Fiche du document numéro 21714

Num
21714
Date
Vendredi 18 mai 2018
Amj
Auteur
Fichier
Taille
200513
Pages
11
Urlorg
Titre
Procès en appel de Ngenzi et Barahira. Vendredi 18 mai 2018. J8
Sous titre
Projection de « Tuez-les tous » de Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE Audition de M. Raphaël GLUCKSMANN, directeur du Nouveau Magazine littéraire Audition de Mme Odette KAMPIRE, épouse de Jean MPAMBARA, bourgmestre de Rukara Audition de M. Guillaume ANCEL, présent au Rwanda lors de l’Opération Turquoise
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Transcription d'audience d'un tribunal
Langue
FR
Citation
La journée commence par la projection du film « Tuez-les tous » de Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE.

Audition de monsieur Raphaël GLUCKSMANN, directeur du Nouveau Magazine littéraire.



Dans l’histoire de l’humanité, on reconnaît trois génocides au XXème siècle, dont deux qui ne font l’objet d’aucune contestation. Le génocide des Tutsi est du même ordre que celui des Juifs. Il a été planifié, avec la volonté d’exterminer jusqu’au dernier. Impossible de confondre les notions de « guerre » et de « génocide » et il est important de parler du génocide des Tutsi avec le même respect que lorsqu’on parle du génocide des Juifs. Le témoin avoue que « ce génocide a fracturé (sa) vie en deux. » Il est important de déterminer les responsabilités de chacun car il y a trop de légèreté, en France quand on évoque le génocide des Tutsi.

Le témoin de préciser qu’un génocide consiste à « la mise à mort de l’Être humain », par une machine de mort organisée. Les tueries ne devaient rien au hasard. Et de s’aligner sur la position de madame Alison Des Forges qui parle de « la propagande en miroir ». (NDR). Posture qui consiste à accuser l’autre des méfaits ou des crimes qu’on a commis soi-même.)

Madame la Présidente demande au témoin pourquoi alors que le parallèle avec le génocide des Juifs d’Europe est bien reconnu, pourquoi le génocide des Tutsi est très peu dans les consciences. Le témoin rappelle les propos du président MITTERRAND : « « Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important » (NDR. Voir l’article de Patrick de Saint-Exupéry dans le Figaro du 12/01/1998 [1]). En parlant de l’Afrique, on préfère parler de « massacres interethniques », ce qui est une forme de racisme. Et ce n’est pas du tout le cas au Rwanda… Le Rwanda était un pays aussi bien organisé que l’Allemagne des années 20. Et dès son origine, on a mis en place une propagande en vue de nier le génocide. On a parlé du « double génocide », « une forme grise », comme si on accusait l’Armée Rouge d’avoir commis un génocide. Les crimes de guerre par l’Armée Rouge et les alliés occidentaux ne remettent pas en cause le génocide des Juifs. Le FPR a commis des crimes de guerre, mais pas de génocide.

Sur questions de la présidente, le témoin rappelle les caractéristiques communes que l’on peut trouver entre les génocides. (NDR. On peut regretter que le génocide des Arméniens n’ait jamais été évoqué même s’il ne bénéficie pas de la même reconnaissance.) Il ajoute qu’il n’y a pas de génocide sans négationnisme. Posture qui rencontre une peur qui est en chacun d’entre nous. Dire que c’est compliqué, c’est plus facile, ça rassure. En tout cas, ce n’est pas « une affaires de salauds contre d’autres salauds ». (NDR. Allusion à l’émission au cours de laquelle Natacha POLONY, qui débattait avec le témoin, et au cours de laquelle elle a utilisé cette expression inacceptable.)

Toujours sur question de madame la présidente, le témoin évoque les conditions dans lesquelles il a été amené à produire ce documentaire avec deux de ses amis. Raphaël GLUCKSMANN parle ensuite de la situation des rescapés dans le Rwanda actuel, affirmant que leur parole dérange le pouvoir, que ces derniers ne sont pas mis en avant par les responsables politiques, sauf en période de commémorations, qu’ils sont plus misérables que les paysans les plus pauvres. La tristesse des rescapés ne serait pas bonne pour l’image du pays. Le pouvoir actuel de Kigali résumerait la situation ainsi : « Il y avait une très mauvaise gouvernance avant, mais la nation est bonne. Il n’y a donc pas de place pour le ressassement des souvenirs, ce qui, pour les rescapés serait « la double peine ». (NDR. Ces propos , à mon sens, devraient pouvoir être plus nuancés). Et de préciser que, pour le tournage du film, ils n’ont pas rencontré de difficultés particulières. La seule difficulté, « c’est le temps qu’il faut prendre » pour rencontrer les gens.

