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BILLETS D’AFRIQUE N° 29 - DÉCEMBRE 1995
MOINDRE PIRE...
Convaincus de l’extrême nécessité de la parole et de l’engagement en politique (l’alternative au « Viva la muerte ! »), nous ne
croyons pas pour autant que cette dernière soit toujours fraîche et rose - même en démocratie. Les électeurs polonais n’avaient
pas un choix exaltant, et les modalités du possible retour à la paix en Bosnie laissent un goût acide. Ainsi, ce qui nous scandalisait
dans l’aveu sans vergogne, et désormais célèbre, de l’ex-patron de la DGSE Claude Silberzahn, ce n’est pas qu’il admette le choix
éventuel d’un « moindre pire » pour les pays d’Afrique (comme pour tant d’autres), c’est que la Françafrique et ses sbires en
décident clandestinement à la place des Africains.
Cela vaut aussi de l’Algérie. L’élection présidentielle n’enthousiasmait pas grand-monde, tant les dés étaient pipés. Et pourtant,
les Algériens ont imaginé de transformer ce spectacle a priori piégé en une énorme manifestation d’adhésion à la démocratie. Ils
ont montré tellement de foi dans la consultation que l’on ne pourra plus désormais se passer de les consulter. Depuis l’enfer
anarchique où les terroristes de tout poil prétendaient les interner, ils ont décidé d’octroyer une autorité (provisoire, comme tout
verdict électoral) à qui, ainsi légitimé, serait selon eux le mieux à même de conduire le retour négocié à la paix civile.
Il n’est pas sûr que le général Zéroual soit le Don Juan (Carlos) de l’Algérie - celui qui fera transiter son pays, à l’instar de la
cousine Espagne, d’une dictature militaire à un régime civilisé. Il n’est pas sûr qu’il puisse et veuille proposer à la société
algérienne la réduction des privilèges absolus des casernes, sans les céder aux mosquées. Mais les Algériens ont choisi de lui
confier cette mission. Ce choix est le leur. Comme tel il inspire, par delà la politesse usuelle, notre plus profond respect.
SALVES
Après le génocide
Seuls ceux qui n’ont pas voulu voir ce qui s’est passé au Rwanda d’avril à juin 1994 ne sont pas pris de vertige face aux
problèmes sans précédent auxquels sont confrontés le gouvernement et la société rwandaise. La Conférence internationale sur le
génocide et ses conséquences, tenue à Kigali du 1er au 5 novembre, fut ainsi un creuset exceptionnel. Mémoire, émotion,
imagination amorcèrent leur fertilisation respective : comment, à la fois, prendre acte d’une submersion d’ignominie et commencer
de recoudre une société déchirée ? comment vivront ensemble les rescapés et le grand nombre de ceux qui ont assisté (dans tous
les sens du terme) au massacre de leurs parents ? qui juger (en nombre forcément réduit) et comment ?
D’éminents représentants de la mémoire juive ont apporté leur expérience et témoigné d’une sympathie stimulante. Eux-mêmes
ont souligné la difficulté occasionnée par l’inextricable proximité des bourreaux et des victimes. Comme la plupart des
participants, ils ont rejeté l’idée d’une amnistie-amnésie : la souhaitable catharsis ne peut surgir que de la reconnaissance des faits.
C’est pourquoi la procédure judiciaire gagnerait à récompenser l’aveu, en s’inspirant aussi bien de pratiques étrangères (le plea
bargaining, par ex.) que traditionnelles. Les propositions ont foisonné, aussi, quant aux soins politiques, éducatifs,
psychologiques, etc., adaptés à un tel traumatisme.
Parmi les participants, d’origines géographiques et de spécialités fort diverses, les Africains venus d’autres pays déchirés n’ont
pas été les moins entendus. La solidarité interafricaine, si découragée, pourrait porter tant de fruits...
C’est le gouvernement rwandais qui, face à l’après-génocide, en appelait, via cette Conférence, aux conseils et propositions
d’une « communauté internationale » jusqu’ici plutôt défaillante. Il a reçu à cet effet l’appui financier de l’US Aid. Ce qui nous
conduit, sans illusions excessives sur les motivations américaines, à constater qu’une fois de plus en Afrique, Paris persistant trop
souvent dans son concours fasciné à la cruauté politique, Washington hérite du beau rôle. Sans vouloir rivaliser avec les complexés
de la persécution anglo-saxonne, qui ne cessent de voir se retourner contre eux leurs calculs mesquins, on peut souhaiter que la
France ne se mette plus systématiquement out, sur ce continent, des enjeux d’humanité.
