Fiche du document numéro 18592

Num
18592
Date
Mardi 10 mai 2016
Amj
Auteur
Fichier
Taille
45372
Pages
4
Urlorg
Titre
Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n° 15-80.760 [Rejet du pourvoi de Patrick de Saint Exupéry et Laurent Beccaria contre Christian Quesnot]
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :


- M. Laurent X...,
- M. Patrick Y...,


contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 18 décembre 2014, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 14 janvier 2014, n° 12-87. 296), dans la procédure suivie contre eux des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Hervé ;

Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 31 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a retenu le caractère diffamatoire à l'égard de M. Christian Z...de la présentation du livre de M. Y... édité par M. X..., et condamné ces derniers à lui payer la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs que, sur la saisine de la cour, il sera rappelé que l'arrêt de la Cour de cassation à l'origine de la présente instance a certes limité explicitement sa censure de l'arrêt qui lui était soumis à sa motivation relative à la bonne foi, mais que l'arrêt en cause a, néanmoins, été cassé en toutes ses dispositions ; qu'en conséquence, la cour de céans se trouve saisie, sans restriction, de l'appel du jugement du tribunal de Paris, en date du 22 novembre 2011 ; qu'au demeurant, si la décision de la Cour de cassation excluait tout ou partie du débat, le renvoi devant une cour d'appel serait dépourvu de sens ; que, de même, et à l'encontre de chacune des parties, la référence à d'autres affaires intéressant les prévenus face à d'autres parties civiles peut avoir une valeur d'information qui ne saurait, néanmoins, exclure le principe de l'autorité relative de la chose jugée ; qu'il sera également rappelé que la cour n'est saisie que du seul appel de la partie civile ; qu'en conséquence la relaxe des prévenus est définitive et que ne pourra qu'être apprécié l'aspect éventuellement dommageable de leur comportement à l'égard de la partie civile ; que les spécificités de l'article 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sont désormais indifférentes à celui-ci ; que l'aspect ou non diffamatoire de la présentation du livre en cause devra donc être en premier lieu apprécié ; qu'à ce titre la cour ne saurait adhérer à l'analyse sémantique du premier juge quant au terme de « complices » qui, sans nuance est péjoratif quand il est accolé à « l'inavouable » ; que, par ailleurs, il sera rappelé que l'appréciation d'une diffamation publique ne relève pas d'un débat de spécialiste mais de sa perception par le lecteur moyen ; qu'ainsi, le titre nouveau de l'ouvrage indique qu'il traite de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, soit la période du génocide, en s'intéressant aux « complices de l'inavouable » et donc laisse entendre que les personnes citées en première page de couverture sont bien ces complices et que le crime auquel ils sont associés est bien le génocide des tutsis ; que la quatrième de couverture qui précise la dimension politique de l'ouvrage ne lève nullement l'opprobre que la première page fait peser sur les personnes citées, bien au contraire ; que, de fait, la nouvelle présentation d'un ouvrage qui se veut de réflexion apparaît destinée à attirer le lecteur par l'implication de responsables politiques et militaires de premier plan ; qu'en conséquence, étant à nouveau souligné que le contenu du livre est hors du débat, le lecteur qui voit celui-ci en vitrine ou le prend en main, en retiendra que les personnes dont le nom et la qualité sont cités sur la couverture sont impliqués dans le génocide rwandais ; que la présentation de l'ouvrage est donc de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de M. Z..., général ; que, sur la bonne foi, le caractère de sujet d'intérêt général de la question traitée ne saurait être discuté ; que l'animosité personnelle de l'auteur à l'égard de l'appelant ne peut davantage être sérieusement soutenue en regard des références de l'ouvrage aux propos de celui-ci et en l'absence de toute appréciation péjorative sur son action qui puisse dépasser les limites de la liberté d'expression ; qu'en revanche, les références de l'auteur quant à l'audition de l'appelant devant la commission parlementaire ou à ses rapports écrits au président de la République n'établissent en aucune manière que soient justifiées les atteintes à son honneur et à sa considération ci-avant décrites ; que ces documents illustrent au contraire son souci de mettre en garde le chef de l'Etat vis-à-vis de dérives et de prises de positions erronées des autorités françaises lors de la guerre civile rwandaise ; qu'aussi la présentation de l'ouvrage litigieux manque-t-elle manifestement à la prudence dans l'expression que requiert encore l'excuse de bonne foi ; que la demande de mise hors de cause de M. Y... en ce que la nouvelle présentation de son livre ne serait pas de son fait ne saurait prospérer dans la mesure où il ne prouve pas que celle-ci lui aurait été imposée ou qu'il s'y serait opposé ; que, quant aux sanctions et réparations sollicitées, la cour considérera que la demande d'interdiction de l'ouvrage est excessive en regard de la nécessaire pondération du préjudice de la partie civile et de la liberté d'expression ; qu'il sera en revanche fait droit à la demande indemnitaire de celle-ci ; que sa demande au titre de l'article 472 du code de procédure pénale, qui n'a pas lieu de recevoir application en l'espèce, sera rejetée ; que la demande de publication de la présente décision n'apparaît pas nécessaire en regard de l'ancienneté des faits et de la modeste publication de l'ouvrage ; que la demande de la partie civile sera en conséquence rejetée ;