Quant à prétendre qu’on ne pourrait pas juger des génocidaires si on n’est pas allé au Rwanda, c’est « un raisonnement qui invalide le sens de la justice. Il faudrait être témoin oculaire de chaque crime pour pouvoir juger ? C’est la négation même d’une cour. »

Un des magistrats assesseurs demande à partir de quand s’impose l’idée de génocide. Le témoin répond qu’il est difficile de trouver un moment précis mais que la volonté de se débarrasser des Tutsi est présente depuis très longtemps. L’idée germe au sein de l’Akazu [2], avec la création du Hutu Power en 1993 [3]. Dès l’attentat, ce sont les extrémistes qui prennent le pouvoir.

Maître Michel LAVAL, avocat du CPCR, s’exprime à son tour : « Une question me préoccupe, celle du « plan concerté ». Plusieurs intellectuels ont tout de suite parlé de génocide. En France, il faut prouver un plan concerté. S’il y a eu « plan concerté, pourquoi ? »

Le témoin : non seulement il y a eu un plan, mais il a été exécuté comme il était prévu. Dès le 7 avril au matin les milices sont en route pour tuer. Et de rajouter que tous les témoins qu’ils ont entendus pour réaliser leur firmes leur ont dit qu’ils avaient reçu des ordres. Dans un génocide, il y a obligatoirement une organisation préalable qui implique toutes les composantes de l’État. « La question qui vous préoccupe est la question centrale » car il n’y a pas de génocide sans plan concerté. Ce sont les miliciens qui expliquent le mieux ce plan quand ils donnent les taches qui leur ont été assignées.

Maître Rachel LINDON, avocate de la LICRA, revient sur la propagande en miroir mise en lumière par madame Alison DES FORGES et qui consiste à mettre en parallèle le génocide et les crimes du FPR. Le témoin rappelle que cette propagande en miroir rappelle le génocide des Juifs. Les tueurs de Butare s’inspirent de la propagande nazie. Mettre en parallèle génocide et crimes de guerre, c’est continuer la propagande du génocide.. On renvoie tout le monde dos à dos.

A son tour, maître GISAGARA intervient. « La dernière partie de votre documentaire est consacrée aux rescapés. Vous restituez leur détresse, une détresse qui est toujours intense. Le temps apaise-t-il les cœurs? »

Le témoin : le temps ne change rien à la douleur. Le temps s’est arrêté pour les rescapés entre avril et juillet 1994. Ils ont été exclus de la communauté des hommes et ont réintégré une vie qui n’est plus la leur. Le pouvoir que l’on accuse de fabriquer des témoignages leur demanderait de se taire ? La justice a été en partie sacrifiée. Vous êtes seul et le bourreau vit en famille. Votre violeur vit à côté de vous… Les rescapés sont seuls et pour eux, ça n’ira jamais mieux. Mais on leur demande de tourner la page !

Monsieur BERNARDO, l’avocat général, interroge le témoin à son tour et revient sur l’ambigüité de la France. Les autorités françaises n’auraient-elles pas été elles-mêmes victimes de cette propagande ? Le témoin de préciser que la volonté de l’État français était de s’opposer au FPR et effectivement, nos responsables politiques, les coopérants « se sont fait rouler dans la farine ». Les responsables rwandais n’étaient pas des pantins, ils savaient ce qu’ils faisaient. On trouve aussi la propagande en miroir chez les dirigeants français, et c’est une réaction raciste. Il faut tout de même rappeler que les acteurs du génocide, ce sont d’abord les Rwandais.

