Fiche du document numéro 22804

Num
22804
Date
Mardi 7 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
137476
Pages
2
Sur titre
Rwanda
Titre
Une perversité minutieusement planifiée jusque dans la négation
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Une perversité minutieusement planifiée jusque dans la négation
Les allégations selon lesquelles, dans les heures suivant l'attentat,
la population, n'écoutant que sa colère, aurait spontanément réagi et
massacré Tutsis et Hutus de l'opposition, n'a jamais réellement tenu
la route. Il s'est agi d'un crime minutieusement conçu et préparé.
Cette préparation fut d'abord psychologique: les esprits ont été
conditionnés par la radio des Mille Collines et la presse extrémiste,
qui mirent en cause les accords d'Arusha, qualifièrent les Tutsis de
traîtres et de cancrelats . Ils lancèrent une campagne antibelge, à
laquelle participèrent des militaires français.

La préparation fut ensuite matérielle: achat et distribution d'armes,
grenades, machettes; formation, dans les camps militaires, des
miliciens Interhahamwe qui apprirent comment tuer efficacement - trois
coups de machette assenés notamment sur la carotide; recensement de la
population tutsie dans les villes (dans les campagnes, ce n'était pas
nécessaire), établissement des listes de victimes.

La mécanique de la machine à tuer est aujourd'hui très largement
connue. Moins souvent étudiés sont ses ressorts psychologiques,
autrement plus subtils encore.

L'aveu rare



La caractéristique du génocide rwandais, qui, sans moyens techniques
sophistiqués, mit à mort un million de citoyens en trois mois, repose
sur l'effet de masse: de manière systématique, les leaders, les
organisateurs du crime, réussirent à endoctriner et à pousser devant
eux des civils qu'ils poussaient à tuer, par la contrainte, la peur ou
la persuasion. Ce qui ne rend pas ces civils moins coupables: à
l'occasion du procès Papon, les évêques français viennent encore de
rappeler le devoir de résistance à un ordre injuste et les impératifs
de la conscience individuelle...

C'est pour cela aussi que la justice rwandaise se trouve dans
l'impasse: si un ou deux millions de personnes ont, physiquement,
participé au crime, comment les départager, comment les juger?
D'autant plus, autre particularité rwandaise, que l'ascendant des
autorités est demeuré intact: dans les camps de réfugiés comme dans
les prisons, le contrôle social, l'encadrement exercé par les
responsables n'ont pas été affaiblis !

Certains observateurs le reconnaissent: dans les camps, la communauté
internationale n'a pas su ou voulu réaliser de séparation entre la
masse
et ses leaders, mais dans ses prisons, le gouvernement rwandais
a commis la même erreur. C'est pourquoi l'aveu de culpabilité, prévu
par la loi sur le génocide, qui implique une prise de distance par
rapport au groupe, demeure extrêmement rare.

Seule, la justice...



Cette dilution des responsabilités particulières dans une masse
anonyme s'est vérifiée aussi lors de l'exode vers la Tanzanie ou le
Zaïre: en se cachant dans la foule, les cadres du génocide étaient
assurés non seulement d'être insaisissables et impunis, mais aussi
nourris et protégés par des organisations humanitaires incapables de
faire le partage.

Jusqu'au bout, y compris dans la fuite éperdue et tragique dans les
forêts zaïroises, militaires, responsables politiques et simples
civils demeurèrent ainsi mélangés, ce qui exposa les derniers à un
destin pitoyable: ils servirent de bouclier humain entre les
combattants, furent abattus par les leurs lorsqu'ils tentaient de
rebrousser chemin, et furent massacrés par les troupes adverses qui
apaisaient sur les plus faibles, ceux qu'ils rencontraient en chemin,
leur soif de vengeance.

Durant l'exode, dans les camps comme dans la fuite, ce mélange de
coupables et d'innocents, de civils et de militaires avait aussi une
raison politique: il permettait de mettre en uvre un processus de
victimisation générale et accréditait la thèse du double génocide.
Les attaques actuelles dans le nord-ouest du Rwanda procèdent de la
même technique: les hommes en armes ne sont pas seuls, et ne sont pas
les plus nombreux. Chaque fois qu'ils en ont la possibilité, ils se
font précéder par de vastes groupes de civils, qui crient, chantent,
sifflent ou battent tambour. Des civils qui se jettent eux aussi sur
les cibles désignées (comme le camp de réfugiés tutsis de Mudende ou
de Kinigi) et qui, par la suite, se retrouveront face à l'armée
lorsqu'elle tirera dans le tas, ce qui alimentera automatiquement la
protestation internationale et fournira de l'eau au moulin du double
génocide.

Comment arrêter cette mécanique infernale? Me Eric Gillet écrivait
dans « Les Temps Modernes »: Seule la justice rendra sa part de vérité
à chacun...

C. B.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024