Ce n’est pas la fin de l’histoire mais une étape décisive : en annonçant mercredi avoir désormais clôturé son information judiciaire, le juge antiterroriste Jean-Marc Herbaut ouvre un nouveau chapitre dans l’une des plus sulfureuses sagas diplomatico-judiciaires des vingt dernières années. Celle qui concerne l’attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. De retour d’un sommet à Dar es Salam en Tanzanie, le 6 avril 1994, le Falcon 50 du président rwandais est atteint par deux tirs de missiles alors qu’il s’apprête à atterrir à Kigali, capitale du Rwanda. Il n’y aura pas de survivant, mais aussitôt les extrémistes hutus accusent le Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement rebelle identifié à la minorité tutsie du pays, d’avoir tiré sur l’avion.
Cette accusation, formulée et répétée dès les minutes qui suivent le crash, servira de prétexte pour déclencher le génocide des Tutsis, qui va ensanglanter ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs pendant trois mois. Plus de 800 000 personnes seront exterminées en cent jours, ce qui en fait le plus fulgurant massacre de l’histoire contemporaine.
Ce n’est que quatre ans plus tard qu’une instruction judiciaire est ouverte à Paris, à la demande des proches de l’équipage français du Falcon, qui avaient curieusement été d’abord dissuadés de le faire par les autorités françaises comme l’avait révélé Me Laurent Curt, l’avocat de la veuve du pilote.
L'instruction close une première fois puis réouverte
Depuis vingt ans, cette enquête confiée successivement à trois juges antiterroristes va empoisonner les relations franco-rwandaises, déjà mises à mal par les soupçons récurrents de soutien de Paris aux côtés des forces génocidaires. Car très vite, le premier juge chargé du dossier, Jean-Louis Bruguière, va accuser le FPR, arrivé au pouvoir en juillet 1994, après avoir mis un terme au génocide, d’être responsable de la mort du président rwandais. En 2006, Bruguière délivre ainsi neuf mandats d’arrêt contre de hauts responsables de l’ex-rébellion. Ces derniers restent à ce jour les seuls accusés dans ce dossier.
Mais le successeur de Bruguière, Marc Trévidic, va en partie infirmer la thèse de son prédécesseur. Alors que Bruguière ne s’est jamais rendu au Rwanda sur les lieux du crash, Trévidic y emmène une équipe d’experts qui va enfin réaliser une étude balistique démontrant sans doute possible que les tirs des missiles proviennent du camp de la garde présidentielle, fief des extrémistes hutus. Nous sommes en 2012 et l’on s’achemine alors vers un non-lieu.
Trévidic clôt une première fois l’instruction en 2014, mais elle sera rouverte in extremis à la demande de l’avocat de la veuve du pilote. Jean-Marc Herbaut succède alors à Trévidic et faute d’éléments nouveaux, clôt une fois de plus l’enquête. Mais alors que le délai réglementaire de trois mois est déjà dépassé, une nouvelle avocate entre dans la danse et réclame la réouverture du dossier au prétexte qu’un transfuge du FPR exilé en Afrique du Sud, aurait des révélations à faire. Las, Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major du FPR devenu opposant au régime, qui promet en réalité depuis 2010 de livrer la clé de l’énigme, va finalement multiplier les prétextes pour se défausser. Et son audition tant attendue, en Afrique du Sud ou en France, sera à chaque fois reportée malgré les promesses de son avocate.
Jusqu’à ce qu’en mars apparaisse un énième « témoin », James Munyandinda, lui aussi ancien transfuge du FPR, prêt à accuser une fois de plus l’actuel régime rwandais. Le juge Herbaut convoque alors à Paris James Kabarebe, l’actuel ministre rwandais de la Défense, pour le confronter à ce témoin miraculeux qui se serait tu pendant près de vingt-cinq ans. Kabarebe refuse la convocation du juge et les relations entre Paris et Kigali semblent une fois de plus au bord de la rupture. Comme ce fut le cas au lendemain de l’ordonnance du juge Bruguière.
Mi-décembre, nouveau rebondissement : les avocats des responsables rwandais apportent la preuve que le témoignage de Munyandinda devant le juge Herbaut contient quelques contre-vérités embarrassantes. A commencer par sa fuite hors du Rwanda vers l’Ouganda, alors qu’il a en réalité quitté son pays après avoir bénéficié d’une bourse d’étude pour le Royaume Uni. C’est visiblement à la suite de ces informations apportées par la défense que le juge Herbaut a décidé de clore son enquête.
Fausse boîte noire et faux missiles
Certes, rien n’indique dans l’immédiat qu’un procès ne sera pas organisé à la demande du juge ou du Parquet qui doit présenter désormais ses propres réquisitions. Rien n’indique non plus que les innombrables parties civiles concernées par ce dossier, représentant toutes les familles des victimes de l’attentat, ne vont pas une fois de plus se réveiller au dernier moment pour apporter d’autres éléments. Le suspense pourrait durer trois ou quatre mois.
Mais dans un dossier où, dès le départ, les témoins à charge se sont soit contredits soit rétractés, un procès serait un exercice périlleux pour l’accusation. Fausse boîte noire, faux missiles, témoins à charge bénéficiant de la sollicitude étonnante de la justice française qui ne les arrête pas quand bien même ils s’accusent d’avoir participé eux-mêmes à l’attentat au nom du FPR, ou bien qui ont été conduit devant le juge avec l’appui des services français. Depuis vingt ans, et plus particulièrement sous la houlette du juge Bruguière, l’instruction a été émaillée de troublantes manipulations. Dont l’objectif a toujours été d’accuser les responsables du FPR d’un crime qui a servi de prétexte à exterminer la minorité tutsie à laquelle ils appartiennent.
Jusqu’à présent seul le juge Trévidic s’était intéressé à une autre hypothèse : l’implication des extrémistes hutus dans l’attentat. En reprenant le dossier, Jean-Marc Herbaut a accepté d’entendre encore deux transfuges du FPR. Le premier installé à Johannesburg se fait toujours attendre, le second vient de se discréditer en dissimulant son véritable parcours après sa fuite du pays.
Que reste-t-il donc dans le dossier ? Pas grand-chose, à part cette énigme toujours la même vingt-trois ans plus tard : l’identité des auteurs d’un assassinat qui a servi de prétexte pour déclencher un génocide.
Maria Malagardis