Monsieur BERNARDO se demande si la France n’a pas été prise au piège de son propre légalisme ! C’est un reproche majeur que l’on peut faire aux autorités françaises, continue le témoin, celui de n’avoir pas vu que les massacres des années 90/93 étaient un prélude. Elles vont même jusqu’à recevoir en France des envoyés du gouvernement intérimaire (NDR. Qui est en train de perpétrer le génocide !) Elles continuent à livrer des armes ! Il y a là un aveuglement continu des autorités françaises qui refusent toute démarche de demande de pardon.

« Pourquoi les médias ne parlent-ils pas de génocide début avril 1994 » demande l’avocat général ? « C’est une vaste question » reconnaît le témoin.. Certains médias et journaux en ont parlé assez vite. » (NDR. L’Humanité, La Croix (qui relaie en avril un appel au secours que je lance personnellement) ont parlé du génocide, puis Libération et le Figaro). « D’autres, comme mon journal du soir préféré (NDR. Le Monde), ont volontairement désinformé. La gestion générale de l’événement par les médias est calamiteuse. » C’est l’émergence du choléra dans les camps du Zaïre qui va provoquer un emballement en oubliant de rappeler qu’au Rwanda un génocide a été commis. Et monsieur GLUCKSMANN d’ajouter : « On sous-estime le niveau de fainéantise des journalistes. »

Monsieur BERNARDO poursuit. « En avril, on parle de guerre ethnique et pas de génocide. Qu’y a-t-il derrière ce silence assourdissant ? » Le témoin d’évoquer son expérience en Tchétchénie où malgré l’ampleur des massacres, il n’a jamais parlé de génocide. Il y a un « effroi légitime à ne pas employer ce terme ». « Le mot génocide effraie et il est normal d’être précautionneux dans son emploi ». De rajouter que le Rwanda n’était pas un centre d’intérêt pour la presse.

Maître BOURGEOT, avocate de Tito BARAHIRA, précise tout de suite que si des chercheurs nient l’existence du génocide, ce n’est pas le cas de la défense. Et de revenir sur le cas d’Alison DES FORGES pour souligner que ses relations avec le pouvoir rwandais se sont tendues vers la fin. Le témoin confirme et précise que c’est parce qu’elle avait enquêté sur les exactions du FPR. Mais elle n’a pas du tout voulu minimiser le génocide, elle a toujours mené la lutte contre les négationnistes. Pour lui, Alison DES FORGES est la chercheuse la plus sérieuse, la plus honnête. D’ailleurs, personne ne nie les exactions du FPR.

Maître BOURGEOT revient sur le témoignage de monsieur GUICHAOUA qui a évoqué la fabrication des témoignages. GUICHAOUA serait un pseudo-chercheur ?

« Ce que je sais, c’est que les quelques exemples qu’il donnent sont minimes par rapport aux témoignages qui ne sont pas entendus . » De redire que les témoignages dérangent la politique de réconciliation nationale. La logique du « Nous sommes tous Rwandais » entre en conflit avec le témoignage. « Je n’ai pas la connaissance de la pratique de fabrication de faux témoignages. »

Madame la présidente intervient et dit à l’avocate de la défense que, « témoignages fabriqués ou pas, c’est votre appréciation. Il n’est pas compliqué aujourd’hui de recueillir des témoignages au Rwanda. »

Maître BOURGEOT évoque alors le personnage de Janvier AFRICA, « un agent du FPR ». Réponse du témoin : « Dire que Janvier Africa est un agent du FPR, c’est de la pseudo-recherche. »

L’avocate de BARAHIRA revient sur son thème privilégié : « Si on ne va pas au Rwanda, on ne peut pas être un bon juge ? On ne peut pas juger convenablement ? »

Madame la présidente reprend de plein fouet l’avocate avant même que le témoin ne s’exprime.

Maître BOURGEOT veut enfoncer le clou et revient sur le transport sur les lieux et la fabrication des faux témoignages, redit que Janvier Africa était un « témoin instrumentalisé pour prouver l’existence des Escadrons de la mort. » On lui fait remarquer que Janvier Africa n’est pas dans le dossier et qu’on pourrait se dispenser d’en parler.

Maître EPSTEIN, avocat de Octavien NGENZI, vole à son secours, passablement énervé. Le témoin lui fait remarquer que GUICHAOUA passe sa vie à déconstruire l’histoire du génocide.

