Fiche du document numéro 18151

Num
18151
Date
Juin 1999
Amj
Fichier
Taille
237163
Pages
89
Titre
Damien Biniga : un génocide sans frontières
Source
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
AFRICAN RIGHTS: DAMIEN BINIGA: UN GENOCIDE SANS
FRONTIERES in TEMOIN DU GENOCIDE, N° 10, JUIN 1999

TABLES DES MATIERES

Introduction
Contexte
L'art de forger les alliances
Un soutien acheté
L'entraînement des Interehamwe
La division des communautés: pouvoir de la propagande
coup d'envoi du génocide dans l'usine à thé de Mata, Rwamiko, le 7
avril
Message bien transmis à Ruramba, Rwamiko, le 7 avril
Ralliement des fidèles à Mubuga, 11 avril
Quand la nuit a englouti Kibeho, 11-15 avril 1994
Lundi 11 avril: Biniga évalue la situation et désarme les réfugiés
Mardi 12 avril: première escarmouche
Jeudi 14 avril : le jour du grand massacre
Vendredi 15 avril :incendie de l'église
Une série de massacres à la paroisse de Muganza, Kivu, 12-15 avril 1994
Meurtre sur son propre terrain: massacre dans le Bureau de Biniga, le 16
avril 1994
Massacre sur massacre: la paroisse de Cyahinda, 15-18 avril 1994
Vendredi 15 avril: désarmement puis attaque des réfugiés
Samedi 16 et dimanche 17 avril: les tueries se poursuivent
Lundi 18 avril: "une date inoubliable"
La fuite entravée: massacre à la paroisse de Karama et patrouille à la
frontière du Burundi.

Un sillage de morts: l'héritage de Damien Biniga
NB: Le document contient deux cartes: La carte des préfectures du
Rwanda, et la carte de la sous-préfecture de Munini qui n'ont pas été
reproduites.

INTRODUCTION
Bien avant le génocide, on redoutait déjà Damien Biniga, bien connu
comme un ardent supporter du parti du Président Juvénal Habyarimana, le
Mouvement républicain national pour la démocratie et le
développent(MRND). Ancien député, son ascension fut telle qu'en octobre
1990 il occupait déjà la position de sous-préfet de Munini à Gikongoro. Au
départ les résidents de la sous-préfecture furent irrités et virent sa
nomination d'un œil soupçonneux, du fait qu'il avait été appelé à
administrer une région devenue un véritable bastion de l'opposition. Ils
allèrent même jusqu'à le surnommer Biniga-Impinja, "l'égorgeur de
nouveau-nés." Hélas, ce surnom allait s'avérer prophétique.
En avril 1994, Biniga orchestra le génocide de Munini et exécuta des
tueries dans toute la préfecture de Gikongoro et bien plus loin encore. Tous
les génocidaires de premier plan de la région, nombre d'entre eux
représentant des autorités gouvernementales locales, mais aussi enseignants
et prêtres se réunissaient avec Biniga avant avril 1994 et ils agirent en
étroite collaboration avec lui tout au long du génocide. Nombre des autres
furent poussés, par des moyens visant à les intimider, à participer à
l'intensive campagne propagandiste organisée par Biniga. Le message qu'il
répétait constamment à la population revenait à dire qu'aucun Tutsi ne
devait être épargné. Biniga insistait pour que tous soient exterminés, même
les nouveau-nés, se plaisant à rappeler aux plus timorés que Fred Rwigema
avait quitté le Rwanda alors qu'il était enfant pour revenir en 1990 comme
chef de l'Armée patriotique rwandaise (APR).
La célérité et l'efficacité avec lesquelles la quasi totalité de la population
tutsie fut éradiquée de Munini en 1994 ne s'expliquent pas seulement par la
violente incitation au meurtre de Biniga suite à la mort d'Habyarimana. Dès
son arrivée au poste le sous-préfet Biniga avait soigneusement forgé des
alliances et gagné des partisans par l'entremise de pots-de-vin et d'amitiés
intéressées. Le mois d'avril 1994 allait couronner au moins trois ans de
préparation. Entre son élection au gouvernement local de Munini en 1990
et le début des massacres, nombreux furent ceux qui se rallièrent à son

idéologie politique. Réveillant les sentiments ethniques, Biniga cooptait les
membres des classes défavorisées de la population hutue tandis qu'il
marginalisait les Tutsis. Par le biais de son message prônant l'unité des
Hutus, et les dons généreux qui l'accompagnaient, il parvint à exercer un
pouvoir stupéfiant sur la population Hutue de sa région. Tous ces facteurs
allaient jouer un rôle déterminant dans le génocide de Gikongoro; sans
Biniga, nombre de Tutsis auraient certainement survécu.
Par ailleurs, il ne s'est pas non plus contenté d'exercer son influence à
l'intérieur des frontières de Muninni. L'engagement de Damien Biniga à,
l'égard du génocide ne connaissait aucune limite territoriale. Il sillonnait les
communes et les préfectures du Rwanda et tentait de s'emparer des
survivants qui avaient fui au Burundi.
Les témoins comme Jean-Baptiste Nteziryayo sont rares. Il est originaire du
secteur Runyinya à Rwamiko, commune où Biniga prononça son premier
discours incitant la population au génocide et où commencèrent les tueries
de Munini. Il vint trouver refuge dans la paroisse de Kibeho, où Biniga
lança un gigantesque massacre le 14 avril. Nteziryayo s'échappa ensuite
vers la paroisse de Muganza; Biniga y poursuivit les survivants et les
attaqua le 15 avril. Nteziryayo se rendit à la paroisse de Cyahinda à Butare,
certain d'y être enfin à l'abri de Biniga. Le 18 avril, Cyahinda fut le théâtre
d'une attaque meurtrière dirigée, entre autres, par Biniga. On estime que
plus de 25.000 réfugiés y trouvèrent la mort. Nteziryayo s'enfuit alors au
Burundi. Alors même qu'il traversait la frontière, Biniga tenta de persuader
les gendarmes burundais que le groupe de réfugiés dont il faisait partie
n'était nullement persécuté mais fuyait simplement la famine et qu'il fallait
les renvoyer chez eux. Beaucoup de réfugiés suivirent le même chemin que
Nteziryayo pour tenter d'échapper aux griffes de Biniga, mais rares sont
ceux qui survécurent.
Je cois et j'affirme que Damien Biniga, l'ex sous-préfet de Munini,
est un génocidaire du premier degré. Il a planifié, organisé et
exécuté le génocide des Tutsis en avril 19941
Même dans le contexte du Rwanda de 1994, rares sont les émissaires de la
mort qui furent preuve d'une telle obstination dans la poursuite de leur
proie. Lorsque toute la lumière sera enfin faite sur le génocide de 1994,
Damien Biniga s'imposa comme l'un de ses principaux auteurs.
CONTEXTE
Damien Biniga est originaire de la commune de Mudasomwa, région de
Bunyambiliri, dans la sous-préfecture de Kaduha, Gikongoro. Son père
1

.Témoignage recueilli à Rwamiko, Gikongoro, le 24 avril 1997.

s'appelait Pierre Niyongira et sa mère Vérediana Kamikazi. Il fit ses études
primaires à Kaduha et son cycle secondaire à Butare. Il travailla ensuite à
Kibilizi, à Butare puis à Kigali comme auxiliaire médical. Il était employé
au service des transfusions sanguines de la Croix-Rouge rwandaise. Mais la
véritable ambition de Biniga a toujours été la scène politique. Dans les
années quatre-vingt, alors qu'il vivait à Kigali, il fit campagne pour être
membre du parlement pour la préfecture de Gikongoro. Afin d'augmenter
ses chances de victoire, il ne manqua pas de préciser à la population qu'il
travaillait pour la Croix-Rouge et il un point d'honneur à porter son
uniforme pour rehausser sa crédibilité. Lorsqu'il perdu le scrutin , Biniga ne
fut pas découragé pour autant- il prétendit aussitôt que l'élection avait été
saboté et exigea que les bulletins soient recomptés. A cette occasion, il
n'eut pas gain de cause. Mais il se représenta aux élections cinq ans plus
tard et obtint cette fois un siège parlementaire.
On raconte que c'est à cette époque que Biniga "embrassa" la cause du
MRND, devenant, selon les propos de quelqu'un, "MRND pur". Il entreprit
immédiatement de renforcer la position du parti MRND dans la souspréfecture de Munini. Son obstination et son engagement ne passèrent pas
inaperçus. A ce stade il convient de souligner que, peu de temps après
l'introduction du multipartisme au Rwanda, en octobre 1990, Biniga fut
nommé sous-préfet de Munini à Gikongoro région où les partis de
l'opposition, notamment le Mouvement démocratique républicain (MRND),
jouissaient d'un soutient notable. Son élection allait déclencher une
explosion de sentiments antigouvernementaux. Justin Kageruka figurait
parmi ceux qui exprimèrent leur mécontentement.
Sa nomination fut contestée dans toute la sous-préfecture de
Munini. Les trois partis, (le PL, PSD, et MDR) qui avaient formé
un mouvement d'opposition, ont organisé des manifestations
anti-Damien Biniga dans toutes les communes de la souspréfecture Munini. Le parti MRND n'était pratiquement pas
représenté. Les seuls sympathisants de ce parti étaient des gens
ordinaires du nord qui travaillaient dans certains projets de
développement à Gikongoro, ainsi que certaines autorités
communales, mais leur ombre tait insignifiant.
Nous avons beaucoup manifesté contre Biniga, mais il est tout de même
devenu
sous-préfet2.
Selon les propos de Vincent Bigirabagabo, directeur d'un centre
d'alphabétisation de la commune de Mubuga et résident du secteur
Nyarusovu, des manifestations éclatèrent dans toute la sous-préfecture.
2

