°,
maximum :25°), une altitude moyenne de 1.755 m et une pluviométrie moyenne
annuelle de 1 151/mm. La saison d’ »Umuhindo » s’étend de la mi-septembre à la
mi-décembre et constitue la première saison de l’ancienne année lunaire rwandaise.
Elle est caractérisée par de plus ou moins fortes pluies permettant au paysan, dès
septembre, de mettre en terre ses premières cultures de haricots, de pommes de
terre, de courges, de cultures maraîchères dans des collines. « Ikungira » est un
terme local désignant l’ensemble de toutes ces activités ainsi que la saison durant
laquelle elles se déroulent.

59
La saison d’ »urugaryi » va de la mi-décembre à la mi-février et les
averses de l’ »umuhindo » cessent et ne reprennent sérieusement que vers la fin du
mois de février. C’est la saison sèche au cours de laquelle les cultures semées à
l’ »umuhindo » sont récoltées. A peine termine-t-on les activités d’ »Isarura »
(récolte) qu’on entame immédiatement les semailles de sorgho.
La saison de « Itumba», grande saison de pluies, commence à la mifévrier et dure jusqu’à la fin du mois de mai. Les pluies sont particulièrement intenses
en avril. Le génocide s’étant déroulé durant cette période, celle-ci a eu des effets
divers tant du côté des victimes que des bourreaux. Elle a pu faciliter à certains
endroits la fuite des gens menacés.
La saison de «Icyi» est la grande saison sèche qui dure de juin à
septembre au début de «Umuhindo». Elle est caractérisée par l’absence quasi
complète de pluies et par des températures matinales particulièrement froides.
Du point de vue de la population, la ville de Butare comptait environ
26600 habitants au tout début de 1994. Près d’un quart de la population de Ngoma
était tutsi, un pourcentage nettement plus élevé que la moyenne nationale et plus
important aussi que les 17% de Tutsi vivant dans la capitale (DES FORGES, 1999 :
502). Sur les 26650 résidents de la commune de Ngoma, 6 947 étaient enregistrés
comme Tutsi à la fin du mois de février 1994 (Joseph KANYABASHI, bourgmestre, à
monsieur le préfet, n°153/04.05/1, 14 mars 1994, préfecture de Butare).

La ville de Butare s’étend le long d’une chaîne de collines de part
et d’autre de la route principale qui mène vers le sud jusqu’à la frontière du
Burundi. Le centre ville se traverse à pied en quinze à vingt minutes, mais
plusieurs autres quartiers s’étendent à partir de l’axe principal le long d’autres
collines séparées les unes des autres par des vallées peu habitées. Il faut plus
d’une heure de marche pour aller par la route d’une extrémité à l’autre des
secteurs, mais les habitants empruntent des raccourcis par les vallées.
Les Tutsi se groupaient en général au sommet des collines pour soit
préparer leur fuite soit pour mieux se défendre en profitant d’une position
avantageuse.

60
Du point de vue des infrastructures socioculturelles et économiques, la
ville de Butare est le centre intellectuel du pays. A l’entrée nord de la ville se trouve
le Musée National. Suivent ensuite l’Ecole Sociale de Karubanda, le Groupe Scolaire
des Parents (ex-CEFOTEC), le Petit Séminaire Baptiste et le Petit Séminaire
Catholique ainsi que les Instituts de Théologie Catholique et Protestante. Au bout du
quartier commercial, à gauche de la route principale se dressent la cathédrale et
l’immense complexe du Groupe Scolaire Officiel ainsi qu’une école de formation de
vétérinaires. A la sortie sud de la ville se trouvent le Campus boisé de l’Université
Nationale du Rwanda sur la gauche et l’Institut de Recherche Scientifique et
Technologique sur la droite.
Deux hôpitaux : le grand hôpital universitaire, contigu

à l’institut de

recherche, et l’hôpital plus petit de Kabutare, derrière le Groupe Scolaire Officiel.
Buye, quartier situé à l’entrée Nord de la ville, comprend des avenues
arborées et bordées de maisons anciennes, ainsi que les résidences de construction
plus récente des professeurs d’université, des médecins, des fonctionnaires et des
officiers de l’Armée et de la Gendarmerie (actuellement Police). Le bureau du
secteur de Ngoma est à une distance respectable des résidences de Buye, près de
l’aérodrome.
La ville comprend 3 camps militaires : le Camp Ngoma situé dans le
secteur Ngoma, l’Ecole des Sous-officiers (ESO) entre le quartier commercial et
l’Hôpital universitaire et le Camp de Gendarmerie de Tumba dans le secteur Tumba
sur la route Butare-Akanyaru. Deux hôtels les plus anciens et les plus connus, l’Ibis
et le Faucon sont à l’entrée Nord du centre commercial. Un autre hôtel plus récent, le
Credo se trouve entre le Rectorat (anciens bâtiments de l’IPN) et le Campus. Ces
hôtels sont les points de rafraîchissement des cadres de l’administration, des
officiers, des universitaires ; bref de l’élite.
Du point de vue administratif, il n’existait pas de structures coutumières
autres que familiales comme on le constate dans de nombreux pays africains. Ici les
organes administratifs étaient le conseil communal, le Bourgmestre, la commission
Technique et le Conseil de Développement.

61
a) Le conseil communal comprenait des conseillers élus dans chaque secteur. Le
conseil communal aidait le bourgmestre dans toutes les tâches courantes
d’administration de la commune dans son secteur.
b) Le bourgmestre, nommé par le Président de la République, représentait le
pouvoir central dans la commune et présidait le conseil communal. Les pouvoirs
du bourgmestre avaient été accrus sous la supervision du préfet.
c) La commission technique était composée des membres nommés par le
Gouvernement dans les domaines technique, économique, culturel et social. Ils
devaient suivre de près la vie de la commune dans la conception, élaboration et
évaluation des projets de développement en collaboration avec le bourgmestre et
le conseil communal.
d) Le conseil de développement comprenait, sous la présidence du bourgmestre, les
conseillers communaux, la commission technique et les chefs des services d’Etat
implantés dans la commune. Le rôle du Conseil était celui de supervision des
projets entrepris et d’en adopter de nouveaux.
e) Le personnel de la commune était destiné à assurer les tâches administratives de
routine ainsi que des tâches techniques.
Au point de vue structure sociale, la monographie nous présente ce qui
suit : les trois ethnies (Bahutu, Batutsi, Batwa) ont une même langue, les mêmes
mœurs et institutions, une homogénéité sociale totale. Elles ont un passé lointain
économique et politique plus ou moins différent. Ceci explique les confrontations
auxquelles on a assisté périodiquement sans que dans la pratique il soit possible de
distinguer cette population en « castes » ou « ethnies » en se basant sur des
facteurs anthropologiques ou sociologiques, puisque les différences éventuelles ne
cessent de s’estomper. Cependant, lors des moments forts des pourparlers d’Arusha
sur le partage du pouvoir entre le MRND et le FPR ainsi que les autres partis
d’opposition, le journal Kangura proche du pouvoir a diffusé des articles sur la
nationalité et la langue hutu. Ce journal a stipulé qu’il existe la nationalité hutu et la
langue Kihutu et non la nationalité rwandaise et la langue Kinyarwanda (Kangura
n°5, 1990).
Au point de vue politique, le MRND réunissait tous les Rwandais en son
sein depuis son manifeste du 5 juillet 1975. L’organisation cellulaire (à la base)

62
permettait de remonter de la cellule au secteur, à la commune, à la préfecture et à la
nation entière avec la collaboration de tous les organes administratifs et politiques de
tous les niveaux. Les principaux organes du MRND étaient le comité de cellule,
l’assemblée communale, le congrès préfectoral, le Congrès National et le Comité
Central.

Avec l’apparition du multipartisme en 1991, le PSD était le parti
dominant dans la ville suivi de près par le PL et le MDR. Le MRND-CDR était
en position de faiblesse jusqu’à la scission des partis dits d’opposition en 2
mouvances distinctes : la mouvance modérée et la mouvance « power ».
Cette dernière prônait l’hégémonie des Hutu et l’exclusion des Tutsi des
affaires de l’Etat et envisageait leur extermination totale. Cette branche a donc
épousé les idées du MRND-CDR sur la question ethnique et toute sa jeunesse
s’est complètement détournée de l’aile modérée et a littéralement viré vers
l’aile dure du MRND – CDR. De là, le MDR – power, le PSD-power et le PLpower sont nés et ont enflé et renforcé les lignes du MRND – CDR fortement
hostiles aux accords de paix d’Arusha dont la signature a déclenché des
contestations voire des soulèvements au sein de l’armée et au sein de ces
partis politiques. Le président du PL-POWER, Mr MUGENZI Justin est allé
jusqu’à qualifier ces accords de carton contenant un chien mort. Le Président
HABYARIMANA les a qualifiés de chiffons de papier (ANNEXE 11).

63

II.2. METHODE DE RECUEIL ET DE TRAITEMENT
DES DONNEES

II.2.1. Choix d es pe rs onnes d’ entret ie n
Selon JAVEAU, C. (1976 :81) « enquêter c’est poser des questions à
des gens choisis d’une certaine manière, afin d’être éclairé sur l’un ou l’autre
problème relevant de la recherche sociale.... C’est par référence à un groupe, fut-il
très réduit, que se définit l’enquête sociologique » (JAVEAU, C. 1976 : 81). Le
génocide étant un phénomène complexe tant dans sa conception, sa planification et
son exécution, le choix des personnes d’entretien n’est pas une tâche facile. Les
difficultés sont surtout liées à la psychologie des enquêtés qui ne veulent plus dire
quoi que ce soit sur le génocide et ne veulent même pas en entendre parler. La
plupart des témoins disent qu’ils sont las des enquêtes menées auprès d’eux par
divers chercheurs, tandis que d’autres comme les auteurs eux-mêmes du génocide
nient purement et simplement que le génocide a eu lieu.
Néanmoins, certaines personnes ont bien voulu répondre à nos
questions. Ainsi avons-nous interrogé un total de 133 personnes répartis comme
suit :
− 122 sur 134 accusés présumés coupables de génocide ayant adhéré à la
procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité dont 100 sont encore en détention
tandis que 22 sont en liberté provisoire.
− 11 informateurs dont 9 rescapés du génocide et 2 témoins qui n’étaient pas
pourchassés pendant la tragédie.
Aussi, considérant l’objectif principal que nous nous sommes fixé, à
savoir établir scientifiquement le rôle de l’Etat dans le génocide des Tutsi en vue
d’une réelle réconciliation nationale sous la houlette de l’Etat d’après-génocide, nous
avons choisi des témoins privilégiés en raison de l’information et de la connaissance
particulières qu’ils détiennent de la question que nous traitons. Ensuite nous avons
catégorisé ces témoins pour les besoins qualitatifs de l’enquête.

64
Tableau VIII : Catégories professionnelles des personnes interviewées



Profession

Effectifs

01

Agents de l’Etat

10

02

Conseillers de secteurs

1

03

Militaires

1

04

Policiers communaux

02

05

Enseignants

07

06

Etudiants

02

07

Agriculteurs

94

08

Autres professions

16

TOTAL

133

II.2.2. Choix de l’inst ru ment de rech erc he
A cause de la délicatesse du sujet et compte tenu du nombre très limité
des personnes disposées à répondre à nos questions, nous avons opté pour la
démarche qualitative. Nous avons alors recueilli les données de terrain grâce à un
guide d’entretien qui nous a permis de poser nous-même des questions qualitatives
et de noter les réponses. GRAWITZ, M. (1975 :394) nous donne ici l’importance des
données qualitatives à ce propos : « Les données qualitatives révèlent les faits
évocateurs des phénomènes importants et parfois non accessibles, suggèrent des
corrélations ou des processus, des rapports de cause à effet et font apparaître des
concordances entre les variables à condition que le chercheur sache « utiliser
intelligemment » ce qu’il a trouvé ».
Comme le tableau ci-haut l’indique, les agriculteurs sont les plus
représentés

(70.6%)

parmi

les

catégories

professionnelles

des

personnes

interviewées. Ils ont été les plus prompts à s’ouvrir à notre entretien, bien que leur
information n’ait pas la même teneur que celle d’un agent de l’Etat par exemple.

Certaines personnes étaient réticentes à répondre à certaines
questions par exemple celle de la participation personnelle dans le génocide.

65

Nous étions alors obligé de faire des détours et d’insister sur le caractère
purement académique et intellectuel de notre recherche. Cette démarche
faisait que les nuages de la peur et de la méfiance se dissipaient au fur et à
mesure que l’entretien avançait et des déclarations jusqu’alors insoupçonnées
tombaient comme par exemple celle sur la mort du Président HABYARIMANA
ou sur les actes criminels personnels.

66

CHAPITRE III :
PRESENTATION, ANALYSE ET INTERPRETATION
DES RESULTATS D’ENQUETE
III.1. LA STRATEGIE DE REDUCTION DU POTENTIEL
ELECTORAL ET MILITAIRE DU FPR PAR L’ETAT
Près de 100% (98.50 %) de nos répondants ont affirmé que les
autorités politico-militaires ont décidé le génocide en prenant l’option de
réduire substantiellement le potentiel militaire et électoral du FPR pour
monopoliser et pérenniser le pouvoir hutu.
Tableau IX : Opinions des personnes interviewées sur la volonté étatique de
monopolisation du pouvoir mono-ethnique.
Opinions des interviewés

Pour (favorable)

Contre (défavorable)

Fréquence Pourcentage Fréquence Pourcentage
Attitudes de l’Etat
vis-à-vis du partage du pouvoir
Exclusion des Tutsi des affaires publiques

130

97.75%

3

2.25%

131

98.50%

2

01.50%

131

98.50%

2

01.50%

et autres
Refus de partage du pouvoir avec les Tutsi
et l’opposition politique
Désinformation de l’opinion nationale et
internationale sur les causes réelles du
conflit armé en vue d’obtenir le soutien
populaire et l’assistance militaire étrangère.

La vérification de la première hypothèse est axée sur deux
phénomènes principaux :

67
-

La « hutisation » outrancière par l’Etat du régime politique
rwandais ;

-

La banalisation et le sabotage par l’Etat rwandais des Accords de
Paix d’Arusha d’Août 1993 ;

La dynamique de ces deux attitudes manifestées par le Gouvernement
de KIGALI est caractérisée par une série de facteurs que reflètent les réponses
fournies par les personnes interviewées, lesquelles réponses convergeaient vers la
volonté étatique d’annihilation de la base civile pro-FPR et sont synthétisées de la
manière suivante :
-

l’ethnicisation par l’Etat rwandais du conflit politico-militaire entre le
FPR-INKOTANYI et les FAR de 1990 à 1994 ;

-

le maintien de la carte d’identité nationale avec mention ethnique ;

-

une série de persécutions et d’humiliations infligées aux Tutsi afin
de maintenir et d’accroître la diaspora rwandaise tutsi ;

-

la vague du « kubohoza » (le fait de s’approprier des adhérents
d’autres partis, en leur faisant comprendre qu’ils seront plus libres
dans le nouveau parti d’accueil) dénotait l’impuissance de l’Etat à
s’adapter au multipartisme naissant en marginalisant les Tutsi et les
Hutu modérés considérés comme « ibyitso » (complices du FPRINKOTANYI) ;

-

la naissance de la tendance « hutu power » au sein des partis
politiques d’opposition en vue de grossir les rangs des forces
génocidaires ;

-

le boycottage par l’Etat Rwandais de la mise en place des
institutions de transition à base élargie ;

-

des comités de crise mis en place après le crash de l’avion
présidentiel composés exclusivement de Hutu ;

-

l’instauration d’un apartheid à la rwandaise dans les lieux publics,
l’éducation, la fonction publique et surtout dans l’armée et la
gendarmerie ;

-

l’appel par l’Etat rwandais à l’intervention militaire étrangère pour
barrer la route à la « politique dite d’expansionnisme du hamitisme »
en Afrique centrale et orientale ;

68
-

le limogeage et l’assassinat des autorités politiques de l’ethnie tutsi ;

-

la mise en branle par l’Etat rwandais de la machine à tuer sur toute
l’étendue du pays, hormis la partie Nord-Est occupée par les forces
du FPR-INKOTANYI.

C’est en nous appuyant sur ces indicateurs que nous allons vérifier
l’hypothèse que nous venons d’émettre et, pour des raisons pratiques de commodité,
signalons que les faits relevés dans notre analyse proviennent des témoignages
recueillis sur le terrain.