L’avocat se permet de dénoncer la façon dont le témoin se tient à la barre et reproche à madame la Présidente de ne pas être intervenu. Madame la Présidente demande à l’avocat de retirer ce qu’il vient de dire. A maître EPSTEIN, elle demande de « prendre un ton au-dessous » et menace de suspendre l’audience. Maître EPSTEIN aurait bien voulu être présent à l’audience pour pouvoir interroger le témoin, mais il devait plaider ailleurs.( NDR. Pour cause, il était parti pour avoir assigné le CPCR en référé pour non respect de la présomption d’innocence. L’audience a été reportée au 1er juin, ce qui a provoqué son profond mécontentement).

Le calme revenu, maître EPSTEIN demande au témoin si, aujourd’hui, il referait le même film. Monsieur GLUCKSMANN répond par l’affirmative. Il confirme aussi qu’il n’a jamais été sollicité par le TPIR.

Maître BOURGEOT revient sur le plan concerté en rappelant, une nouvelle fois, que le jugement BAGOSORA réfute la thèse du plan concerté et s’étonne que le témoin puisse continuer à être aussi affirmatif. Ce dernier déclare que sa connaissance du dossier n’a jamais été contredite et que c’est par manque de preuves qu’on n’a pu reconnaître un plan concerté. Cela ne veut pas dire que ce ne fut pas le cas. Et d’ajouter : « Pas de plan ? Comment expliquez-vous alors que les gens reçoivent en même temps les mêmes ordres. Il est impossible de mettre en œuvre un génocide sans plan. Ou alors, ce n’est pas un génocide. »

« Vous n’avez aucun doute sur la culpabilité des accusés ? » se hasarde l’avocate. Question qui laisse le témoin sans voix. Pourquoi il n’a pas écrit de livre ? « J’ai fait un documentaire sur ce que j’avais envie de dire ! » répond le témoin.

Une dernière question de la défense. « Un historien peut-il prendre la parole dans un prétoire ? » Allusion à Henri ROUSSEAU qui avait refusé.
Le témoin de répondre : « Je me suis fait une promesse. Quand une association de rescapés demande ma présence, j’y vais. Quand on écoute la parole des rescapés, on en sort changé ! »



Audition de madame Odette KAMPIRE, épouse de Jean MPAMBARA, bourgmestre de Rukara

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Madame KAMPIRE se présente comme témoin à décharge de NGENZI qu’elle connaît bien. Elle va consacrer le début de sa déposition spontanée en décrivant ses différents déplacements dans la région presque aussitôt après l’annonce de l’attentat. Elle va d’abord chez sa belle-sœur à Kayonza puis passe la nuit du 12 au 13 avril chez Octavien NGENZI à Kabarondo dont l’épouse est une amis de collège. Elle ne voit personne dans la maison car elle reste cloîtrée dans une chambre avec ses enfants. A peine échange-t-elle quelques mots avec NGENZI.

Son mari ayant appris que Kabarondo serait attaqué, il vient la rechercher le 13 en fin de matinée pour repartir en début d’après-midi. Ils aperçoivent bien quelques gendarmes près de l’église, elle a entendu des coups de feu, mais elle ne voit aucun mort en passant près de l’église. Ils se rendent chez l’ex bourgmestre de Kayonza, monsieur BALIGIRA. Le 14, départ pour Birenga, dans un Centre de santé, pour finalement passer la frontière de Rusumo le 28 avril. Puis installation dans le camp de Benako.

En décembre 1996, on rapatrie de force au Rwanda les réfugiés et elle sera emprisonnée pendant quatre ans. Au cours de ce séjour, elle côtoie des prisonniers et rencontre des gens de Kabarondo. Acquittée, elle quitte le Rwanda pour le Kenya, puis Mayotte où elle retrouve NGENZI qui l’accueille avant qu’elle ne trouve un logement. En réalité, elle connaissait beaucoup moins NGENZI que son épouse. Elle quittera ensuite Mayotte pour la métropole.

