Fiche du document numéro 18255

Num
18255
Date
Juin 1992
Amj
Auteur
Fichier
Taille
832747
Pages
13
Titre
Le défi de l'intégrisme ethnique dans l'historiographie africaniste
Sous titre
Le cas du Rwanda et du Burundi
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
J.-P. CHRÉTIEN

Le défi de l'intégrisme ethnique
dans l'historiographie africaniste
Le cas du Rwanda et du Burundi

découverte
il y a un siècle, une place idéologique étonnante dans les discours de l'africanisme et, plus largement, dans les fantasmes
de la pensée blanche ordinaire, depuis les récits de voyage du
XIXe siècle jusqu'aux rapports d'experts de la fin du
siècle (1).
Au bout de la chaîne de cette tradition écrite, on trouve les clichés de nos médias : en 1988, au moment de la crise de NtegaMaraganra, au nord-est du Burundi, ils nous apprirent encore que
les courts et les longs B... des peuples aussi dqférents que les Finnois et les Siciliens se livrent à un combat ancestral entre <( esclaves et seigneurs (2). Y font écho les slogans des défenseurs les plus
radicaux des factions politico-ethniques en présence, faisant feu allègrement des arguments les plus persuasifs d'une littérature ethnographique qui est entrée aujourd'hui dans le patrimoine culturel
de leurs pays.
Le plus frappant est le recours obligé à un récit d'allure historique dont la thématique est celle des Vdkerzuanderungen chère à
l'ethnologie du siècle dernier. La journaliste camerounaise MarieRoger Biloa pouvait encore écrire dans Jeune Afrique du 31 août
1988 :

L

E Burundi et le Rwanda occupent, depuis leur

((

))

))

((

(<

((

))

((

))

))

A chaque catastrophe, on rappelle les particularités de I'lzistoire burundaise. Bien avant I'indépendance (en 1962), les Tutsi,
Nilo-Hamitiques issus des hauts plateaux de l'Est africain, éleveurs arrivés entre le XVS et le XVIII~siècle, régnaient en maîtres absolus sur les Hutu, d'origine bantoue, agriculteurs séden((

71

INTÉGRISME ETHNIQUE

taires, plus anciennement itablis dans la rigion (dès les premiers siècles de l’ère chrétienne). P
La répétition, paresseuse ou sectaire selon les cas, de ce cliché
est censée compenser sa déficience scientifique. A défaut de sources et d’argumentation historique digne de ce nom, n’invoque-t-on
pas un accord des historiens ? La recherche contemporaine ne
pouvait éluder cette interpellation par défaut. Le travail critique
suscité par la recdnstruction mentale du rapport hutu-tutsi au
Rwanda et au Burundi dans le cadre idéologique missionnaire et
colonial (3) trouve des échos dans la mise à jiour de l’invention
des tribus menée par nombre d’historiens et d’anthropologues sur
d‘autres situations africaines (4).Et surtout on observe dans l’opinion publique des pays concernés un besoin d‘histoire et une mobilisation pour contrôler le passé qui révèlent la profondeur et l’actualité du malaise collectif entretenu autour de ce clivage identitaire.
Cette occasion de revenir sur les enjeux du métier d‘historien D
déborde par ailleurs le terrain strictement africaniste (5).
))

((

((

))

((

((

))

L’ethnisme scientifiaue de tradition coloniale
L’ethnicité se présente sous un jour très particulier au Rwanda
et au Burundi, puisque les identifications héréditaires patrilinéaires en tant que hutu ou que tutsi ne correspondent pas à une différenciation linguistique, culturelle ou géographique, comme cela
se passe pour les autres entités dites ethniques en Afrique. Ces catégories correspondaient à d’anciens clivages sociaux, les Hutu étant
plutôt agriculteurs et les Tutsi plutôt éleveurs (les Twa, très minoritaires, plutôt chasseurs, pêcheurs ou potiers), sans que l’on puisse
(1) Plusieurs passages de ce papier ont
déjà été développés dans une contribution
intitulée L’immatriculation ethnique, vocation permanente de l’africanisme ay Rwanda
et au Burundi 7 N à paraître aux Etats-Unis
dans un ouvrage collectif dirigé par
V. Mudimbe et B. Jewsiewicki sur le transfert de lu connuissance Nord-Sud n.
(2) Wmhington Post : 21 août 1988 ;Economist : 27 août ; Le Monde : 20 août.
(3) J.P. Chrétien, a Les deux visages de
Cham in P. Guiral et E. Temine (éds.),
((

((

)),

L’idée de race dans la pensée polizique française contemporaine, Paris, CNRS, 1977,

pp. 177-191; Hutu et Tutsi au Rwanda et
au Burundi n, in J.L. Amselle et E. M’Bokolo
(ids.), Au c o w de I’ezhnie, Paris, La Découverte, 1985, pp. 129-165. C. Vidal, ibidem,
pp. 167-184. J. Gahama et A. Mvuyekure,
U Jeu ethnique, idéologie missionwire et poli((