Certains témoignages de portée exceptionnellement

significative seront accompagnés de leur source. Il en sera de même pour la
deuxième hypothèse.

III.1.1. Hutisatio n du r é gime pol itique r w andais
Depuis que la guerre a éclaté en octobre 1990, le gouvernement de
Kigali s’est évertué à convaincre la population hutu que c’étaient des Tutsi qui
avaient attaqué le Rwanda en vue de réinstaurer la monarchie tutsi abolie par la
révolution hutu de 1959 et le référendum démocratique Kamarampaka de 1961 qui
avaient donné le pouvoir au « peuple hutu ». Depuis lors, une sorte d’apartheid s’est
progressivement installée dans tous les milieux : intellectuel, religieux, sportif,
culturel, économique, éducatif, politique et administratif, sur base de l’appartenance
ethnique indiquée sur les cartes d’identité.
A titre illustratif, le témoin A9 ayant participé aux tueries témoigne :
« depuis 1990, il y avait des tensions entre Hutu et Tutsi. En réalité, ce n’est pas la
mort du Président Habyarimana qui a été la cause principale du génocide. Nous
étions tous convaincus que la victoire du FPR équivalait à la mort des Hutu ». Un
autre témoin, un ex-inspecteur scolaire, fait état des tension entre Hutu et Tutsi
pendant la guerre : « le secteur MATYAZO était habité par beaucoup de Tutsi,
surtout la cellule TONGA. Il y avait une tension visible et l’apartheid y régnait. Nous
savions que beaucoup de jeunes garçons tutsi étaient allés au front dans les rangs
du FPR-INKOTANYI. Leurs parents disaient que le FPR avait déjà gagné la guerre.
Cela a aggravé la tension entre Hutu et Tutsi ».

69
Les Tutsi ont alors été objet de persécutions de tous genres : des
vagues d’arrestations et emprisonnements arbitraires accompagnés de tortures et
d’autres traitements inhumains, des viols, des pogroms et des meurtres sur la place
publique. La politique prônée par l’Etat en agissant ainsi était d’abattre l’ennemi
commun tutsi et permettre à l’ethnie hutu de régner éternellement sur le Rwanda,
comme le prétendaient les ténors de la politique extrémiste.
C’était la politique de déhamitisation et de bantouisation du Rwanda
dans laquelle des pays comme la France, la Belgique, le Kenya et le Congo (exZaïre) ont été entraînés avant de se retirer (sauf la France) après quelques jours de
combats aux côtés des FAR (KANGURA, 1990 : 1).
Les tenants de la politique extrémiste s’étaient donné comme objectif
ultime de préparer le paradis de l’ethnie pure hutu sur la terre rwandaise. Une
rescapée témoigne sur l’esprit de détermination meurtrière qui régnait pendant le
génocide : « On m’a donné un coup de massue sur la tête et ils ont cru que j’étais
morte. Ils ont alors dit « nous tuerons les Tutsi jusqu’à ce que l’on demande plus
tard à quoi ressemblait le Tutsi ». Il fallait donc pour y arriver, exterminer tous les
Tutsi, en armant les Hutu qualifiés de « population vive ». Les Hutu extrémistes
mariés à des femmes tutsi commençaient d’ailleurs à regretter les mariages
interethniques. Les mots prononcés par le Bourgmestre de NGOMA lors d’un
meeting populaire en 1990 sont évocateurs à plus d’un titre : « un homme hutu marié
à une femme tutsi donne naissance à un « ikirambu » (un mort-né). Ces mots
prononcés publiquement par une autorité montre clairement comment l’atmosphère
des relations interethniques a été assombrie par le pouvoir politique d’alors. Les dix
commandements des Hutu apparus dans le journal extrémiste Kangura proche du
pouvoir étaient en train d’être mis en application si bien que les rares Tutsi qui
occupaient certains postes ont été écartés et jetés en prison quand ils n’étaient pas
assassinés ou portés disparus (NSENGIYUMVA, F., 1995 : 89-145).
Dans cette chasse à l’homme, les Tutsi mâles étaient naturellement les
plus visés. En plus de la force physique qu’ils pouvaient opposer aux forces
génocidaires qui les attaquaient, ils constituaient, aux yeux des autorités qui les
considéraient déjà comme complices du FPR-INKOTANYI, un réservoir de
recrutement du Front. Dans cette vision belliciste, l’ordre avait été donné par le

70
Gouvernement de ne pas épargner les enfants mâles. Eux aussi étaient tués, y
compris les bébés garçons tutsi qui étaient descendus violemment des dos de leurs
mamans fugitives pour être écrasés sur les murs des maisons. Ces actes barbares
d’une cruauté inouïe traduisaient une haine active qui se manifestait dans une sorte
de vengeance orientée vers les « forces combattantes en herbes ».
Pour échapper à ces massacres, les enfants mâles devaient s’habiller
en filles. Ils portaient des jupons ou des robes. Mais comme le viol avait été décrété
comme arme de combat, le malheur s’abattait sur eux quand ces enfants en jupons
ou en robes devaient donner « la ration de combat », c’est-à-dire tout simplement
être « violés ». Quand les bourreaux découvraient que ces enfants s’étaient déguisés
en filles, ils les mettaient immédiatement en pièces.
Les femmes et les filles tutsi étaient également pointées du doigt. Elles
étaient aussi considérées comme sympathisantes du FPR-INKOTANYI et on disait
d’elles qu’elles donnaient naissance à l’ »ennemi ». Elles devaient aussi finalement
subir le sort de leurs frères. Leurs consoeurs hutu étaient en outre impatientes de les
voir exterminées parce qu’elles (les femmes et filles hutu) disaient qu’elles (femmes
et filles tutsi) leur ravissaient des maris riches et bien placés grâce à leur beauté
nettement supérieure à la leur.
Un enseignant témoigne à propos des viols : « les filles tutsi gardées
comme otages sexuels ont été tuées fin juin par leurs ravisseurs quand la victoire du
FPR devenait certaine ».
C’est dans cette foulée d’extrémisme que l’aile radicaliste hutu des
partis d’opposition s’est durcie et a entraîné la scission de ces partis en deux ailes
opposées. L’une devant participer aux massacres, l’autre devant être massacrée si
elle s’opposait aux massacres une fois les tueries déclenchées. Pendant les
meetings des partis politiques, il était aisé de distinguer les partis dominants à
Butare, à savoir le PSD, le PL et le MDR. Mais pendant le génocide, le PSD –
Power, le MDR – Power et le PL – Power avaient été absorbés par le MRND-CDR.
L’autre partie dite modéré constituée de Tutsi et de Hutu modérés était la cible des
tueurs coalisés.

71
Pour être épargnés, certains partisans de l’opposition devaient adhérer
par force à l’aile power. Nombreux étaient cependant ceux qui se rabattaient dans la
mouvance MRND par conviction politique, étant donné que la situation politicomilitaire évoluait rapidement vers une opposition politique duale : MRND – CDR
contre FPR-INKOTANYI. C’est ainsi que le processus du « kubohoza » a été mis en
marche et a atteint son paroxysme au moment du déclenchement des tueries visant
essentiellement les Tutsi et les hauts responsables politiques hutu de l’opposition.
Les partis d’opposition se sont ainsi vus vidés de leurs forces politiques et les Tutsi
ainsi que quelques Hutu modérés se sont retrouvés comme en quarantaine, avec
des sobriquets ou appellations outrageantes : inzoka (serpents). Utunyenzi
(cancrelats), ingondeka (taille élancée et courbée), muzuru (nez trop long), incakura
(rusés), mbavu (côtes nombreuses), gasongo (type très élancé), mujosi (cou long),
abahutu b’ibicucu (des Hutu idiots), nyamujya iyo bigiye (des hutu instables). Ces
termes vexatoires étaient choisis et utilisés dans un but d’exclusion, de persécution,
d’humiliation et de discrimination, d’après un témoin ayant participé aux massacres.
Né dans le chaos et l’anarchie politique provoqués par le régime de
terreur lui-même résultant de la honte des défaites militaires « inexplicables » et
impardonnables », ce processus du « kubohoza » a facilité l’identification de
l’ »ennemi » à abattre. Considérés comme cause de ces défaites politico-militaires
incessantes subies par les forces gouvernementales présageant une défaite totale
inéluctable au terme du conflit armé, les Tutsi de l’intérieur ont dû payer le prix de la
guerre perdue d’avance par le pouvoir politico-militaire profondément « hutisé ». Il
fallait alors s’opposer à tout processus de paix impliquant le partage du pouvoir avec
l’ »ennemi » et se réorganiser en vue d’une hypothétique victoire militaire.
Ainsi l’organisation du génocide était opérationnelle à partir du niveau
du secteur et le conseiller en assurait la responsabilité politique et dirigeait la
propagande anti-tutsi

72

III.1.2. Banalis ation et sabotag e des Ac cords d e Pai x
d’ Arush a d’ Ao ût 1993.
L’esprit des accords de paix était le partage du pouvoir et le retour des
réfugiés tutsi vivant en exil depuis plus de trois décennies. Or les autorités de Kigali
étaient enracinées dans un mythe « hutisant » exclusiviste.
Qualifiés dans un premier temps de chiffons de papier par le Président
HABYARIMANA Juvénal, ces accords ont été traités de carton contenant un chien
mort par le ministre Président du PL, Monsieur MUGENZI Justin.
Banalisés au plus haut point, les chances de mise en application de ces
accords de paix s’amenuisaient de jour en jour. La fusion des deux forces armées
combattantes ainsi que la mise en place d’un gouvernement de transition à base
élargie jusqu’au FPR-INKOTANYI était un véritable casse-tête pour les autorités de
Kigali.
Il fallait alors une étincelle pour allumer le feu qui couvait sous la cendre
et faire éclater tout le processus de paix : le crash de l’avion présidentiel et la suite
constituée de limogeages en cascades suivis de massacres dans tout le pays.
Comme Butare était la seule préfecture ayant un préfet tutsi à sa tête, il
fallait s’en débarrasser au plus vite pour « accomplir les desseins » du défunt
Président. Selon la déclaration d’un témoin interrogé lors de notre enquête, le
Président HABYARIMANA est décédé après une demi-heure d’agonie et une équipe
de médecins militaires français et rwandais ont tenté en vain de le remettre en vie. Il
aurait alors sorti quelque mot avant de succomber à ses blessures mortelles. Un de
ces gardes du corps de la sécurité rapprochée a téléphoné au Capitaine
NIZEYIMANA Ildephonse à Butare en lui disant que l’heure des Tutsi venait de
sonner avec la mort du Président HABYARIMANA Juvénal. La boîte noire pouvant
révéler ce que HABYARIMANA a dit quelques minutes avant de mourir a été enlevée
par l’Armée française.

73
Constitué à la hâte dans l’Ambassade de France à Kigali, un
gouvernement intérimaire a mis en marche la machine génocidaire sur toute
l’étendue du territoire national. Il fallait alors à tout prix avoir un préfet hutu extrémiste
à la tête de chaque préfecture. En outre, il fallait avoir des bourgmestres et des
conseillers communaux ainsi que des responsables de cellules tous acquis à
l’idéologie génocidaire en vue d’exécuter sans ambages les ordres venant d’en haut.
C’est ainsi que le Préfet tutsi HABYARIMANA Jean-Baptiste a été
limogé puis exécuté avec sa famille entière. C’est ainsi aussi que le Conseiller du
secteur NGOMA, M. SAYIDI, un Tutsi, a été arrêté par les militaires au cours d’une
réunion populaire qu’il dirigeait lui-même et a été exécuté dans le camp militaire de
NGOMA.
Cela s’est produit un peu après la visite à Butare du Président
intérimaire. Il fallait d’abord anéantir toute autorité ayant un certain penchant pour le
FPR-INKOTANYI et ainsi tarir les sources idéologiques de recrutement du Front
Patriotique Rwandais.
Déterminé à anéantir toute velléité de résistance à l’idéologie
génocidaire, le Gouvernement intérimaire autoproclamé a dépêché à Butare le
Directeur de Cabinet au Ministère de l’Intérieur répondant au nom de KALIMANZIRA
Callixte, originaire de Butare, pour superviser le génocide. Celui-ci était animé d’une
haine viscérale contre les Tutsi et des réunions qu’il a tenues à Butare pendant toute
la durée du génocide l’ont démontré à maints égards d’après le témoignage d’un
répondant.
Comme Adolf Hitler avait su s’entourer de chefs nazis antisémites au
superlatif tels Himmler, Goebbels, Beck et autres Goering, de même HABYARIMANA
Juvénal et SINDIKUBWABO Théodore ont su s’entourer d’hommes et de femmes
interahamwe anti-tutsi au superlatif comme Bagosora, Kambanda, Kalimanzira,
Nteziryayo et autres Nyiramasuhuko.

Une rescapée (R4) relate le cynisme de

Nyiramasuhuko lors des triages des Tutsi à tuer : « prenez ces jeunes garçons et ces
jeunes filles et allez en faire ce qu’il faut [en langage non codé, cela signifie les vouer
au viol et à la mort] ; laissez les vieilles femmes car elles devront accompagner la
dépouille mortelle du Président Habyarimana, le 5 juillet 1994 ».

74
Les massacres, la discrimination et les persécutions dont les Tutsi
étaient l’objet ont conduit la plupart des jeunes tutsi à partir massivement pour se
faire enrôler dans les rangs du FPR-INKOTANYI. En plus de ces départs pour le
front aux côtés du FPR-INKOTANYI, l’aile modérée des partis politique PL et PSD ne
cachait pas sa sympathie envers le FPR. Les partisans de cette aile proclamaient
haut et fort cette sympathie et cela rongeait les cœurs MRND – CDRiens. Ces
sympathisants du FPR écoutaient en outre plus la radio Muhabura pour s’abreuver
de son idéologie et se désintoxiquer de la propagande divisionniste du MRND-CDR.
Selon les propos recueillis pendant l’enquête, beaucoup de Tutsi de
Butare avaient donné des cotisations au FPR et des listes codées de cotisations
auraient été saisies aux domiciles des Tutsi. Des dénominations utilisées par le FPR
comme « Akagali » et « Umurenge » pour signifier respectivement cellule et secteur
figureraient sur ces listes et des photos où figuraient des militaires arborant la tenue
rayée du FPR appelée « MUKOTANYI » ou soldat du FPR – INKOTANYI auraient
été saisies à ces mêmes domiciles. Cela ne faisait qu’aggraver la tension et le
processus de paix était de plus en plus placé en porte-à-faux.
Ces perquisitions faites par le pouvoir aux domiciles des Tutsi avaient
pour but de « trouver des indices » devant entraîner l’arrêt de mort de tous les
membres des familles dans lesquelles ces indices étaient découverts. Ces
perquisitions étaient par ailleurs organisées puis supervisées par des comités de
crise constitués exclusivement de Hutu.
Le témoin B33 poursuit son témoignage : « chez MIRONKO Tharcisse,
on a découvert deux malles de haches aiguisées à la ponceuse. Il avait un fils
travaillant à RADIO-MUHABURA. On a aussi découvert un émmetteur chez un Tutsi
à Rurenda.

A Tonga, on a découvert des tenues du FPR.

Ces objets saisis

renforçaient la peur des Hutu et les poussaient à organiser leur auto-défense».
Ces comités de crise ont été mis en place après la réunion tenue à
Butare le 19 avril 1994 et présidée par SINDIKUBWABO Théodore, le président
intérimaire. Chaque structure administrative avait son comité de crise élu par la
population ou nommé selon le cas.