Témoignage recueilli à Rwamiko, le 24/avril/1997

Lorsqu'il est devenu sous-préfet de Munini, il était mon voisin.
Pendant ce temps là, j'étais enseignant à l'école primaire du centre
scolaire de Gasizi, tout près du bureau de la sous-préfecture. Nous
croisions presque chaque jour. Ces manifestations se déroulaient
dans les quatre communes qui composent la sous-préfecture de
Munini -Mubuga, où se situe la sous-préfecture-Kivu ,RWAMIKO,
et Nshili3
Cassien Kajeguhakwa avait été responsable de la cellule de Bukeye à
Munini jusqu'à la guerre d'octobre 1990, lorsqu'il fut suspendu de ses
fonctions à l'instar de maints autres fonctionnaires Tutsis. Séduit par
l'appartenance de Biniga à la Croix-Rouge, il avait voté pour lors de
l'élection parlementaire de Gikongoro. Mais Cassien explique qu'au
moment de la nomination de Biniga au poste de sous-préfet, ses affiliations
avec le MRND étaient bien connues et la population locale était furieuse,
no seulement du fait des tendances politique de Biniga, mais aussi parce
qu'il n'était pas originaire de la région. De l'avis général, sa nomination
étaient une simple manœuvre politique destinée à saper le pouvoir du
mouvement d'opposition à Munini. L'opinion publique était tellement
révoltée que les manifestations se terminèrent dans la violence.
Les partis d'opposition maintenaient que la mission de Biniga
était de diviser la
population de Munini. Ces partis-là ont
donc appelé la population locale à manifester. Les gens criaient
des injures de tout genre en le qualifiant de BinigaImpinja,"égorgeur de nouveau-nés". Les manifestations de la
commune de Nshili l'ont appréhendé, l'ont éclaboussé et l'ont
contraint à dire qu'il n'était plus membre du MRND. Le préfet de
Gikongoro de l'époque a dû intervenir, ainsi que les gendarmes,
pour le libérer. Voyant qu'il n'était pas aimé, Biniga a
demandé aux gendarmes de le protéger et il a passé la nuit
dans la ville de
Gikongoro.4
Mais les protections n'eurent guère de poids. Vianney Rwamukwaya,
originaire de la commune de Rwamiko, souligne l'intransigeance du régime
sur la question de la nomination de Biniga.
[ Munnini] englobe les communes de Rwamiko, Mubuga, Kivu et
Nshili, communément connues comme région de Nyaruguru5.
Biniga était originaire de Gikongoro, mais de la région de
3
4

5

Témoignage recueilli àMubuga, Gikongoro, le 29janvier 1997
Témoignage recueilli à Mubuga, le 31 janvier 1997
IL s'agit de la zone de Gikongoro aussi appelée Munini

Bunyambiliri, raison pour laquelle sa nomination a été fort
contestée dans Nyaruguru. Leur argument était qu'il n était pas
originaire de Nyaruguru, donc il ne devrait pas être sous-préfet.
Nous voulions que le sous-préfet soit ressortissant de Nyaruguru
et il ne manquait pas de candidats pour ce poste.
A cause du régime en place, les manifestations des partis de
l'opposition(MDR, PL, PSD) qui eurent lieu contre Biniga lui-même ne
réussirent pas à rejeter sa candidature. Biniga lui-même resta impassible
face au climat d'hostilité à son égard. Vincent précise que Biniga était sûr
qu'il parviendrait à vaincre l'opposition.
Il disait que les gens qui manifestaient se rendraient compte
qu'ils s'étaient trompés. Il disait le proverbe: " Les chiens aboient
et la caravane passe".
Effectivement, ça n'a pas tardé, car de fil en aiguille, Biniga a
gagné la confiance des Hutus pauvres 6.(
L'art de forger les alliances
Damien Biniga était bien décidé à se servir de sa position, malgré les
violente manifestations à son encontre. Il s'installa à Munini sans sa famille
et se consacra exclusivement à mettre en place un réseau de partisans du
MRND. Dès son arrivée, Biniga commença à nouer des liens avec les
représentants du gouvernement local, des employés, des prêtres et d'autres
personnalités influentes de Munini. Par leur entremise, il fut en mesure de
gagner le soutien d'un grand nombre de résidents locaux, notamment parmi
les hommes hutus défavorisés. Comme le remarque André Gashugi, Biniga
répondit aux attentes de son parti, augmentant le pouvoir du MRND à
Munini.
D'abord il a intoxiqué les conseillers de la commune de Mubuga.
Ces derniers, convaincus, ont cherché pour lui des jeunes
paysans sans emploi. Biniga les recevait chez lui pour les
transformer et les entraîner pour éliminer les Tutsis.
Patrice Mutaga, président du MDR dans le secteur Gisizi, commune
Mubuga, sut reconnaître le but de la nomination de Biniga.
Il est venu consolider le parti dans notre région car avant son
arrivée, le parti avait peu d'adhérents dans cette région.
André Sekamana était propriétaire d'une boutique et d'un bar dans la
6

Témoignage recueilli à Mubuga le 29 janvier 1997

commune Mubuga où Biniga se rendait fréquemment. Il a désigné certains
des collaborateurs de Biniga.
Pour être beaucoup plus libre, il est venu tout seul, sans sa femme ni
ses enfants. Il était MRND pur et
voulait inévitablement avoir
des adhérents. Pour réussir dans sa mission il s'est aider par
certains individus, à savoir:
- Charles Nyiridandi, le bourgmestre de Mubuga;
- Simon Ntezimana, le directeur des écoles primaires de Kanama;
- Boniface Sibomana, professeur dans la commune Nshili7

Emmanuel Nzabirinda, âgé de 72 ans, est un commerçant du secteur de
Gisizi dans la commune de Mubuga. Il était un adhérant du MDR; et il fut
arrêté en octobre 1995, pour ses liens avec le génocide, accusation qu'il nie
intégralement. Il dit: "Biniga est devenu mon ami dès son arrivée à Munini"
Il avait confiance en moi. Sa femme et ses enfants étaient restés à
Kigali et il vivait seul à la maison, alors il m'invitait chaque soir
chez lui pour bavarder en buvant de la bière ou en jouant à certains
jeux.
Ils parlaient aussi politique.
Biniga se lamentait toujours qu'il y avait trop de Tutsis dans la
commune de Mubuga et les accusait d'être les complices du FPR.. Il
me disait aussi qu'ils étaient méchants et qu'il fallait chercher un
moyen de les exterminer. Il avait un pistolet avant même la mort du
président.
Biniga voyait très bien que la population de Munini n'allait pas
suivre son idéologie d'extermination des Tutsis. Il a donc formé un
groupe qui avait de l'influence sur la population comme les
bourgmestres, les conseillers, les enseignants et les gens qui
travaillaient dans un projet de développement, DANK, pour l'aider à
promouvoir son idéologie. Ils ont accepté de collaborer avec Biniga.
Emmanuel a mentionné d'autres proches collaborateurs de Biniga, en plus
de ceux nommés ci-dessus.
- Eugène Nkuriyimana, bourgmestre de la commune Kivu avant le
génocide;
- Jean Ntidendereza, conseiller du secteur Gisizi;
7

Témoignade recueilli à Kigali, le 25 juillet 1667

- Athanase Ndahayo, conseiller du Secteur N
- Jean Kilimanjaro, conseiller du secteur Nyarushishi;
- Le conseiller du secteur Kamana;
- Antoine, fils de Ntegano, enseignant à l'école de Bigugu;
- Gasana, un agronome du projet DANK.
Biniga tenait des réunions avec ces gens chez lui ou au centre
culturel de la sous-préfecture de Munini Après des réunions, ils
allaient boire de la bière dans le bar d'un nommé Rudandaza. Ils
étaient bien organisés et unis. Je voyais qu'ils organisaient quelque
chose de mal, puisqu'ils avaient commencé à
abandonner
les
Tutsis.
Emmanuel a mis en relief la stratégie adoptée par Biniga pour affaiblir et
radicaliser les partis de l'opposition.
Comme Biniga voyait qu'il ne pouvait réussir sans collaborer avec
les adhérents du MDR, il a fondé le MDR Power8 pour nous diviser.
En juillet 1993, deux bus remplis d'inconnus sont arrivés à Munini.
Ils se sont installés dans la cour du marché; au centre de négoce. Ils
étaient venus pour prendre part au meeting du MDR Power. J'étais
adhérent du MDR. Mais c'était la première fois que j'entendais
parler du MDR Power à Munini.
Ce jour-là, ils ont dit aux gens que le parti était très différent du
MDR ordinaire. Ils nous ont dit qu'ils
ne
pouvaient
pas
collaborer avec les Inyenzi-inkotanyi, et ils ont demandé à tous les
adhérents du MDR d'entrer dans le MDR Power. Charles
Sindambiwe du DANK est devenu membre tout de suite, ainsi que
beaucoup d'autres gens. Ils ont alors commencé à collaborer avec
les Interahamwe. Les trois partis de l'opposition étaient divisés.
Charles Sindabimenya est devenu l'ami de Biniga et lui donnait de
l'essence pour sa voiture. C'était une victoire pour Biniga puisqu'il
gagnait la confiance de quelqu'un qui était son premier opposant.
L'ambiance était tendue à l'époque. Les Interahamwe et les
opposants du MDR faisaient toujours des animations. Biniga était à
la tête. Charles était parmi les dirigeants du MDR Power et il est
devenu très extrémiste, comme Biniga9
D'après Jean Baptiste Nteziryayo, dès le départ, la stratégie de Biniga visait
à semer la discorde.
8