72

tique coloniale. Le cas du Burundi
in
J.P. Chrétien et G. Prunier (ids.), Les ethnies
ont une histoire, Paris, Karthala, 1989,
pp. 303-324.
(4)J. Iliffe, Modern History of Tanganyika, Cambridge, 1979. J.P. Chauveau et
J.P. Dozon, (t Au cœur des ethnies ivoiriennes... 1’État in E. Terray (éd.), L’Etut contemporain en Afrique, Paris, L’Harmattan,
1987, pp. 221-296. J.P. Chrétien et G. Prunier (ids.), op. cit., 1989, H. Chimhundu,
(1 Early missionaries... during the “invention
of tribalism” in Zimbabwe n, Journal of African History, 1992, 1, pp. 87-109.
(5) Un débat sérieux, malheureusement
obscurci par une polémique personnalisée sur
la prétendue école historique burundofrançaise : voir Politique afriiaine, 1990,
no 37 et 39, et Revue canadienne des érudes
africaines, 1990, 2 et 1991, 3.
)),

)),

((

))

J.-P CHRÉTIEN

parler non plus de classes sociales. Ces groupes fonctionnaient un
peu comme des superclans, dotés de vocations différenciées et en
rivalité autour des fonctions et des prébendes redistribuées par les
cours royales ou princières. La mainmise tutsi sur le pouvoir, observable au Rwanda surtout depuis la fin du XVIP siècle, était beaucoup moins nette au Burundi. Mais cette configuration sociale
archaïque est en quelque sorte mise en musique sur une partition
raciale sous la colonisation.
Il est essentiel d’identifier le jeu politique et culturel des colonisateurs, dont une des passions a été précisément de reconstruire
la société traditionnelle dans les faits et dans les esprits. Tout
en prétendant rétablir la coutume dans sa pureté primitive D, l’administration belge entreprend dans les années 30 d’épurer le milieu
dirigeant local de ses déments hutu. Elle sélectionne de plus en
plus exclusivement dans les années 40 et 50 les fils de Tutsi (ou
de princes dits Ganwa au Burundi) pour l’entrée à I’école d’Astrida,
le seul établissement secondaire, autre que les séminaires, où soient
formés alors les h t u r s cadres des deux pays. Plus des trois quarts
des élêves rwandais recrutés entre 1932 et 1957 sont tutsi. On cultive chez cette élite un esprit d’aristocratie naturelle : les Batzitsi
étaient destinés à répzer... sur les races i@ritmres qui les entourent B (6).
Ce complexe féodo-hamitique est au cœur des pratiques sociales
discriminatoires de l’administration indirecte D : les seigneurs
tutsi doivent aider les Européens à faire travailler les serfs hutu
Au nom de l’efficacité et du progrès, le pouvoir des chefs locaux
est incroyablement renforcé par l’affaiblissement de la royauté, vidée
de son contenu religieux et donc populaire, et par l’éclatement de
la solidarité lignagère : les hommes adultes valides n, base d’imposition des corvées et des impôts, se retrouvent isolés face aux contraintes coloniales mises en application par des sous-chefs de plus
en plus exclusivement tutsi.
L’antagonisme est mis en scène de façon lancinante dans le discours colonial où se mêlent une imagerie biblique sur les lignées
de Cham et une imagerie féodale à la Walter Scott (Normands contre Saxons...). Les Pères Blancs sont persuadés de trouver chez les
Tutsi, descendants lointains des Abyssins monophysites (7), les
meilleurs artisans de l’évangélisation de la région des lacs : en 1946,
le Rwanda est voué au Christ-Roi. Hamites séinitisés ou Européens sous une peau noire les Tutsi ne sont pas considérés comme
des Barundi ou des Banyarwanda, mais comme des ((pasteurs nonzades envahisseurs venus assujettir et civiliser les masses obscures
des nègres bantous D. Ces Hamites, race de seigneurs, distants, polis,
))

((

((

((

))

((

((

((

((

))

)).

((

((

))

((

))

((

)),

((

))

((

(6) P. Ryckmans, Domixer pour seruir,
Bruxelles, 1931, p. 26.

(7) A. Pages, Au Ruanda. Un royaume
kainite au centre de l’Afrique, Bruxelles, 1933,
p. 8.