75
Le Comité de crise au niveau préfectoral était composé des membres
du Conseil de sécurité préfectoral restreint avec à sa tête le Préfet suivi des
Commandants de l’Armée et de la Gendarmerie, du Bourgmestre de Ngoma, du
Chef des services de renseignement, du Secrétaire Général de l’UNR, et du
Directeur de Prison. Ils étaient tous hutu. D’ailleurs le Préfet tutsi HABYARIMANA
Jean Baptiste venait d’être sommé de quitter la réunion avant son ouverture. Son
limogeage et son remplacement ont immédiatement été annoncés par le Président
de la République. Le plan d’extermination des Tutsi n’avait plus d’entrave politique ni
administrative.
Les raisons de dresser les Hutu contre les Tutsi et leurs complices ne
manquaient pas. Quand le FPR-INKOTANYI a envoyé son troisième bataillon à
Kigali pour assurer la sécurité de sa délégation constituée d’hommes et de femmes
devant entrer au Gouvernement de Transition à Base Elargie selon le Protocole de
Paix d’Arusha, beaucoup de ressortissants de Butare se sont rendus à Kigali pour
acclamer cette entrée qualifiée déjà de triomphale. Le témoin B81 ajoute :« Cette
attitude pro-FPR a exacerbé la haine que le MRND-CDR nourrissait à l’égard des
Tutsi en général et des Tutsi de Butare en particulier, eu égard à l’aisance et à la
liberté de leurs propos souvent téméraires manifestement anti MRND – CDR » (B81).
Au moment où la tête du convoi du troisième bataillon de l’APR entrait dans la ville,
elle a essuyé des tirs nourris effectués par des éléments des FAR embusqués.
C’était un prélude au pire.
D’autres comportements indiquent que des préparatifs de mauvaise
augure étaient en cours. Des agents du Service central de renseignements étaient
tout le temps aux alentours du Bâtiment du CND abritant les éléments du bataillon du
FPR, en train de photographier tous ceux et toutes celles qui y entraient ou en
sortaient.
Autre chose : après la signature des Accords de Paix d’Arusha, des
séances d’entraînement militaire intensif ont été organisées dans l’enceinte de l’ESO
à Butare. Ces séances étaient destinées à tous les adultes hutu choisis par les
comités de crise et consistaient dans le maniement des armes à feu (fusils et
grenades) et des armes blanches. Ces hommes et ces femmes étaient choisis parmi
les partisans du MRND-CDR et ceux des branches power du PSD, du PL et du MDR,

76
et ils étaient préparés à entrer en action au moment du déclenchement des
opérations ultérieures.
Pendant ces séances, des leçons d’éducation politique étaient
également données. Des instructeurs désignés par le MRND – CDR disaient que les
Tutsi voulaient exterminer les Hutu et que donc ces derniers devaient les devancer et
les tuer avant qu’il ne soit trop tard. Ils concluaient en disant que tous les Hutu
devaient se mettre ensemble en vue d’accomplir cette grande tâche.
Malgré

toutes

ces

acrobaties

politico-idéologico-militaires

machiavéliques, le parti bicéphale MRND-CDR restait toujours minoritaire dans la
ville de Butare même si toutes les autorités étaient de ce parti.
C’est pourquoi, le moment venu, les appels au meurtre n’ont pas eu
d’effet favorable immédiat escompté. Il a fallu dépêcher de Kigali un avion hercule
plein de GP et des bus de l’ONATRACOM pleins de jeunes interahamwe le soir du
19 avril 1994 en vue de renforcer le dispositif génocidaire.
Le témoin A10 fait ainsi état de l’organisation du génocide :
« Les GP nous ont fait embarquer dans un camion militaire
Benz à Kigali dans la nuit du 6 au 7 avril 1994. Nous étions
plus de 50 jeunes. Cette nuit, ils ont amené beaucoup de
jeunes chez eux à bord des camions Benz militaires. Arrivés à
Butare, le camion nous a déposés à la commune de NGOMA.
Le matin du 7avril, le bourgmestre KANYABASHI nous a
envoyés dans nos secteurs respectifs, le mien étant CYARWA
SUMO. Nous faisions des réunions chez MBONEYE et le
député Laurent BARAVUGA est venu nous dire que c’était la
quatrième et la dernière réunion. Il a alors ajouté : « Ceux qui
nous ont attaqués sont des ennemis et ce sont les Tutsi. Vous
devez vous défendre, sinon vous allez périr tous. Nous nous
sommes alors engagés dans les tueries. J’ai moi-même tué
quatre Tutsi : TABARO, NYIRANTAMA Marie, NYIRAFUKU et
MAZIMPAKA. Ils étaient nos voisins. Je les ai tués à l’aide
d’une massue et le conseiller NICODEME m’a offert une vache
et un cochon.
Ces expéditions criminelles qui avaient reçu le mot d’ordre de
« nettoyage » avaient dans un premier temps pour tâche principale de donner le ton
en massacrant les grandes figures, même celles qui jadis, étaient « proches » du

77
pouvoir à l’instar du Professeur Dr KARENZI P. Claver, professeur de physique à
l’UNR et seul Tutsi membre du comité central du MRND depuis de longues années.
Pour convaincre les gens de Butare d’adhérer à l’idéologie génocidaire, il fallait en
outre les menacer de mort s’ils ne se décidaient pas dans ce sens, et qualifier en
bloc les Tutsi et les Hutu modérés d’ennemi commun à exterminer. C’est ainsi que
quelques Hutu modérés ont été assassinés avec leurs familles, comme ce substitut
du procureur M. MATABARO, exécuté chez lui par les militaires de l’ESO envoyés
par le capitaine NIZEYIMANA Ildéphonse, Commandant en second de l’ESO.
Après ces deux meurtres, le corps du Pr KARENZI a été exposé à la
barrière qui se trouvait en face de l’hôtel Faucon pour montrer au public hutu qu’il n’y
avait plus de raison de ne pas s’impliquer. Le Tutsi n’avait plus de valeur humaine. Il
n’avait même pas droit à la sépulture.
Pour arriver à cette fin tragique d’extermination des Tutsi et
d’instauration définitive d’un pouvoir exclusivement hutu, il fallait user de moyens
psychologiques pour entretenir le climat de haine ethnique par la déshumanisation et
la diabolisation des Tutsi afin de mieux sensibiliser et mobiliser la « population vive »
ou les masses « majoritaires » en vue de la cause commune : lutter contre l’ennemi
commun tutsi et adopter l’option de la solution finale : l’extermination totale.
Il fallait concomitamment procéder à la célébration de l’ethnie hutu et
des dimensions de son nez et parfaire sa purification en lui octroyant un espace vital
où est exclue toute autre ethnie, en l’occurrence l’ethnie tutsi considérée comme la
« bête noire » du régime hutu.
En guise de conclusion en fin de vérification de la 1ère hypothèse, nous
disons que la fracture sociale qu’a subie la société rwandaise a été le résultat d’un
long processus d’une politique d’exclusion infligée aux Tutsi par les pouvoirs publics.
Le spectre de l’exclusion agité par les tenants de la politique ségrégationniste dans
les colonnes des journaux financés par les caisses de l’Etat et le refus solennel de
partager le pouvoir avec le FPR et des autres forces démocratiques ont ouvert la
voie à des discours officiels appelant la population hutu à s’investir massivement
dans l’entreprise génocidaire.

78
Marquant la coupure entre deux mondes qui ne communiquaient plus,
l’exclusion a été au centre de la conflictualité sociale et, soumise au feu de la critique
socio-politique, elle ne peut pas échapper au verdict de culpabilisation sur le compte
de l’Etat.
Fortement atomisée jusqu’au niveau de l’ »Akazu » (la maisonée), la
société rwandaise était disposée à

recevoir les germes de la division et de la

violence. Les rhétoriciens de la thématique de l’exclusion ne manquaient pas. A leur
tête, le Président intérimaire allait le démontrer lors de sa visite à Butare, visite qui
allait mettre le feu aux poudres à l’aide des paroles « apocalyptiques » appelant à
l’autodéfense hutu contre l’ennemi commun tutsi, désigné déjà par un rapport signé
par le chef d’Etat Major des FAR.
Un dénominateur commun avait été attribué aux Tutsi, à savoir les
boucs – émissaires des défaites politico-militaires des FAR. Ils avaient au préalable
été désignés (et continuaient à l’être) sous divers pseudonymes pour les exclure de
la vie socio-politique et économique du pays.
La politique d’exclusion cimentée par la cristallisation dans l’inconscient
collectif des mots dépersonnifiants et diabolisants attribués aux Tutsi visait
l’identification et l’humiliation des Tutsi, ainsi qua la séparation des deux ethnies en
vue d’exclure les Tutsi et le cas échéant les exterminer. L’occasion n’a pas tardé à
se présenter avec le crash de l’avion présidentiel et la constitution dans l’ambassade
de France du Gouvernement de Transition composé exclusivement de Hutu avec à
sa tête des hommes originaires de Butare : SINDIKUBWABO Théodore, Président et
KAMBANDA Jean, Premier Ministre.
C’est ce gouvernement qui allait déclencher le génocide par des
paroles prononcées à la radio nationale et dans des meetings populaires.

79

III.2. DISCOURS POLITIQUES D’INCITATION ET
D’EXHORTATION AU GENOCIDE
La quasi-totalité de nos répondants (99.25%) affirment que les discours
prononcés par les hautes autorités du pays originaires de Butare ont été
déterminants dans l’incitation des Hutu à commettre le génocide.

Ces discours

contenaient des paroles incendiaires agissant comme des stimuli d’adhésion à
l’idéologie génocidaire.

Pour vérifier la 2e hypothèse, nous avons pris 2 axes

principaux qui se chevauchent :
− la nomination à la magistrature suprême du pays des hommes « politiques »
extrémistes originaires de Butare pour conduire la machine à tuer dans une
région réputée pacifiste ;
− l’implication de l’élite intellectuelle, politique, militaire et même marchande dans
l’entreprise génocidaire pour constituer le cerveau des expéditions criminelles.

80

Tableau X : Opinions des personnes interviewées sur la responsabilité
gouvernementale dans le génocide

Pour (favorable)

Opinions des interviewés

Contre (défavorable)

Fréquence Pourcentage Fréquence Pourcentage

Stratégies de l’Etat
en vue de commettre le génocide
Nomination à la tête de l’Etat des plus

130

97.75%

3

02,25%

Implication de l’élite dans le génocide

126

94.78%

7

05,22%

Les

132

99.25%

1

0.75%

132

99.25%

1

0.75%

hautes autorités originaires de Butare
paroles

stimulus

incendiaires

d’adhésion

à

comme
l’idéologie

génocidaire
Présentation des Tutsi comme boucs
– émissaires et complices de la crise
socio-politique

menaçant

la

« République hutu ».

Au cours de notre enquête, nous avons remarqué que les réponses
fournies par nos répondants convergeaient vers les faits déterminants suivants
inspirés par les discours gouvernementaux. Nous nous servirons des indicateurs
suivants pour l’analyse et l’explication de l’action gouvernementale génocidaire :

-

le Conseil du Gouvernement Intérimaire restreint dit des « Abatabazi » (les
sauveurs) réuni dans le palais du MRND à Butare le 19 avril 1994 pour
donner l’ordre de commencer les tueries ;

-

des réunions de défense civile dirigées par des universitaires et où ne
participaient que des Hutu ;

81

-

la dissémination des barrières dans toute la ville de Butare pour traquer les
Tutsi ;

-

le virement brusque de la situation d’une relative accalmie à une situation
de totale insécurité ;

-

l’exécution des hommes tutsi faisant partie des rondes de nuit désignés
comme boucs-émissaires de l’attentat meurtrier ayant tué le Président
HABYARIMANA Juvénal ;

-

le massacre de civils tutsi dans leurs maisons par des militaires en
uniformes la nuit du 19 au 20 avril 1994 ;

-

la surdétermination du pouvoir local par des jeunes voyous de Butare et
des interahamwe venus de Kigali ;

-

l’instauration d’un climat de panique généralisée dans la population hutu en
vue de la préparer à l’autodéfense contre l’ennemi commun tutsi ;

-

les tueries massives en plein jour dans des endroits publics : églises,
centres de santé, écoles primaires, secondaires, université, IRST,
Laboratoire, arboretum, la rue ;

-

l’usage des bus de l’ONATRACOM pour transporter les Tutsi vers des
endroits où ils vont être exécutés ;

-

le ramassage des corps par les prisonniers et l’usage des camions du
MINITRAPEE pour leur évacuation vers les fosses communes ;

-

la libération des prisonniers ayant participé au ramassage des corps afin
qu’ils aillent continuer le « travail » avec les autres ;

-

la désinfection des lieux par les services de santé publique ;

-

les pillages organisés et la vente aux enchères des biens des Tutsi tués en
vue de l’ »effort de guerre » ;

-

la promesse des récompenses aux plus grands « travailleurs ».

82

III.2.1. Nominati on dét e rminant e des pl us haute s
autorité s du p a ys origin aires de Butare
Quand la nouvelle de la mort du Président HABYARIMANA Juvénal a
commencé à se répandre dans le pays, tous les Tutsi ont été pris de panique, et à
juste titre. Ils avaient raison d’avoir peur parce qu’ils avaient l’habitude de payer
quand des militaires des FAR tombaient sur le champ de bataille. A plus forte raison,
ils devaient craindre davantage pour leur vie quand le Général Président a été tué
par un missile sol – air tiré sur son avion le ramenant de Dar-es-salaam en Tanzanie
le soir du 06 avril 1994.
Quand les massacres ont commencé à Kigali et ailleurs dans le pays,
beaucoup de Tutsi ont pris la fuite vers le sud, direction Butare. Ils pensaient
échapper à la mort qui commençait à sévir partout.
Se trouvant à 120km de Kigali, les Tutsi de Butare croyaient qu’ils
n’avaient rien à craindre, d’autant plus que les autorités politico-militaires
paraissaient opposées aux massacres. Certains témoins rescapés s’accordent à dire
que c’était une stratégie de diversion pour avoir le plus grand nombre possible de
victimes.
Le virement brusque de la situation d’une relative accalmie à une
situation de totale insécurité à Butare n’a pas été le fruit du hasard. Selon des
témoignages concordants, il a été le résultat de la nomination à la magistrature
suprême du pays des autorités originaires de Butare dont le Président et son Premier
Ministre.
C’est après la réunion présidée par SINDIKUBWABO Théodore que
tout a basculé. Des comités de crise ont été constitués et à leur tête se trouvaient
chaque fois des universitaires : médecins et professeurs pour la plupart. Le rôle de
ces comités était d’établir des listes des Tutsi à tuer, de désigner les maisons des
Tutsi aux tueurs et de superviser toutes les opérations génocidaires. Ils devaient
ensuite déterminer les sites d’enterrement. En collaboration avec les autorités
politico-militaires acquises à l’idéologie génocidaire, ces comités de crise constitués

83
selon le zèle et l’extrémisme reconnus à chacun étaient chargés de choisir les
hommes et les femmes à entraîner au maniement des armes à feu. Après un bref
entraînement, ces nouveaux tueurs recevaient des armes à feu et leurs munitions,
avec l’instruction de venir s’approvisionner à la commune après leur épuisement.
Dans un laps de temps, le pouvoir dans la ville de Butare semblait être
aux mains des voyous, selon les dires des témoins oculaires ayant suivi de près
l’évolution de la situation du début à la fin. Le pouvoir local était surdéterminé par les
interahamwe fraîchement débarqués de Kigali. Pour qu’une grande partie de la
population puisse être entraînée dans les tueries, la stratégie d’instauration d’un
climat de peur et de terreur a été adoptée. Il fallait pour y arriver faire recours aux
intellectuels capables de forger des mots appropriés.
Il fallait aussi songer à certaines stratégies afin de mener à bien
l’entreprise génocidaire, à savoir la planification, l’organisation, la coordination, la
supervision et le contrôle de la mise en œuvre collective du génocide et créer des
artifices en vue de répandre des rumeurs et alerter l’opinion publique sur notamment
l’imminence d’une attaque du FPR-INKOTANYI en provenance du Burundi. Ces
virtuoses du mensonge avec à leur tête les préfets Sylvain NSABIMANA d’abord et
le colonel NTEZIRYAYO Alphonse ensuite ont toujours recouru à ce mensonge pour
réveiller les consciences meurtrières des gens de Butare jusqu’alors réticents à
entrer dans les rangs des génocidaires.
L’écho de cet artifice a eu grand effet après une visite effectuée au
Burundi par une délégation rwandaise dont le préfet NSABIMANA Sylvain faisait
partie : « Abatajya i Bwami babeshywa menshi ». Ce proverbe rwandais signifie
littéralement que ceux qui n’ont pas accès à la cour royale sont facilement dupés. Le
dicton français « à bon mentir qui vient de loin » dit presque la même chose. Ces
hautes autorités préfectorales disaient que les réfugiés rwandais tutsi préparaient
une attaque sur la préfecture de Butare pour massacrer tous les Hutu et réinstaurer
la monarchie tutsi en vue de rendre corvéables les Hutu rescapés.
Pour parer à cette attaque, il fallait donc s’y préparer en massacrant les
Tutsi se trouvant sur place constituant, selon ces autorités, une force prête à
collaborer avec les assaillants tutsi venant du Burundi.