Au Caire, avec Carter
L’Élysée poussait ardemment le projet d’une Conférence internationale sur la région des Grands Lacs : il comptait y imposer,
sous tutelle française, un partage du pouvoir rwandais avec les « représentants des réfugiés », non dissociés des responsables du
génocide en l’absence de toute sanction internationale. Kigali a pu enrayer cette réunion-piège. Du coup, le projet de médiation
avancé par Jimmy Carter arrive en première ligne. À Paris, on eût aimé qu’il reprît une part du scénario initial.
Bien que la cuisine Carter-Mobutu soit peu engageante, bien que Mobutu, selon son habitude, multiplie les provocations dans
l’Est du Zaïre (faisant par exemple arrêter à Uvira les leaders de la communauté des Zaïrois d’origine rwandaise), il était difficile
de refuser la proposition de l’ex-Président démocrate US.
Une Conférence des pays de la région aura donc bien lieu au Caire, fin novembre. Mais Jimmy Carter sera la seule personnalité
non-africaine, et l’on n’accréditera pas prématurément une soi-disant représentation des réfugiés. Aux chefs d’État et de
gouvernement du Centre-Est africain se joindront deux grands témoins, Desmond Tutu et Julius Nyerere. Jimmy Carter n’est plus
que le facilitateur (c’est son meilleur rôle) d’une palabre d’où les puissances occidentales sont écartées.
On dit de ceux qui favorisent la poussée des plantes qu’ils ont « la main verte ». S’agissant de l’émergence d’entités politiques
africaines, les tuteurs autoproclamés n’ont, jusqu’ici, guère eu « la main noire » [litote, NDLR] . Il n’était pas inutile de le leur
rappeler.
Billets d’Afrique
N° 29 – Décembre 1995
Liberté, fraternité
L’idylle franco-kenyane se confirme. Tandis que l’opposition au président Daniel arap Moi lui reproche avec véhémence de faire
obstruction au Tribunal pénal international sur le Rwanda, et dénonce le rôle « douteux » de la France lors du génocide, le ministre
kenyan des Affaires étrangères se fait l’avocat de Paris. Accessoirement, les opposants kenyans se disaient physiquement menacés
(comme leurs homologues camerounais) par les génocidaires rwandais dont le Kenya protégeait la liberté. La « Fraternité »
françafricaine est un curieux rejeton des idéaux de 1789.
La réprobation internationale commençant à peser, le régime kenyan a décidé d’arrêter, le 25 novembre à l’aube, une centaine de
Rwandais impliqués dans le génocide. Pour faire bonne mesure, il a emprisonné avec eux une série de Tutsis ! Bien sûr, on avait
averti le gratin du genocide set : il se serait envolé vers le Cameroun ou Madagascar.
Joint
L’ambassadeur de France au Maroc Henri-Benoît de Coignac s’était légèrement distancié de diverses atteintes aux droits de
l’homme ordonnées par Hassan II. Il a été rappelé à Paris sans nouvelle affectation et remplacé par un proche de J. Chirac, Michel
Bonnecorse-Lubières (Libération, 08/11/1995) : la relation franco-marocaine ne s’en résumera que mieux à une liaison entre deux
palais...
« Le Maroc est devenu, en quelques années, le premier exportateur de haschich dans le monde et le premier fournisseur du
marché européen ». Les trafiquants ont acquis des complicités jusque dans le « premier cercle du pouvoir ». La monoculture du
kif occupe tranquillement quelque 70 000 hectares dans le Rif...
(Selon un rapport confidentiel rédigé en 1994 par l’Observatoire géopolitique des drogues à la demande de l’Union européenne - rapport qui
vient de faire l’objet d’une fuite. Le Monde du 03/11/1995).
