Citation
Georges Martres, ambassadeur de la France au Rwanda de 1989 à 1993, vit aujourd'hui entre Paris et Narbonne.
Paul Kagame accuse à nouveau la France de complicité. Que pensez-vous de ces accusations ?
Kagame veut absolument que la France reconnaisse avoir été complice du génocide. Son entourage voudrait assimiler ce génocide à quelque chose d’administratif, d’organisé. Au même titre que celui des juifs en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. Or je peux dire que durant les trois ans qui ont précédé le massacre, nous n’avons pas participé à une action concertée pour l’extermination de la minorité tutsi !
Mais la France a aidé le gouvernement en place d’un point de vue militaire...
En 1990, quand Kagame programme son invasion du Rwanda depuis l’Ouganda, nous l’analysons comme une minorité exclue qui tente de prendre le pouvoir. Ce n’est pas dans la logique diplomatique française que d’accepter ce genre de méthodes, quelle que soit la valeur de leurs arguments. Cette même année, le 7 octobre, j’envoyais un télégramme décisif au cabinet de François Mitterrand. Je leur ai dit : Ou nous considérons que le Rwanda n’est plus dans notre zone d’influence et nous laissons les rebelles s’emparer de Kigali ; ou nous intervenons comme nous l’aurions fait au Sénégal ou en Côte-d’Ivoire
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À ce moment-là, quel est donc le rôle de la France ?
C’est d’empêcher une prise de pouvoir par des forces armées. Tant du côté des rebelles ougandais, que de celui du gouvernement en place s’il avait émis l’intention d’éliminer ces mêmes rebelles... La France a accepté d’envoyer des éléments militaires pour jouer un rôle de conseil auprès du gouvernement présidé par Habyarimana, mais aussi pour protéger les Français de Kigali. En réalité, il n’y a jamais eu plus de 700 militaires sur place. Il n’y avait pas de quoi protéger tout le pays.
« Kagame partage la responsabilité de ces violences ».
ll faut savoir que dans notre esprit, cet appui au gouvernement se justifiait par une contrepartie : le président Habyarimana s’engageait à conduire une politique d’ouverture. Nous voulions passer d’un régime dictatorial à une démocratie. Habyarimana avait lancé de bons signaux. Il avait mis un terme à son système de parti unique...
Quand avez-vous pris conscience de l’ampleur des dégâts ?
Dès 1992, nous avons compris que l’armée rwandaise ne résisterait pas. Le FPR (Front patriotique rwandais) avait changé de tactique. C’était devenu une guérilla. Et c’est à ce moment-là que la France a failli. Mon avis, c’est qu’elle n’a pas su trancher. Dès 1992, elle aurait dû passer d’une politique d’appui à une politique d’interposition. Pour les inciter à discuter, et éviter le massacre à venir.
Deux jours après le début du génocide, les Français et les Hutus de l’Ambassade sont évacués, mais pas les Tutsis présents…
Je n’étais plus en poste mais visiblement il y a eu quelques passe-droits, en effet.
Alors doit-on des excuses au Rwanda ?
Oui, nous avons des excuses à faire au peuple rwandais, Hutus et Tutsies confondus. Mais pas à Kagame ! Il a instauré un régime aussi dictatorial que son prédécesseur. Monsieur Kagame partage la responsabilité de la violence subie par son peuple.
Recueilli par Prisca Borrel