Citation
« A la fin de janvier 1991, se souvient un officier français, j'ai réalisé que l'Elysée voulait que le Rwanda soit traité de manière confidentielle » A l'appui de ce constat, l'officier -- qui fut en prise directe avec les événements du Rwanda et qui y fit preuve d'un réel héroïsme -- cite un nombre de faits incontestables. « Au début de janvier 1991, le groupe dirigé par le colonel Serubuga (NDLR : alors chef d'état-major de l'armée de terre rwandaise) entame les opérations ethniques. Une centaine de personnes sont tuées dans une église. Informé, Paris ne réagit pas. En avril, une tribu tutsie est totalement liquidée dans le Nord-Ouest. Aucune réaction... »
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Affirmation gratuite ? Que penser alors de cette remarquable dépêche « confidentielle-défense » en date du 19 juin 1991 ?
« Depuis quelques semaines, » note l'auteur de la dépêche, la situation intérieure au Rwanda semble être essentiellement caractérisée par une certaine confusion dans les esprits et les comportements. Cette confusion d'origine circonstancielle est aussi entretenue par d'aucuns. »
Le rédacteur du télégramme examine alors le fonctionnement du « premier cercle du pouvoir» : « Ses membres connus et honnis des populations de toutes conditions paralysent l'action du chef de l'État et minent ses éventuelles velléités de transformation en profondeur. Parmi eux se distingue son épouse (...), Détenteurs objectifs de tous les pouvoirs depuis la révolution sociale de 1973, ils les considèrent comme leur propriété exclusive et désignent fonctionnaires, militaires et magistrats aux principaux postes. Leur hostilité à toute évolution démocratique ne les a pas empêchés de comprendre que s'y opposer sans discernement serait suicidaire. Aussi déclarent-ils, depuis six mois, qu'elle est irréversible et sera bénéfique mais, simultanément, ils créent le maximum d'obstacles à sa réalisation par :
- le renforcement inconsidéré des effectifs et des moyens des forces armées afin de développer une clientèle fidèle (...);
- l'entretien de la peur suscitée par l'agresseur en annonçant régulièrement urbi et orbi, l'attaque imminente et massive de l'armée ougandaise, ou encore l'infiltration de commandos dans les villes...;
- le sabotage de l'émergence des partis indépendants en gestation par toutes sortes de pressions et d'interventions (...);
- la propagation de craintes à l'égard des changements politiques. »
L'auteur enfonce le clou dans sa conclusion intitulée : « Les écueils à éviter». A savoir : « Méconnaître l'indispensable préalable qui consiste à réduire de façon sensible, directement ou indirectement, l'influence du premier cercle dans la conduite des affaires. Cette opération (NDLR: diminuer l'influence du premier cercle) est d'ailleurs réclamée ouvertement par l'immense majorité du peuple. »
Difficile d'être plus clair.
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La présence des « services », les écoutes téléphoniques, les livraisons d'armes à grande échelle, une évidente proximité avec les chefs de file des extrémistes hutus : à la fin de 1991, l'essentiel du dispositif français est en place au Rwanda.
Survient alors un étrange « incident ». Dans une interview accordée au Figaro (Le Figaro du 22 novembre 1997, interview recueillie par Renaud Girard), l'homme fort du Rwanda, Paul Kagamé, racontera être venu à Paris en janvier 1992 et avoir rencontré Paul Dijoud, alors directeur au Quai d'Orsay des Affaires africaines et malgaches. Ce denier lui aurait notamment dit : « Si vous n'arrêtez pas le combat, si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles, parce que tous auront été massacrés. »
Plus étrange encore, Paul Kagamé affirme avoir été arrêté quelques heures après cet entretien : « A l'aube, les policiers ont fait irruption dans ma chambre d'hôtel à Paris. Ils ont crié : « Vous êtes en état d'arrestation » et ils ont commencé à tout fouiller (...). Je leur ai expliqué qu'on était là dans le cadre d'une invitation officielle (...) Rien n'y a fait. »
Interrogé au téléphone par Le Figaro, Paul Dijoud, aujourd'hui ambassadeur de France en Argentine, déclare : « Je ne me souviens pas avoir reçu M. Kagamé. Mes collaborateurs m'ont d'ailleurs confirmé que je ne l'avais jamais reçu au Quai d'Orsay. Qu'il ait été reçu ailleurs à Paris sans que je l'aie su, c'est possible.
- Mais qui aurait-il pu voir ?
- Je n'en sais rien.
- Dans une pareille affaire, il ne peut s'agir a priori que de responsables politiques...
- On peut imaginer toutes sortes de choses. Qu'il ait été reçu par le ministère de la Coopération, par l'Elysée... On peut tout imaginer. »
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Mais, dans les coulisses, des marionnettistes continuent de tirer les ficelles. En dépit du retrait officiel du contingent français déployé au Rwanda, de quarante à soixante-dix conseillers militaires restent sur place, selon le ministre de la Coopération, Michel Roussin. Ces conseillers militaires sont « couverts » : ils sont là sur ordre.
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A la mi-mai 1994, soit cinq semaines après le début du génocide, des Français sont présents dans la région de Butare. Le Figaro dispose d'un témoignage précis : « Des Français se battaient à la mi-mai aux côtés des Forces armées rwandaises (FAR) dans la région de Butare. »
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En revanche ce même officier dit totalement ignorer qu'à la fin mai un
avion sud-africain bourré d'armes s'est posé à Butare : « Les
caisses ont été débarquées devant la préfecture. Les Rwandais les ont
caressées, contemplées, tellement ils trouvaient ça beau. le
lendemain, tous les miliciens aux barrages avaient des armes neuves...»