Virement de CAP
Depuis la fin juin, le Centre d’analyse et de prévision des affaires étrangères (CAP) a publié deux études explosives. L’une de
Jean-François Bayart sur La criminalisation en Afrique subsaharienne (dont la version provisoire compromit un temps le retour de
Foccart, cf. Billets n° 28). L’autre de Béatrice Hibou, La zone franc, un an après la dévaluation (voir À fleur de presse), qui démonte
l’optimisme officiel et ose, entre autres, évoquer l’« aveuglement sur les dérives du pouvoir du président [ivoirien] Konan Bédié »,
ou le « caractère spécieux et essentiellement discursif de la politique africaine de la France » (Libération, 13/11/1995). Furieux,
Bercy a sermonné le Quai, le sommant de rester dans son domaine de « compétence » - oubliant au passage que la faillite
gigantesque de l’aide publique au développement est d’abord imputable à l’abyssale incompétence du Trésor. Puis les Finances ont
passé à la tronçonneuse le budget 1996 du CAP, avec la bénédiction de Jacquadit (Hervé de Charette).
Balladur avait brisé le CERC (Centre d’étude sur les revenus et les coûts), qui exposait trop crûment les inégalités croissantes au sein
de la société française. L’Élysée et Bercy - les deux points aveugles qui « dirigent » la politique franco-africaine - pourraient bien
virer le CAP s’il s’obstine à montrer que ladite « politique » perd le Nord (et le Sud). Casser la boussole est le meilleur moyen de
tenir le cap vers le triangle des Bermudes !
Tribunal, ça fait mal (suite)
Le projet de loi d’adaptation de la législation française à la création du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPR) est en
marche. Il est prévu que cette adaptation soit aussi peu performante que pour l’ex-Yougoslavie. Le gouvernement laisse entendre
qu’aucune poursuite ne sera engagée si elle n’est expressément requise par le TPR...
Il se murmure qu’un parlementaire zélé pourrait, lors du débat, glisser un amendement limitant la transmission au TPR de
certaines preuves ou témoins - au nom des intérêts supérieurs de l’État (i.e. de la Françafrique).
L’idée d’une Cour criminelle internationale permanente fait son chemin à l’ONU. Mais la France souhaiterait que le Conseil de
sécurité puisse avoir un droit de regard et, exceptionnellement, dessaisir la Cour (La Croix, 19/11/1995). Tiens ?
EXTRAITS DES RECOMMANDATIONS DE LA CONFERENCE INTERNATIONALE DE KIGALI SUR LE GENOCIDE (01-05/11/1995)
(Sur 120 recommandations, nous ne citons que les plus significatives au plan politique.
D’autres, fort intéressantes, traitent des aspects juridiques et sociaux)
I.3 La Conférence [C.] invite la classe politique à éviter de céder aux tentations de l’intégrisme ethnique [...] et à ne pas permettre les fichages
ethniques.
I.4 La C. demande aux Églises chrétiennes de s’interroger réellement sur la conformité entre le message évangélique et la fétichisation de l’ethnie
telle qu’elle ressort des discours et des actes de nombre de leurs pasteurs et de leurs fidèles, de manière à contribuer à la pacification des cœurs et
des esprits. La C. attend de ces Églises un examen de conscience et des attitudes à même de répondre à la façon dont tant de lieux de culte et de
symboles religieux ont été blasphémés par les auteurs du génocide. [...]
I.8 La C. demande aux autorités, vu les habitudes de passivité devant les violations des Droits de l’homme, de favoriser l’engagement civique à
tous les échelons de la société
[et] (I.9) d’assurer la diffusion d’une culture des Droits de l’homme, favorisant l’appropriation par les citoyens des instruments juridiques de
protection des droits fondamentaux.
I.10 La C. demande au gouvernement, à l’Assemblée nationale et aux professionnels du droit de veiller à l’indépendance des magistrats et à la
promulgation d’une loi créant un barreau d’avocats.
Billets d’Afrique
N° 29 – Décembre 1995
I.12 La C. invite l’ensemble de la société rwandaise à réfléchir sur la nature du pouvoir et sur ses modalités de gestion, compte tenu des
expériences négatives antérieures de monopolisation et d’exclusion qui ont conduit au génocide, et à promouvoir une démocratie fondée sur le
débat d’idées et d’opinions.
