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De retour à Kinshasa, le maréchal affirme qu'il « ne reculera pas » devant les populations insurgées du Kivu. Se présentant comme le garant de l'unité du pays, il passe sous silence les persécutions « ethniques » multipliées par son gouvernement au cours des six dernières années
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ACCUEIL triomphal et fort peu spontané pour le président zaïrois Mobutu Sese Seko, de retour mardi à Kinshasa après une absence de quatre mois en Suisse, puis en France, pour raisons de santé. Quelque 20.000 personnes s'étaient rassemblées à l'aéroport pour accueillir le dictateur, présenté par ses partisans comme seul capable de maintenir l'unité d'un pays menacé d'implosion par la rébellion dans l'est.
« Chaque fois que le Zaïre a été menacé dans le passé, je n'ai jamais reculé, je ne reculerai point », a aussitôt proclamé « le Grand Léopard » dans une allocution d'un quart d'heure retransmise en direct sur les ondes de la radio nationale.
« Le Zaïre est victime de son hospitalité africaine. Il est traîné dans la boue et bafoué par ceux-là mêmes que nous avons accueillis en frères », ajoutait-il, avant de conclure sans autre précision sur ses projets immédiats: « Je ne peux pas vous décevoir. Je connais vos attentes et vos espoirs. Je m'emploierai à y répondre rapidement et positivement dans l'intérêt supérieur de la nation ». A noter également ce clin d'oeil implicite au leader de l'opposition, Etienne Tshisekedi, lorsque l'orateur s'est félicité des « visites fraternelles des Zaïrois de toutes tendances politiques » à sa résidence française.
« Pas question de reculer » face à la rébellion du Kivu, a répété sous diverses formes Mobutu, avant de donner un nouvel exemple de son aptitude à tenir un discours officiel à l'exact opposé de ses faits et gestes sur le terrain: mardi soir, s'exprimant devant les médias occidentaux et les diplomates étrangers, il s'est fait patelin pour appeler « chaque citoyen zaïrois à ne pas tomber dans le piège de la xénophobie »... Une déclaration lourde de cynisme: depuis 1990 et l'instauration du multipartisme, le vieux dictateur a fait de « l'ethnisme » la pierre angulaire de sa nouvelle politique. Les années suivantes furent celles de « manipulations ethniques » à répétition, « dont les méthodes et l'inspiration préfiguraient les événements ultérieurs au Rwanda et au Burundi », écrit Colette Braeckman dans son dernier ouvrage, « Terreur africaine. Burundi, Rwanda, Zaïre: les racines de la violence »(éditions Fayard). Quelques rappels à ce propos.
Lubumbashi, capitale du Shaba (ex-Katanga), mai 1990: des commandos venus de Kinshasa envahissent le campus universitaire et assassinent systématiquement les étudiants originaires des provinces réputées hostiles au dictateur.
Shaba, 1992-1993: pogroms organisés contre les Baluba originaires du Kasaï voisin; des dizaines de milliers de morts et exode forcé d'au moins 100.000 personnes.
1993-1995: persécution des Banyarwanda du Masisi, qui s'amplifie avec la venue des réfugiés rwandais de l'été 1994; le nombre de victimes n'est toujours pas connu. Simultanément, les populations Bahunde sont, elles, refoulées vers l'intérieur du Zaïre, les Banyarwanda fuyant surtout vers Kigali.
Eté 1996: épuration ethnique organisée dans le Nord-Kivu, puis le Sud-Kivu, principalement dirigée contre les populations Banyamulenge. Désigné comme gouverneur du Sud-Kivu, Kyembo Wa Lumona, dignitaire de la « mouvance présidentielle », avait donné le signal en ces termes: « Quand vous rencontrez un serpent sur la route, que faites-vous? Vous le tuez, n'est-ce pas? » Mais, cette fois, les choses ne se passent pas comme prévu par Mobutu et ses « spécialistes ». D'où le dernier changement de ton en date. Sur le fond, la devise du dicteur reste inchangée: « Moi ou le chaos »...
JEAN CHATAIN.