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Le délai pour contester l'enquête balistique du magistrat expirait hier.
La liste révélant la présence de missiles dans les arsenaux des forces armées rwandaises à la veille du génocide se trouve désormais chez les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, chargés de l'instruction sur l'attentat contre le président Juvénal Habyarimana. Les avocats des personnalités rwandaises mises en examen par le juge Bruguière en 2006 l'ont versée au dossier hier. Un jour qui marquait l'expiration du délai offert à toutes les parties civiles pour commenter ou contester la fameuse expertise balistique rendue publique le 10 janvier.
Emotion. Résultat de la première enquête scientifique française réalisée sur les lieux du crash, cette expertise avait finalement conclu que le lieu du tir le plus probable se situait près d'un cimetière, à l'intérieur de l'enceinte du camp militaire de la garde présidentielle à Kanombé, non loin de l'aéroport. Ces conclusions contredisent totalement celles émises (sans jamais se rendre au Rwanda) par le juge Bruguière en 2006, et qui ont suscité, en ce début d'année, une certaine émotion. Surtout chez ceux qui, comme Bruguière, ont du mal (ou peu d'intérêt) à admettre que les proches du président rwandais ont pu assassiner leur chef, soupçonné de céder au partage du pouvoir avec les rebelles tutsis.
Hier encore, à l'extrême limite du délai pour contester le rapport balistique de janvier, plusieurs avocats représentant notamment les proches des victimes (celles qui se trouvaient dans l'avion le soir de l'attentat) ont présenté des demandes de contre-expertise ou des commentaires. Premier avocat à avoir engagé cette procédure, Me Hélène Clamagirand représente les intérêts de la famille d'un membre de l'équipage français du Falcon 50. Mais cette avocate défend par ailleurs les intérêts d'un certain Paul Barril (lire page 3), ex-gendarme du GIGN dont le rôle dans le drame rwandais reste à déterminer : mandaté par Habyarimana pour réorganiser ses services secrets, présent au Rwanda deux jours avant l'attentat puis, aussitôt après, mandaté par la veuve du Président pour faire la lumière sur l'assassinat de son mari, avant de présenter aux médias français une fausse boîte noire…
« Enfumage ». Depuis 1994, l'affaire de l'attentat contre le président rwandais a donc donné lieu à une série de manipulations rocambolesques. De vraies fausses boîtes noires, de vrais faux missiles, retrouvés sur une colline mais mentionnés seulement deux ans après l'attentat avant de disparaître, de vrais faux témoins et des affirmations qui défient toute vraisemblance : « Les missiles, on le sait, sont de fabrication soviétique, vendus à l'Ouganda, puis fournies au FPR », croit bon d'asséner Hubert Védrine sur France Culture le 13 janvier, alors qu'il exprimait ses « doutes » sur l'expertise balistique réalisée par les juges parisiens. D'où tient-il de telles certitudes ? L'ancien fidèle de Mitterrand ne le dit pas.
En réalité, la présence de missiles français dans les stocks de l'armée rwandaise à la veille du génocide ne confirme ni ne contredit l'enquête en cours du juge Trévidic. Elle n'est qu'un élément qui incite à se poser des questions « sur l'enfumage constant de ce dossier » comme le souligne Bernard Maingain, l'avocat des officiels rwandais mis en examen. « Pour l'instant, cet enfumage est toujours venu de Paris », conclut-il.
Repères [dans le dossier sur les missiles français au Rwanda]
Paul Barril
Mais où était l'ex-supergendarme de l'Elysée contraint à la démission après le scandale des écoutes téléphoniques, sous Mitterrand, le jour de l'attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana ? Dans la région, reconnaît-il dans ses mémoires. Plus précisément, on ne sait pas. Il aurait dû être au côté de la victime, puisqu'il était chargé de sa protection. Etrangement, le juge Jean-Louis Bruguière ne lui a jamais posé la question. Plus tard, l'ex-gendarme a menti en prétendant avoir découvert la boîte noire de l'appareil.
6 avril 1994 L'avion du président Habyarimana est abattu à proximité de Kigali. Les extrémistes du Hutu Power, et leurs adversaires du Front patriotique rwandais (FPR), mené par Paul Kagame, sont soupçonnés.
Avril-juillet 1994 Le génocide, qui fera 800 000 morts, est perpétré par des extrémistes hutus (majoritaires à 85 %) contre des Tutsis et des opposants hutus. Planifiés depuis plus d'un an par le régime et menés par les milices «interahamwe», les massacres ont commencé après que l'avion du président hutu rwandais Habyarimana a été abattu. La force de l'ONU n'ayant ni les moyens ni le mandat d'intervenir, le génocide se poursuit pendant une centaine de jours.
22 juin 1994 Lancement de l'opération française «Turquoise», qui vise à protéger les civils dans le sud-ouest du Rwanda et dans les camps de réfugiés au Zaïre. 1,7 million de Hutus avaient fui l'avancée du FPR, qui traquait tous ceux ayant participé au génocide.
4 juillet 1994 Victoire du FPR, qui s'empare de Kigali.