Sous titre
Ancien de la Marine nationale, mercenaire dans de nombreux pays africains, symbole du néocolonialisme et des services secrets, le dernier des affreux
, comme on l'appelait, était atteint de la maladie d'Alzheimer.
Citation
Le mercenaire Bob Denard est mort, samedi 13 octobre, d'un arrêt cardiaque. La disparition de celui que l'on a appelé, pendant plus de quarante ans, le « chien de guerre » ou l'« affreux » tourne une page de cette histoire tourmentée et douloureuse de la « Françafrique », celle des réseaux élyséens sur le continent noir et des batailles de l'ombre menées par des soldats d'une armée non officielle.
Atteint de la maladie d'Alzheimer depuis près de deux ans, l'ancien enfant de troupe promu colonel dans les années 1960 par l'éphémère République du Katanga résidait dans les derniers temps de sa vie dans le village de son enfance à Grayan-et-l'Hôpital (Gironde). Il avait été dispensé de comparaître pour raison de santé aux deux derniers procès auxquels il devait faire face, en 2006 et 2007, pour une tentative de putsch commise aux Comores en 1995. Bob Denard avait été condamné à quatre ans de prison en appel, dont trois avec sursis pour cet ultime dérapage barbouzard d'une longue liste de coups tordus et de coups d'Etat.
De son vrai nom Gilbert Bourgeaud, Robert Denard est fils d'un sous-officier de l'armée coloniale. Il a d'abord été quartier-maître dans les commandos de la marine française en Indochine et en Algérie, avant de servir la police au Maroc, encore sous protectorat. Là, il fait partie de la Lucoter
(branche contre-terroriste des services français) et participe, à Rabat, à une tentative d'assassinat contre Pierre Mendès France, tentative manquée pour laquelle il passera un an et demi derrière les barreaux.
En 1961, il abandonne un emploi de démonstrateur dans une société parisienne d'électroménager et embrasse définitivement la carrière de mercenaire qui le rendra célèbre. Tour à tour, il se met au service de Moïse Tschombé contre Mobutu au Congo belge, devenu Zaïre. Puis avec Mobutu contre Tschombé. Et réciproquement. Bob Denard intervient au Yémen et au Bénin, au Biafra, en Angola et en Rhodésie. Toutes ces années, Moustapha M'Madjiou - son dernier nom d'emprunt - aura joué de toutes les opportunités qu'offrent les contradictions et les faiblesses du pouvoir en Afrique issu de l'époque postcoloniale.
Bob Denard intervient pour la première fois aux Comores en 1975 afin de chasser Ahmed Abdallah du pouvoir. Trois ans plus tard, il organise un nouveau putsch pour le réinstaller au sommet de l'Etat en renversant son successeur, Ali Soilih. Désigné commandant en chef des forces armées, Bob Denard est affublé du surnom de vice-roi des Comores
. Il voyage en Afrique du Sud et au Gabon. La plupart du temps, il vit dans sa ferme modèle de la Grande Comore, gérant la garde présidentielle et ses propres affaires aux côtés des hommes de main qu'il recrutait à Paris par petites annonces dans le quotidien L'Aurore.
Après l'assassinat d'Ahmet Abdallah en 1989, Bob Denard se réfugie trois ans au pays de l'apartheid. De retour en France, il sera condamné à cinq ans de prison avec sursis, pour un coup d'Etat manqué au Bénin.
``J'ai payé de ma personne''
Au cours d'une rare interview accordée au Monde 2 en décembre 2004, Bob Denard avait déclaré avec sa voix rocailleuse ne pas avoir d'amertume. « Il n'y a que les cons qui en ont. » Assis dans son pavillon de banlieue décrépit de l'Est parisien, l'ancien employé de certains services français avait reconnu avoir travaillé avec « le feu orange » de Paris, le « ni oui ni non » des hommes de l'ombre. « On ne donne jamais le feu vert dans ces cas-là », soulignait-t-il. Il mentionnait son mentor, mort quelques mois plus tard, Maurice Robert, « rencontré en Indochine ». Celui-là même qui deviendra chef du service Afrique au Sdece (ancêtre de la DGSE) et le bras droit du gaulliste Jacques Foccart. « J'ai toujours gardé des relations avec les services, insista-t-il, toujours Maurice... »
Côté politique, dans cet entretien, il n'évoquait que du bout des lèvres ses liens avec les généraux félons de l'Algérie française. Il ne parlait pas des groupuscules d'extrême droite qu'il croisait avant l'indépendance. A peine y reconnaissait-il avoir toujours été porté par un anticommunisme viscéral.
Bob Denard, symbole du néocolonialisme à la française, cultivait cette image du « cas à part », comme il aimait lui-même se définir. Il disait gagner peu, « 1 200 euros par mois, 200 euros et des poussières de retraite », c'est-à-dire pas grand-chose pour cet habitué des comptes bancaires au Luxembourg, en Suisse ou au Panama. Sa maison était hypothéquée. Et sa dernière compagne (marié sept fois, Bob Denard était père de huit enfants) ne travaillait plus. « Blessé grièvement cinq fois, j'ai payé de ma personne, je n'ai pas à me plaindre et je ferme ma gueule. »
Dernier survivant d'un monde qu'il a lui-même en partie rayé de la carte, Bob Denard est aujourd'hui parti avec ses secrets.
Dates
7 avril 1929
Naissance à Bordeaux.
1964
Aux côtés de Mobutu au Congo.
1975
Coup d'Etat aux Comores.
1982
Opération au Tchad.
1995
Nouveau putsch aux Comores.
13 octobre 2007
Mort à Grayan-et-l'Hôpital (Gironde).