La plupart des partis de l'opposition se scindèrent au début des années 90, et leur branche extrémiste adopta le nom de
"Power".
9
Témoignage recueilli à Mubuga, le 3 décembre 1997

Losqu'il a été nommé sous-préfet de Munini, et jusqu'en 1994, j'ai été
témoin oculaire de la férocité de Biniga. Il s'est contenté de cette
nouvelle place pour intoxiquer la population qu'il dirigeait. Il a
recruté des collaborateurs pour mieux diviser la population. Parmi
ses proches collaborateurs il y avait Austin Misago10., l'évêque de
Gikongoro, quelques prêtres originaires de Kibeho tels que Thadée
Rusingizandekwe et Anaclet Sebahire, ainsi qu'Emmanuel Uwayezu,
qui était directeur du Groupe scolaire Marie Merci de Kibeho. Il
était aussi le bras droit du directeur de l'usine de thé de Mata,
Juvénal Ndabalinze.
Biniga attisa ses tentions entre les Hutus et les Tutsis de Munini,
s'entourant d'une clique d'intellectuels Hutus avec lesquels il conspirait
afin de communiquer son message de haine aux résidents de Munini. Jean
Baptiste Nteziryayo se rappelle des hommes qu'il fut entrer dans son
entourage.
Damien Biniga a cherché des amis dans la communauté des
intellectuels hutus de la région pour que la population ait confiance
en lui. Il a commencé par les autorités communales- les
bourgmestres des quatre communes qui forment la sous-préfecture,les commerçants , ceux qui étaient chargés de la sécurité tels que les
militaires et les policiers communaux, les enseignants et quelques
représentants de l'Eglise. Ceci lui a facilité la tâche de sensibiliser la
basse population. On a enseigné aux hutus de toutes les catégories
que leur ennemi était le Tutsi.
L'un des principaux alliés de Biniga était l'abbé Thaddée Rusingizandekwe,
enseignant au grand séminaire de Nyakibanda à Gishamvu, Butare, et
originaire de Rwamiko.
Depuis le début de l'année 1994, l'abbé Thadée Rusingizandekwe
venait souvent à la sous-préfecture de Munini pour voir Biniga. Sur
le chemin du retour, il passait dans son secteur natal de Runyinya
pour inculquer toute la propagande dans la tête du directeur du
CERAI DE Rwamiko. Il s'appelait Claude Nzikobankunda et il avait
lui aussi beaucoup d'influence.
L'amitié entre Biniga et l'abbé Thaddée allait se transformer en un
partenariat meurtrier lors des massacres de la paroisse de Kibeho(voir
suite)
André Gashugi travaillait comme gardien chez DANK, un projet
agricole. Il a confirmé l'identité de nombre des collaborateurs de Biniga, en
10

L'évêque Augustin Misago fut arrêté à Kigali le 14 avril 1999, accusé de participation au génocide

précisant qu'un infirmier du nom de Munyankindi, qui travaillait aussi au
projet DANK, figurait parmi eux. Le groupe se réunissait souvent tard dans
la nuit dans les locaux de DANK. Parmi les autres conspirateurs qui
participèrent souvent à ces réunions nocturnes figuraient le bourgmestre,
Charles Nyilidandi; Athanase Ndahayo, conseiller du secteur Kabirizi et
Ntidendereza, conseiller du secteur Gisizi.
Ils tenaient des réunions mais j'en ignore l'objet. Pendant le
génocide, tous ces gens précités sont devenus des génocidaires de
premier plan. Le fait que ces réunions se tenaient la nuit me faisait
penser que l'objet des réunions était suspect11.
Finalement, de puissants individus originaires de tous les milieux de
la société se rallièrent à la cause de Biniga, même si tous ne joignirent pas
son parti pour autant. Ses collaborateurs venaient des quatre coins de la
sous-préfecture et comprenait d'éminents partisans du MDR ainsi que des
hommes d'église. Biniga avait donc réussi à s'entourer des meneurs d
'opinion de Munini. Nombre des résidents tutsis de la sous-préfecture était
au courant des réunions qui se déroulaient entre les anciens adversaires
politiques, même si aucun d'eux n'était invité à y participer. D'après
Vincent Birindabagabo, Biniga avait créé un formidable réseau.
Philipe Bigavu formait les professeurs nommés Vincent et Callixte
qui enseignaient au centre scolaire de Kamana. Il étaient des
collaborateurs proche de Damien Biniga, sans oublier le directeur
des écoles primaires de Mubuga de l'époque. Celui-ci était en outre
président du MDR dans la commune Mubuga.
Ils avaient élargi leur champ d'action à toutes les communes qui
comprenaient la sous-préfecture de Munini. Ils avaient leurs
antennes dans chacune des quatre communes. Par exemple dans la
commune Kivumu, il a avaient l'abbé Sagahutu, de la paroisse
Muganza. Il y avait aussi le chef des services de renseignement de la
sous-préfecture, qui s'appelait Déo Bizimana. Il était originaire de
Ruhengeri. Il y avait aussi le titulaire du centre de Munini appelé
Thomas Nyilinkindi, originaire de la commune Nshili, et François
Byimana, l'enseignant responsable du centre scolaire de Gasizi, sans
oublier Juvénal Ndabalinze, le directeur de l'usine de thé de Mata, et
Simon Nzeyimana, un professeur qui habitait dans le secteur de
Kamana.
Lorsque Biniga venait de Kigali, tous ces hommes précités venaient
au bureau de la sous-préfecture de Munini pour recevoir des
directives.
Leurs réunions se tenaient soit chez Biniga, soit dans le bar du
11

Témoignage recueilli à Mubuga le 30 janvier 1997)

commerçant Venuste Rudandaza, qui leur réservait une pièce à
l'intérieur du bar. Il faisait lui aussi partie du groupe de Biniga.
Comme l'explique Jean Damascène Rugemintwaza, l'ancien mouvement
d'opposition de l'opposition fut tout d'abord secoué par l'emprise de Biniga.
Mais grâce à l'obstination acharnée de Biniga, une nouvelle unité se forma
parmi les Hutus de Munini MDR Power, la faction dure dont nombre des
partisans participèrent au génocide, naquit de cette résurrection de
sentiments éthiques. Jean est âgé de 28 ans et originaires du secteur Gisizi,
commune Mubuga. Il a pu désigner plusieurs résidents de sa région qui
participèrent au mouvement extrémiste dirigé par Biniga. Nombre des
noms ont déjà mentionnés. Parmi les autres on peut citer Innocent
Bakundukize, agronome à la fabrique de thé de Mata, et Patrice Mutaga,
président du MDR dans le secteur Gisizi, dont le témoignage figure dans
une section ultérieure de ce rapport.
Petit à petit, il a gagné la confiance de certains Hutus extrémistes,
ainsi que certains enseignants hutus et des membres des partis dits de
l'opposition(MDR, PL et PSD) d'où sont nés les faction "Power" 12
Or ce sont les mêmes personnes qui allaient devenir les chefs du génocide;
les personnes nommées par les résidents de Munini comme étant des alliés
les plus proches de Biniga sont associées à certaines des tueries et des
attaques les plus horribles qui aient été commises à Gikongoro. Alphonse
Nkurana, conseiller du secteur Ruseke à Mubuga, remarque que les
initiatives prises par Biniga aussitôt après sa nomination allaient jeter les
bases du génocide.
Malgré toutes ces manifestations contre lui, Biniga a donc réussi à
corrompre un grand nombre de gens.
Il a collaboré avec les bourgmestres et les conseillers des secteurs
pour chercher et encadrer les voyous chômeurs. Ils ont été
sensibilisés, même formés, en matière de génocide des Tutsis13
Un soutien acheté
Cassien Kajeguhakwa décrit comment , avec le soutien de l'administration
locale, Biniga a séduit la population locale et augmenté le nombre
d'adhérent s au MRND. Dès le départ, il désigne Juvénal Ndabalinze ,
directeur de Mata, la fabrique de thé, et Silas Mugerangabo, le bourgmestre
de Rwamiko, aux rangs des collaborateurs les plus proches de Biniga.
Peu à peu grâce à la collaboration des conseillers, des bourgmestres
12
13