84
Un autre artifice qui a réussi consistait à grouper les Tutsi dans des
lieux

publics pour les « protéger » contre la fureur hutu due à la mort de leur

président. Les autorités préfectorales et communales envoyaient les familles entières
tutsi dans des écoles, des églises, des hôpitaux, centres de santé, dispensaires et
aux bureaux communaux et même à la préfecture pour les « protéger ». Des bus de
l’ONATRACOM étaient chargés de transporter ces « malheureux ». Ensuite les
militaires faisaient répandre des rumeurs selon lesquelles des Inyenzi se seraient
infiltrés parmi les réfugiés tutsi.
Pareille rumeur était chaque fois suivie des massacres collectifs à la
fusillade ou à l’essence procurée par l’autorité préfectorale ou militaire.
Après les massacres, les prisonniers de Karubanda étaient chargés de
ramasser les corps et de les charger dans des camions du MINITRAPEE qui allaient
ensuite les déverser dans des fosses communes creusées par des Buldozers du
MINITRAPEE.
Des prisonniers qui avaient participé à cette tâche étaient toujours
libérés en guise de récompense et étaient envoyés renforcer les rangs des
« travailleurs ».
Le Directeur de Prison choisissait surtout les militaires arrêtés pour
désertion et les chargeait de cette besogne afin de les libérer ensuite pour aller aider
les autres à tuer l’ »ennemi ».
Pour désinfecter les lieux des massacres, le Médecin Directeur de la
Région Sanitaire mettait à la disposition des services préfectoraux du personnel et
du matériel à cet effet. Cela a été remarqué surtout lors de la visite à Butare en plein
génocide du Cardinal

Etchegaray, l’envoyé du Pape chargé de la commission

pontificale Justice et Paix. Ce dernier a même été escorté en ville par des
interahamwe parés de feuillages de bananiers.
Pour la bonne conduite de toutes ces opérations, il fallait l’implication
de toute l’élite : intellectuelle, politique, militaire et même marchande. Et d’ailleurs le
mot élite lui-même le dit bien. Il s’agit d’une catégorie de personnes ayant réussi

85
dans un domaine donné. Pour que le génocide puisse réussir, il fallait que ceux qui
avaient réussi dans des domaines différents mettent en commun leurs savoirs.

III.2.2. Implicat ion de l’ élite da ns le gén ocide a vec
miroite ment d’ a va ntage s
Le témoin B85 donne l’exemple du médecin directeur de l’Hôpital
universitaire de Butare : « Les militaires de l’ESO venaient, partaient et revenaient
dans l’hôpital pour trier les Tutsi. Par exemple KAREKEZI Jean-Claude qui était
assistant médical a été trahi par le directeur en le désignant comme Tutsi et celui-ci a
été

étranglé

par

les

militaires

devant

les

malades

ahuris

par

tant

de

cruauté…NSHIMYUMUKIZA Jotham, nom du directeur, a occupé ce poste jusq’au
moment où nous avons fui ».
Pour encourager les « travailleurs », les autorités préfectorales,
communales et militaires organisaient les pillages des biens des Tutsi en vue de
constituer un stock suffisant devant servir de récompense aux plus zélés. Des ventes
aux enchères étaient organisées allant des biens mobiliers jusqu’aux biens
immobiliers, à des prix dérisoires. A titre d’exemple, un champ d’un hectare pouvait
facilement coûter 20 000Frw alors qu’en temps ordinaire il aurait coûté 100 000FRW.
Pour convaincre la population de Butare à adhérer à l’idéologie
génocidaire, il fallait commencer par le haut. Nommé en catastrophe Président du
pays après la mort de HABYARIMANA Juvénal, M. SINDIKUBWABO Théodore était
jusqu’alors Président du CND. Il avait également été parmi les pionniers de la
« révolution hutu » de 1959. Il avait donc réussi. Il lui était ainsi facile de galvaniser
ceux qui avaient réussi comme lui à commencer par les autorités politicoadministratives et militaires. Les universitaires ainsi que les professeurs étaient
également faciles à embrigader compte tenu des promotions alléchantes que les
cerveaux du génocide faisaient miroiter devant eux.
Avait aussi réussi M. KAMBANDA Jean, ancien agent des Coopératives
à l’Union des Banques Populaires subitement propulsé au rang de Premier Ministre.
Tout était donc possible pour quiconque manifestait un certain engouement pour
l’extrémisme.

86
Avait également réussi M. NSABIMANA Sylvain, naguère responsable
agricole de la commune MBAZI, promu à son grand étonnement Préfet de la
Préfecture de Butare. Celui-ci était secondé par un sous-préfet qui peu avant le
déclenchement du génocide était professeur de physique à l’UNR. Il répondait au
nom de KUBWIMANA Faustin, d’après le témoin R4 et son zèle dans le génocide fut
d’autant plus remarquable à TABA qu’il connaissait toutes les habitations des Tutsi et
était considéré comme la tête chercheuse des escadrons de la mort opérant dans la
ville de Butare.
Il avait aussi réussi, le colonel NTEZIRYAYO Alphonse, cet ancien
enseignant du secondaire, l’un des rares officiers du Sud promu officier supérieur
pour la haine qu’il nourrissait à l’égard des Tutsi « Umwera uturutse ibukuru bucya
wakwiriye hose ». N’était-il pas le gendre de GITERA Joseph l’un des principaux
acteurs de la « révolution » hutu de 1959 ? Ce proverbe rwandais signifie
littéralement que la sécheresse de la peau venant des plus hautes sphères sociales
se répand partout et rapidement. A vrai dire, la crédibilité dont bénéficie l’élite dans la
société fait que les ordres donnés par l’autorité sont généralement respectés à la
lettre. Surtout quand ils sont donnés par les ressortissants d’une région en cause.
Cela est dû par ailleurs à la culture régionaliste inculquée dans les mentalités
rwandaises par les deux républiques. Celle dirigée par KAYIBANDA Grégoire le
sudiste d’abord, ensuite celle dirigée par HABYARIMANA Juvénal le nordiste. C’est
par solidarité ethnique doublée de la solidarité régionale que la réponse à l’appel au
meurtre a été quasi unanime.
Le successeur de ces deux premiers est venu en quelque sorte
parachever l’œuvre commencée par ces prédécesseurs. Lors de la fameuse réunion
qu’il a présidée à Butare le 19 avril 1994, le Président intérimaire SINDIKUBWABO
Théodore a fait montre d’une volonté de cruauté extrême dans ses propos
dépourvus de toute équivoque. Avant d’adresser la parole à son auditoire, il a
commencé par inviter le Préfet tutsi HABYARIMANA Jean Baptiste à quitter la salle
de réunion en lui faisant signifier par la circonstance qu’il était officiellement destitué.
Le témoin B81 qui a assisté à cette réunion raconte ce qui suit : « avant
de commencer la réunion, aux environs de 9 h du matin, le président
SINDIKUBWABO a intimé au Préfet l’ordre de quitter la salle de réunion. Le Préfet

87
est alors sorti, visiblement accablé.

Les causes de sa destitution étaient qu’il

appartenait à l’ethnie tutsi et qu’il n’avait pas autorisé les massacres des Tutsi dans
sa préfecture et qu’il représentait donc un obstacle dans l’exécution du plan
génocidaire pré-établi. Il a été immédiatement remplacé par NSABIMANA Sylvain
qui a dirigé les opérations avec ses collaborateurs ».
Venu pour donner l’ordre de commencer les tueries dans sa région
natale, surtout dans la ville de Butare qui était jusque-là épargnée des massacres, le
Président a usé de mots capables d’alerter et d’intimider la population. «
Abanyabutare bigize ba nyirantibindeba. Abadashaka gukora nimubise ababishaka
bikorere. Umwanzi muramuzi. Ibyitso bibihishemo murabizi. Nimutagira vuba
birabatanga. Nimutabikora kandi abakiga baraza babicane na byo. Nimwitabare rero
amazi atararenga inkombe. » Littéralement tout cela voulait dire : « Les gens de
Butare se sont faits les

« ça ne me concerne pas ». Ceux qui ne veulent pas

travailler qu’ils cèdent la place à ceux qui veulent travailler. L’ennemi vous le
connaissez. Vous connaissez les complices qui se cachent parmi vous. Si vous ne le
faites pas rapidement, ils vont vous devancer ou les Hutu du nord vont vous tuer
avec les complices. Défendez-vous alors avant qu’il ne soit trop tard ».
Ce discours on ne peut plus enflammé a comme aiguillonné l’auditoire
et les bourgmestres qui avaient jusque-là manifesté leur opposition aux massacres
ont finalement cédé à la pression gouvernementale.
Le bourgmestre de la commune urbaine de Ngoma, Mr KANYABASHI
s’est exécuté comme celui dont « on enlève la couverture alors qu’il se réveillait »
(borosoye uwabyukaga). D’après le témoin A10, il s’est adressé aux G.P. qui
ratissaient la ville à la recherche des Tutsi à tuer en ces termes : « faites très
attention, tous les gens de Butare ne sont pas des Tutsi même si beaucoup d’entre
eux ressemblent aux Tutsi ». L’ordre était très clair. D’après le témoin B10 , le
bourgmestre était au courant du plan génocidaire :
« le 22 avril, le Major RUSIGARIYE, alors commandant de la
gendarmerie, m’a rencontré à Nkubi, chez le conseiller
KANYWABAHIZI Augustin et m’a demandé d’aller lui montrer le
quartier KABAKOBWA. Il y avait là beaucoup de Tutsi qui s’y
étaient réfugiés. Arrivés là, nous les avons trouvés en train de
se défendre à l’aide des pierres. Le major nous alors ordonné

88
de tirer dans la masse des réfugiés. Nous nous sommes
exécutés et le major est allé chercher des renforts. Il est
revenu avec un camion plein de militaires et de gendarmes qui
ont commencé à tirer sur la foule à l’aide de mitrailleuses et de
grenades. Après, les miliciens ont enjambé les cadavres pour
achever les agonisants à l’aide de machettes. Je suis alors allé
à RANGO, aux environs de 15 h ; et j’ai téléphoné au
bourgmestre Kanyabashi pour lui annoncer ce qui venait de se
passer à KABAKOBWA. Il m’a répondu : « c’est ainsi que
c’était planifié » et il s’est inquiété de savoir si aucun Hutu
n’avait été victime de ce massacre. Quand je lui ai dit que mes
munitions étaient épuisées, il m’a conseillé d’aller voir le
brigadier le lendemain pour faire le plein ».
Bien distinguer les Tutsi des Hutu et tuer les premiers. Dans la lettre du
14 mars 1994 au préfet, citée par DESFORGES, A. (1995 : 91) n’avait-il pas précisé
le nombre de Tutsi vivant dans sa commune ?
D’après le témoin B8 qui participait à certaines réunions de sécurité, les
conseillers communaux et les responsables des cellules travaillaient de concert avec
les chefs des comités de crise élus par la population. Ces chefs des comités de crise
se recrutaient pour la plupart parmi les chefs de services surtout à l’université, dans
les services publics comme à la SORWAL, à la Préfecture, dans les hôpitaux et dans
les écoles secondaires de Butare.
L’armée et la gendarmerie assuraient la protection des hommes et des
femmes au « travail » et approvisionnaient ces « troupes en armes et munitions ».
L’intimidation doublée du miroitement des récompenses et d’autres
avantages ont incité les hommes et les femmes vivant dans la précarité à s’investir
massivement dans l’entreprise génocidaire avec l’espoir de quitter l’îlot de pauvreté
dans lequel ils vivotaient depuis longtemps. Les militaires, les intellectuels ainsi que
les autres agents de l’Etat ambitieux étaient poussés par l’appétit de promotions aux
grades supérieurs ou aux postes plus prestigieux et partant plus rémunérateurs.
Ceux qui manifestaient une certaine réticence au « travail » étaient
purement et simplement dégommés, des fois éliminés physiquement. Ils étaient par
la suite remplacés par de grands bourreaux qui devaient opérer dans des endroits
déterminés par l’autorité.

89
Pour que les opérations génocidaires puissent se passer rapidement et
sans grand coût, les autorités « conseillaient » aux Tutsi de « se réfugier » dans les
églises, les écoles, les dispensaires et centres de santé, les hôpitaux et au bureau
préfectoral. Les fugitifs croyaient y trouver la sécurité. C’est ainsi qu’un grand
nombre de Tutsi ont péri dans l’Eglise de Pentecôte, l’Ecole Primaire et le
Dispensaire de Matyazo.
Des lieux de rassemblement public ont été aussi utilisés pour accueillir
un grand nombre de Tutsi à tuer. Le terrain de Kabakobwa est cité à titre d’exemple
parce qu’il a été le plus grand « abattoir humain » de la ville de Butare pendant le
génocide. Selon les dires de deux témoins ayant personnellement participé à ce
massacre, plus de 3000 personnes étaient regroupés dans ce lieu et aucune n’y a
survécu. Les militaires, les gendarmes, les policiers et les miliciens sous le
commandement du Major RUSIGARIYE Alfred originaire de la Commune
GATONDE-RUHENGERI, ont utilisé les mitrailleuses, les armes individuelles et les
grenades pour tuer les hommes, les femmes et les enfants sans aucune défense,
avec seulement la faute d’être nés tutsi. Les miliciens armés de machettes et de
gourdins étaient chargés d’achever les victimes agonisantes.
L’Université Nationale du Rwanda a également été un grand théâtre
des

opérations

génocidaires.

Le

Vice-Recteur

NSHIMYUMUREMYI

Jean

Berchmans était à la tête de ces opérations et agissait de concert avec l’autorité
préfectorale, l’armée et la gendarmerie. La fouille systématique dans les chambres et
les halls du campus ainsi que dans l’arboretum de Ruhande a été effectuée sous
l’œil vigilant de cet universitaire. Tous les étudiants hutu présents ont été invités à
collaborer avec une compagnie de combat déployée au campus pour y traquer les
étudiants tutsi qui s’étaient glissés qui sous les lits, qui dans les armoires, qui dans la
forêt. Ceux qui étaient découverts étaient abattus sur le champ et les corps étaient
évacués derrière le laboratoire universitaire dans la forêt de l’IRST ou derrière
l’hôpital Kabutare où ils étaient jetés dans les fosses communes creusées à cet effet
par les CATERPILLARS du MINITRAPEE.
Le témoin A12 parle de la destruction des maisons des Tutsi : « l’ordre
est venu de la commune nous enjoignant de détruire les maisons des Tutsi tués pour
éviter que des enquêteurs internationaux ne puissent s’interroger sur l’existence de

90
maisons inhabitées. Un autre ordre nous enjoignant de déterrer les cadavres pour
aller ensuite les enterrer dans des fosses communes. C’est le Dr. RWAMUCYO
Eugène, alors directeur de la Région sanitaire de Butare, qui assurait cette
responsablité en collaboration avec le Dr. NSABUMUKUNZI Straton alors ministre de
l’Agriculture ».
La carte d’identité avec mention ethnique a joué un grand rôle dans la
traque des Tutsi. L’ordre d’identification des Tutsi à l’UNR par cette voie fut donné
par le Vice-Recteur NSHIMYUMUREMYI qui ne faisait que transmettre l’ordre du
Président SINDIKUBWABO à la réunion duquel il venait d’assister.
Le premier meurtre public à l’université fut perpétré par les G.P. gardant
le domicile du Président sur la personne d’un étudiant de Bacc I SCAP identifié
seulement sous le pseudonyme de « Zozo ». Celui-ci fut tué à Mukoni et marqua le
début des tueries qui allaient endeuiller l’UNR et toute la ville de Butare.
Pour inciter un grand nombre d’étudiants hutu à participer aux tueries,
le Premier Vice-Recteur NSHIMYUMUREMYI Jean Berchmans a été désigné
comme membre du Conseil restreint de sécurité de Butare composé du Préfet
(d’abord NSABIMANA Sylvain puis NTEZIRYAYO Alphonse), du Colonel MUVUNYI
Tharcisse, de KALIMANZIRA Callixte, de KANYABASHI, du Directeur de la Prison de
Karubanda, Mr. MUNYERAGWE et du responsable du S.C.R. de Butare,
HARINDINTWARI.
C’est ce groupe qui détenait le secret des opérations génocidaires et en
était la tête pensante. Ce groupe savait tirer profit des situations qui se présentaient
pour accélérer l’allure des opérations. Un autre facteur non moins important a été
exploité avec succès par l’élite pour inciter la population de Butare à s’impliquer dans
les actes de génocide. Il s’agit de l’hôpital militaire mobile qui s’était déplacé de
Kanombe vers le Sud du pays au fur et à mesure que les FAR battaient en retraite.
En outre, des militaires blessés au combat se faisaient soigner à l’hôpital
universitaire et à l’hôpital de KABUTARE. Ceux qui mouraient étaient enterrés au
cimetière de l’UNR et cela rongeait les cœurs de tout le voisinage. Ils étaient enterrés
par les prisonniers qui se trouvaient par la suite libérés en guise de récompense.