Le témoin décrit l’accusé comme un homme de bien qui n’avait aucun problème avec la population. Sa femme accueillait tout le monde, toute ethnie confondue. En Tanzanie, elle a bien vu qu’il avait été attaqué parce que complice du FPR. Dans le camp de réfugiés, NGENZI était serviable, comme à Mayotte. Pendant la nuit qu’elle a passé chez lui, elle a trouvé son hôte très inquiet, paniqué, « dépassé par les événements ». La situation était ingérable.

Et de terminer sa déposition : « Quand j’ai su qu’on l’avait accusé, j’ai sursauté mais cela ne m’a pas étonnée car mon mari avait subi le même sort. » Elle souhaite que devant la justice, il tombe entre de bonnes mains.

Madame la présidente va soumettre le témoin à une série de questions concernant ses déplacements au début du génocide, soulignant les contradictions dans les dates qu’elle fournit aujourd’hui et ce qu’elle avait dit aux juges le 3 février 2014. On revient sur le séjour à Kabarondo entre le 12 et le 13 avril. Elle ne sait pas que des gens sont alors rassemblés dans l’église de Kabarondo. Les seuls cadavres qu’elle ait vu, c’est lors de son passage de la frontière : des cadavres flottaient dans la rivière Akagera. Elle confirme que le 13 NGENZI est bien chez lui.

Madame la présidente aborde le cas de son mari qui a été emprisonné et jugé à Arusha. Il a été acquitté après avoir fait 6 ans de prison. Ils habitent Rouen.

Madame la présidente rappelle que son mari a été entendu en premier ressort. Il est d’ailleurs dans la salle. Madame KAMPIRE reconnaît que c’est à la justice de décider du sort de l’accusé mais que « ce serait monstrueux qu’il soit condamné. »

Occasion pour maître GISAGARA d’interpeller le témoin : « Pour vous, NGENZI est innocent ? »

« Je le dis parce que je le connais personnellement. J’ai rencontré en prison des gens qui le défendaient. Si les gens témoignent pour lui au pays, ils sont mal vus. Ceux qui viennent témoigner ici sont formatés. » répond le témoin.

L’avocat reprend la balle au bond : « Vous-même vous avez été acquittée ? » Le témoin rétorque que ceux qui ont témoigné en sa faveur ont eu des problèmes. Certains auraient même quitté le pays. Quant à elle, elle est partie au Kenya car on voulait l’emprisonner à nouveau. Maître GISAGARA lui fait remarquer que son mari a bénéficié de témoins à décharge dont certains sont venus du Rwanda. Et le témoin de redire que ceux qui ont témoigné pour lui ont eu des problèmes ! (NDR. Tout cela reste bien vague !)

Monsieur BERNARDO, l’avocat général, souligne les différences dans ses déclarations successives. Le témoin se contente de répéter ce qu’elle a dit dans sa déposition spontanée. Monsieur l’avocat général s’étonne qu’elle n’ait pas vu de cadavres à Rukara et à Kabarondo. S’étonne aussi que dans le couple on ne parle pas des événements qui sont en train de se dérouler autour d’eux. Elle revient sur la panique générale qui règne chez NGENZI et à Kabarondo, dit une nouvelle fois qu’elle n’aperçoit que quelques gendarmes près de l’église mais pas de corps.

Maître Rachel LINDON s’étonne à son tour. Le témoin confirme.

Au tour de la défense de questionner le témoin. Maître EPSTEIN fait confirmer au témoin le comportement de son client et lui donne l’occasion de dire qu’elle n’a jamais détesté les Tutsi. Elle à même prouvé le contraire. Elle redit que son mari, accusé pour les massacres de l’église de Rukara, a été acquitté.

A maître BOURGEOT elle dit qu’elle ne connaissait BARAHIRA que de vue pour l’avoir rencontré au Kenya. En prison à Kibungo, elle n’a rien entendu dire sur son client. Sur question de l’avocate, elle évoque la situation des témoins à décharge de son mari pour redire ce qu’elle a déjà dit.

Connaît-elle Innocent BAGABO ? Elle le connaît. Il habitait Gahini. Il est venu témoigner en faveur de son mari. Il était responsable d’une association des droits de l’homme et on l’a emprisonné. Elle ne sait pas s’il était considéré comme un juste. L’avocate précise qu’il a fait l’objet d’une demande d’extradition. (NDR. Innocent BAGABO fait partie des 42 personnes réfugiées en France et visées par des mandats d’arrêts internationaux. Elle ont toutes bénéficié d’un refus d’extradition par la Cour de cassation. Voir le site du CPCR à ce sujet [4]).