Témoignage recueilli à Kigali, le 23 juillet 1997
Témoignage recueilli à Mubuga, le 30 janvier 1997

et des membres de cellules de son ressort, Biniga a pu se doter
d'amis. Il a commencé à distribuer des vivres ( sorghos, haricots),
des couvertures et des houes aux conseillers et aux membres des
cellules. Il a donné la mission à ces derniers de trouver pour lui des
paysans hutus sans emploi qui pouvaient bien venir bénéficier de ces
dons en échange d'une carte de membre du MRND. Beaucoup de
voyous sont devenus ainsi ses amis, y compris les Batwas.
Justin Kageruka explique le rôle qu'a joué Ndabalinze dans le recrutement
des "vagabonds locaux", jeunes gens démunis qui allaient bien vite former
la base de la milice interahamwe.
Juvénal Ndabalinze a négocié avec Biniga l'embauche de ces
vagabonds paysans dans l'usine comme ouvriers qui pourraient
travailler dans les plantations de thé de l'usine. Ils fait tout ça pour
former et manipuler ces types comme ils le voulaient.
Selon Emmanuel Nzabirinda, la campagne de Biniga pour se servir des
jeunes enfin de déstabiliser l'opposition et de promouvoir ses buts
politiques porta ses fruits.
Malgré les menaces de Biniga, les partis de l'opposition sont restés
puissants, parce que nous avions beaucoup de membres, surtout
parmi les jeunes. Pour nous détruire, Biniga a sensibilisé les jeunes,
surtout les délinquants qui n'avaient plus peur d'attaquer quelqu'un.
Lorsque Biniga voyait ces jeunes au centre de négoce de Munini, il
leur disait :' qu'est ce que vous faites encore dans ces partis des
Inyenzi? Il faut les quitter et venir dans notre parti MRND. Si vous
venez , je vous donnerai un emploi, des habits de l'argent etc...'. Il
leur distribuait alors de l'argent pour acheter de la bière afin de les
encourager à le rejoindre. J'étais toujours avec Biniga à ce centre
de négoce, qui voulaient l'emploi et l'argent ont accepté de le suivre.
Parmi eux, il y avait Rujanga, fils de Bakinahe, Iyarenye fils de
Mvunabo, Burambi, fils de Muhakwa, Nyamaswa et Sindekura, fils
de Paul Rutajogwa.
Ils étaient terribles et ont commencé à menacer leurs opposants, ce
qui a mis les adhérent du MDR en colère. Ce groupe a tué beaucoup
de gens pendant le génocide.
Charles Sindambiwe du DANK est des hommes influents avec qui Biniga
noua une amitié qui s'avéra utile à la stratégie qu'il avait mis en place pour
gagner de nouveaux adhérents parmi les jeunes sans travail.
Les délinquants qui étaient membres du MRND ou du MDR Power
ont trouvé un emploi de manœuvre dans le projet DANK.

Augustin Mutijima travaillait pour le projet DANK et vivait non loin du
bureau de Biniga.
Il y avait à Munini des jeunes délinquants très féroces qu'on appelait
ibiswikiri. C'était normalement des jeunes qui transportaient le
fumier dans notre projet. Biniga les a utilisé pour tuer.
Au moyen de la corruption, Biniga a réussi à transformer radicalement la
physionomie politique de la région. Au moment de la mort d'Habyarimana,
la MRND et son idéologie associée d'extrémisme hutu étaient fortement
ancrés dans la conscience de nombre de résidents locaux. Bien des témoins
estiment que c'est Biniga qui a "établi" le MRND à Munini, tandis que
Justin Kageruka parle de l'influence dévastatrice de Biniga sur l'opposition.
Il avait aussi réussi à détourner sinon diviser la mouvance des trois
partis dit de l'opposition, le MDR, le PSD et le PL. Des factions
Power avaient déjà vu le jour et l'idéologie consistant à tuer le tutsis
et à s'accaparer de leurs biens était bien fixée dans leur tête.
Frédéric Sebarame se fait l'écho de cette opinion.
Il a même réussi à détourner certains membres des partis MDR et
PSD en leur donnant des vivres ou des outils de culture.
D'après Augustin Kasire, du secteur Kabirizi à Mubuga, au fil du temps
Biniga devint une figure populaire qui comptait des amis dans tous les
milieux de la scène politique.
Petit à petit Biniga était digéré par les habitants de sa souspréfecture de Munini, grâce surtout à la distribution gratuite de
vivres, de couvertures et de houes. Il échangeait tout ça contre des
cartes du MRND. Parmi les gens qui sont devenus ses amis il y a
avait des opposants issus du MDR et du PSD.
Une fois qu'il a eu beaucoup d'adhérents, il a commencé à recruter
le jeunes garçons paysans sans emploi qui sont devenus plus tard des
miliciens interahamwe? Biniga utilisait les conseillers pour attirer
ces jeunes. Par exemple, notre conseiller, Nndahayo, était son
activiste.14
Adèla Mukakarangwa, qui connaissait Biniga qu'il ne devienne sous-préfet,
souligne que la tactique de soudoiement qu'il avait employée à l'issu de sa
nomination n'avait rien de nouveau. C'était plutôt un stratège sur lequel il
14

Témoignage recueilli à Mubuga, le 30 janvier 1997

avait bâti la totalité de sa carrière politique.
Je connais Damien Biniga depuis les campagnes électorales pour les
postes de députés nationaux qui ont eu lieu avant 1990. Il achetait de
la bière appelée ibigage et il donnait aux paysans pour les
corrompre et les inciter à voter pour lui.
Pour financer ses pots- de vin, Biniga était à mesure de profiter des
responsabilités qui accompagnaient son poste. IL était un client fidèle du
bar qui se trouvait en face de la sous-préfecture à Munini. André
Sekamana, entrepreneur propriétaire de ce bar, put ainsi faire amplement
connaissance avec Biniga et il évoque les méthodes grâce auxquelles celuici arrivait à ses fins.
Damien Biniga a distribué aussi de l'argent et une partie des vivres
qui étaient destinées aux réfugiés burundais arrivés après l'assassinat
du président Ndadaye[en octobre 1993]. Il les a distribués aux
paysans qui étaient devenus vagabonds.
La femme d'André Senkware, Hélène, et ses deux enfants ont été tués au
cours du génocide. Le plus jeune des deux garçons, Lois, âgé de 21 ans,
avait travaillé comme cuisinier pour Biniga, et cette famille vivait à moins
de 100 mètres de la maison du sous-préfet. André estime qu'il connaissait
suffisamment Biniga pour pouvoir donner les renseignements sur ses
activités politiques et sociales.
Voyant qu'il avait distribué des vivres et de s houes aux paysans
hutus, j'ai eu moi ainsi le courage d'aller lui demander une houe. Il
me l'a donnée. Puisque nous étions voisins, il a même embauché
comme cuisinier mon fils, Louis Ruzindana. J'allais parfois lui
demander le salaire de mon fils.
Après son installation à Munini, Biniga a détourné les adeptes des
partis politiques de l'opposition. Il a formé la milice interahamwe en
utilisant des jeunes hutus sans emploi;
Mon fils me parlait des réunions clandestines que Biniga tenait avec
ces jeunes hutus les plus négligés, notamment Iyarenye,
Ngendahimana et Sept, le fils de Patricie Mutaga.
Ces gens-là n'étaient pas dignes de négocier avec le sous-préfet. Ils
étaient des voyous. Mon fils ne pouvait pas participer à ces réunions
mais il les voyait arriver chez Biniga, qui les accueillait avec
courtoisie. Il recevait chez lui aussi les Batwas et il ne faisait que les
sensibiliser. Ces derniers dansaient à la fin. Ils passaient parfois
toute la nuit chez lui15
15

Témoignage recueilli à Mubuga le 30 janvier 1997.

Vestine Karangwayire a pu elle aussi observer les activités des jeunes gens
qui se rassemblaient régulièrement chez Biniga. Ces hommes, explique-telle, avaient fini par être surnommés les "interahamwe de Biniga".
Il se promenait avec eux. Ensemble, ils allaient dans la commune
Rwamiko et ils revenaient à Mibuga. Pendant ce temps-là je ne
connaissais pas la méchanceté des interahamwe et je me demandais
tout simplement pourquoi une personne d'autorité comme Biniga
traînait avec de simples paysans de mauvaise renommée.
L'entraînement des interahamwe
Dans un témoignage exhaustif et précis, Vincent Birindabagabo explique
que certaines des recrues interahamwe furent d'abord envoyées à Kigali
pour y être entraînées. Parmi elles, il nomme François Byimana,
enseignant, et Philippe Bigavu, un forgeron. Un autre individu lié de près
au programme de formation s'appelait Juvéna Myasiro, le responsable de la
cellule de Karehe16. Il fut nommé conseiller de Gisizi après le génocide et
ne fut suspendu de ses fonctions que vers la fin de 1996. D'après Vincent,
Juvénal Myasiro, Charles Nyilidandi, le bourgmestre de Mubuga et
quelques autres conseillers de Mubuga sélectionnaient les jeunes gens qui
allaient recevoir une formation.Il a gagné la confiance des jeunes garçons hutus sans emploi et leur
a donné la mission d'aller à Kigali pour suivre la formation militaire
des interahamwe. De retour , ces derniers formaient eux aussi
d'autres paysans membres du MRND qui étaient restés à Mubuga.
Biniga collaborait avec le bourgmestre, Charles Nyiridandi, et
quelques conseillers des secteurs de Mubuga pour choisir ses futurs
miliciens.
Vincent travaillait près du domicile de Biniga et il découvrit que certains
des stages de formation s'y déroulaient, et que des représentants de chaque
secteur y participaient Il apprit ce qui se passait durant ces stages par
Juvenal Myasiro, son voisin, et par son neveu, Stanislas Mutaganda. Stanis
avait été invité à une réunion chez Biniga par Gisanzamazi, jeune cultivateur ami qui s'était enrôle dans les milices interahamwe de Biniga.
Un jour, après qu'ils aient bu, Gisanzamazi lui a dit qu'ils allaient à
des réunions chez Biniga et que ce dernier les gâtait. Il l'a invité un
jour et ils sont partis ensemble chez Biniga. Ils y ont rencontré
d'autres jeunes paysans mais Biniga n'était pas encore arrivé chez
16