73

INTÉGRISME

E THNIQUE

fins, avec un fond de fourberie n dominent naturellement les Bahzitu,
des nègres au nez épaté, aux lèvres épaisses, au front bas, au caractère d’enfant, à la fois timide et paresseux, la classe des serfs D, nous
explique doctement un médecin belge en 1948 (8).
Toute l’histoire traditionnelle des royautés est réécrite selon cette
logique raciale. Au Burundi à la fin des années 30, I’évêque Julien
%orju en collaboration avec Pierre Baranyanka, le chef le plus
dévoué à la cause coloniale imposent leur vision : G Notre dymstie
est hamite (9). Le fondateur de la dynastie, Ntare le Hirsute (Rushatsi), héros de légendes, chasseur et forgeron, surgi dans les espaces
magiques de la montagne du Nkoma, au Sud-Est du pays, se muait
plus <( historiquement n en un noble guerrier hamitique venu du
N nord )) (10). Les Hutu étaient exclus de leur propre histoire, tandis que les Tutsi étaient pensés comme étrangers à leur propre pays.
Le même tutsi-tropisme s’observe dans l’historiographie à dominante
dynastique qui est développée sur le Rwanda.
Faute d’éléments linguistiques et culturels permettant de fonder cette coupure, les critères somatiques ont sans cesse été mis
en avant : de l’anatomie comparée héritée du X I 2 siècle à l’hématotypologie plus moderne, le principe consiste à déduire d’échantillons soigneusement sélectionnés sur le plan physique une sociobiologie systématique. Celle-ci prend en outre les traditions historiques comme prémisses d’un raisonnement qui vise à les authentifier! C’est ainsi qu’en 1954 Jean Hiernaux rend compte de sa
sélection des 879 personnes, qui ont été l’objet de mensurations dans
le territoire du Ruanda-Urundi : tout en reconnaissant qu’aucune
source n’éclaire sur les migrations des Batutsi )), il adhère à l’idée
d’une R pénitration récetzte D, sans doute inspirée par les missionnaires qui l’ont fait bénéficier de leur connaissance des questions indigènes D. En fonction de cela il est apparu qu’il fallait sLparer Batutsi,
Bahutu et Batwa D, peut-il conclure (11).
La langue de bois d’un véritable ethnisme scientifique (comme
on a parlé de (( socialisme scientifique 1)) a donné la vulgate de la
littérature ii interlacustre des années 1930-1960, perpétuée dans
nos médias et surtout dans les esprits de la jeunesse scolarisée.
Par exemple, au Burundi, jusqu’à une date récente, on a utilisé dans les écoles primaires, en guise de manuel, un Essai d’histoire, publié par les Presses Lavigerie d‘Usumbura vers 1958, où
((

))

((

))

((

((

((

))

(8) J. Sasserath, Le Ruanda-Uruwdi,
étranfe royaume féodal, Bruxelles, 1948,
pp. 27-28.
(9) J. Gorju, Face au royaume hamite du
Ruanda, le royaume fr&e de l’Urundi, BruxelIes, 1938, pp. 9-13.
(10) J.P. Chrétien, U Du Hirsute au
Hamite. Les variations du cycle de Ntare
Rushatsi, fondateur du royaume du

74

Burundi n, H i s t o y i71 Africa, VIII, 1981,
pp. 3 4 ; Nouvelles hypothèses SUT les origines du Burundir, in L.Ndoricimpa et
C . Guillet (éds.), L’arbre-mémoire, Paris, Rarthala, 1984, pp. 11-52.
(11) J. Hiernam, Les caract&es physiques
des populations du Ruanda et de l’Urundi,
Bruxelles, 1954, pp. 7-10, 105.
((

j.-r. CHRÉTIEN
on pouvait encore lire que les premiers Bantu sont venus de l’Asie ...
dès I‘@oque diluvienne et que les Hutu sont des Bantu orimtaux n,
alors que les Tutsi sont des Chamites sémitisés dont le berceau
est I’Asie occidentale, d’où ils passèrent en Afrique par le détroit de
Bab-el-Mandeb D. Les évolués qui ont fourni le premier personnel politique du Burundi indépendant, fréquentaient les écoles et
les paroisses où circulait une telle littérature. La presse catholique
en kirundi publia des articles d‘histoire (Rusizira Amareinbe en
1943-1944, Ndongozi en 1955-1957) directement inspirés des écrits
de Mgr Gorju, voire des archives des missions, où, sous le masque du texte imprimé en kirundi, double garantie de sérieux et
d’authenticité, les traditions orales nationales, transmises dans les
enclos, se retrouvaient déformées ou occultées. Bien plus, les témoignages oraux ont été pénétrés à leur tour par ces informations n
nouvelles (12).
L’historien n’est ni un antiquaire, ni un griot chargé de commémorer par écrit le contenu de traditions érigées en révélations.
Son métier est sacrilège, dans la mesure où, s’il consiste à détecter
des liaisons et un sens dans les événements du passé, il implique
aussi une sensibilité aiguë à l’inattendu, aux ruptures, aux quiproquos des héritages et aux glissements de sens des vocabulaires.
L’important n’est pas d’enregistrer l’antiquité des mots hutu D et
tutsi )), mais de rendre compte des processus qui ont conduit les
gens du Burundi et du Rwanda à s’entretuer au XX= siècle au nom
de ces appartenances.
((

((

))

((

>)

((

))