Plus tard, dans la soirée, madame la présidente lira la déclaration de son mari, Jean MPAMBARA, lors de son audition du 30 août 2011. (NDR. Jean MPAMBARA était venu témoigner en première instance, cité par la défense. L’avocat général l’avait alors accusé d’être venu faire un « témoignage de complaisance ».)

Madame la Présidente demandera à NGENZI s’il connaît les raisons pour lesquelles BARAHIRA a démissionné. L’accusé ne se mouille pas, il n’a pas été intéressé de savoir ! La présidente lui demande s’il a des commentaires à faire sur MPAMBARA. NGENZI s’embrouille dans ses réponses pour terminer en disant que « la situation était difficile.

Madame la présidente lui rappelle qu’il peut être normal de ne pas se souvenir, mais alors mieux vaut le dire ainsi. Elle fait tout de même remarquer qu’il y a trois déclarations différentes sur trois témoins. Qui faut-il croire ?

NGENZI se défend en mettant ces différences sur le compte du traumatisme, sur l’incarcération qui affecte la mémoire.

Maître LINDON signale qu’elle fera verser un document au dossier.



Audition de monsieur Guillaume ANCEL, présent au Rwanda lors de l’Opération Turquoise

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Guillaume ANCEL, officier de l’opération Turquoise en 1994 (document France Culture 2014 – D.R.)

Le témoin se présente comme un ancien officier des Forces d’actions rapides dans une compagnie de la Légion Étrangère au cours de l’Opération Turquoise, du 22 juin à août 1994. Il dit avoir été surpris à l’époque par ce que l’on disait sur l’Opération Turquoise et ce qu’il avait lui-même vécu sur le terrain. Il avait souhaité témoigner auprès de la mission parlementaire mais on le lui avait refusé. Il quitte l’armée en 2005 et souhaitait de nouveau témoigner. A partir de 2014, il accorde une centaine d’interview sur le sujet mais il subit des pressions. On veut effacer ce qu’il dit.

En 2018, il publie son témoignage aux Belles Lettres : Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français. Il raconte au jour le jour l’expérience qui fut la sienne et évoque le rôle réel de la France dans le génocide des Tutsi en 1994.

Dans la première partie de l’opération, ils avaient l’ordre de remettre au pouvoir le gouvernement génocidaire.
Ensuite, créer une zone sûre pour favoriser l’exil des génocidaires.
Le 15 juillet 1994, il assiste à une livraison dans dans un camp du Zaïre.

Il souhaite simplement dire que ce qu’il a fait au Rwanda n’était pas qu’humanitaire ; mais les archives étant toujours « bouclées », il est difficile de savoir ce qui s’est vraiment passé.

Sur question de madame la présidente, le témoin précise qu’il appartenait à une compagnie de la Légion étrangère qui était composée de 150 hommes. Ils étaient arrivés à Goma en vue d’un raid sur Kigali. Comme ils avaient « perdu » des véhicules au Gabon et en Centrafrique, ils ont dû renoncer à la mission.

Le 28 juin, il part pour Bukavu où on les maintient en réserve jusqu’au 30 juin pendant que se joue le drame de Bisesero. Le but était de lutter contre le FPR. Du 28 au 30 juin, ils ne reçoivent aucun ordre pour se rendre à Bisesero.

Du 30 juin au 1er juillet, ils devaient intervenir pour donner un coup d’arrêt à l’avancée du FPR dans la forêt de Nyungwe. L’opération de bombardement sera annulée au dernier moment, alors que les avions étaient prêts à décoller.