Un certain nombre de survivants dont les propos ont été recueilli pour ce rapport, ont accusé JuvénalMyasiro d'avoir
pris part au génocide, comme leurs témoignages le montrent. Celui-ci réfute ces accusations.

lui. Tout a eu lieu chez lui.
Par la suite Biniga est revenu. Il a regardé la foule qui remplissait
son salon. Stanis, mon neveu, s'est levé et il est parti. Il est venu nous
voir et il nous a raconté tout cela.
Vincent apprit également qu'une fois la milice interahamwe bien établie,
Biniga décida qu'il était temps de passer au recrutement des femmes
hutues. "Quand arriva 1994" dit-il, il y avait beaucoup d'interahamwe dans
notre sous-préfecture. Il n'avait pas peur de se montrer". En outre, il
remarque que leur confiance se trouvait renforcée par le nombre croissant
des gendarmes sous les ordres de Biniga. Les attaques et l'intimidation des
Tutsis par les gendarmes commencèrent dès 1993.
Ils ont commencé à menacer les adhérents du parti libéral (PL), dont
la majorité était tutsis.
Un jour, des gendarmes ont arrêté quelques jeunes membres du Pl et
ils les ont éclaboussés en les trempant dans des étangs d'eau de
pluie. Ils ont fait cela en présence de Biniga qui restait indifférent
devant cette injustice.
En sa qualité de partisan du parti libéral, Vincent fit partie d'une délégation
qui se rendit au bureau de la préfecture à Gikongoro pour faire appel au
préfet, Laurent Bucyibaruta, et lui demander de l'aide.
Il a essayé d'apaiser les esprits de ces interahamwe. La radio
Muhabura du FPR a dénoncé elle aussi, ce mauvais comportement
de Biniga et ses gendarmes. C'était en 1993
Un an plus tard, les interahamwe de Biniga et ses gendarmes allaient réunir
leur force des tutsis de Munini, sous la gouverne du sous-préfet lui même.
C'est toujours vers Biniga qu'ils tournaient pour obtenir leurs ressources et
leurs ordres. Biniga leur proposait même des divertissements. Kasire
raconte comment, en 1993, Biniga organisa une réunion pour un grand
groupe des jeunes dans le bar qui appartenait à un entrepreneur et un
complice.
Ils ont fait une réunion , après il leur a offert un verre. Après avoir
eu verre de trop, ils ont commencé à louer Biniga. J'ai assisté à tout
cela car ce jour-là je prenais moi aussi un verre dans le bar de
Rudandaza. Nous sommes allé à côté au bout de quelques minutes
nous avons entendu des souillards chanter et louer Biniga.
Biniga avait parfois des dettes pour approvisionner en boisson des
jeunes et il disait que c'était le MRND qui, allait payer. Il a pris un
congé, est allé à Kigali et à son retour il a remboursé sa dette. Le

conseiller Ndahayo lui-même se ventait et nous a raconté tout cela.
Adèla suggère que Biniga distribuait de la marijuana aux interahamwe qui
se rendaient dans le bar de Rudandaza, drogue qui avait été cultivée par des
résidents locaux dans la forêt de Nyungwe, puis entreposée dans le bureau
de la sous-préfecture. Son but, explique-elle, était "d'exacerber leurs
tendances
criminelles"
Vincent souligne le fait que, tout comme Biniga, nombre de ces tueurs ont
jusqu'ici échappé à la justice. Certains des interrahamwe de Biniga sont
toujours en liberté dans sa commune natale de Mubuga.
Augustin Kasire était lui aussi conscient du fait que les jeunes gens
recevaient un entraînement militaire dans une commune voisine
Biniga les a conduit loin de Mubuga, dans la commune de Rwamiko.
Ils passaient la nuit et revenaient le lendemain matin.
Or, c'est de ce groupe de jeunes gens qu'allaient émerger certains des tueurs
les plus redoutés du génocide de 1994. Célestin Nzirabalimyi, 42 ans,
originaire du secteur Gisizi à Mubuga , connaissait Biniga du temps où il
était employé par la Croix-Rouge rwandaise. Il raconte comment les
interahamwe firent la démonstration de ce qu'ils avaient appris sous l'égide
de Biniga.
Certains paysans se sont montrés plus actifs que les autres,
comme par exemple le surnommé " colonel", son grand frère,
Léon Nkubiri, Bigavu, Bitaramuka, Ngirabakunzi et
Iyakaremye. Ces types ne cachaient pas leur méchanceté.
J'allais oublier Thacien Ndwaniya et Ntegano qui apprenaient
aux miliciens à lancer des grenades, et son fils Bernard
Kayibambire qui taillait les petites houes pour utiliser pendant
le génocide. C'était Biniga qui leur distribuait, les tâches. Il y
avait ainsi le commerçant Mukinisha qui était chargée de
conseiller les interahamwe de son secteur17.
Le 7 avril 1994, Biniga montra qu'il continuerait d'agir comme un
bienfaiteur. Ce jour-là Biniga ordonna à André Sekamana de transporter les
aliments depuis sa maison à destination de l'une des source de soutien les
plus importantes du sous-préfet: les réfugiés burundais de Ruhero. Il
s'agissait là d'un voyage d'un voyage que André avait fait plusieurs fois à
maintes occasions par le passé, mais cette fois-ci, Biniga refusa de le payer
et rejeta ses objections.
Il était furieux et il m'a dit: 'Sans condition, tu dois gratuitement
17

Témoignage recueilli à Mubuga ,le 30 janvier 1997.

acheminer ces aides aux réfugiés burundais de Nshili'. Je lui ai dit
que je ne pouvais pas, vu le climat vu le climat qui régnait. Je lui ai
dit de proposer cette mission à Vénuste Sikubwabo, alias Rukandaza.
Il a refusé. Je lui ai expliqué que je n'avait d'essence et il est tout de
suite allé au DANK et m'a donné 20 litres d'essence. Il a ordonné à
un gendarme de me forcer à transporter ces denrées
alimentaires.
Le lendemain, le 8 avril, Biniga m'a obligé à transporter encore ces
aides. Je n'avait pas de gendarmes qui pouvaient m'accompagner.
Tout cela pour m'exposer au danger et à la colère des réfugiés
burundais. ' L'homme propose et Dieu dispose'. Ils ne m'ont rien fait.
Vincent Mihigo est un agriculteur de 35 ans, originaire de Kabirizi, à
Mubuga. Il se trouve actuellement en détention à Gikongoro. Dans une
autre partie d ce rapport, il raconte de façon détaillée sa participation au
génocide. Il souligne également les liens entre les lignes d'action suivies
par Biniga à Munini avant avril 1994 et le génocide.
Avant l'arrivée de Biniga à Munini nous avions la sécurité dans
notre région. Immédiatement après son arrivée , il a formé un
groupe de miliciens interahamwe composé de certaines personne
comme:
- Corneille Kayibanda, fils de Ntegano, de la cellule Bumuko,
secteur Gisizi;
- Kayigambire le frère de Corneille;
- Vianney Ntakirutimana, Ntampaka, de la cellule Ntwari, secteur
Kabirizi;
- Phénias Sindikubwabo, fils de Ntampaka;
- Jean, fils de Hesiron, de la cellule Ntwari;
- Manjanja, fils de Basesankoro.
Il y'a d'autres miliciens dans ce groupe. Biniga aimait conduire ces
miliciens pour leur donner de la bière et de l'argent. Souvent il
partageait de la bière dans le bureau du conseiller Athanase Ndahayo
du secteur Kabirizi, et celui de Mbonyubwabo. Les miliciens
menaçaient beaucoup de gens qui n'étaient pas dans leur parti, le
MRND. Ils se croient supérieur aux autres. Ils avaient des armes.
Leur chef, Biniga circulait toujours avec un pistolet.
Les miliciens de Biniga ont commencé des réunions en formant de
groupes de gens pour les entraîner à tuer. Ils avaient beaucoup de
grenades que Biniga , leur chef, leur avait données. Ils s'organisaient
toujours dans le bar du conseiller Ndahayo. Le génocides des Tutsis
de Rwamiko a commencé directement après la mort du président
Habyarimana. On brûlait d'abord leurs maisons. Le génocide est
arrivé aussi à Muganza commune Kivu. Quand Biniga est arrivé à