I. 15 La C., désirant associer la communauté internationale à la lutte contre la logique génocidaire, demande aux pays étrangers de ne pas
permettre la propagande révisionniste, de ne pas accorder appui ou protection aux responsables du génocide, de reconnaître les responsabilités
particulières de certains gouvernements, partis et organisations dans la préparation et l’exécution du génocide et d’envisager les réparations
correspondantes. En particulier elle recommande à la Belgique, ancienne puissance de tutelle, de reconnaître sa responsabilité historique dans la
genèse de l’idéologie ethniste. En outre, elle exige de la France et de tous les autres pays, y compris les pays africains, qui ont contribué à
l’armement et à la protection des génocidaires, de cesser tout appui à ces derniers et de contribuer à l’indemnisation adéquate de l’État rwandais
et des victimes du génocide [...].
II.3 La C. reconnaît que le grand défi du peuple rwandais aujourd’hui, c’est que les survivants et un grand nombre d’auteurs présumés du
génocide doivent vivre ensemble et assumer collectivement les conséquences du génocide.
II.13 Les conséquences majeures du génocide au Rwanda identifiées par la C. sont :
a. L’insécurité provoquée par le soutien offert à l’armée vaincue de la part des gouvernements du Zaïre, Kenya et France. En ignorant totalement
la Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide, la France, le Togo, le Zaïre et le Kenya hébergent, forment, équipent et
soutiennent les militaires et politiciens responsables du génocide [...]
f. Nécessité d’un engagement politique de la communauté internationale pour le jugement des responsables du génocide.
II.18 La C. demande aux bailleurs de fonds qui se sont réunis à la Table ronde de Genève de débloquer les fonds promis au Rwanda.
III.1 [...] La C. rejette catégoriquement toute considération d’amnistie générale, car cela signifierait une tolérance continue de l’impunité.
V.2 La C. suggère que ce crime [de génocide] s’est produit en Afrique à cause du silence et de la passivité de la communauté internationale,
malgré les avertissements clairs et consistants [...]. La C. croit que cette négligence de la part de la communauté internationale reflète la
marginalisation et l’attitude antipathique envers tout ce qui concerne les intérêts africains. Cependant, malgré ce manque de volonté politique, la
C. maintient que ce crime de génocide impose une responsabilité à la fois morale et légale.
V. 14 La C. reconnaît que les États, tels que la France, le Kenya, le Zaïre et le Togo, qui continuent à aider et encourager les auteurs du génocide,
sont responsables au niveau moral et légal d’instituer des mesures telles que l’immobilisation des avoirs des auteurs du génocide au Rwanda qui
seraient sur leurs territoires, et leur extradition. La C. encourage de même ces États à reconnaître formellement leur responsabilité.
V.15 La C. recommande au gouvernement rwandais de [...] :
- [...] conclure des traités bilatéraux d’extradition ;
- demander au Conseil de sécurité d’adopter une résolution sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU qui obligerait les États d’appréhender les
auteurs du génocide rwandais qui se trouveraient sur leurs territoires [...].
V.20 La C. suggère que cette Conférence se constitue en un corps permanent et qu’une Commission permanente pour faire le suivi des
résolutions de cette Conférence soit établie.
N° 6
Le Dossier noir n° 6 est arrivé : Chirac et la Françafrique. Retour à la case Foccart ? Ça fleure évidemment moins bon que le
n° 5 de chez Chanel... La Coalition CFA (Citoyens France Afrique), animée par Agir ici et Survie, poursuit ainsi sa traque du
« plus long scandale de la République ». On le lira en effet, les velléités de changement de cap africain, un moment décelées dans
le nouvel exécutif, n’ont pas passé l’été. Le point d’interrogation du titre est presque de pure forme - un appel poli, mais sans
grand espoir, à discipliner le niveau archaïque de l’encéphale élyséen.
Les mots et les actes des 6 premiers mois du pouvoir chiraquien sont passés au crible, ainsi que le choix des hommes - une grille
de lecture indispensable pour la suite des événements. Les Dossiers noirs sont désormais publiés chez L’Harmattan, qui va éditer
prochainement les 5 premiers en un seul volume de 368 pages. Le n° 6 (112 p.) peut être commandé à Survie (49 F). Plusieurs
autres Dossiers sont en préparation.