((

((

((

((

Un nouveau XMC siècle : les illusions d’un ordre mondial

A l’opposé de la tradition ethnographique, on trouve apparemment la vision universaliste de l’histoire africaine contemporaine,
dans laquelle les questions dites ethniques sont réduites à un épisode de la construction des Etats-nations ou à un aspect des contradictions entre classes sociales. Le problème se trouve noyé clans
un discours généraliste exogène. La critique de l’ethnisme serait
liée au dépendantisme des années 60-70. Et aujourd’hui la revalorisation du droit des peuples serait associée aux mouvements pour
les droits de l’homme et pour la démocratisation. Les positions antagonistes du Rwanda et du Burvldi sur la solution de la question
hutu-tutsi ont elles-mêmes revêtu un langage progressiste, dépouillé
de tout particularisme. D’un côté on parlait de pouvoir du peuple voire de démocratie paysanne de l’autre d’a unité nationale D, pour couvrir l’obsession d’un même dualisme héréditaire :
))

((

((

)),

<(

(12) J.P. Chrétien, u Les uaditionnistes
lettrés du Burundi à Pécole des bibliothèques

)),

missionnajres (1940-1960)n, Histoy in Africa,
XV, 1988, pp. 407-430.

75

INTÉGRISME E THNIQUE

une discrimination hypocrite à l’égard d’une minorité au nord de la
Kanyaru, une discrimination gênée à l’égard d’une majorité au sud.
Mais aujourd’hui, après les échecs successifs des régimes Bagaza
au Burundi et Habyarimana (encore en place pour combien de
temps ?) au Rwanda, les considérations économiques et politiques
de style international semblent dévalorisées par la reproduction de
l’imaginaire ethnique dans la vie publique. L’ethnicité est de nouveau érigée en un absolu. Au Rwanda comme au Burundi, ce ne
sont ni Jésus, ni Marx qui auraient le plus marqué les mentalités,
mais Gobineau, auquel font écho jusque chez nous des idéologues
réjouis d’y trouver comme une preuve de leurs théories (13).
Le régime rwandais, qui aurait pu, la fièvre de la révolution
de 1959 une fois retombée, abolir toutes les discriminations héréditaires, a au contraire maintenu le fichage ethnique sur les papiers
d’identité, avec les mêmes absurdités que dans le système sudafricain d’apartheid : enquêtes sur les tricheurs ; suspicion contre les métis qualifiés de Hutsi ; mise en Oeuvre de quota
fmant à 9 ’70 l’accueil d‘élèves d’origine tutsi à chaque niveau scolaire ; secret sur le recensement de 1978 car il ne donnait pas ces
9 ’70 qui font partie d‘une sorte de constitution non-écrite de l’oligarchie censée incarner le peuple majoritaire à Kigali ; système
de quota appuyé sur une immatriculation généralisée de la population selon des marqueurs qui se veulent biologiques ; discours politique et social calé sur les classifications, les étiquetages et les origines propres à une grille ethnique de type naturaliste. Pour reprendre une expression significative parue récemment dans un organe
officiel rwandais, Hutu et Tutsi constitueraient des souches sociales (14), autrement dit des entités archaïques qui seraient pertinentes dans une sociologie moderne. Si la Révolution de 1959-1961
a été une victoire sociale contre un régime féodo-colonial D, elle
a été un échec idéologique, faute, sans doute, d’une culture politique moderne à même de dépasser réellement l’héritage du paternalisme colonial (15). En quelque sorte un 1789 dévoyé, où les
(C ordres
auraient été confortés au lieu d‘être abolis.
Au Burundi, le dernier demi-siècle est marqué par la même
inflation ethniste. Les paysans du nord-ouest du Burundi en révolte
contre le chef Baranyanka en 1934 ne dénonçaient pas les Tutsi
en tant que tels, comme ce sera le cas chez les rebelles de Ntega
en août 1988, mais 4 les Beyerezi D, c’est-à-dire les dirigeants venus
))

((

((

))

((

))

((

))

((

>)

((

))

((

(13) B. Lugan, G Tutsi et Hutu, drame
atavique n, Le spectacle du monde, oct. 1988,
pp. 48-51.
(14) I. Nzabanita, in La Vicroire. Journal des forces armées maiidaises, avril 1991,
p. 66.
(15) Un des soutiens les plus efficaces de

76

))

la révolution de 1959, le colonel belge Guy
Logiest, était un admirateur de l’apartheid et
il écric encore dans ses souvenirs : M On ne
mélange pas les races comme on dilue le vin
dans l’eau (G. Logiest, Mission au Rwaxda,
Bruxelles, Didier-Hatier, 1988, p. 13).
))