Munini, beaucoup de gens ont eu peur car on disait que sa mission
était d'inciter la population de notre région à la violence. Son plan a
réussi, puisqu'il a fait tuertous le Tutsis de Munini et a entraîné
presque tous les Hutus de Munini dans la tuerie18.
La division des communautés: le pouvoir de la propagande
La propagande occupait un place très importante dans la panoplie de
mécanismes psychologiques utilisés par les architecte du génocide. Biniga
avait su pratiquer l'art de la persuasion depuis son arrivée à Munini. Suite
au décès de Habyarimana, il s'embarqua dans une péroraison incendiaire,
ayant recours à toutes les tactiques rhétorique imaginables pour convaincre
la population de le soutenir et de le suivre sur la route des massacres.
C'est dans la commune de Rwamiko que Biniga aurait envoyé ses
interahamwe pour les former Certains de ses alliés les plus puissants
vivaient à Rwamilo et il était persuadé que la population de cette commune
aurait répondre favorablement à son incitation au meurtre.
Coup d'envoi du génocide dans l'usine de thé de Mata, Rwamiko, le 7
avril
A peine deux heures après l'annonce de la mort d'Habyarimana, la
campagne propagandiste de Biniga se mit en branle. A 8:00 heures le 7
avril, il arriva à Rwamiko, escorté de plusieurs gendarmes armés. Dans
l'usine de thé de Mata, il tint la première d'un grand nombre de réunions qui
annoncèrent l'arrivée du génocide dans la sous-préfecture de Munini.
Malgré l'heure matinale et le caractère soudain de la nouvelle, plusieurs
personnalités influentes partageant les mêmes convictions furent en mesure
d'assister à la réunion. Le directeur de l'usine, Juvénal Ndabalinze,
originaire de Gisenyi était présent ainsi que le bourgmestre de Rwamiko,
Silas Mugerangabo, le chef du parti très extrémiste CDR(Coalition pour la
défense de la République), Nteziryimana, alias, "Gashyiga" et le chef du
MDR? Ildéphonse Hakizimana, qui était également qui était également
directeur de l'école primaire de Rwamiko.
Un certain nombre d'autres personnes cultivées de la région furent amenées
à la réunion à bord d'un véhicule qui appartenait au bureau communal de
Mubuga. Parmi elles figuraient Gafaranga, le directeur de l'école primaire
de Ruramba, et Célestin Nkulikiyinka, enseignant chargé du centre éducatif
de Giseke . Des employés de l'usine, notamment Callixte Ndayisaba, alias,
"Nkubi" assistèrent également à la réunion mais il ne s'y trouvait pas le
moindre Tutsi.
Justin Kageruka décrit l'arrivée de Biniga; il fut tout de suite manifeste que
ses intentions étaient hostiles.
18

Témoignaga recueilli à Nyamagabe, Gikongoro, le 14 mars 1999.)

Le matin du jeudi 7 avril, Damien Biniga est arrivé à l'usine de thé à
bord de son véhicule Toyota double cabine de couleur blanche. Il
était accompagné de quelques gendarmes bien armés qui le
protégeaient. Il allait voir son bras droit, le directeur de l'usine,
Juvénal Ndabalinze, qui, lui aussi, avaient des gendarmes qui le
gardaient lui et son usine. D'habitude il vivait à la sous-préfecture de
Munini sise en commune Mubuga. Alors pourquoi est-il venu tôt le
matin à Rwamiko à l'usine de thé le lendemain de la mort
d'Habyarimana? Pourquoi a-il fait la réunion avec les gens qui
haïssaient les Tutsis? Si la réunion était pour les intellectuels de
Rwamiko, pourquoi a-t-il invité les membres de Power? Dans la
communauté de Tutsis , il y avait des intellectuels, comme des
enseignants, des juges, des directeurs d'écoles et des assistants
médicaux.
Justin décrit la réunion comme "un point de départ". Elle se termine à
environ 10:00 heures; dès 11:00 heures, les résidents de Rwamiko
constatèrent un climat d'insécurité croissant. Dans le secteur de Gisosoro,
les maisons de Tutsis furent brûlées et nombre d'entre eux commencèrent à
fuir. Ils furent les premiers habitants de Munini à prendre des menaces qui
pesaient sur leur vie.
L'usine de thé de Rwamiko constituait une tribune idéale pour déclencher la
vague génocidaire qui allait engloutir Munini. La commune avait une
population considérable tutsi. Mais l'usine elle-même était un bastion
d'extrémisme hutu. On racontait que le directeur, Juvénal Ndabalinze,
s'était renseigné sur se employés pour sûr de leur royauté au MRND.
Vianney Rwamukwaya explique les relations entre Ndabalinze et Biniga et
comment elles ont permis de jeter les fondations du génocide de Rwamiko.
Le directeur, de cette usine était le bras droit de Biniga, avec lequel
il collaborait pour implanter le MRND à Nyaruguru. Pour le
directeur, Juvénal Ndaballinze, c'était facile car l'usine de thé
embauchait beaucoup de travailleurs et il imposait la condition
d'aimer Habyarimana et son parti MRND avant d'être accepté
comme travailleur à l'usine. Beaucoup de travailleurs étaient donc
pro-Habyarimana. Lorsque Habyarimana est mort, le noyau dur
était déjà formé dans la commune Rwamiko, surtout avec la
participation active de Silas Mugerangabo, qui était le bourgmestre
de Rwamiko à l'époque, et du directeur e l'usine de thé précité.
Depuis sa maison, Vianney voyait l'usine de thé et toutes les routes
qui y menaient. Tout d'abord, il vit Biniga arriver à l'usine dans son
véhicule blanc; peu de temps après, il assista à l'usine l'arrivée de plusieurs
autres individus bien connus.

Le véhicule communal de Rwamiko a commencé le transport d'autres
ténors du génocide vers l'usine. Ils étaient composés, en majorité,
des soi-disant intellectuels de la région. Le véhicule les conduisait
vers l'usine pour sans doute, faire une réunion ad hoc; cette réunion
a donné le coup d'envoi au génocide de Tutsis de Rwamiko.
Tous ces gens sont allés rejoindre Damien Biniga et Juvénal
Ndabalinze pour aller faire une réunion. Elle n'a pas duré
longtemps. Vers 10:00 heures nous avons vu ces gens rentrer.
Damien Biniga a pris la direction de Munini en passant par le centre
de Ruramba.

Agriculteur de cinquante ans originaire de la cellule Gasizi, secteur
Rwamiko, Vianney a perdu sa femme et ses deux enfants, dont l'un était un
bébé de trois jours, en 1994. Deux de ses frères, une sœur et une tante ont
également péri pendant le génocide. Il accuse le sous-préfet :"La personne
responsable de la mort de tous ces membres de ma famille n'est autre que
Damien Biniga".
Joseph Niyonsenga, âgé de 38 ans, vivait dans le secteur de Gasizi, à
Mubuga. Originaire de Satinski, à Gisenyi, il était arrivé à Munini en 1989
pour travailler pour DANK comme responsable de la surveillance et de
l'évaluation des projets. Au moment de notre entretien, il était en détention
pour ses liens avec le génocide, une accusation qu'il réfute . Il parle des
relations étroites que Biniga entretenait avec l'usine de thé Mata et explique
pourquoi celle-ci convenait parfaitement pour organiser le lancement du
génocide.

Biniga ne pouvait pas rester à Mubuga, où se trouvait son bureau. Il
circulait dans d'autres communes pour inciter les autres au génocide.
Je pense qu'il est allé à Rwamiko parce que c'était le centre, un bon endroit
pour diriger et planifier le génocide. Il y avait beaucoup d'intellectuels et
d'ouvriers qui travaillaient dans l'usine de thé Mata et qui collaboraient
avec lui, surtout le directeur de l'usine. Biniga aimait beaucoup la bière et
l'argent, donc la riche usine faisait son affaire.
Biniga ne se reposait jamais. Je le voyais toujours accompagné de
gendarmes dans sa voiture. Malgré la présence de ceux-ci, il avait toujours
un pistolet. Le soir, Biniga achetait de la bière pour ses miliciens au bar de
Rudandaza19.
19

Témoignage recueilli à Nyamagabe, le 13 novembre 1997.