Simultanément - car il ne s’agit pas de se contenter d’une publication - la Coalition CFA s’associe à une campagne d’opinion
lancée le 30 novembre par Agir ici, réclamant des changements radicaux dans la mise en œuvre de la politique africaine de la
France : respect de l’indépendance des pays « du champ », contrôle parlementaire, évaluation de l’aide publique au
développement. Et, comme en l’espèce le pire reste à redouter, la Coalition, catalyseur de contre-pouvoirs, fourbit d’autres
répliques à l’abêtissement institué (le « domaine réservé » favorise l’irresponsabilité, qui encourage la bêtise, laquelle peut aller,
comme au Rwanda, jusqu’à parrainer la bestialité).
Bons points
- Paris, qui fournit une aide importante à la gendarmerie cambodgienne commandée par le général Kien Savuth, conditionnerait le
maintien de cette aide au limogeage du général, tenu pour responsable d’un massacre de manifestants en 1991. On est plus
regardant en Asie qu’en Afrique ? (Libération, 22/11/1995)
- L’Afrique subsaharienne amorce beaucoup plus vite que prévu la maîtrise (à la baisse) de sa fécondité. Cela limitera d’autant les
risques d’une explosion démographique (Chronique du CEPED, 7/1995).
- Artisans du monde nous invite à « libérer nos fringues », en « alertant » de grandes firmes importatrices de vêtements à trop bas
prix, fabriqués parfois dans des conditions proches de l’esclavage.
- Billets parle trop peu de la Mauritanie, où ségrégation et esclavage sont loin d’être terminés. Un Groupe de réflexion sur la nonviolence des étudiants africains à Rabat et Paris (c/o Brima Conteh, 9 rue Deveria, 75020-Paris) mène une action de sensibilisation à ce
propos, et d’appui aux réfugiés mauritaniens. Il diffuse des cartes de vœux... (40 F les 5). Nous lui adressons les nôtres !
Billets d’Afrique
N° 29 – Décembre 1995
Fausses notes
- Le budget 1995 de la Coopération est en baisse (de plus de 7 % en volume), comme l’ensemble de l’aide publique au
développement. Mais la rigueur est sélective. Les subventions aux pays les plus pauvres (PMA) baissent de 22 %, tandis que les
prêts aux 4 bastions de la Françafrique (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon) augmentent de 17 % !
- L’associé d’Elf au Nigeria, Shell « que-je-n’aime-plus », aurait subordonné toute intervention en faveur du leader oroni Ken
Saro-Wiwa (exécuté par la junte de Lagos) à l’arrêt des campagnes écologistes contre ses activités d’exploitation d’hydrocarbures
en pays oroni. (Selon le frère de Ken, The Observer du 19/11/1995).
- Les États-Unis veulent diviser par 2 leur contribution à l’AID, cette branche de la Banque mondiale qui prête, sans intérêt, aux
PMA : l’aigle américain sait aussi faire l’autruche...
ILS ONT DIT
« Dans notre politique étrangère, les droits de l’homme jouent un rôle très important. [...] Le temps de la Realpolitik est fini ; il faut
que notre pays se fasse l’interprète des valeurs qui lui viennent de son histoire dans ses rapports avec tous les pays du monde,
grands ou modestes, puissants ou faibles. Nous le ferons en toutes circonstances, avec la plus grande clarté ». (Hervé de
CHARETTE, ministre des Affaires étrangères, lors du débat budgétaire du 12/11/1995).
[Le « poids lourd » de la politique étrangère française (surnommé Hervé I, ou RVI), ou son « poids plume » si l’on préfère (2 CV), s’est
surpassé. Celui qui mérita un « Daladier d’argent » pour sa diplomatie yougoslave a utilisé ces propos « énormes » pour clouer le bec au député
radical Schwartzenberg, qui s’étonnait de la mollesse des réactions de la France après l’exécution des leaders Oroni par la junte nigériane. Que
ce soit clair : cette timidité exprime, non une Realpolitik pétrolière, mais le respect assuré des droits de l’homme-dictateur - une interprétation
parmi d’autres des valeurs qui nous viennent de l’histoire...
Elf n’en est pas moins impliqué (pour 15 %, juste derrière Shell), dans le méga-projet gazier de 20 milliards de F qui doit être signé avant fin
1995. Alors, RVI, ce contrat, ça gaze ? la « valeur » Elf, ça carbure ?]
« La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et tout cela vaut a fortiori pour moi ». (H. de CHARETTE).