J.-P. CHRÉTIEN

de la région de Gitega avec ce chef et qui gouvernaient à l’envers 1)
en jouant le jeu des colonisateurs (16). Venant après les manipulations coloniales, les tragédies contemporaines (1965 et 1972) ont eu
évidemment des effets profonds, tant sur les mentalités, en faisant
de la peur réciproque un acteur permanent, que dans le champ social,
en entretenant un retard énorme des Hutu dans l’accès à la fonction publique. La cofision socio-raciale (u aristocrates hamites contre paysans bantous ))) vient justifier toutes les suspicions et tous
les excès contre l’ensemble de l’une ou l’autre des deux composantes, une responsabilité collective héréditaire : c’est l’objet des débats
publics qui ont mené le Burundi à l’adoption en février 1991 d’une
Charte visant à fonder une sorte de nouveau contrat social.
La tentation ethniste, toujours vivace, comme on l’a vu en
novembre-décembre 1991 au Burundi et en mars 1992 au Rwanda,
peut être analysée à deux niveaux. A la base, chez les petits cadres
locaux ou dans la jeunesse scolarisée, chez des moniteurs d’école,
des administrateurs locaux ou des commerqants, hutu ou tutsi, les
frustrations sociales peuvent susciter cette sorte de régression (17),
au même titre que l’antisémitisme anticapitaliste dans certains
milieux populaires européens des X I X ~et X X ~siècles. Selon une
pièce de Brecht inspirée par les fantasmes nazi, (c le peuple a besoin
pour incarner les causes de sa misère d’un être familier ... que chacun
croise dans sa rue... II a découvert deux groupes raciaux : ... l’un a
la tête ronde, celle de l’autre est pointue. A la tête ronde, une Jzonnête
rondeur. A la pointue, ruse, calcul et duplicité B. Mais à un niveau
politique plus élevé, les bénéficiaires de ces amalgames sont des
groupes bien précis, des oligarchies au pouvoir ou en projet, des
factions qui ont trouvé là un excellent outil de mobilisation des
masses. Le socio-ethnisme est une option de la politique moderne
en Afrique. Le parallélisme idéologique, non seulement chez les
leaders hutu ou tutsi extrémistes, mais entre le Burundi et le
Rwanda, est frappant de ce point de vue.
Dans ce contexte l’histoire est devenue un enjeu du débat politique. Les textes fo3damentaux produits, au Rwanda comme au
Burundi, tant par 1’Etat que par les mouvements d’opposition comportent tous de longs chapitres rétrospectifs, chacun tenant à régler
ses comptes avec le passé et à affirmer sa vision historique : environ 60 pages sur 212 dans le Rapport de la Commission nationale
chargée d’étudier la question de l’unité nationale B diffisé au Burundi
en avril 1989 ; 2 pages sur les 12 de B I’Avant-projet de la Charte
politique nationale B proposé au Rwanda par la Commission natio((

))

((

((

))

((

(16) J.P. Chrétien, Une révolte au
Burundi en 1934 D, Annales ESC, 1970, 6,
pp. 1678-1717.
(17) A. Guichaoua, U Ordre social et
“régression” ethnique : la crise de la société
((

paysanne n, in J.P. Chrétien, A. Guichoua,
G. Le Jeune, La crise d’août 1988 QU
Burundi, Cahiers du CRA no 6, Paris, 1989,
pp. 59-76.

77

INTÉGRISME ETHNIQUE

nale de synthèse en décembre 1990 (18) ; 52 pages sur 61 dans un
dossier élaboré par le Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu) vers 1983 (19) ;83 pages sur 157 (sans compter les annexes)
d’un Mémorandum diffusé à Bujumbura en septembre 1991 par
le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi) (20) ; 18 pages
sur 70 dans un ((Memorandum sur la crise politique actuelle au
Rwanda B diffusé en décembre 1990 par la Communauté rwandaise
de France, etc.
Le débat n’est pas nouveau : #un côté l’accrochage au schéma
racial des invasions bantoues et nilotiques et la référence à une
situation dite traditionnelle, de l’autre l’accent sur les étapes historiques de la cristallisation de l’antagonisme hum-tutsi et une
réflexion sur les effets de la modernité coloniale. Mais, de fason
très significative, la ligne de clivage recoupe Hutu et tutsi, au
Rwanda comme au Burundi. L’histoire du Rwanda de l’abbé Alexis
Kagame, dont on connaît la fidélité aux traditions tutsi de la royauté
de son pays, et le pamphlet historiographique rédigé au milieu des
années 80 par Rémi Gahutu, fondateur du Palipehutu, reprennent
pratiquement le même schéma en pâte feuilletée (Pygmées, Bantous, Hamites) élaboré par l’ethnographie coloniale pour rendre
compte de l’histoire sociale de la région(21). A Bujumbura des
opposants hutu trouvent les mêmes termes que certains Tutsi, fascinés par Cheikh Anta Diop et le rôle hypothétique du foyer interlacustre dans le peuplement bantu-hamite de l’Mique, pour refiser les apports des historiens de l’université du Burundi (22). Même
situation au Rwanda, où face à m e nouvelle génération d’historiens qui mettent en valeur l’ancienneté du peuple-nation des
Banyarwanda et qui s’insurgent contre rabsurdité de certains débats
de la part de gens dits lettrés qui visent ci s’approprier exclusivement
les hiritages antérieurs, la vache, le fer, etc. D, des journalistes ultraethnistes se plaignent des intellectuels qui veulent changer notre
histoire D, c’est-à-dire celle des invasions raciales (23). La crise de
1990 a entraîné au Rwanda un essai de reprise en mains de l’Université par l’idéologie officielle, comme l’atteste la publication d’un
ouvrage collectif destiné à justifier les thèses officielles, y compris
sur la justice du système des quotas ethniques (24).
<(