Ils seront ensuite missionnés pour protéger le camp de Nyarushishi. Quelques soldats africains participent à l’Opération, « pour la décoration ». Le commandement français se livre alors à un manège qui consiste à détruire feuille à feuille l’ordre qui concernait le raid sur Kigali afin qu’il n’en reste aucune trace. Lors d’une opération humanitaire, ils sauveront environ 150 personnes. Quant aux archives sensibles, il répète qu’elles sont « bouclées », surtout les archives de François MITTERRAND. Et d’ajouter : « Les archives sont ouvertes mais non consultables ». A-t-il reçu des menaces ? Oui, des menaces de licenciement dans son entreprise. Il a reçu aussi un message de la DGSE : « Attention quand vous serez moins médiatisés ! » Il reçoit des insultes de la part de ceux qui ne défendent que l’opération humanitaire.

Madame Aurélie BELLIOT précise que le témoin a été cité par la défense. Elle rappelle qu’on est ici pour juger deux personnes. Le témoin confirme les dates de sa présence au Rwanda et reconnaît qu’il n’est jamais allé à Kibungo. Il évoque alors un épisode rapporté dans son livre aux pages 90 à 93. Alors qu’il se dirige sur la route de Kagano, au nord de Cyangugu, il rencontre un bourgmestre et un prêtre et apprend qu’il n’y a aucun Tutsi dans la commune, « parce qu’ils ne couraient pas assez vite » aurait ajouté le curé. Aucun Tutsi n’avait pu leur échapper. Le témoin demande au bourgmestre ce qu’il ferait si les Tutsi reviennent. « Je suis en charge de la sécurité. J’ai tout ce qu’il faut ». Et de montrer au témoin un arsenal qu’il va lui confisquer. Le témoin veut tout simplement prouver que le bourgmestre joue un rôle clé dans la sécurité. Localement, il est le coordinateur et le décideur. De souligner ensuite le rôle très ambigu de l’Église catholique : des prêtres se vantaient d’avoir participé au génocide !

Monsieur BERNARDO, l’avocat général, s’étonne que le témoin craigne que son témoignage soit supprimé alors qu’on le trouve sur internet. L’ambiguïté de l’Opération Turquoise est connue depuis 2004 avec « Tuez-les tous » ! (NDR. Elle était en réalité dénoncée bien avant).

Le témoin précise que c’est lui qui a publié ce rapport et que lui ne relève pas de secret défense. Il répète que ce qu’il a fait au Rwanda ne correspond pas à ce que l’on dit de Turquoise. En 2014, il a provoqué des réactions violentes : on l’a traité de menteur, de mythomane.

La défense intervient en la personne de maître EPSTEIN. « Qui vous traite de mythomane ? »

Le témoin dénonce un site d’extrême droite sur lequel s’exprime Jacques HOGARD [5] (NDR. Jacques HOGARD est un colonel, ancien officier parachutiste de la Légion étrangère). Des nouvelles du fameux bourgmestre et du prêtre, il n’en a pas eu. Il précise qu’il est resté 50 jours au Rwanda, a participé à 30 opérations d’extraction et a rencontré une quinzaine de bourgmestres. Mais il ne les interrogeait pas car il y avait nécessité d’aller vite pour sauver les gens.

L’avocat de Octavien NGENZI évoque ensuite un article du Monde qui rapporte son envie de témoigner suite à un colloque de la Fondation Jean Jaurès. Le témoin donne des précisions. En 2009, on lui explique que ce qu’il a à dire n’est pas nouveau. En 2012, « la SNCF (le) quitte » et il éprouve le besoin d’écrire : « Vents sombres sur le lac Kivu ». Ce roman dérange : pure fiction ou témoignage réel ? En février/mars 2014, le témoin participe à un colloque présidé par Paul QUILLES. Historiens et juristes affirment que l’on n’a pas vraiment progressé dans la connaissance des événements. Et on lui demande d’intervenir. Alors, « 40 mâchoires se décrochent », dira Guillaume ANCEL. Les participants sont surpris par les réactions. Le directeur adjoint de l’Institut François MITTERRAND prend la parole : « Vous n’avez pas compris les ordres qu’on vous a donnés. Moi, je sais. »

Claudine VIDAL lui explique que son témoignage n’est pas valide car il est le seul à raconter ce qu’il dit ! La discussion commence à se tendre : Paul QUILLES se lève et stoppe les débats avec brutalité. « Je vous demande de ne pas témoigner sur le sujet car vos paroles pourraient déformer la vision que les Français ont de leur pays. » Laure De VULPIAN, de France Culture, publiera alors son témoignage [6]. Et le témoin d’ajouter que règne la culture du silence dans l’armée, et « le silence finit par vouloir dire amnésie ! »