[Ainsi répondit Hervé I, lors du même débat budgétaire, au député RPR qui s’inquiétait d’une baisse de 20 % des crédits de la coopération
décentralisée, dont on s’accorde à vanter le potentiel... ]
« Nous devons mettre un terme aux détournements de l’aide publique au développement et aux trafics ». (Jacques GODFRAIN,
ministre de la Coopération, débat budgétaire du 12/11/1995).
[Avec Foccart en grand nettoyeur des écuries d’Augias ?]
« Si j’étais un dirigeant politique [...] français [...], je n’hésiterais pas à sacrifier une partie de l’appui, et même quelques voix des
milieux d’affaires, pour soutenir le mouvement démocratique et la transformation de la Chine, l’existence du premier étant le
meilleur gage de la réussite pacifique de la seconde. La grande question reste posée : la Chine réussira-t-elle une transformation
pacifique ou plongera-t-elle dans le chaos des seigneurs de la guerre ? Cette question ne concerne pas que le destin des Chinois,
elle concerne l’avenir de la planète, et [...] les intérêts à moyen terme [...] des Français [...]. Il s’agit d’une question bien plus
décisive que la vente d’une centrale nucléaire ». (WEI JINGSHENG, père - persécuté - du mouvement chinois des droits de l’homme.
Texte de 1994, Libération, 22/11/1995).
[Transmis pour exercice à Hervé de Charette. La Chine n’est-elle pas un pays « grand » et « puissant » ?]
« Demander aux gens si vite de surmonter leur chagrin, leurs rancunes, alors qu’il n’y a même pas de réparation, parler aussi
légèrement de réconciliation, de pardon, ce n’est pas seulement irréaliste, c’est cruel et inhumain. Seule une vraie justice pourrait
permettre de faire un pas en ce sens. [...]
L’assassinat de la mémoire est le deuxième volet du génocide. Nous en avons fait l’expérience, et les Rwandais vivent cela
aujourd’hui ». (John LEMBERGER, Directeur général de l’agence israélienne Amcha, entretien à Kigali, in Le Soir du 04/11/1995)
À FLEUR DE PRESSE
Le Soir, Rwanda : faire de Kagame le "roi" !, 09/11/1995 (Colette BRAECKMAN) : « Les relations demeurent difficiles entre Paris et
Kigali. Au cours de la conférence sur le génocide, pas une voix ne s’est élevée pour atténuer la résolution très dure qui condamne
la France pour avoir entraîné militaires et miliciens, et qui demande des compensations en conséquence.
[...] Le ressentiment des Rwandais à l’égard de la France se nourrit aussi de l’ambiguïté des messages qui parviennent à Kigali.
[...] Quelques jours après la visite de Xavier Emmanuelli, un autre "messager" débarqua à Kigali : il s’agissait d’un homme
d’affaires kenyan, M. Okumu, qui se présentait, lui, comme l’émissaire de Jacques Chirac. Il développa les conditions mises par la
France à la normalisation des relations entre les deux pays à la veille d’une conférence internationale sur la région des Grands
Lacs, où le Rwanda risque de se trouver en minorité. Les conditions énumérées par M. Okumu étaient les suivantes : le Rwanda
doit cesser d’incriminer la France pour son soutien à l’ancien régime, et la France aujourd’hui ne reconnaît aucune responsabilité
dans la politique personnelle du président Mitterrand. Le Rwanda doit décréter une amnistie générale, ne traduisant en justice
qu’une dizaine de personnes que la France aidera à identifier, en s’engageant aussi pour que la communauté internationale
reconnaisse ses responsabilités dans la tragédie rwandaise.
Billets d’Afrique
N° 29 – Décembre 1995
Les souhaits de la France, exprimés par M. Okumu, portent également sur la nouvelle armée : celle-ci devrait être composée à
parité de troupes du FPR et des anciennes forces, avec un commandement tournant. Quant aux réfugiés, les "anciens" des années
60 devront retourner dans les pays dont ils viennent et les réfugiés récents devront retrouver leurs biens et propriétés. Le
gouvernement devra être remanié et inclure des personnalités de la "troisième voie" désignées par la France. Le français devrait
redevenir l’unique langue officielle au Rwanda.