Vénuste Murekezi entendit l'annonce de la mort d'Habyarimana sur
Radio Rwanda en compagnie de plusieurs membres de sa famille.
Aujourd'hui, la plupart d'entre eux sont morts; Vénuste a perdu sa femme,
quatre filles, deux fils et un nouveau né, ainsi que beaucoup de parents
proches, dans les massacres. En outre il a été attaqué et a perdu une jambe,
ce qui l'empêché de reprendre son travail d'agriculteur. Vénuste déclare que
Biniga est le responsable de son responsable de son malheur et il l'accuse
d'avoir" agi comme l'organisateur et le réalisateur" du génocide de 1994.
Le matin du 7 avril, sa famille et lui prirent peur. Ils ne quittèrent pas
leur domicile du secteur Rwamiko, commune Rwamiko, mais virent le
véhicule de Biniga passer devant la maison sur la route qui menait à la
fabrique de thé. Ils virent également Innocent Bakundukize, qui devint
bourgmestre de Mubuga pendant le génocide , se rendre à la réunion. A
11:00 heures , il était évident que la réunion était terminée et les résidents
tutsis de la commune de Rwamiko commencèrent à sentir l'effet de la
propagande de Biniga.
Les maisons de Tutsis ont commencé à être brûlées . Aucune autorité
n'est venue voir ou condamner ce qui se passait ; ni le bourgmestre
de Rwamiko, ni Biniga; personne n'est venu .
Ce fait me permet
de dire et redire que les deux bénissaient les oeuvres de la
population hutue qu'ils dirigeaient. Ils ont manifesté un silence
complice
Avant de prendre sa retraite, Frédéric Sebareme était enseignait d'école
primaire. Par le passé il avait travaillé à l'usine de thé de Mata. Il déclare
connaître Biniga "depuis fort longtemps" et l'avoir vu à maintes reprises se
rendre dans la région de Nyaruguru dans le cadre de sa campagne
électorale. Frédéric, 71 ans est originaire du secteur Rwamiko; il décrit
comment son secteur fut touché à l'issue de sa réunion.

Vers 10:00heures cette réunion a pris fin . Les participants sont allés
mettre en pratique ce qu'ils venaient de débattre. A la sortie de la
réunion, la première réaction a été de brûler les maisons des Tutsis.
Dans notre secteur, le message incendiaire a été porté par
Ildéphonse Hakizimana 20, directeur de l'école primaire de Rwamiko.
Il a collaboré avec le fils de Rwimo, un ex-FAR, et ils brûlé la
maison de Nyilinkindi. Nous avons réussi à éteindre le feu et à
20

Ildéphonse Hakizimana est maintenant en détention à

Burare. Lors d'un entrtien avec AfricanRights, le 8
février 1999, il expliqua que: "il n'a jamais entendu Biniga pousser la population au génocide et
qu'il n'a jamais eu connaissance d'une quelconque action prise par Biniga pour encourager la
population à commettre des crimes de génocide".

repousser leur attaque. Il y avait des jeunes garçons et hommes tutsis
qui étaient déterminés à se défendre et défendre nos quartiers.
Le vendredi, 8 avril , nous avions encore nos biens mais nous
dormions presque dehors pour pouvoir
patrouiller afin d'éviter
les attaques de criminels.
Le samedi, 9 avril, le fils de Rwimo, accompagné d'Ildéphonse, du
petit frère de ce dernier , Médard, qui avait suivi un entraînement
militaire, et d'un groupe de Hutus , nous ont attaqués. Devant leur
avance nous n'avons pas pu résister; Ils étaient mieux armés que
nous et nous avons préféré fuir vers la paroisse de Kibeho dans la
commune Mubuga.
Hélas, sa famille ne parvint pas à échapper au massacre,. Le fils et la fille
de Frédéric furent tués ainsi que cinq de ses petits-enfants, deux de ses
gendres, son frère et sa belle-soeur. Vianney Rwamukwaya a confirmé le
rôle de Hitimana dans les attaques menées dans le secteur de Rwamiko et a
remarqué la participation de plusieurs individus ayant participé à la réunion
de Biniga.
Les porteurs du message incendiaire étaient Ntezimana et Muyango,
deux participants à la réunion de Biniga qui avaient eu lieu le même
matin, à l'usine à thé de Mata. Parmi les maisons qui ont été brûlées,
il faut signaler celles des familles de Gratien Nyakaberege et de
Segatwa Yowasi.
En même temps, le directeur de l'école primaire de Rwamiko,
Ildéphonse Hakizimana, qui rentrait aussi de la fameuse réunion, est
venu nous dire que l'heure de la mort des Tutsis étaient arrivée.
Claver Karamaga a témoigné de la peur qui s'empara des Tutsis de la
commune de Rwamiko lorsqu'ils virent les premières maisons incendiées.
Il explique qu'à l'issue des premières étapes, sa famille et lui furent obligés
de "passer" la nuit dehors".
Toutefois, pendant un certain temps, les résidents de Gisosoro parvinrent
tant bien que mal à se défendre contre leurs persécuteurs. Toutefois, le
samedi 9 avril, le frère cadet de Hakizimana, Médard, revint avec un autre
ancien soldat ex-FAR? Nyilnkindi. Ils étaient armés de grenades et
soutenus par la population locale. Vianney, Claver et les autres résidents
tutsis furent obligés de céder et de se réfugier dans la paroisse de Kibeho à
Mubuga.
Message bien transmis à Ruramba, Rwamiko, le 7 avril
Il était évident qu'un consensus avait été obtenu lors de la réunion qui
s'était tenue à l'usine à thé. De toute évidence, Biniga avait conspiré avec
les Hutus influents de Rwamiko; les événements qui suivirent suggèrent

qu'ensemble ils mirent au point l'ordre du jour improvisé du génocide. Pour
Biniga, l'étape suivante consistait à convaincre la population locale de
participer à son sinistre projet. Lorsqu'il quitta l'usine de thé de Mata, il se
rendit directement dans un petit centre commercial doté d'un marché et
situé à Rurammba, commune Rwamiko. Il arriva à Rurmba à environ 11:00
heures. Il était accompagné d'un groupe de gendarmes set de plusieurs
personnalités les plus en vue qui avaient participé à la conférence initiale, y
compris le bourgmestre de Rwamiko et Ildépphonse Hakizimana. Comme
il représentait une grande autorité, dès qu'il descendit du véhicule, Biniga
parvint à capturer l'attention de la foule qui s'était rendu à Ruramba pour
acheter de la bière. Augustin, 36 ans, vivait à Giseke, secteur Gisororo. Il
n'avait encore jamais entendu une incitation au meurtre aussi flagrante que
celle prononcée par Biniga.
Biniga a pris la parole et a dit: "Vous les Hutus, qu'attendez-vous?
On a tué votre président et vous restez les bras croisés! Commencez
le travail! Brûlez les maisons des Tutsis et tuez-les". Pendant qu'il
disait ces paroles, Biniga était avec quelques civils qui étaient aussi
dans son véhicule, à savoir Muyango, Nteziryimana, Gafaranga et
Céléstin Nkulikiyinka. Le message a été différemment accueilli par la
population. Certains individus ont acclamé et d'autres ont été confus.
J'ai eu peur.
C'était la toute première fois que je voyais une autorité prononcer
d'une façon publique de telles paroles. Il invitait une partie des
Rwandais à décimer l'autre partie.
Augustin est tout de suite rentré chez lui afin de prévenir ses parents et ses
voisins tutsis de Gisororo. Hélas, sa mise en garde arriva trop tard.
Avant d'arriver chez moi j'ai vu certaines misons des Tutsis de
Gisororo dans notre quartier qui brûlaient. J'ai
marché
très
lentement et avec prudence car j'entendais des gens crier, c'étaient
des Tutsis qui se défendaient contre un groupe de voisins hutus qui
brûlaient les maisons des Tutsis. Ils venaient brûler les maisons des
familles de Nyakaberege et Segatwa et de molester les membres de
leurs familles. Très vite, j'ai rejoint mes camarades tutsis et nous
avons pu contenir et éteindre ces incendies. Mes collègues m'ont
expliqué que c'étaient les conséquences néfastes de la réunion de
Biniga. Je leur ai dit ce que je venais d'entendre au centre de
Raramba.
Augustin participa à l'évacuation des blessés Il les emmena au centre
de soins de Ruramba car c'était le plus proche. Augustin y demeura avec les
blessés et le lendemain, il entendit une fois de plus Binaga inciter les Hutus
de Rwamiko à la violence.

Le vendredi 8 avril, Biniga, accompagné du bourgmestre de
Rwamiko, Silas Mugerangabo, est repassé dans son véhicule Toyota
blanc double cabine avec ses gendarmes. Biniga tenait un
microphone et disait:" Désormais, il y a deux partis politiques: celui
des Hutus contre des Tutsis. Ne confondez pas les choses. L'ennemi
d'un hutu est un Tutsi. Il faut le chasser."
Il était manifeste que les propos de Biniga commençaient à porter leurs
fruits; Augustin prit conscience du danger croissant;