" 1°) alors qu'en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l'écrit qui les renferme, et ce, sous le contrôle de la Cour de cassation qui peut se reporter à l'écrit lui-même afin de vérifier s'il contient les éléments de l'infraction ;
que, pour retenir le caractère diffamatoire de la présentation du livre de M. Y... édité par M. X..., l'arrêt attaqué retient que le titre de l'ouvrage réédité « Complices de l'inavouable – La France au Rwanda » laisse entendre que les personnes citées en première page de couverture, dont M. Z..., étaient impliquées dans le génocide des tutsis au Rwanda et que, le contenu du livre étant hors du débat, il est ainsi porté atteinte à l'honneur et à la considération de ce dernier ;
qu'en se déterminant ainsi, cependant qu'il lui appartenait d'apprécier le caractère diffamatoire des propos poursuivis au regard de l'ensemble des circonstances intrinsèques ou extrinsèques à ceux-ci, en particulier du contenu de l'ouvrage dont la présentation était qualifiée de diffamatoire, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;

" 2°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

que, pour écarter le fait justificatif de la bonne foi, l'arrêt attaqué retient que, si l'existence d'un débat d'intérêt général portant sur la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 est caractérisée, les références documentaires citées dans le livre de M. Y... ne justifient pas l'atteinte portée à l'honneur et à la considération de M. Z...; qu'en statuant ainsi, cependant que les éléments cités dans l'ouvrage réédité, essentiellement des rapports officiels et des notes émanant des plus hautes autorités de l'Etat, étaient suffisamment nombreux et fiables pour autoriser que des questions légitimes soient posées et fassent débat sur un sujet d'intérêt général relatif à l'histoire récente de la France et du Rwanda, et au type de politique mené par les responsables politiques et militaires français avant, pendant et après le génocide des tutsis perpétré en 1994, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;

" 3°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que, pour écarter le fait justificatif de la bonne foi, l'arrêt attaqué retient que, si l'existence d'un débat d'intérêt général portant sur la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 est caractérisée, la présentation du livre de M. Y... manque, toutefois, de prudence dans l'expression ; qu'en se déterminant ainsi, cependant que la présentation de l'ouvrage réédité, lequel s'inscrivait dans le contexte d'un débat d'intérêt général et reposait sur une base factuelle suffisante, ne revêtait pas un caractère gratuitement offensant à l'égard de M. Z...et visait seulement à interpeller le lecteur, dans les limites de l'exagération et de la provocation qui étaient admissibles, pour favoriser l'émergence de questionnements sur le type de politique mené par la France avant, pendant et après le génocide des tutsis au Rwanda, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

" 4°) alors que la proportionnalité de l'ingérence dans le droit à la liberté d'expression s'apprécie aussi à l'aune du montant de la condamnation pécuniaire prononcée par le juge ; que moins de 2 000 exemplaires de l'ouvrage de M. Y... édité par M. X... ayant été vendus, leur condamnation à payer à M. Z...la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts constitue une ingérence manifestement disproportionnée dans leur droit à la liberté d'expression ; que, dès lors, la cour d'appel a, à nouveau, méconnu le sens et la portée des textes susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite de la publication du livre intitulé " Complices de l'inavouable-la France au Rwanda ", qui comportait, en première page de couverture, parmi une trentaine d'autres, la mention de son nom et de son grade, et, en quatrième page de couverture, une présentation de l'ouvrage, qualifiant d'" erreur criminelle " la politique menée par la France au Rwanda, M. Z..., général, estimant que ce rapprochement lui imputait explicitement d'être l'un des complices du génocide survenu dans ce pays en 1994, a déposé une plainte et s'est constitué partie civile, du chef de diffamation envers un fonctionnaire public ; que M. X..., l'éditeur de l'ouvrage, et M. Y..., son auteur, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs de diffamation publique envers un fonctionnaire public et complicité de ce délit ; que les premiers juges ont relaxé les prévenus, et débouté la partie civile de ses demandes ; que celle-ci a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour infirmer le jugement déféré, constater le caractère diffamatoire de la présentation de l'ouvrage en cause, écarter le bénéfice de la bonne foi et condamner l'auteur et l'éditeur de l'ouvrage à payer à la partie civile la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts, les juges relèvent que le titre " Complices de l'inavouable " laisse entendre que les personnes citées en première page de couverture, dont M. Z..., sont impliquées, en cette qualité, dans le génocide commis au Rwanda et que la quatrième page ne lève nullement cet opprobre ; que les juges ajoutent que l'audition de la partie civile devant la commission parlementaire ou ses rapports écrits au Président de la République auxquels l'auteur se réfère, ne justifient en aucune manière les atteintes portées à l'honneur et à la considération du général Z..., mais établissent, au contraire, que celui-ci a attiré l'attention du chef de l'Etat sur les risques de prises de position erronées, si bien que la présentation de l'ouvrage manque manifestement de prudence dans l'expression ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées, exactement apprécié le sens et la portée des écrits incriminés, a, à bon droit, refusé aux prévenus le bénéfice de la bonne foi et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 000 euros la somme globale que MM. X... et Y... devront payer à M. Z...au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

DIT n'y avoir lieu à application dudit article au profit de MM. X... et Y... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix mai deux mille seize ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.



ECLI:FR:CCASS:2016:CR01744
Analyse
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris , du 18 décembre 2014
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024