Vient enfin le point le plus ahurissant de la proposition : considérant qu’il manque un "leader régional", que le président Mobutu
vieillit, la France souhaiterait consacrer le rôle d’"homme fort" du vice-président Kagame. Ce dernier pourrait être consacré "roi"
de la région, avec le soutien de la France, si les conditions précédentes étaient acceptées. [...] À Paris [...], cette démarche était
connue des milieux s’intéressant au Rwanda. [...]
L’intervention de l’émissaire kenyan, loufoque en apparence, illustre la pratique de la diplomatie parallèle qui caractérise trop
souvent les relations bilatérales avec l’Afrique : les ambassadeurs en poste reflètent la position officielle, tandis que des
"émissaires" transmettent des messages venus d’autres centres de décision. On se souviendra que l’Opération Turquoise en juin
1994, qui a permis la remise en selle du président Mobutu, avait été préparée par l’ancien conseiller Jacques Foccart et l’ancien
ambassadeur Fernand Wibaux, qui s’étaient rendus a Gbadolite à titre "purement privé". »
[L’Élysée a bien sûr démenti la qualité du « messager », et donc la teneur du « message » prêté à Jacques Chirac. Dans cette affaire
symptomatique, on navigue entre l’habileté et l’escroquerie, entre le vraisemblable et l’incroyable. Mais il s’est passé, dans cette région,
tellement de choses stupéfiantes, la France dément tellement de faits avérés, elle cautionne tant d’obscurs manœuvriers et peut soutenir des
thèses si aberrantes que le message a pu être pris au sérieux. Maints indices signalent que l’Élysée n’a pas renoncé à sa lecture ethniste des
crises africaines, ni abdiqué toute idée d’ingérence (y compris militaire) dans le Centre-Est de l’Afrique.
Si Mister Okumu (qui s’est taillé une réputation pour ses médiations en Afrique du sud) avait le moindre début de mandat, de l’Élysée ou ses
environs, il faudrait diagnostiquer une détérioration inquiétante de la lucidité et la conscience élyséennes : demanderait-on aux victimes de la
Shoah de souscrire à l’amnistie quasi totale de leurs bourreaux nazis ? peut-on demander à Paul Kagame de retourner en Ouganda, où ses
parents s’étaient réfugiés ? Si le messager est un escroc, pourquoi n’envoie-t-on pas un message clair, et public ?].
Libération, Un pavé dans la mare du franc CFA, 13/11/1995 (Stephen SMITH) : [Le journaliste a pu se procurer l’étude de Béatrice Hibou
pour le CAP du Quai d’Orsay (voir Salves), La zone franc, un an après la dévaluation. Bilan et perspectives pour la politique française de
coopération. Il l’analyse, et en cite les extraits suivants : ] « [La France] doit rompre définitivement avec ses pratiques mercantilistes et
protectionnistes, ses réflexes de chasse gardée (sur le pétrole, les privatisations, les projets énergétiques, le transport et les travaux
publics). Or ces pratiques sont liées à celles de la zone franc. [...]
Les cinquante années de pratiques abusives remettent en cause l’hypothèse, centrale, des effets favorables de la convertibilité de
la monnaie et de l’obtention illimitée de devises sur le développement. Par le laxisme des États et des banques centrales africains,
et en l’absence de contrôle de la part de la France, ces mécanismes, qui devaient favoriser le développement, ont été utilisés à des
seules fins de consommation, ont engendré irresponsabilité et gaspillages, ont favorisé un excès de dépenses par rapport aux
capacités réelles des pays africains. Il semble aujourd’hui illusoire de revenir à une pratique plus proche des principes et des
objectifs initiaux de la zone : la France a perdu la plupart de ses moyens de pression sur les États africains ; la nature de ces
derniers ne peut que les conduire à contourner toute règle nouvelle ; les comportements rentiers et antiproductifs s’inscrivent dans
une trajectoire économique historique très profonde ».
Le Nouvel Observateur, 09/11/1995. Dossier Srebrenica. Le massacre qu’on a laissé faire (François SCHLOSSER) et l’éditorial de
Jacques JULLIARD, Six mille morts sans importance : [De ce dossier bouleversant et ce réquisitoire implacable, nous ne retiendrons que
quelque phrases : ] « Le 10 juillet [veille de la prise de Srebrenica et du début de la boucherie] le général Janvier aurait déclaré à son
entourage, pour justifier son refus d’appui aérien : "Messieurs, vous n’avez donc pas compris que je dois être débarrassé de ces
enclaves ?". [...]