91
Un prisonnier relâché dans ces circonstances (A15 ) raconte les
faits : « J’étais en prison depuis le mois de mai 1993 pour
désertion. Le 20 avril 1994, on nous a emmenés à
KADAHOKWA pour enterrer les Tutsi qu’on avait noyés dans
les étangs d’Electrogaz. Après les avoirs enterrés sur le versant
de la colline MUSANGE, on nous a dit d’aller enterrer les
militaires décédés dans l’Hôpital Universitaire. Après on nous a
libérés en nous disant d’aller aider les autres. Arrivé chez-moi,
j’ai trouvé que les gens subissaient un entraînement militaire
intensif et comme j’étais militaire, on m’a donné la mission
d’enseigner aux hommes valides désignés par le comité de
crise le maniement des armes. Ces entraînements se passaient
au stade HUYE et au Foyer de NGOMA. Nous utilisions surtout
la Kalachnikov. Nous leur apprenions le démontage et le
remontage des pièces détachées. Après nous allions dans la
forêt de l’ESO pour un exercice de tir après lequel nous les
envoyions garder les barrières et effectuer les rondes de nuit
ainsi que des patrouilles de jour. Mais avant de les laisser
partir, nous leur disions de ne laisser aucun Tutsi échapper vu
le nombre des militaires des FAR blessés ou morts qui ne
cessait d’augmenter ».
Ce facteur tactique prompt à influencer la psychologie vengeresse s’est
ajouté à d’autres formes de manipulation de l’esprit telles que le mensonge et la
rumeur. Il suffisait par exemple que les autorités trimbalent dans la rue une tenue
militaire du FPR-Inkotanyi ou tout autre matériel de combat en affirmant qu’on venait
de les découvrir au domicile d’un Tutsi pour que les esprits s’échauffent à nouveau.
Les états mentaux et les actes psychiques collectifs étaient trop
préparés à ce genre de choses pour qu’ils ne soient pas entraînés à des conduites
collectives perverses. L’imaginaire populaire était peuplé de représentations
collectives qui s’étaient cristallisées au fil des temps pour se manifester par des
conduites collectives meurtrières aux formes multiples de brutalité et de cruauté.
Enterrer des personnes vivantes, arracher les yeux des victimes avant de les
dépecer à la machette, enfoncer des pieux dans les sexes des jeunes filles et des
femmes tutsi après les avoir violées. Tout un arsenal de moyens matériels et
psychologiques pour tuer était à la disposition de tout l’appareil organisé en vue de
commettre le génocide.
On pouvait remarquer qu’en amont du génocide, il y avait un groupe
organisateur avec un discours politique appelant ostensiblement à l’extermination

92
des Tutsi et qu’en aval, il y avait des exécutants dont les réponses à l’appel au
meurtre collectif traduisaient une adhésion quasi totale de la population à l’idéologie
d’extermination.
Les tueurs étaient en fait libres de choisir la mort qu’il fallait donner,
pourvu que la victime soit humiliée jusqu’au plus haut degré avant de rendre l’âme.
Après tout, l’Etat avait donné l’ordre de tuer et l’impunité était par conséquent
assurée ; plus encore il ne cessait de prêcher par l’exemple. N’avait-il pas traîné la
Reine dans la ville à bord d’une camionnette (dans la carrosserie) avant de l’exécuter
dans le bois de l’ESO ? C’est le capitaine NIZEYIMANA Ildephonse qui a organisé
ce meurtre d’après le témoin B8, l’une des estafettes du capitaine NIZEYIMANA.
Une vieille maman ayant survécu au pogrom de la préfecture de Butare
raconte son calvaire :
« Le colonel NTEZIRYAYO était comme un fauve enragé. Il
nous a chargés dans des bus de l’ONATRACOM et on nous a
emmenés à Nyaruhengeri. Nous étions entassés comme des
chèvres qu’on conduit à l’abattoir. Arrivés au bureau communal
de Nyaruhengeri, on a commencé à nous tirer dessus avec des
armes à feu, à lancer des grenades. C’étaient les militaires qui
faisaient cela. Après, les miliciens enjambaient les corps des
victimes en achevant à la machette et à la massue ceux qui
respiraient encore. Il y avait des vieilles femmes et des
vieillards qu’on avait épargnés pour disait-on accompagner la
dépouille mortelle de feu HABYARIMANA Juvénal. J’étais
parmi ceux-là. On nous a ensuite ramenés à Butare où
NYIRAMASUHUKO nous a dit que nous allions être tués le 05
juillet 1994, journée prévue pour les obsèques officiels du
Président HABYARIMANA. C’était un véritable chemin de la
croix. Les tueurs visaient surtout les personnes de sexe
masculin, même les bébés garçons n’étaient pas épargnés. Ils
disaient que RWIGEMA qui avait attaqué le Rwanda le 1er
octobre 1990 était parti 30 ans auparavant sur le dos de sa
mère. Nous avons été sauvés par l’arrivée des troupes du FPR
qui mettaient en déroute les tueurs ».
En un mot il a fallu une bonne organisation pour arriver au but fixé :
exterminer les Tutsi pour ne pas avoir à les affronter politiquement ou militairement.
L’organisation de l’entreprise génocidaire dans la ville de Butare
(comme partout ailleurs dans le pays) respectait à la lettre les structures d’une

93
organisation ayant des buts précis. Le Directeur de cabinet au Ministère de
l’Intérieur, le Préfet de Préfecture et le Commandant de Place constituaient le
cerveau du génocide, chargé de la supervision et de la coordination de toutes les
activités : de la conception des plans des massacres à l’enterrement des corps dans
des fosses communes prévues à cet effet. Ils étaient secondés par les conseillers
communaux, les responsables de cellules et des militaires chargés de transmettre
des ordres émanant d’en haut aux miliciens interahamwe chargés d’exécuter et
d’enterrer dans des fosses communes. Auparavant les comités de crise élus par la
population dans chaque sous-entité administrative ou administrativement nommés
avaient dressé la liste des Tutsi à exterminer,

pourchassaient les survivants et

conseillaient les décideurs, tandis que l’armée, la gendarmerie et la police
ravitaillaient les tueurs en armes et munitions pendant que les grands commerçants
et d’autres entrepreneurs dans la ville assuraient le transport et le ravitaillement et
les récompenses vivrières et autres à ces exécuteurs.
Les tableaux suivants indiquent les niveaux de participation dans le
génocide ainsi que les diverses opinions sur les causes du déclenchement du
génocide dans la ville de Butare.

94

Tableau XI : Niveaux de participation dans le génocide

Les génocidaires de la 1ère catégorie
Total

Taux de participation %

Butare

343

12%

Ngoma

150

5%

Agent de l’Etat

47

1%

Byumba

117

4%

Cyangugu

389

14%

Gikongoro

140

5%

Gisenyi

91

3%

Gitarama

246

8%

Kibungo

223

8%

Kibuye

130

4%

Kigali

552

20%

Nyamata

164

5%

Ruhengeri

84

3%

Rushashi

54

1%

Militaires

235

8%

Tout le pays

2768

100%

Source : Journal Officiel n° spécial du 19/03/2001.

95

Tableau XII : Opinions sur les causes du déclenchement du génocide dans la
ville de Butare

Total Haine ethnique
Favorable

Taux

Mort du Président

Ordre de

Habyarimana

l’autorité d’Etat

Favorable

Taux

Favorabl

Taux

e
Agents de l’Etat

10

10

100%

02

20%

09

90%

Militaires

02

01

100%

01

50%

02

100%

Policiers

02

02

100%

02

100%

02

100%

Enseignants

07

05

71%

04

57%

07

100%

Etudiants

02

01

50%

00

00%

02

100%

Agriculteurs

94

11

11%

34

36%

94

100%

Autres

16

14

87%

06

37%

16

100%

133

44

33%

56

42%

132

99%

communaux

professions
TOTAL

Les deux tableaux nous montrent deux faits

importants. D’abord,

Butare vient en troisième position dans la participation au génocide après Kigali et
Cyangugu. Ensuite, l’ex-commune urbaine de Ngoma est à

exaequo avec

Gikongoro et la région de Nyamata. Les explications se trouvant dans le chapitre
suivant vont clarifier ces données statistiques. Mais d’emblée, il en ressort qu’un
seul agent de l’Etat sur dix interviewés a nié carrément le rôle de l’Etat dans la
tragédie y compris l’existence même du génocide.

96

III.3. INTERPRETATION SOCIOLOGIQUE DE LA MISE
EN OEUVRE COLLECTIVE DU GENOCIDE DES TUTSI
Pour expliquer la mise en œuvre collective du génocide des Tutsi, nous
nous sommes inspirés de la théorie de GURVITCH sur l’explication sociologique d’un
phénomène social. Ainsi nous avons suivi la succession des plans étagés de la
réalité sociale (ou paliers en profondeur) pour expliquer le génocide.

III.3.1. LES INF LUENC E S EXTR A- SOC IE T AL ES D ES
REFLEX ES G EN OCID AIR ES
Même s’il est unique en son genre par son extrême rapidité et sa
particulière cruauté manifestée dans de multiples formes de mort atroce donnée aux
victimes, le génocide des Tutsi au Rwanda s’inscrit dans un large éventail de
génocides consommés tout au long du siècle dernier.
Planifiés et exécutés à la faveur des guerres totales internationales (le
génocide des Arméniens par l’Etat turc pendant la Première Guerre Mondiale et le
génocide des Juifs par l’Etat allemand nazi pendant la Deuxième Guerre Mondiale)
et des guerres nationales (le génocide des Ibo par l’Etat nigérian pendant la guerre
de sécession biafraise et le génocide des Cambodgiens pendant la guerre du
Cambodge), tous ces génocides visaient chaque fois l’extermination des peuples
entiers considérés à tort ou à raison comme boucs-émissaires et complices dans les
crises socio-politiques et économiques que les Etats en question traversaient.
Un autre génocide est en train de se diluer dans le temps : il s’agit du
génocide des Amérindiens par les conquistadores espagnols tout au long du 16e
siècle.

L’histoire contemporaine est riche en guerres, massacres, génocides,
déportations, persécutions. Certains hommes d’Etat, responsables politiques et
militaires s’y réfèrent souvent pour perpétuer leur mainmise sur la vie politique,
sociale, économique et culturelle de leurs pays respectifs.

97
Pour le cas du Rwanda, le défunt Président HABYARIMANA Juvénal
avait fait du Mein Kampf (Mon combat) son livre de chevet. Il s’agit du livre écrit par
Adolf Hitler et retraçant tout son programme politique où figurait en première ligne
l’extermination des Juifs d’Europe dans les années 1940.
La Société des Nations ayant obligé l’Allemagne de payer en milliards
de marks les dommages causés par la guerre, le Parti National Socialiste d’Adolf
Hitler a considéré les Juifs comme étant les plus grands responsables de la crise
socio-politique et économique que traversait l’Europe depuis 1929, et surtout
l’Allemagne nazie. Hitler les traitait de « vermine », tout comme le peuple slave dont
l’on devait se débarrasser au plus vite pour l’expansion et le plus grand bonheur de
la race aryenne.
De même, les prémices de la conscience génocidaire rwandaise se
situent dans le Manifeste des Bahutu élaboré grâce à l’appui direct de l’Eglise
Catholique et de la puissance tutélaire belge en 1957, soit deux années avant les
massacres, les déportations et l’exil des Tutsi. Ces déportations ou mieux ces
évacuations forcées à l’extérieur du Rwanda comme à l’intérieur ont littéralement
singé le scénario adopté par l’Etat turc à l’égard des Arméniens pendant la Première
Guerre Mondiale quand ils les ont dépouillés de leurs biens avant de les expédier
dans le désert du Nord de Turquie pour y périr de faim ou être dévorés par des
fauves.
Le sort des Tutsi exilés dans les pays limitrophes du Rwanda était des
plus déplorables si l’on ne s’en tient qu’aux exactions et brimades dont ils ont été
victimes dans leurs pays d’accueil. L’inhospitalité des savanes boisées sèches où ils
ont été entassés était une menace permanente pour leur sécurité et le dénuement
total dans lequel ils se trouvaient ainsi que l’humiliation dont ils étaient l’objet
pendant toute la durée de l’exil n’avaient d’égal que la joie et le bonheur qui
habitaient les cœurs des barons des régimes « républicains » qui les avaient
chassés de leur patrie.
Le sort réservé aux Tutsi restés au Rwanda n’était pas enviable du tout.
Pris en perpétuels otages par l’Etat rwandais sous la hantise du retour armé des
réfugiés tutsi dont le retour pacifique était devenu comme une chimère, car contesté

98
par les autorités de Kigali. Les Tutsi restés au Rwanda et leur descendance savaient
qu’ils devaient payer par le sang la moindre offensive lancée de l’extérieur du
Rwanda par les réfugiés voulant rentrer au bercail après trente années de

vicissitudes, d’errance et d’humiliations dans des pays dirigés pour la plupart par
des régimes politiques aussi totalitaires que fascistes tels que le Zaïre de MOBUTU,
l’Uganda d’Obote et d’AMIN DADA ainsi que le Burundi où l’instabilité est devenue
structurelle.
Le vent de la démocratie qui a soufflé à partir du discours du Président
Mitterrand au Sommet de la BAULE (1990) est venu aussi secouer le régime
autocratique et totalitaire de Kigali qui n’a pas pu s’adapter au multipartisme naissant
A ces influences externes, il s’est ajouté des attitudes intra-sociétales
favorables au génocide avec lesquelles l’Etat génocidaire pouvait bien compter pour
son programme d’élimination physique de l’ethnie condamnée.

III.3.2. LES ATT ITUDE S INTR A-S OCIET ALES
EXCLUS IVIST ES ET L A M ATRIC E IDEOLO GIQU E DU
GENOCI DE
Le génocide des Tutsi a été la combinaison de plusieurs facteurs tels
que nous les avons identifiés dans les données recueillies pendant les entretiens que
nous avons menés auprès des personnes ressources et dans les documents
consultés. L’explication de ce phénomène prend appui dans le milieu social du
terrain d’étude que nous avons choisi. A ce sujet, ARON, R. (1985 : 369) stipule que
« les causes des phénomènes sociaux doivent être cherchées dans le milieu social.
C’est la structure de la société considérée qui est la cause des phénomènes dont la
sociologie veut rendre compte ».
La vie socio-politique, culturelle et économique étaient contingentée. La
catégorisation ethnique et régionale de la société était la règle, la référence
nationale, l’exception. Le système éducatif était officiellement ethnisé et régionalisé à
l’avantage des Hutu du Nord, du centre, du Sud et de l’Est, en ordre décroissant. Les
Hutu du Nord se sentaient plus hutu que ceux du Sud. Les phrases comme « iki

99
gihugu ni icacu mwa ! »[frère, ce pays est à nous seuls (nordistes) !], Uzi ico ndi
co ? » [savez-vous qui je suis ? (en parler nordique)] traduisent bien les
comportements

accusant

des

complexes

de

supériorité

qu’affichaient

les

« Nordistes » vis-à-vis des « Sudistes ». Il arrivait même que certains Hutu du Centre
ou du Sud adoptent le langage du Nord pour avoir accès à certains avantages
comme on changeait d’ethnie en vue d’obtenir les droits réservés aux seuls Hutu.
Même si les Nordistes accaparaient tous les avantages offerts par
l’Etat, les Hutu du Centre et du Sud ne manquaient pas de les dénigrer en disant
d’eux qu’ils étaient « Abacyiiga » (ceux qui étudient encore) au lieu de « Abakiga »
(ceux du Nord).
La nationalité rwandaise était pratiquement limitée à l’ethnie hutu. Les
Tutsi étaient considérés comme des étrangers par des officiels qui puisaient ces
manières de penser aux sources de la tutelle politique et religieuse coloniale. Les
préjugés et les stéréotypes assimilant les Tutsi aux Falashas (Juifs d’Ethiopie)
préparaient psychologiquement les Hutu au génocide des premiers, comme les Juifs
ont été « génocidés » par les Allemands.
L’éthique rwandaise enseignée dans les écoles se confondait à la
célébration de l’ethnie hutu et à la marginalisation de l’ethnie tutsi. Cette dernière
était même comparée au diable, au serpent venimeux qu’il fallait écraser avant qu’il
ne morde le grand talon du brave Hutu. Les réseaux sociaux qui pouvaient se tisser
étaient davantage intra-ethniques qu’interethniques.
La jacquerie de 1959 qualifiée de « révolution » par imitation de la
révolution française de 1789 était considérée comme la référence fondamentale de
la suprématie du Hutu sur le Tutsi. Le MDR-PARMEHUTU devenu plus tard le
MRND en 1975 assurait l’encadrement politique et idéologique des Hutu. Le mot
« mouvement » qui ne quittait pas les sigles de ces rassemblements des Hutu
signifiait en fait la violence comme arme de monopolisation du pouvoir. La machette
était l’outil d’exécution approprié vu qu’elle avait prouvé son efficacité dans les
années 1959, 1963, 1965,1966 et 1973.