))

<(

))

((

))

<(

))

<(

((

(23) E. Ntezimana, Histoire, culture et
conscience nationale ;le cas du Rwanda des
(19) R. Gahutu, The perseculion of the origines à 1900 D, Etudes nuandaises, jug.
1987, pp. 488489 ; Kangura, no 4, nov.
Rahuru of Burundi, S.I., s.d.
(20) Frodebu, Le chemin de Ia démocra- 1990, p. 21. Voir aussi : M. Mugabo,
L’absurdité de l’ethnisme à la rwandaise m,
tie au Btirundi.
(21) A. Kagame, Un abrégé de l’ethno- DiaIogue, no 151, Kigali, €ëv. 1992, pp. 3-7.
(24) F.X. Bangamwabo et al., Les relahktoire du Rwanda, Butare, 1972, pp. 22-23 ;
tions interethniques au Rwanda ù la Iumière
R. G a h ~ t ~OP.
, Cit., pp. 2-6.
(22) Frodebu (déjà cité), pp. 323-335 ;Le de I’agrasìon d’octobre 1990, Ruhengeri, 1991.
Renouveau, 4.11.1989.
(18) Tel que publié dans La ReIève,

no 154.

78

((

L‘adoption par l’historien d’une ligne favorable à telle ou telle
position ethnique apparaît pourtant comme plus que jamais absurde,
malgré la virulence des réaffirmations identitaires. Aujourd’hui on
observe un double courant : un regain d‘ardeur dans la défense des
personnalités ethniques, et en même temps, selon une vision universaliste de la démocratie qui tend à dévaloriser toutes les authenticités mises en avant par les tyrannies des années. 70-80, la relativisation des ruptures qu’ont représentées la conquête coloniale et
les indépendances. L’action coloniale sera alors réduite, au mieux
à une phase de modernisation autoritaire et d’ouverture au marché
mondial, au pire à une gestion conservatrice des situations préexistantes, toujours prêtes à resurgir. Le Rwanda et le Burundi, placés sous Mandat après la Première Guerre mondiale, ont-ils même
jamais été colonisés ? Les corvées de l’époque belge n’étaient-elles
pas déjà des tâches obligatoires <( dans l’ipitérêt des conzmunautés
rurales ?
Cette banalisation de l’épisode colonial met entre parenthèses
la dimension disciplinaire et militaire de la gestion des conquérants
et la dépossession économique et culturelle vécue par les peuples
dominés. Les agriculteurs du Ruanda-Urundi paupérisés dans le nouveau contexte monétaire et jetés sur les chemins du travail migrant
en Ouganda, les sauniers ruinés par la mainmise européenne sur
les salines d’Uvinza et réduits du statut de producteurs à celui de
porteurs, les responsables des cultes nationaux humiliés et destitués sous la pression missionnaire constituent des exemples, tirés
du travail historique des vingt dernières années au Burundi qui
pourraient être multipliés (25).
Aujourd’hui le nouvel ordre mondial à l’américaine s’exprime
dans la misère induite par l’ajustement structurel et aussi avec
les rebelles du Tigré, la Renamo ou Jonas Savimbi, tous héros de
la liberté, comme chacun sait. Loin, d’être exotiques, les situations
africaines entrent dans un débat général : la défense des Droits de
l’Homme confond volontiers les droits des personnes et les droits
des communautés, tandis que le jeu social semble devoir être livré
à une économie de marché mondiale virtuellement libératrice. Les
lois froides de l’argent cohabiteraient dans cette perspective avec
des solidarités primaires du sang, de la tradition et de la culture.
Politique par temps de disette B pour reprendre l’expression d‘Achille
Mbembe. La grande question est de savoir si les frustrations sociales
accumulées de par le monde doivent valoriser précisément l’abso((

))

)>

((

))

((

))

(<

(25) J.P. Chrétien, U Des sédentaires
devenus migrants. Les motifs des départs des
Burundais et des Rwandais vers 1’Uganda
(1920-1960) n, Cultures et déveluppement,
1978, 1, pp. 71-101 ;I d , Le commerce du
sel de 1’Uvinza au x m siècle : de la meil<(

lette au monopole capitaliste s, Revue frunçaise d’histoire d’outre-mer, 1978, 3,
pp. 401-422 ; M. Bahenduzi, Le rituel du
Mugunuro dans l’histoire du Bum74 des origines au xU.siècZe, thèse, Paris 1, 1991,
pp. 301-394.