La page est tournée, même si la terre est encore fraîche des fosses communes [...] où reposent désormais les victimes de la
protection des grandes nations réunies ». (FS)
« La France, pourtant, avait engagé sa parole quand, par la voix d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, elle avait
demandé et obtenu de l’ONU la création de "zones de sécurité" en Bosnie. [...] L’opinion française s’était elle-même engagée en
faisant un triomphe au général Morillon quand celui-ci [était allé] s’enfermer volontairement à Srebrenica et [avait] promis aux
populations terrorisées qu’on ne les abandonnerait pas. [...] Pour prix de son courage, M. Balladur le fit rentrer en France au plus
vite. Lorsque de telles atrocités, impliquant les plus hautes autorités internationales, restent impunies ; pis : lorsque le manteau de
silence retombe sur les consciences, faisant de chacun de nous le complice de l’inavouable, alors la putréfaction gagne, l’odeur des
cadavres empoisonne l’atmosphère, la loi des assassins devient celle de l’humanité entière, qu’elle prépare à de nouveaux crimes ».
(JJ)
LIRE
Les médias du génocide, sous la direction de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Karthala, 1995, 397 p.
Une contribution décisive à l’élucidation de la mécanique génocidaire que les racistes rwandais tendirent à l’extrême de la peur et de la haine. À
lire les retranscriptions des articles de Kangura et des émissions de RTLM - cette radio « des mille collines », qui fomenta mille raisons de tuer -,
on se rappelle ces phrases de Françoise Bouchet-Saulnier : « La guerre du Rwanda n’est pas un conflit médiéval ou tribal, mais bel et bien un
conflit du troisième millénaire. [...] La guerre, conçue par les militaires, n’est plus menée par eux mais par les civils, utilisés par les médias
locaux comme moyens de combat. [...] Au nom de la peur entretenue, on envoie les civils tuer l’ennemi désigné. [...] On n’a pas encore assez
compris le rôle capital et l’efficacité des médias comme agents de guerre. Il n’y a pas de missiles Patriot pour briser net leur effet. Riposter au
pilonnage de Radio Mille Collines exige d’énormes moyens ». Une musique excellente, des commentateurs « sportifs » qui décoiffent, et voilà
« le travail » (ce nom de code de l’extermination) ! Pour comprendre ce génocide ultramoderne - sous la falsification archaïsante des luttes
ethniques -, il faut d’urgence découvrir tous les artifices de son mensonge.
Billets d’Afrique
N° 29 – Décembre 1995
Car la guerre médiatique continue, comme Kangura, plus que jamais diffusé ; comme les infamies sur les Tutsis - qui seraient, de toute éternité,
esclavagistes et creveurs d’yeux, toutes bénignités abondamment répandues par quantité de clercs ou même d’évêques, catholiques, anglicans et
protestants. Chrétien et ses coauteurs n’auront pas que des amis dans les milieux cléricaux : ils relatent par exemple la manipulation meurtrière
des apparitions mariales de Kibeho. Ni en Françafrique : ils citent les propos pleins d’espoir que son attitude alimente chez les journalistes du
génocide.
À titre d’antidote, on proposera qu’un résumé de leur extraordinaire décryptage soient enseignés dans toutes les écoles du Rwanda.
Rwanda, le jour d’après. Récits et témoignages au lendemain du génocide, Maria MALAGARDIS et Pierre-Laurent SANNIER, Somogy &
Médecins du monde, 1995.
Avec sobriété et talent, le duo d’auteurs donne à voir et à comprendre. Une centaine de pages de photos et de textes remarquables, qui en disent
long. Traversant l’horreur, un livre d’une profonde beauté.
Monsieur Afrique et le rat de brousse, VLADIMIR, Fleuve noir, 1995.
Dans ce roman d’aventures ouvertement inspiré de Billets d’Afrique et de son logo (selon une dialectique savante entre réalité et fiction), pitres et
crapules de Françafrique s’acharnent sur un jeune homme pur et son époustouflante fiancée. Épilogue en queue de poisson guinéen. Une
attrayante initiation au distinguo entre papy Foccart et le père Noël.
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DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - COMMISSION PARITAIRE N° 76019 - DEPOT LEGAL : DECEMBRE 1995 - ISSN 1155-1666