100
Le drapeau du MDR-PARMEHUTU qui a même été maintenu pendant
la période du multipartisme décrété en 1991 était coloré de rouge et de noir pour
signifier successivement la violence et la négritude dont les Hutu étaient supposés
être les seuls dépositaires au Rwanda.
Pour perpétuer cette idéologie pendant la deuxième République,
HABYARIMANA avait même baptisé l’Aéroport International de KANOMBE,
l’Aéroport International Grégoire KAYIBANDA pour apaiser la colère et la rancune
des Hutu du Centre provoquées par l’assassinat politique du « Père de la Révolution
hutu de 1959 ». Il savait qu’il en aurait besoin le jour où il aura à faire face aux
agressions « Inyenzi ».
Pour récupérer la masse des Hutu qui s’étaient ralliés à l’opposition du
fait de la mauvaise gouvernance à l’actif du régime HABYARIMANA,

l’idéologie

« hutu-power » a été adoptée en vue de faire péricliter le processus de paix d’Arusha
qui envisageait le partage du pouvoir entre toutes les composantes de la société
rwandaise.
Le journal KANGURA et la RTLM étaient chargés de diffuser cette
idéologie tandis qu’un parti sattelite, la CDR, avait été créé pour canaliser les
« énergies républicaines ». La « République » était attribuée aux Hutu tandis que la
« Monarchie » était attribuée aux Tutsi. Les noms comme Demokarasi, Sebahutu,
Gahutu, Muhutu étaient et restent fréquents alors qu’il était quasi impossible de
trouver quelqu’un répondant au nom de Sebatutsi, Mututsi ou Gatutsi.
Pourtant HABYARIMANA Juvénal était comme un monarque absolu vu
que tout l’appareil juridico-politique et idéologique était entre ses mains. Il était à la
fois Président de la République, Président-Fondateur du MRND-Parti-Etat, Chef du
Gouvernement, Ministre de la Défense, Chef d’Etat-Major de l’Armée et de la
Gendarmerie. GUICHAOUA, A. (1995 :215) critique, cette contradiction en ces
termes :
« Le placement des autorités territoriales (préfets, sous-préfets,
bourgmestres), des fonctionnaires, des cadres militaires, des
diplomates, des cadres des entreprises parastatales et mixtes,
se faisait
dans le strict respect des traditions
féodomonarchiques.
Les
personnes
ainsi
désignées

101
devenaient, et c’était l’objectif, des représentants du régime...
Ainsi le système transmettait plus d’ordres en bas, et de
renseignements en haut sur les sources potentielles de
dissension, que de réelles aspirations du peuple ».
Aux élections présidentielles, il était toujours le candidat unique en tant
que Président – Fondateur du MRND qui rassemblait tous les Rwandais en son
sein, tous les Rwandais nés et à naître, d’après la constitution de 1978. En plus,
l’article 7 de cette constitution stipulait que le MRND était le cadre unique de toute
activité politique.
Des séances d’animations comparables aux « sakayonsa » du Zaïre de
MOBUTU étaient organisées pour chanter et louer le « Père de la Nation ». Ces
séances étaient obligatoires une fois par semaine aussi bien dans le secteur public
que privé et chaque participant devait porter sur sa poitrine le médaillon à l’effigie du
Président – Fondateur.
Ces séances d’animation avaient au-délà de la déification de la
personnalité du chef de l’Etat, le but sous-jacent de sonder le degré de légitimité du
régime en place. Quand quelqu’un ne venait pas participer à ces séances ou ne
chantait pas avec enthousiasme, il était soupçonné et accusé de subversion. L’œil
du Mouvement ou « Ijisho rya Muvoma » était très vigilant dans ce sens.
Tout rwandais était militant du MRND et partant, « Ijisho rya Muvoma ».
Même les borgnes et les aveugles militants du MRND étaient « Amaso ya
Muvoma ».
Ce militantisme avait atteint toutes les institutions sociales, y compris
les Eglises et en particulier l’Eglise Catholique. L’Archévêque catholique,
Mgr NSENGIYUMVA Vincent était Membre du Comité central du MRND et à ce titre
Président de la Commission des Affaires Sociales du Mouvement. Toutes les
nominations aux grands postes ecclésiastiques devaient avoir l’aval du Président –
Fondateur. A ce sujet, le cas de l’Abbé MUVALA est significatif. GATWA, T.
(2001 :127) cite Erpicum (et al.) qui décrit la situation comme suit :
« L’incapacité de l’Eglise de dépasser en son propre sein les
problèmes ethniques la rend incapable d’apporter en cette

102
matière une réponse à la société. L’affaire de la nomination
rapportée de l’abbé MUVALA et sa coloration ethnique, et une
série d’autres faits moins connus montrent que cette Eglise
reste bien humaine, trop humaine... »
Selon les termes de GATWA, T. (2001-128), « il existait une
compétition serrée entre les membres ordinaires des Eglises et le clergé pour être
coopté dans les organes du MRND. Clergé et laïcat étaient tous devenus beaucoup
plus soumis au MRND qu’à l’évangile ». Les chansons de l’abbé MUDASHIMWA
Gaspard vantant la « bravoure » des « INZIRABWOBA » (nom donné aux Ex-FAR)
en sont un exemple parlant. La chanson « ISIBO » signifiait en fait la violence
orientée vers les Tutsi. Dans le refrain de cette chanson, on disait « Isibo »,
twambariye isibo ». Littéralement, nous mettons les habits de la violence. Le
Président HABYARIMANA a presque paraphrasé cette chanson en disant lors d’un
meeting du MRND à Ruhengeri en 1992 : « Interahamwe zizambara zimanuke ».
Littéralement, les Interahamwe mettront leurs habits et déferleront. Ce qu’un prêtre a
dit est parole d’évangile.
En fait, l’idéologie hutisante avait gagné toutes les structures sociales
rwandaises au moment du déclenchement du génocide. Il suffisait tout simplement
qu’un prétexte soit trouvé pour que la machine génocidaire soit mise en branle par
l’Etat. Le cas historique de MBONYUMUTWA Dominique frappé par des jeunes
unaristes en 1959 et qui a été le prétexte des massacres des Tutsi a servi d’exemple
aux idéologues de la violence génocidaire.

103

III.3.3. LE CONT EXTE G EO-DEM OGR AP HIQUE D U
GENOCI DE D AN S L A VIL LE DE B UT ARE
Les Tutsi de la ville de Butare ne pensaient pas que la violence qui
ravageait les autres coins du pays pouvait les atteindre pour des raisons suivantes :
d’abord BUTARE se trouvait à plus de 100 km loin des combats qui opposaient les
forces du FPR-INKOTANYI aux FAR.
Ensuite, les Hutu et les Tutsi étaient en bons termes d’autant plus qu’ils
avaient presque tous été maintenus hors des sphères du pouvoir politique pendant
les deux régimes « républicains » et que les mariages interethniques fréquents dans
la région avaient contribué à rendre plus ou moins étroites et harmonieuses les
relations entre ces deux ethnies.
Enfin, les autorités locales tant politiques, administratives que militaires
n’avaient pas l’engouement pour la violence du fait des deux fonctions essentielles
exercées dans la ville, la fonction intellectuelle par l’Université Nationale du Rwanda
et beaucoup d’écoles secondaires, la fonction spirituelle par les séminaires et les
congrégations religieuses, si l’on en croit les témoignages recueillis au près des
personnes ressources.
L’autre raison est que, se trouvant sur l’axe Butare- Akanyaru, les Tutsi
de Butare croyaient que la MINUAR pouvait protéger leur fuite vers l’autre côté de la
frontière.
Une autre raison et non moins importante a été évoquée : le nombre
assez élevé de Tutsi dans la ville de Butare ajouté aux nombreuses familles tutsi
fuyant les massacres des communes environnantes a renforcé le doute des Tutsi
quant à l’éventualité du génocide pour la simple raison qu’ils croyaient pouvoir
opposer une certaine résistance jusqu’à l’arrivée des renforts onusiens.
Sur un total de 26.650 résidents de la ville de BUTARE, 6.947 étaient
identifiés comme Tutsi. La préfecture de BUTARE comptait environ 140.000 Tutsi un
mois avant le début du génocide.

(Lettre n° 153/04.05/1 de Mars 1994 du

Bourgmestre au Préfet, DESFORGES A., 1999 : 501). On pourrait alors s’interroger

104
sur ce dénombrement des Tutsi un mois seulement avant le déclenchement des
opérations génocidaires.

III.3.4. DISPOS ITION S H OSTILE S F AV OR AB L ES A
L’EXCLU SION
Le rôle de l’Etat dans le génocide transparaît en effet dans les tableaux
et la figure synthétique dans lesquels nous avons inséré les variables ayant été à
l’origine du génocide ainsi que la fréquence et le pourcentage des différentes
opinions des personnes interviewées sur ce sujet.
Les fréquences et les pourcentages du tableau IX traduisent de façon
éloquente le degré très élevé d’égocentrisme politique caractéristique des régimes
qui se disaient « républicains ». Les autorités de la « République » trouvaient comme
un sacrilège la nomination d’un Tutsi au poste de Bourgmestre ou de Préfet par
exemple. Depuis que la « République » a existé, le Rwanda n’a connu que deux
officiers supérieurs tutsi dont l’un a d’ailleurs été mis en disponibilité alors qu’il n’était
que jeune major. L’autre qui était quand même parvenu au grade de Lieutenant
Colonel depuis trente quatre ans de travail ne pouvait pas occuper de fonction de
commandement.
Tout ceci reposait sur l’idée centrale de ne pas associer un Tutsi au
processus décisionnel de l’Etat et de ne pas permettre à cette ethnie exclue de la
« Chose publique » par la « révolution sociale hutu de 1959 » d’avoir accès aux
secrets d’Etat. Ces secrets d’ailleurs tournaient autour de la défense des acquis de la
« révolution » selon tous les témoignages recueillis, lesquels acquis étaient menacés
par l’ethnie Tutsi considérée par les « républicains » comme « féodo-monarchistes ».
De telles attitudes s’extériorisaient surtout pendant les exercices
militaires. L’armée rwandaise n’avait jamais pensé à une guerre contre un autre
pays. Toutes les unités s’entraînaient tactiquement à repousser des irréguliers
« Inyenzi » venant soit du Burundi, soit de l’Uganda. Or les « Inyenzi » étaient des
Tutsi. Cela était enseigné dans le Centre d’Instruction Militaire de GAKO, à l’Ecole
des Sous-officiers de BUTARE, à l’Ecole Supérieure Militaire de KIGALI et au Centre
d’Entrainement Commando de BIGOGWE.

105
Un cours sur la Guerre Révolutionnaire était dispensé à l’Ecole
Supérieure Militaire et la pratique consistait à aller fouiller dans les habitations et le
centre commercial de NYAMATA, région habitée par beaucoup de Tutsi et proche de
la frontière avec le Burundi.
Cela insinuait que les Tutsi de NYAMATA avaient hébergé les infiltrés
« Inyenzi » pour faciliter leur avance sur la capitale KIGALI.
Un officier supérieur s’était même surnommé NANGABATUTSI et son
surnom lui procurait beaucoup d’égards et de respect de la part de ses subalternes,
de considération de la part de ses pairs et d’estime de la part de ses supérieurs.
Un élève – officier originaire de BUSHIRU s’est même suicidé en se
tirant une balle dans la tête après avoir tué son confrère originaire de GITARAMA
parce qu’il avait cru qu’il était tutsi. C’était en 1993 quand les négociations de paix
d’Arusha approchaient la date de leur signature.
Des

expressions

comme

« Abanyenduga

ni

ba

Kizingwe »

(Littéralement, sauve la panthère qui est aux prises avec un type du Sud parce que
c’est ce dernier qui est fautif et plus dangereux) que les « Nordistes » aimaient
souvent évoquer quand ils critiquaient les « Sudistes » montrent comment les
relations entre le Nord et le Sud se détérioraient de jour en jour.
De tels agissements étaient la manifestation d’une haine viscérale antitutsi incrustée dans les structures mentales individuelles et collectives. Des sujets
dont les comportements allaient dans le sens de l’élève officier-ci-haut cité étaient les
mieux indiqués pour occuper des postes de commandement dans l’armée, la
gendarmerie et les services de renseignement. Il en était de même pour les postes
politiques et administratifs à tous les niveaux de la hiérarchie politico-administrative.
En excluant les Tutsi des affaires publiques, non seulement l’appareil
étatique entièrement « hutisé » était sûr de fonctionner avec pleine aisance, sans
être gêné par des présences indésirables, mais aussi les notabilités hutu voulaient
irrémédiablement annihiler la rwandicité des Tutsi en leur montrant qu’ils n’avaient
aucun droit à la « chose publique rwandaise ».

106
Habitué à distribuer les rôles à la manière féodo-monarchique et
comme bon lui semblait du fait des attributions lui décernées par la constitution
taillée à la mesure de sa volonté, le « Président – Fondateur » n’était pas prêt à faire
des concessions, surtout quand il s’agissait de partager le pouvoir avec les Tutsi. Il
avait prêté le serment de garder fidélité à la République. Or pour lui comme pour les
autres barons du régime, République signifiait la « chose » de « Rubanda
nyamwinshi » ou le « peuple majoritaire » hutu.
C’est pourquoi les accords de paix d’Arusha n’avaient réellement pas
de chance d’être mis en application. Il avait même dit que les Hutu devaient lutter
jusqu’au dernier pour ne pas laisser s’envoler les acquis de la « révolution ». Tous
les Hutu devaient « garder fidélité » à la « révolution » de 1959, ayant toujours à
cœur et

à l’esprit que la fidélité était la devise de la

République née de la

« révolution sociale » hutu. La qualification de chiffons de papiers donnée aux
Accords de Paix d’Arusha par le Président de la République était inspirée par cette
fidélité à la « République « exclusivement hutu. Il en est de même de la qualification
de chien mort dans un carton donnée par le Ministre MUGENZI Justin de l’aile hutupower du PL.
Les deux appellations données par le Président de la République et un
Ministre signifiaient tout simplement que ces accords de paix étaient bons à
« poubelliser » ou à enterrer. Cela signifiait que tout le temps, tous les efforts et
toutes les dépenses consacrés à ces accords se volatilisaient après de telles
déclarations. L’artictle 74 sur les proportions et la répartition des postes de
commandement lors de l’intégration des militaires du FPR-INKOTANYI et ceux des
FAR, l’article 55 sur la répartition des portefeuilles ministériels au sein du
Gouvernement de Transition à Base Elargie, l’article 62 sur la répartition numérique
des sièges à l’Assemblée Nationale de Transition entre les forces politiques et le
chapitre sur le rapatriement des réfugiés rwandais, tels sont les points sensibles
ayant constitué la pierre d’achoppement des négociations.

