Sous titre
Chaque jour, mille nouveaux réfugiés arrivent dans un dénuement absolu aux abords de Gikongoro, au sud-ouest du Rwanda
Citation
GIKONGORO : de notre envoyé spécial.
La détresse absolue, c'est ici qu'on la trouve. Au bout d'une route
poussiéreuse cernée d'eucalyptus, on découvre le camp de Cyanika. A
perte de vue, des huttes de branchage et une humanité grouillante et
misérable. Des gosses à demi-nus s'accrochent aux visiteurs.
Un homme dit : « J'ai passé trois jours sans manger. Je vais
mourir. Mes enfants aussi... » Une odeur pestilentielle prend à la
gorge. On glisse sur les détritus, des traces de diarrhée maculent la
route. La dysenterie bacillaire menace, la malaria est là.
Les paras fêtés
Désiré Ngezahayo, bourgmestre de la ville de Gikongoro sur le
territoire de laquelle se trouve le camp, dit : « Nous sommes
totalement démunis. Nous avons des problèmes sanitaires. Nous manquons
d'eau. Le ravitaillement est rare. Chaque jour, mille nouveaux
réfugiés arrivent. Ils fuient les combats qui se rapprochent, car le
front est à vingt kilomètres à peine. »
Autour de l'église Notre Dame de la Paix des centaines de huttes ont
été installées. Le dernier refuge, l'ultime espoir pour ces gens qui
ont tout perdu. C'est ici qu'au mois d'avril un massacre a été
perpétré: trois mille Tutsis auraient été tués autour de
l'église. Parmi eux, des prêtres. Paradoxe, aujourd'hui, des Hutus
campent à l'endroit même où leurs frères se sont transformés en
bourreaux. Le bourgmestre admet: «~{it Il y a des gens ici, je ne peux
le cacher, qui ont participé aux massacres...}~»
Dans le camp, il faut faire la queue pour tout : un litre d'eau, un
bol de haricots, une mesure de sorgho. Près des buts de cet ancien
terrain de football, des petits commerces se sont montés. Le marché
noir a fait son apparition. Les réfugiés qui avaient un peu d'argent
profitent de la situation et offrent du sorgho à 100 francs rwandais
le kilo (il en vaut 20 habituellement).
Exaverine attend devant l'étal. Elle mendie un peu de sorgho pour ses
sept enfants qui se serrent contre elle. Elle se lamente : « Mon
mari a été tué, je n'ai plus rien... » Ils sont ainsi des milliers
de veuves ou d'orphelins dans ce camp du désespoir. Pour tenter de
s'occuper d'eux, de leur apporter un peu d'aide, l'organisation
Caritas. A sa tête, une Française. Elle s'appelle Madeleine
Raffin. Elle est toulousaine. Institutrice au Rwanda depuis 1968, elle
a pris sa retraite l'an dernier, pous se consacrer aux réfugiés, aux
victimes de la guerre civile. Elle dit : « La situation est
dramatique. La région est pauvre. Elle abrite 750 000 personnes
dont 250 000 réfugiés. »
Parce que la situation à Gikongoro et dans le camp de Cyanika est
devenue insupportable, un détachement français a poussé lundi, une
reconnaissance jusqu'ici. Les parachutistes ont été fêtés tout au long
de la route et à leur arrivée. Certes, les manifestations étaient
« organisées ». Les Français ont promis de revenir très vite : Les
gens ici ont peur d'une avancée du FPR, car il pourrait peut-être
venger les Tutsis massacrés autour de l'église de la Paix.