Fiche du document numéro 21823

Num
21823
Date
Samedi 23 juin 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
169909
Pages
2
Urlorg
Titre
Rwanda, l’opération Turquoise, un déni français
Sous titre
Le 22 juin 1994 commençait l’opération Turquoise, intervention militaire française pendant le génocide des Tutsi au Rwanda. Une intervention limitée, à deux mois et moins de 3.000 militaires même si elle nécessitait des moyens considérables à l’échelle de la France. Une intervention particulièrement controversée...
Type
Blog
Langue
FR
Citation
Une intervention particulièrement controversée, avant même qu’elle ne débute,
tant on a pu s’interroger sur les réelles motivations de la France qui soutenait depuis 4 ans un régime hutu faisant de la lutte contre le groupe social des Tutsi un axe majeur de sa politique.

Une intervention incroyablement ambiguë, au 75e jour du dernier génocide du XXe siècle qui fit un million de morts en 100 jours.

Incroyablement ambiguë car à aucun moment nous ne nous en sommes pris aux génocidaires.

Incroyablement ambiguë parce que nous nous sommes retrouvés aux côtés des forces gouvernementales – armée, gendarmes, miliciens – qui commettaient ce génocide.

Incroyablement ambiguë parce que nous avons soutenu de fait ces génocidaires, en essayant de les remettre au pouvoir, puis en protégeant leur fuite avec armes et bagages grâce à la « zone humanitaire sûre », avant de les installer et les réarmer dans des camps de réfugiés au Zaïre, l’actuelle République du Congo.

Une erreur politique majeure



Erreur politique majeure, car ce ne sont pas mes compagnons d’arme qui pouvaient décider d’une telle intervention, l’opération Turquoise s’est doublée d’un mensonge éhonté sur la complicité d’un crime imprescriptible. Depuis un quart de siècle, les archives du rôle de la France dans le génocide des Tutsi sont bouclées tandis que les responsables politiques qui n’ont pas le courage d’affronter la réalité essaient encore de se camoufler derrière une « opération strictement humanitaire » et osent invoquer « l’honneur de la France » pour ne pas assumer leurs responsabilités, notre responsabilité. Car nous citoyens français l’acceptons, entre indifférence noyée d’un trop plein d’actualité et distance avec un petit pays de l’Afrique des grands lacs. Un million de morts !

Après cette opération Turquoise, je me suis heurté à cette culture du silence propre à l’armée française, considérant que nous n’avons pas à discuter de décisions politiques, ni à les rapporter dans leur réalité plutôt que sous leur habile communication. J’ai vu ensuite l’œuvre d’enfouissement par des responsables politiques, comme si un génocide pouvait être enfoncé sous terre et disparaître. A la mission « d’information » parlementaire ont succédé l’injonction de son ancien président me recommandant de ne pas témoigner sur ce sujet « pour ne pas troubler l’esprit des Français », les insultes, les menaces, les pressions… ne pas raconter, ne pas gêner. On vient même, amicalement, de me recommander de ne pas mettre en cause Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée dans cette période si controversée, parce qu’il est tellement apprécié et soutenu « qu’on ne va tout de même pas lui reprocher des faits datant de 25 ans et qu’il est de toutes façons intouchable ».

Une culture de l’irresponsabilité



Une culture de l’irresponsabilité, ne parlons que des succès pour ne contrarier personne et tant pis si demain nous assistons à la reproduction de telles erreurs, comme nous avons dû assister impuissants aux massacres de Srebrenica, un an après le Rwanda, parce que nous avions décidé secrètement de ne pas nous en prendre à nos amis serbes, les autorisant de fait à commettre les pires crimes.

J’ai publié mes témoignages aux Belles Lettres, Rwanda la fin du silence et Vent glacial sur Sarajevo, pour que les choses soient dîtes et que ma mémoire ne puisse plus être effacée ou enfouie. D’autres témoignages suivront et les arguments des négationnistes évolueront. Ils ont d’abord nié en bloc ce que je racontais, maintenant ils vont reconnaître que cela s’est passé mais doit être interprété différemment, à leur manière. Ils naviguent sans scrupules dans l’ère des « faits alternatifs ». Ils oublieront simplement que lors du dernier génocide du XXº siècle, le seul que nous aurions pu empêcher, nous n’avons rien trouvé de mieux à faire qu’intervenir du côté des génocidaires.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024