107

III.3.5. M ATERI AL IS AT I ON SP AT I ALE D E L’IDE OLOGI E
R AC IST E EN AC TES CO LLECTI F S GENO CID AI RE S
De l’avis de presque toutes les personnes interviewées sur la
responsabilité gouvernementale (98%), l’Etat a joué un rôle déterminant dans la
planification et la mise en œuvre collective du génocide des Tutsi.
Toute entreprise, pour qu’elle atteigne ses objectifs, requiert des
moyens tant matériels qu’humains. Ces moyens sont fournis par l’environnement.
Les moyens matériels du génocide étaient là. Restait à sensibiliser la population de
la ville de Butare dont la densité morale était plus ou moins élevée comparativement
aux autres régions du pays, du fait de son éloignement de la capitale politique et
économique KIGALI d’abord (siège permanent des antagonismes et luttes
politiques), du fait des fonctions intellectuelles et religieuses prépondérantes dans
cette ville ensuite, et enfin du fait des réseaux interethniques denses dus aux
mariages interethniques fréquents rendant possible et plus ou moins forte la
cohésion sociale.
La nomination de SINDIKUBWABO Théodore à la

magistrature

suprême du pays respectait les normes suivantes : il fallait d’abord trouver quelqu’un
qui était imprégné des « valeurs révolutionnaires » des années 1959. Or ce monsieur
répondait bien à cette norme parce qu’il était l’un des « pionniers » de cette
« révolution ». Il fut ministre dans le premier gouvernement constitué par Grégoire
KAYIBANDA.
Ensuite il fallait trouver un ressortissant de BUTARE pouvant
convaincre ces « récalcitrants » qui ne voulaient pas « travailler » pour la survie de la
« République » menacée par la « Monarchie ». Ce monsieur répondait bien à cette
norme. Enfin, la qualité de médecin qui est parmi les fonctions les plus respectées
dans toutes les communautés humaines a aussi joué un rôle non négligeable dans
l’inclination du peuple à tremper dans le génocide.
La nomination de KAMBANDA Jean au poste de Premier Ministre
suivait la même idéologie. Ingénieur agronome lui aussi originaire de Butare, il était

108
disposé à mobiliser « Benesebahinzi » en vue d’exterminer « Benegashumba ». Les
premiers sont les fils de « Gahutu » l’agriculteur, les seconds sont les fils de
« Gatutsi » l’éleveur, selon l’idéologie « hutisante ».
Ces pseudonymes étaient souvent utilisés par le

« troubadour » du

régime « républicain » Simon BIKINDI.
Pour pouvoir impliquer l’élite hutu dans le génocide, ça n’a pas
demandé beaucoup d’efforts de la part des plus hautes autorités du pays. Cette élite
était psychologiquement préparée, étant donné les critères discriminatoires sur
lesquels le régime « républicain » s’était toujours basé pour accorder droits ,
avantages et faveurs. Les Hutu savaient bien qu’ils parvenaient à un certain niveau
de la hiérarchie sociale plus par leur appartenance ethnique que par mérite. Les
Tutsi aussi savaient que pour parvenir à un certain niveau de la hiérarchie sociale, il
fallait changer d’ethnie et devenir Hutu.
Il est évident que le critère qui a hissé quelqu’un à un tel niveau
acquiert une grande valeur et pousse le bénéficiaire à défendre cette valeur, même
au prix du sang et de l’honneur.
En plus, les cadres intellectuels de Butare comptaient dans leurs rangs
un grand nombre de ressortissants des régions de GISENYI et de RUHENGERI et
parmi eux le petit frère du défunt Général Président HABYARIMANA dont la mort
était attribuée aux Tutsi. Doyen de la faculté de Médecine, ce statut s’ajoutait à son
statut familial et lui donnait une influence monumentale dans la ville de Butare.
Sachant pertinemment que les Tutsi avaient toujours été indignés des
injustices dont ils étaient l’objet depuis les années 1959, il n’était pas surprenant que
les Hutu les considèrent comme sympathisants d’un processus qui pourrait un jour
les libérer de cette situation aussi incertaine qu’ambiguë qui les maintenait dans un
statut de paria social permanent.
Ils ont ainsi été traités d’ »Ibyitso » (complices) du FPR-INKOTANYI
quand bien même ils ne savaient rien de ce qui se passait réellement sur le théâtre
de guerre. Comme le complice est puni comme l’auteur principal de la faute, le
châtiment réservé aux Tutsi était celui qui s’abat naturellement sur tout « traître », la

109
mort par humiliations, tortures et autres traitements inhumains « exemplaires ».
Tous les Tutsi, du bébé au vieillard, sans distinction de sexe, étaient pris dans le
même sac. Ils étaient tous taxés de complicité avec l’ennemi.
Les discours tenus par les idéologues du génocide puisaient aux
sources du répertoire colonial de domination politique, économique et même
religieuse. Traités de « communistes athées » par le clergé colonial au crépuscule de
la colonisation, les Tutsi ont continué à l’être pendant les régimes « républicains ».
Le Colonel BAGOSORA, le plus grand instigateur du génocide a même utilisé un
terme évangélique d’ « apocalypse » pour signifier le génocide des Tutsi.
A la RTLM, les commentateurs demandaient à Dieu d’aider « ses
enfants hutu à exterminer les « enfants du diable », c’est-à-dire les Tutsi.
L’appareil idéologique ethnisant avait mis au point un modèle
anthropologique servant à distinguer le Hutu idéal – typique du Tutsi idéal – typique.
Ces deux personnalités idéal – typiques ont facilité la tâche des miliciens
interahamwe préposés au tri des Tutsi sur les barrières disséminées dans la ville de
Butare quand la mention ethnique dans la carte d’identité était douteuse, ou quand
la physionomie prêtait à confusion. Il arrivait même qu’on déshabillât complètement
aussi bien les hommes que les femmes pour compter les côtes, l’idéologie raciste
ayant « établi » que le nombre de côtes des Tutsi était supérieur à celui des Hutu.
Cet acte jouait aussi le rôle d’humiliation avant le massacre des Tutsi qualifiés
d’étrangers nuisibles.
L’idéologie du génocide plonge ses racines dans la colonisation qui en
porte les germes. Les circonstances historiques ont fait leur œuvre diabolique.

110

Figure II : L’ARBRE DU GENOCIDE (Lire de bas en haut)
L’action génocidaire

Les complicités dans le génocide
L’Etat rwandais

1994

L’Etat français
L’ONU

'

1993

L’Etat belge

(
) * +,
/

1992

L’Etat zaïrois

! " "# ! $

1990

L’Etat rwandais (Deuxième
République)
L’Etat français
L’Eglise catholique
L’Eglise anglicane

.,

!"

1991

L’Eglise catholique

-

! " "#

%&
!$

1972-1973

L’Etat rwandais indépendant
(Première République)
L’Etat belge
L’Eglise catholique

L’Administration
coloniale belge
Les Pères Blancs

L’Administration coloniale
européenne (allemande et
belge
Les Pères Blancs
La SDN

1966
1963

1959

1957

)
,

1932

1930

"

!$
$"#
$(
#
# 0!

/
1

Source :Nous-même

111

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
A. CONCLUSION GENERALE
Au terme de notre travail de recherche, nous avons abouti aux résultats
corroborant entièrement nos hypothèses de départ.
En effet, l'idéologie raciste inoculée au fil du temps dans les structures
mentales rwandaises par le colonisateur européen a pris un tel degré d'amplitude
que ses effets destructeurs ont eu l'effet d'une bombe à retardement.
Cette idéologie a servi le pouvoir colonial et a été récupérée par les
deux "Républiques". Considérés comme des étrangers au Rwanda, les Tutsi en ont
été chassés en 1959 et dans les années qui ont suivi. Ceux qui y sont restés ont
vécu continuellement le régime des humiliations et des massacres, avec seulement
quelques années de trêve, de répit.
L'appareil d'Etat né de l'Etat colonial a cru que pour perdurer, il fallait
écarter les Tutsi des sphères du pouvoir. C'est ainsi que ces derniers ont été
discriminés dans toutes les institutions sociales (l'éducation, la vie politique, l'armée,
la gendarmerie ou police, la justice, l'administration, l'institution ecclésiale).
Quand le FPR-INKOTANYI a lancé son offensive historique le 1er
octobre 1990, le gouvernement de Kigali a cru que c'en était fini du pouvoir hutu
instauré par la

"révolution" sociale hutu de 1959. Dans les briefing de combat

donnés aux soldats, les commandants disaient que les FAR avaient la mission de
défendre les acquis de la "révolution" sociale hutu.
Avec cette guerre, les autorités de Kigali ont cru que l'heure était
arrivée de mettre définitivement fin à la menace tutsi par une victoire militaire sur le
FPR-INKOTANYI. Misant sur la

majorité ethnique et sur l'assistance militaire

étrangère, surtout française, l'appareil d'Etat rwandais a usé de son pouvoir politique
et répressif pour planifier, organiser et faire exécuter l'extermination des Tutsi par le
génocide.

112
Cela a été facile dans presque toutes les régions du pays, exception
faite de quelques coins, notamment la ville de Butare.
Pour acquérir l'adhésion populaire à l'idéologie génocidaire, le pouvoir
politique a nommé des ressortissants de Butare aux plus hautes fonctions de
l'appareil d'Etat. Les Hutu de Butare ont alors pensé que l'heure était venue pour eux
aussi de marquer l'historie du pays, et qu'il ne fallait donc pas rater cette occasion
offerte par les événements. Ils ont cru que le centre de gravité du pouvoir politique et
sa main-mise sur toutes les autres institutions sociales surtout l'institution
économique venait d'arriver à Butare. Ils ont alors répondu massivement oui à l'appel
au génocide des Tutsi.
Un constat a été fait qui est venu aussi confirmer nos hypothèses:
aucun responsable politique aujourd'hui emprisonné pour génocide ne veut rien
révéler sur ce qui s'est passé. Tous nient en bloc la responsabilité de l'Etat et
évoquent la prétendue colère d'une population ayant appris la mort de son Président.
Dénoncés par la totalité de nos répondants, les plus hauts
responsables politiques et militaires à commencer par les deux préfets hutu désignés
après l'assassinat politique du Préfet tutsi ont mis la main dans la pâte sous couvert
de la raison d'Etat et ont exploité le silence et l'indifférence de la communauté
internationale face à la tragédie humaine qui se déroulait sous ses yeux.
La motivation principale ayant été à la base d'un comportement enclin à
l'extermination des Tutsi était une volonté affichée par les tenants d'une politique
ethnocentriste radicale hutu. Déterminés à conserver exclusivement le pouvoir
politique, militaire et économique sans aucun souci de partage, les adeptes du
"hutisme" ont conduit des masses irréfléchies à massacrer leurs concitoyens.
Il fallait pour cela des discours politiques d'exhortation à ce genre de
"travail à la machette" là où la "population vive" hésitait à répondre à l'appel au
meurtre. Les planificateurs du génocide ont réussi en désignant un président, un
premier ministre et des préfets extrémistes tous originaires d'une région autrefois
réputée pacifiste et abritant pour cela le plus grand nombre de personnes
condamnées à l'échelon national, la préfecture de Butare.

113
Comme d'habitude, les personnes dont les têtes sont mises à prix
cherchent refuge dans les villes. Les Tutsi des environs de la ville de Butare sont
venus s'y réfugier quand ils ont trouvé qu'ils étaient la cible des attaques hutu. Ils ne
savaient pas que les autorités hutu avaient unanimement décidé leur mort.
"Bahungiye ubwayi mu kigunda" (le lieu qu'il croyaient être le plus sûr a été le plus
dangereux).
Ils ont été massacrés à la mitrailleuse, à l'arme automatique, à la
grenade, à l'essence, à la machette, à la massue et à l'épée.
Bref, les armes modernes et les armes traditionnelles se sont appuyées
mutuellement pour mettre en application l'ordre d'extermination des Tutsi. Cet ordre
émanait de l'Etat et sa diffusion empruntait divers canaux

de communications:

discours officiels, meetings populaires, journaux publics et privés, radio nationale,
RTLM.
Puisse l'Etat d'après - génocide en tirer une leçon pour l'avenir afin que
les Rwandais évitent de revivre cette tragédie.
Au cours de nos entretiens, nous nous sommes parfois heurté au mur
du silence inhérent à la délicatesse du sujet lui-même. Les rescapés n'étaient
généralement pas portés à raconter leurs graves mésaventures. Ils étaient plutôt
enclins à dire comment ils ont survécu, comment ils ont vu les FAR fuir devant les
feux du FPR-INKOTANYI, etc. En outre, comme ils ont dû leur survie d'abord à la
cachette et à la victoire du FPR-INKOTANYI ensuite, il était psychologiquement
tentant de ne raconter davantage le bien que le mal.
Les prisonniers ayant adhéré à la procédure d'aveu et de plaidoyer de
culpabilité n'étaient pas non plus portés à parler de leurs responsabilités individuelles
dans le génocide. De là on peut se demander en quoi ils ont avoué et plaidé
coupables devant la justice.
Quant aux témoins qui n'étaient pas pourchassés, ils évitaient de
s'ouvrir entièrement de peur probablement que nous ne les soupçonnions d'avoir trop
approché les génocidaires à l'oeuvre. Ils pensaient incidemment que leurs

114
déclarations pouvaient être à l'origine d'un procès éventuel à leur charge, à celle de
leurs proches ou à celle de leurs amis.
Certes, nous avons pu établir le rôle de l'Etat dans le génocide des
Tutsi en levant le voile sur le détail de ses responsabilités tant politiques
qu'idéologiques, et nous avons par là infirmé les thèses révisionnistes et
négationnistes qui prétendent qu'il y a eu un double génocide ou nient carrément le
génocide des Tutsi. Néanmoins, l'établissement des rôles de tous les principaux
acteurs dans le génocide des Tutsi viendrait rendre plus consistante encore la vérité
sur le génocide. Nous citons notamment l'Eglise, l'armée, les partis politiques, la
société civile, les pays étrangers comme la France, la Belgique, la RDC (ex-Zaïre),
l'ONU.
Comme nous l'avons vu, les planificateurs du génocide des Tutsi ont
fait d'une pierre deux coups. Ils ont également fait massacrer les opposants
politiques hutu, parfois dans des conditions atroces. L'enjeu du pouvoir est ici
remarquable et confirme en fin de compte notre première hypothèse de
monopolisation du pouvoir. Les détails sur ces massacres politiques devraient faire
l'objet d'une étude approfondie.

B. RECOMMANDATIONS
Nous adressons nos recommandations à l'Etat rwandais, à la société
civile rwandaise, aux intellectuels rwandais, aux confessions religieuses rwandaises
aux familles rwandaises et à l'ONU.
Primo, l'Etat rwandais devrait s'employer à combler sans relâche le
fossé creusé par le génocide dans les relations interethniques et refaire le tissu
social rwandais déchiré par un passé violent en:
-

faisant appliquer les peines prononcées par les juridictions compétentes des
personnes reconnues coupables de génocide et d'autres crimes contre
l'humanité;

-

aidant les rescapés à panser les blessures profondes laissées par le drame qu'il
ont vécu, notamment en songeant au versement des dédommagements

115
prononcés par les tribunaux compétents en la matière, dédommagements dus
aux parties civiles;
-

rapprochant socio-politiquement les différentes communautés rwandaises qui se
sont formées à partir de la dispersion causée par les événements tragiques ayant
émaillé l'histoire récente du Rwanda;

-

extirpant par l'éthique rwandaise les préjugés ethnocentriques qui se sont
incrustés dans les structures mentales rwandaises par la socialisation politique en
orientant ses efforts sur les jeunes générations;

-

menant une lutte sans merci contre toutes les formes d'injustices.
L'Etat devrait privilégier le critère de compétence au lieu de se référer

chaque fois à l'appartenance ethnique dans les procédures de sélection et de
recrutement, de nomination et de promotion entrant dans ses prérogatives; sinon ce
serait "répéter la chanson" comme le disait MAO TZE TUNG.
L'Etat et tous ses partenaires nationaux et internationaux devraient
demander à l'ONU d'extrader tous ces planificateurs du génocide à KIGALI pour
qu'ils soient punis exemplairement au lieu de continuer à jouir d'une vie qu'ils ont
privée à plus d'un million d'innocents.
L'Etat et tous ses partenaires nationaux et internationaux devraient
demander aux pays hébergeant les génocidaires de ne plus les transférer à Arusha,
mais à KIGALI pour que la société rwandaise les jugent elle-même.
La radio et la télévision devraient jouer un grand rôle dans la
socialisation politique des Rwandais. Des émissions politiques débattant sur ce qui
peut réunifier la société rwandaise traumatisée par une historie violente doivent avoir
la priorité sur la radio et la télévision.