79

INTÉGRISME ETHNIQUE

lutisme ethnique, c’est-à-dire prolonger dans la conscience populaire une idéologie bien exprimée par le terme allemand viilizisch,
comme on la voit aujourd’hui à l’oeuvre au Rwanda(26).
Sur le plan historiographique, le défi est double : éviter les effets
de mode, c’est-à-dire un balancement du tiers-mondisme à la néophilanthropie libérale, mais aussi sur Ua mise en musique des passions ethniques. Cela conduit à rappeler la différence profonde qui
existe dans l’approche historique entre une collection de singularités et la définition des spécificités P. L’historien ne reconstruit
pas l’âme des peuples il s’efforce d‘expliciter des Q situations
en hyant l’exotisme autant que les tiroirs tout prêts des définitions déjà rodées ailleurs. Le refus de jouer aux griots des intégrismes ethniques ne signifie pas l’aveuglement sur les différences
et les antagonismes. L’intrigue historique, pour reprendre l’expression de Paul Veyne, auquel nous pensons ici(27), se noue dans
le cas du Rwanda et du Burundi, non seulement à partir des héritages les plus anciens, mais aussi et surtout à partir des quiproquos de la situation coloniale (ses frustrations sociales, ses distorsions politiques, ses aliénations culturelles) et de la logique factionnelle qui s’est développée ensuite en jouant d‘un lexique ancestral
et d’une syntaxe coloniale (28).
((

))

((

((

)),

)),

Pertinence et impertinences du questionnement historien
La définition du territoire de l’historien en Afrique comme
en Europe se joue donc entre le respect des particularités spatiotemporelles (sans tomber dans un exotisme ethnographique) et la
recherche des compréhensions globales (sans tomber dans une géométrie sociologique). Le défi culturel et scientifique africaniste consiste surtout dans la restitution de leur respiration historique aux
données très riches de l’anthropologie, de la linguistique ou de la
géographie tropicale, trop longtemps liées au dualisme structural
tradition-modernité.
Dans le cas de la région des Grands lacs, cet effort a consisté
à sortir d’histoires nationales et dynastiques raffinées, mais situées
quelque part entre Grégoire de Tours et Lavisse. Ces histoireschroniques, médiatisées par les écrits coloniaux à connotations raciaQ

))

(26) J.P. Chrétien, GI Presse libre et propagande raciste au Rwanda. Rangura et “les
10 commandements du Hutu” Politique
ufricui.e, no 42, juin 1991, pp; 109-120.
(27) P. Veyne, Comment on em? l’histoire,
Paris, Seuil, 1971.
128) Dans le même sens : J.F. Bayart,
L’Etut en Afrique, Paris, Fayard, 1989,
)),

80

pp. 19-61;J. Lonsdale, U Le passé de 1’Afrique au secours de son avenir D, Politique ufic a k e , n’ 39, sept. 1990, pp. 135-154 ;
J.F. Médard, U L‘Afrique et la science politique in C . Coulon et D.C. Martin (ids.),
Les Afrique politiques, Paris, La Découverte,
1991, pp. 276-285.
)),

JA? CHRÉTIEN

les, ont été popularisée? par l’école et la culture lettrée. Chaque
pays a eu ses images d’Epinal : les petits Français ont appris durant
des générations Vercingétorix et Clovis, les petits Burundais et
Rwandais ont appris les invasions successives du cultivateur bantou et du pasteur nilo-hamite (même si dans ce cas la chronologie
était laissée à la fantaisie des érudits de sacristie). L’élargissement
de la réflexion historique a porté sur l’économie, les techniques,
les plantes cultivées, la démographie, mais aussi sur la vision du
monde, les formes du religieux et leurs rapports avec le fonctionnement des pouvoirs, les mutations discernables du XVIP au
XE= siècle, la dialectique concrète introduite par le choc colonial,
une relecture de l’espace, depuis le niveau des collines jusqu’à
l’ensemble régional est-africain d’entre les lacs (29). I1 faudrait y
ajouter aussi une réflexion sur la dimension temporelle de ces sociétés, qui ne se contente pas des siècles mythiques des origines
ou de quelques dates fétiches comme 1885 (30) ou 1962.
Les péripéties dramatiques de la question ethnique au Burundi
et au Rwanda donnent une particulière acuité à la définition du
dialogue entre chercheurs africains et occidentaux , qui recoupe
la définition du rapport entre recherche et politique. Un radicalisme paternaliste joué sur la scène internationale se trouve plus
aisément une partition bien ficelée qu’une recherche partagée
menée difficilement sur place. On ne peut éluder les défis de
l’échange inégal de la parole et la misère d’une recherche sans
formation.
La persistance du mimétisme intellectuel et du formalisme pédagogique prolongea jusqu’à la fin des années 70 l’impasse culturelle
fondamentale déjà évoquée : les anciennes références étaient dévalorisées sans que la modernité importée soit réellement proposée
dans sa dynamique propre. La jeunesse instruite était placée entre
deux cultures, ou plus exactement dans un univers culturel artificiel qui ne participait pleinement ni de l’une, ni de l’autre : une
tradition défigurée et reconstruite d‘un côté, une culture occidentale au rabais ou séchement scolastique de l’autre. Or l’émergence
d’une nouvelle élite capable de maîtriser son destin devait au contraire conjuguer deux exigences : l’attention aux réalités les plus
((

((

))

))

((

))

((

((

))

))