Pourquoi n’a-t-il pas écrit en 1995 ? Le témoin s’est souvent posé la question. Mais dès son retour en France il est directement parti à Sarajevo et on lui a interdit de parler devant la Mission parlementaire ! Il précise qu’il n’a pas de conflit avec l’armée mais, « par le silence, nous n’avons pas à couvrir des opérations décidées au nom de la France ! »

Dans l’article du Monde, le témoin ne cache pas ses propres faiblesses. Le journaliste rapporte un « crime de guerre » qu’il aurait commis. Le 11 juillet, en effet, Guillaume ANCEL participe à une opération de recherche à Cyangugu. Des militaires sont installés dans un bâtiment religieux : il confisque les armes. En quittant le bâtiment, il aperçoit un groupe de miliciens qui ne se soucient pas de leur présence. Ils portent des restes humains autour du cou et l’un est équipé d’un gilet d’un parachutiste belge. Le témoin demande au légionnaire qui l’escorte de récupérer le gilet pare-balles. Ils tuent les 12 miliciens qui leur font face. (NDR. Rwanda, la fin du silence, pages 79 à 82.)

Sur question de l’avocat de NGENZI, le témoin confirme que son livre est préfacé par Stéphane AUDOIN-ROUZEAU.



Les autres témoins prévus au planning étant absents, madame la présidente décide de lire l’enquête de personnalité concernant Octavien NGENZI. Après la lecture faite par un des assesseurs, madame la Présidente rappelle à l’accusé qu’il a été condamné par des Gacaca [7]. A-t-il été condamné aussi à des réparations ? Ses biens continuent à être gérés par des membres de sa famille mais il a appris récemment que des gens étaient venus enquêter à Kabarondo.

A madame la présidente qui s’étonne que l’accusé n’ait pas parlé de l’agression qu’il a subie lors de sa fuite en Tanzanie. « C’est un oubli » se contente de répondre Octavien NGENZI.

L’accusé reprend la parole pour s’excuser d’avoir utilisé de faux documents lors de ses demandes à l’OFPRA.

Il est 20h25. L’audience est suspendue et reprendra le mardi 22 mai à 9h30.

Alain GAUTHIER, président du CPCR



“France-Rwanda : un génocide sans importance” de Patrick de Saint-Exupéry (le Figaro – 12/01/1998) archivé sur “francegenocidetutsi.org”

Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.

Terme qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.

A propos de la demande d’extradition d’Innocent BAGABO :

– Affaire Innocent Bagabo: vers une extradition? Wait and see (juillet 2015)

– La Cour de Cassation rejette l’extradition d’Innocent BAGABO (octobre 2015)

Le colonel Hogard ne mâche pas ses mots face à son ancien subordonné : “Je pense qu’il est totalement manipulé, aujourd’hui, par certains réseaux […] de milieux bobos, de bobos de gauche, mondialistes, un peu antimilitaristes… La France s’est peut-être mal conduite ici ou là mais, en âme et conscience, je ne pense pas qu’elle se soit mal conduite au Rwanda.” Ce à quoi Guillaume Ancel répond sur son blog “Ne pas subir” : “Cette confusion française entre l’obligation de réserve, qui relève du secret professionnel, et la culture du silence, qui consiste à cacher ce qui s’est passé, me semble particulièrement nocive. Je lui préfère, comme d’autres avant moi, une culture de la réflexion et de la responsabilité dans l’écrit pour que le silence ne devienne pas amnésie”.

Le 7 avril 2014, 20 ans après le début du génocide, France Culture publiait : “Nouvelles révélations sur l’opération humanitaire française au Rwanda en 1994“.

Gacaca : (se prononce « gatchatcha »)
Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001 et opérationnelles à partir de 2005, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, les Gacaca avaient une vocation judiciaire et réconciliatrice, favorisant le plaider coupable en contrepartie de réduction de peines. Près de 2 millions de dossiers ont été examinés par 12000 tribunaux gacaca avant leur clôture officielle le 18 juin 2012.
Cf. glossaire.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024