Le financement de ces programmes proviendrait des Rwandais
eux-mêmes. Par exemple si chaque rwandais propriétaire d'un poste radio ou
d'un poste téléviseur disponibilisait une somme d'argent à déterminer par l'Etat
en vue de payer annuellement les émissions radio-diffusées ou télévisées,
cela serait bénéfique pour toute la société rwandaise, occupée à son autosocialisation politique.

116
Les délais d'exécution devraient correspondre à ceux impartis au
programme gouvernemental, quitte à être prolongés si les objectifs n'ont pas été
atteints.
Secundo, la société civile devrait savoir que son rôle n'est pas de
mettre les bâtons dans les roues de l'Etat. Elle devrait plutôt l'appuyer et le compléter
dans ses efforts de reconstruction nationale sans toutefois tomber dans le piège de
sacralisation et de déification de l'autorité suprême de l'Etat. Les intérêts de la
société civile et ceux de l'Etat ne devraient pas être diamétralement opposés.
"Bagomba gutahiriza umugozi umwe". Littéralement, ils doivent constituer un même
fagot. Là où l'Etat trébuche, la société civile devrait signaler à temps pour que les
rectifications à faire viennent dans les délais utiles.
Les rapports entre l’Etat et la société civile doivent être des rapports de
contrôle mutuel pour éviter des dérapages dangereux pouvant survenir d’un côté
comme de l’autre.
L'Etat devrait intervenir dans la vie associative pour la débarrasser des
tendances ethnocentriques.
Tertio, les intellectuels rwandais devraient être la véritable matière grise
de la société rwandaise, et non des gens qui se bousculent pour occuper des postes
qui leur permettront de s'enrichir rapidement. Car s'ils s'emploient à s'enrichir
rapidement sans se soucier de la cohésion de la société à laquelle ils appartiennent,
ils ne tarderont pas à la voir voler en éclats, eux et leurs biens avec. L'exemple n'est
pas loin dans le temps. C'est le génocide et les massacres avec leurs conséquences.
La société a contribué à leur formation; ils devraient se préparer à être les vrais
bâtisseurs de la nation par des conseils sages qu'ils auront à prodiguer aux
décideurs.
Un cours de sociologie de la guerre devrait être prévu au programme
du département des Sciences Sociales pour que les futurs cadres du pays sachent
comment l'éviter et comment la mener quand elle devient inévitable.
Quarto, les confessions religieuses rwandaises devraient s'occuper
essentiellement de la formation spirituelle des citoyens rwandais. Elles devraient

117
rapprocher les communautés divisées par plus de 100 ans d'évangélisation raciste.
Elles devraient être le sel de la réconciliation nationale et la vraie lumière des
communautés unies dans la foi en des valeurs universellement reconnues.
Quinto, les familles rwandaises devraient éduquer les enfants en
insistant sur les valeurs d'unité, de patriotisme, de courage, d'honnêteté, d'altruisme,
d'obéissance, de tolérance, de patience. L'assimilation de ces valeurs contribuera à
la socialisation politique progressive de l'enfant rwandais.
Selon SCHWARTZENBERG, R.-G., (1974: 149) "l'apprentissage du
système politique se fait par la médiation de figures clefs, visibles et aisément
identifiables". Dans le cas du Rwanda, la figure du Président est aisément identifiable
d'autant plus que le Rwanda est sous un régime présidentiel. Le Président "le
premier maillon à partir duquel l'enfant va progressivement édifier tout son système,
en y incorporant de plus en plus d'éléments et en apprenant à discerner les fonctions
de chacun".
La sensibilisation de l'enfant à la politique et l'idéalisation de l'autorité
politique permettront à l'enfant de passer progressivement d'une vision personnalisée
à une conception institutionnelle, impersonnelle, du système politique.
Pas à pas, l'enfant devenu adulte se défera de la culture politique
paroissiale caractéristique des sociétés traditionnelles dans lesquelles les clans et
les tribus jouent un rôle prépondérant dans la vie politique nationale. Imprégné de la
culture politique de participation, l'enfant devenu adulte deviendra un véritable
participant dans le système politique et sera capable d'agir sur ce système, d'orienter
ou d'infléchir son action par des moyens divers (élections, manifestations, pétitions).
Libéré du carcan des préjugés ethnocentriques, l'enfant devenu adulte
apportera une contribution significative à l'évolution politique du pays vers une
démocratie fondée sur les valeurs universelles bien comprises: le respect mutuel, la
tolérance, la rationalité, le don de soi, le jugement, la prévoyance.

L'enfant devenu adulte aidera l'Etat à réduire les inégalités, à
instaurer un surcroît de justice, à renforcer les solidarités socio-économiques

118

en vue d'une cohésion sociale durable ou toute idée ou action d'exclusion est
prohibée.
Le schème "exclusion" doit occuper une place de choix dans la
gradation de nos problèmes à résoudre. Notre bataille doit avoir un nom: lutter
contre l'exclusion. Pour gagner cette bataille, il faut des armes appropriées.
Avant de prendre toute décision, l'Etat doit se poser les questions comme: estce que c'est bon pour la cohésion sociale? Est-ce qu'on en a les moyens? Un
Secrétariat d'Etat chargé de la lutte contre l'exclusion devrait être créé en vue
de réduire les frustrations au sein de la société qui sont en quelque sorte
comme une bombe à retardement n'attendant qu'une étincelle pour exploser.
A la longue, les Rwandais pourront réaliser le rêve de l'unité sociopolitique nationale et le Rwanda pourra connaître un essor économique soutenu qui
le hissera cran par cran sur l'échelle des pays en développement pour être classé
parmi les pays à revenu intermédiaire au lieu de se maintenir au niveau de la queue
du peloton des pays les plus pauvres de la planète.
Les Hutu et les Tutsi pourront finalement apprendre à vivre en parfaite
harmonie "nk'inyabarasanya na kimali" (littéralement comme les galinsaga et les
bidens pilosa) en phytosociologie.
Quant à l'ONU, elle ne devrait pas continuer à laisser massacrer les
gens, puis vouloir juger les massacreurs alors qu'elles les a laissés faire et qu'elle
avait les moyens de les en empêcher. Sinon sa fonction de maintien de sécurité
serait davantage théorique que pratique dans laquelle les fonctionnaires onusiens
seraient comme chargés uniquement de dilapider les dollars de l'humanité.
L'ONU devrait aider l'Etat rwandais à dédommager les victimes du
génocide en versant les dommages et intérêts aux parties civiles dans les procès de
génocide et d'autres crimes contre l'humanité. En outre, étant donné que les
responsabilités de l'ONU sont plus lourdes que celles de l'Etat rwandais, elle devrait
verser les 3/5 de ce qui est dû, l'Etat rwandais se chargeant des 2/5 restants.

119
Nous recommandons aux étudiants et aux autres chercheurs en
sciences sociales désireux de mener des études sur le génocide rwandais les sujets
suivants:
0. Analyse des responsabilités de l'ONU dans le génocide rwandais
1. Etude de l'impact des relations bilatérales Rwanda -France sur la tragédie d'avril juillet 1994;
2. Etude du comportement des FAR pendant le génocide des Tutsi d'avril-juillet
1994;
3. La perception par les rescapés du partage des responsabilités entre l'Etat et
l'ONU dans le génocide des Tutsi.

120

BIBLIOGRAPHIE
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4. LAROUSSE (1979), Dictionnaire de Politique, le présent en question,
Montparnasse, Paris.
5. Nouveau Petit Larousse (1970), Librairie Larousse, Montparnasse, Paris VI e.

E. DOCUMENTS ELECTRONIQUES
1. FRANCHE, D. (1997), Généalogie d'un génocide, http://www.federation.
2. LEVENE M, WWW.http://perso.wanadoo.fr/ (2000) felina/doc/hist/genocides.htm.

124

ANNEXES

125

Processus méthodologique
Objectifs

Hypothèses

Variables

La réduction jusqu'au strict minimum ou
Mise en évidence au plus bas niveau possible du potentiel
scientifique des facteurs d'
unité et électoral et militaire du FPR par l'Etat
de réconciliation après avoir établi constitue la motivation principale de l'Etat
dans la planification et la perpétration du
le rôle de l'
Etat dans le génocide;
génocide des Tutsi en vue d'un pouvoir
hutu exclusif sans partage

Méthodes

Variable indépendante

Méthode structuro-

Réduction du potentiel électoral et
militaire du FPR par l'
Etat

génocide en vue d'
un pouvoir

des

exclusif sans partage

consé-quences de la haine ethnique

Documentation

fonctionnaliste
Méthode systémique

Variable dépendante
Planification et perpétration du

Explicitation

Techniques

Méthode dialectique

Entretien

Méthode historico-comparative

véhiculée par l'
Etat notam-ment les
erreurs des néga-tionnistes et des
révision-nistes;

Les discours politiques d'
exhortation au Variable indépendante

Méthode structuro-fonctionnaliste

Documentation

génocide prononcés par le Président de la Discours politiques d'
exhortation
autres au
Mise au clair des facteurs de la République, son premier ministre, d'
culture de la tolérance, du respect autorités

politico-administratives

génocide

et

attitude

des Méthode systémique

du responsables militaires

mutuel, de l'
amitié entre peuples et Gouvernement intérimaire autoproclamé ainsi
nations

que l'
attitude des responsables militaires ont Variable dépendante
incité la population hutu de Butare et son élite Implication de la population dans
à s'
impliquer totalement dans le génocide des le génocide
Tutsi.

Méthode dialectique

Entretien

126

GUIDE D'ENTRETIEN
1. Comment étaient les relations interethniques dans la commune de Ngoma
avant le déclenchement du génocide et des massacres?
2. Est-ce que le génocide des Tutsi et les massacre des Hutu modérés ont
vraiment eu lieu dans la commune de Ngoma ?
3. Si oui, quand ont-ils commencé ?
4. Décrivez-nous l'
organisation des opérations de génocide et des massacres
dans la commune de Ngoma.
5. Décrivez-nous en long et en large le déroulement du génocide et des
massacres dans la commune de Ngoma.
6. Savez-vous quelque chose sur la réunion présidée par le Président
SINDIKUBWABO Théodore le 19 avril 1994 dans la salle polyvalente de la
Préfecture de Butare ?
7. Décrivez-nous les circonstances de la destitution du Préfet HABYARIMANA
Jean Baptiste et la nomination de ses successeurs NSABIMANA Sylvain et
NTEZIRYAYO Alphonse (Colonel).
8. Décrivez-nous les comportements de ces deux derniers préfets pendant le
génocide et les massacres.
9. Quelles sont les hautes autorités gouvernementales ayant organisé le génocide
et les massacres dans la commune Ngoma ?
10. Parlez-nous du comportement des militaires (surtout les officiers et les autres
ayant fait montre d'
un grand zèle) pendant le génocide et les massacres dans
la commune de Ngoma ?
11. Quel a été le rôle des autorités locales pendant le génocide et les massacres
dans la commune de Ngoma (Bourgmestre, Conseillers communaux,
Responsables de cellules, Autres agents administratifs et de sécurité locale).
12. Quel a été le rôle des responsables des partis politiques et autres
"représentants" du peuple pendant le génocide et les massacres dans la
commune de Ngoma ?
13. Quelles armes avez-vous utilisées?

127

14. Qu'
est-ce qui vous motivait le plus en tuant?
15. Connaissez-vous personnellement des Hutu modérés tués pendant le génocide
et les massacres dans la commune de Ngoma? Donnez leurs noms et leurs
secteurs d'
origine.
16. A quels endroits tuait-on (les sites des tueries)?
17. Combien de Tutsi avez-vous personnellement tués? Dans la mesure du
possible, donnez leurs noms et leurs secteurs d'
origine?
18. Quelles sont les paroles blessantes et piquantes utilisées à l'
encontre des Tutsi
et des Hutu modérés?
19. Que voulait-on signifier en appelant les Tutsi cancrelats ou serpents?
Comment jugiez-vous cela personnellement?
20. Avez-vous pillé?
21. Si oui, qu'
avez-vous pillé?
22. Que faire pour éviter un autre génocide?

128

3. IBIBAZO
1. Imibanire y'
amoko yaba yari iteye ite mu mujyi wa Butare mbere ya
jenocide?
2. Haba harabaye koko itsembabwoko ry'
abatutsi n'
itsembatsemba ry'
abahutu
batari intagondwa mu mujyi wa Butare?
3. Niba ari byo byatangiye ryari?
4. Mwatubwira uburyo ibitero byari biteguwe?
5. Mutubwire mu buryo burambuye uko byagenze?
6. Hari icyo mwaba muzi ku nama yayobowe n'
uwahoze ari Perezida wa
Repubulika y'
u Rwanda, Bwana SINDIKUBWABO Tewodori, tariki 19 Mata
1994 mu cyahoze ari ingoro ya MRND i Butare?
7. Mutubwire icyo muzi ku ikurwa ku mwanya w'
ubuperefe wa Butare rya
Bwana HABYARIMANA Yohani Batisita n'
ishyirwaho ry'
abamusimbuye ari
bo ba Bwana NSABIMANA Silivani na Koloneli NTEZIRYAYO Alufonsi.
8. Mutubwire imyitwarire y'
abo baperefe bombi basimbuye uwo wa mbere mu
gihe cya jenoside.
9. Ni abahe bayobozi bakuru b'
igihugu bateguye jenoside mu mujyi wa Butare
(Komini Ngoma).
10. Mutubwire imyitwarire y'
abasirikari bakuru (cyane cyane aba ofisiye n'
abandi
bagaragaje umurava) muri jenocide, mu mujyi wa Butare.
11. Ni uruhe ruhare abayobozi mu nzego z'
ibanze muri Komini Ngoma
(Burugumesitiri, abajyanama, abaresiponsabure n'
abandi nk'
abashinzwe
umutekano) bagize muri jenocide?
12. Ni uruhe ruhare abayobozi b'
amashyaka ya politiki n'
izindi "ntumwa" za
rubanda bagize muri jenoside mu mujyi wa Butare?
13. Mwakoresheje izihe ntwaro?
14. Ni iki cyatumaga mwitabire ubwicanyi?
15. Mwaba muzi abahutu batari intagondwa bishwe muri jenocide y'
abatutsi?
16. Ahantu hicirwaga abantu ni hehe?
17. Ku giti cyawe wishe abatutsi bangahe? Niba bishoboka, vuga amazina y'
abo
n'
amasegiteri bakomokagamo?

129

18. Ni ayahe magambo aseserezanya yakunze gukoreshwa mu gihe cya jenocide
abwirwa abatutsi n'
abahutu batari intagondwa?
19. Iyo bavugaga ko abatutsi ari inyenzi cyangwa inzoka byabaga bishaka
kumenyesha iki?
Mwebwe se mwabyumvaga mute?
20. Mwarasahuye?
21. Niba mwarasahuye, mwasahuye iki?
22. Hakorwa iki kugira ngo hatazaba indi jenocide?

130

LISTE CODEE DES TEMOINS PAR SECTEUR
1. NGOMA

: A1, B11, B93

2. CYARWA SUMO

: A2, A4, A5, A10, A14, A16, A20, B6, B19, B32,
B34, B35, B36, B37, B38, B39, B73, B82

3. CYARWA CYIMANA

:A7, A12, A18, B10, B12, B28, B31, B40, B41,
B42, B99

4. BUTARE VILLE

: A3, A17, B8, B79, B81, B85, B95, B97, B98

5. NKUBI

: A6, A8, A9, A11, A19, B4, B5, B14, B15,B20,
B22, B23, B25, B29, B49, B50, B51, B52, B53,
B54, B55, B56, B57, B74, B75, B77, B78, B84,
B100

6. TUMBA

: A13, A21, A22, B2, B7, B9, B13, B17, B30, B43,
B44, B45, B46, B47, B48, B80, B87, B88, B89,
B90, B92

7. SAHERA

: A15, B16, B18, B21, B24, B27, B58, B59, B60,
B61, B62, B63, B72, B76, B94, B96

8. MATYAZO

: B1, B3, B26, B33, B64, B65, B66, B67, B68,
B69, B70, B71, B83, B86, B91, B101, B108,
B109

Légende :
-

A : Les accusés ayant bénéficié de la liberté provisoire

-

B : Les accusés encore en détention ;

-

R : Les témoins rescapés

Haut

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