(29) E. Mworoha (éd.), Histoire du
Burundi, des origines à la fin du XLY’siècle,
Paris, Hatier, 1987. J.P. Chrétien, Histoire
rurale de I’Afnque des grands lacs. Guide de
Techerches, Paris, Karthala, 1983. A. Nsanze,
Un domaine royal au Burundi, Mbuye (enu.
1850-1945), Paris, SFHOM, 1980. C. Newbury, The Cohesion of Oppression. Clientship
and Ethnicity in Rwanda (1860-1960), New
York, Columbia UP, 1988. E. Mworoha,
Peuples et rois de l’Afrique des lacs, Dakar,

NEA, 1977. J. Gahama, Le Burundi sous
administration belge, Paris, Karthala, 1983.
E. Ngayimpenda et C. Thibon, articles d’histoire démographique in Département d’Histoire de l’UB, Histoire sociale de l’Afrique de
l’Est ( X I X siècle),
~ ~
Paris, Karthala, 1991,
pp. 185-229.
(30) Malgré ce qui est répété partout,
cette date ne signifie rien pour la région, qui
a été effectivement partagée sur le papier en
1890, et sur le terrain entre 1890 et 1910.

81

INTÉGRISME E THNIQUE

quotidiennes du peuple burundais et la mobilisation à cet effet d’un
effort intellectuel de pointe, autrement dit la rencontre du paysan
et du chercheur. Au Burundi ou au Rwanda, comme ailleurs en
Afrique, la connaissance spécialisée du pays semblait au contraire
devoir s’exprimer dans le moule dit africaniste D, c’est-à-dire celui
d’un regard étranger sur une réalité qualifiée de traditionnelle D,
relevant non de la science générale, mais d’une approche par définition exotique. Dans les années 60, tandis que les intellectuels en
formation à l’université officielle de Bujumbura étaient invités à
apprendre du latin et de l’histoire de la Flandre médiévale et que
les enquêtes en milieu mal étaient dénigrées, la connaissance interlacustre était censée s’élaborer dans quelques centres étrangers,
à Tervuren, à Paris ou à Londres, et sous la plume de quelques
spécialistes dont les seuls disciples étaient des auxiliaires de recherche, sans parler des experts passant dans la région entre deux avions.
Si des recherches menées en commun par exemple par des historiens frangais et burundais (ailleurs ce hrent des Anglais, des Belges, des Canadiens, des Américains ...) suscitent aujourd’hui tant
d‘animosité dans certains milieux, est-ce pour leur G opportunisme
ou pour avoir réagi contre un provincialisme culturel et une pédagogie figée?
L‘engagement des chercheurs n’est jamais chose simple. Dans
un combat aussi douteux que celui qui a embrasé périodiquement
ces deux pays depuis trois décennies, peut-on aisément distinguer
des violences révolutionnaires et des génocides ? Selon quel
critère faudrait-il faire un choix, dans l’indignation et la pitié, entre
les Rwandais tutsi dont la moitié ont été exclus biologiquement
ou géographiquement de leurs pays depuis 30 ans et les Burundais
hum dont des dizaines de milliers ont été massacrés ou exilés depuis
20 ans ? Or, jusqu’à une date très récente, tout a été mis en scène
dans cette région d’Afrique sur une base manichéenne. Dans ces
situations de violence, le plus grand courage des acteurs n’est-il pas
celui du compromis, et le devoir des observateurs extérieurs de ne
pas légitimer les fratricides (31) ?
Et surtout l’éthique du chercheur ne doit-elle pas être celle de
la conviction ? Le métier d’historien en particulier n’est-il pas
de décrypter les discours et les chiffres, d’analyser les contraintes,
de mettre en doute les concepts les mieux établis pour dégager les
ressorts des changements par-delà la fièvre des conjonctures, d‘identifier le nœud des intrigues historiques et la Q spécificité des situations par-delà la généralité des discours médiatiques, bref de fournir les éléments d’un dossier, à temps et à contretemps, au lieu
de négocier la vérité pour un combat militant, non de militer pour
((

((

((

))

))

((

))

((



))

((

)>

)>

((

((

)),

(31) J.P. Chrétien, li Les fratricides légitimés U, Esprit, déc. 1976, pp. 822-834.

82

((

))

))

J.-P. CHRÉTIEN

une immatriculation ethnique mais d’aider à dégager le processus d’une racialisation interne ? C’est là précisément que conviction scientifique et éthique se rejoignent, car, pour reprendre
le propos de Hanna Arendt, ((peu importe ce que des scientifiques chevronnés peuvent avancer : la race est politiquement parlant, non pas le début de l’humanité mais sa fin, non pas l’origine
des peuples, mais leur déchéance (32).
((

)),

))

Jean-Pierre Chrétien
CNRSKRA

(32) H. Arendt, L’impérjahze, mad.,
Paris, Fayard, 1982, p. 67. Réflexions analogues dans JCBarbier, L’Afrique du Sud
après l’apartheid, Paris, &E,
1991.

83

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024