Cette nuit-là j'ai laissé les malades au centre de santé de Ruramba
pour me réfugier à Kibeho. Le lendemain matin, c'est-à-dire le
samedi 9 avril, le centre a été attaquée les malades et les Tutsis qui
n'avaient pas fui ont été tués.
Jean Damascène Rugeintwaza, originaire du secteur Gisizi, a raconté
l'effet des propos et des agissements de Biniga; il a parlé d'un véritable
exode des Tutsis en provenance de Rwamiko vers sa propre commune de
Mubuga.
Du 7 au 10 avril, Damien Biniga partait à Rwamiko avec des
gendarmes. Ils rentraient puis repartaient sans arrêt. Des maisons
étaient brûlées et nous voyions des réfugiés tutsis passer dans notre
commune de Mubuga, cheminant vers la paroisse de Kibeho. Biniga
ne dormais pas, toute la nuit son véhicule faisait des trajets vers
Rwamiko.
D'après Jean Damascène Misigaro, du secteur Misigiro, à Mubuga, les
attaques orchestrés par Biniga et ses gendarmes avaient d'autres objectifs.
Pendant la nuit nous voyions Biniga et ses gendarmes partir vers la
commune Rwamiko. Tous ces voyages avaient un seul but: la
destruction des maisons des Tutsis pour les pousser à aller s'entasser
à la paroisse de Kibeho afin de faciliter leur extermination21.
Rwamiko n'était pas la seule commune où Biniga avait décidé de
préparer le terrain pour la tuerie. Il ne fallut que quelques jours avant que
d'autres communes de Munini ne fussent touchées par le gigantesque vague
de souffrance humaine soulevée par Biniga. La plupart des Tutsis avaient
fui Rwamiko, de sorte que Biniga put tourner son attention sur la commune
21

Témoignage recueilli à Kigali, le 17 juillet 1997.

de Mubuga, où l'arrivée massive de réfugiés avait fait naître un sentiment
croissant d'insécurité.
Biniga déclara à la population hutue que le génocide des Tutsis était
un combat défensif nécessaire. C'était , disait-il, leur seul espoir de
devancer ce qui était , d'après lui, un plan tutsi bien préparé pour les
anéantir. Se faisant l'écho de la thèse de Radio Rwanda et de la RTLM, il
affirmait que le génocide était une mesure de précaution nécessaire. Au
commencement du génocide, Innocent Bakundukize travaillait à la fabrique
de thé de Mata comme agent agricole. Avant son embauche à l'usine, il
avait été bourgmestre de la commune Mubuga de 1982 à 1987, année où il
fut remplacé par Charles Nyilidandi. Il reprit les rênes de Mubuga le 25
mai 1994, en plein génocide, après la mort de Nyilidandi22. Innocent
Bakundukize demeura bourgmestre jusqu'à janvier 1995, lorsque, craignant
d'être arrêté, il partit pour le Zaïre. Il rentra au Rwanda en août 1997. Ce fut
l'un des premiers intellectuels génocidaires à avouer et reconnaître
publiquement son rôle dans les massacres. Il fit un récit détaillé du
génocide de Mubuga et de sa propre contribution à son succès.
A partir du 10 avril, les Tutsis de notre commune ont commencé à
fuir vers la paroisse de Kibeho: d'autres sont allés vers la paroisse
de Cyahinda, à Nyakizu, et la paroisse de Karama, à Runyinya,
Butare. Biniga et ses gendarmes nous ont dit qu'il n y avait pas
moyen de nous échapper car les Tutsis s'étaient organisés en très
nombre pour nous exterminer. Pour parer à ce danger, il nous a dit
que tous les hommes et les jeunes gens devaient se mettre ensemble
et se munir d'armes: machettes, massues et petites houes, et que ceux
qui le pouvaient devaient apprendre comment utiliser les grenades et
les fusils avec les gendarmes. Il a dit que nous devions organiser une
attaque pour devancer l'attaque des Tutsis. Il avait réussi à en
convaincre toute la population hutue.

"Le génocide dans cette région est surtout dû aux campagnes de
sensibilisation que Biniga a menées au niveau de toute la population
hutue de la région"
Elles ont facilité le massacres qui ont eu lieu dans la région. Biniga
a été assisté par les autorités communales, les intellectuels comme le
directeur de l'usine de thé Mata, l'assistant médical de Kibeho,
Mutazihana, et les prêtres comme Anaclet Sebahinde en Thaddée
22

Nyiridandi a été tué lors d'un pillage de vivres destinés aux réfugiés burundais. Nyiridandi s'était
servi en nourriture, huile et couvertures et il essaya ensuite, avec l'aide de ses gendarmes,
d'empêcher les résidents locaux de suivre son exemple. Il fut tué par une grenade lancée par un des
miliciens.

Rusingizandekwe. Tous ces gens l'ont aidé. La population avait
compris qu'il fallait se débarrasser des Tutsis pour pouvoir
remporter la guerre contre les Inkotanyi
Biniga se donna du mal pour présenter le génocide comme une guerre
préventive. Joseph Niyonsenga fait le récit d'un message qui eut lieu dans
le bureau de Biniga, le 16 avril. Peu de temps après, il rencontra Biniga.
Quelques jours après le massacre, je suis allé au centre de négoce
deKamirabagenzi, commune Kivumu. C'était un vendredi, le jour du
marché. Pour ne pas être dérangé par les gens venant du marché, je
suis entré dans la boutique de Sengabo. Je voulais bavarder avec
Boniface Basanza et Jean Marie Vianney Nshimyumukiza,
vétérinaire de la commune de Kivu tout en buvant de la bière.
Vers 15:00 heures, Biniga est arrivé dans sa voiture . Il avait deux
armes, un pistolet et un grand fusil; un soldat l'escortait. Il portait
aussi la casquette des militaires. Il est entré dans la boutique et nous
a salués; il était ivre. Il est aussitôt ressorti. A côté de ce centre il y
avait l'habitation d'un certain Joseph Mazimpaka, un Tutsi tué à
Butare pendant le génocide. Biniga est allé chez ce dernier et vu
qu'un trou avait été creusé pour planter un bananier. Il est venu en
criant, nous demandant de nous sortir, alertant aussi tous les gens
du marché il disait: 'Je vous ai toujours dit que le Tutsssi avaient
dressé un plan de tuer les Hutus. Venez voir les fosses qu'ils avaient
creusées chez Joseph pour y mettre les Hutus tués.'
Beaucoup de gens ont été curieux et ils ont accompagné Biniga pour
aller voir; Biniga nous a dit que les Tutsis avaient planté des là
bananiers avait découvert leur plan. Il nous alors demandé
d'exterminer le Tutsis sans pitié, et de bien vérifier qu'il n'y avait
de Tutsi encore vivants qui seraient venus au
marché.
Après
avoir écouté Biniga, les gens étaient fâchés, ils disaient que les
Tutsis étaient très méchants. Je pense que ceux qui cachaient les
Tutsis jusque-là les ont livrés sur le champ.
Après cela, Biniga est allé à la boutique de Sengabo qui, tout sale, se
comportait comme un fou. Il venait de transporter une caisse de
bière Primus. Biniga lui a demandé sa carte d'identité pour vérifier
s'il n'était pas Tutsi. Le fou l'ayant ignoré, Biniga est entré dans une
colère et a voulu le fusiller. Les gens qui étaient présents ont crié
pour arrêter Biniga en lui disant que c'était un hutu fou.
Biniga lui a dit : 'Je vais te tuer. Sufuri kwa sufuri', ce qui veut dire '
nous sommes quittes' en swahili. Il a tiré en l'air, puis il est parti en
disant qu'il allait chercher les Tutsis à tuer. C'était en plein milieu du
génocide.
Biniga était devenu un vagabond, un politicien détraqué. Il avait
oublié sa femme et ses enfants; Il avait dans sa maison seulement

deux chaises, ses habits étaient toujours sales. Il mangeait toujours
des brochettes mal préparées, on se demandait pourquoi il n'avait
pas encore la dysenterie.
Il avait, nous le verrons, d'autres priorités. Il était en charge du génocide de
Munini.
Ralliement des fidèles à Mubuga, 11 avril
Après la mort d'Habyarimana, les patrouilles locales furent souvent
renforcées; Des civils furent recrutés sous prétexte de renforcer la sécurité,
puis employés au service du génocide. Le besoin de patrouilles et de
couvre-feux était justifiée par la théorie selon laquelle la mort du président
signalait une intensification de la menace représentée par le FPR déjà décrit
par la propagande du régime comme une armée envahissante résolue à
exterminer la population hutue; A Munini, les forces du génocide étaient
encore mieux préparées . Un grand nombre de gendarmes étaient arrivé afin
de prêter main forte à l'autorité personnelle de Biniga juste avant la mort d'
Habyarimana. Ils étaient censés avoir été muté au bureau de la souspréfecture afin d'améliorer la sécurité"; Toutefois , les résidents de la
commune avaient parfaitement conscience du fait que, comme le dit Adèla
Mukakarangwa, leur véritable mission était de "raviver la machine
infernale" de la campagne pro-MRND de Biniga.
Les attaques contre les Tutsis de Rwamiko et l'arrivée massive de
réfugiés à Mubuga avaient soulevé maintes préoccupations en matière de
sécurité dans tous les rangs de la communauté de Mubuga. Biniga sut
aussitôt saisir cette occasion. Il prononça un discours à l(intention des
Hutus de Mubuga étudié pour exploiter leurs peurs et attiser leur colère. Le
11 avril, le bourgmestre de Mubuga, Charles Nyilidandi, organisa une
"réunion sur la sécurité" dans la commune.
La réunion eut lieu à quelques mètres du bureau de Biniga , sur la
place du marché cellule Karehe, secteur Gisizi, vers midi. La totalité de la
population de Mubuga fut invitée à y participer; Nyiridandi parla en
premier et adopta une approche constructive. Il souligna l'importance d'une
sécurité redoublée et des efforts à faire afin de repousser ceux qu'il appelait
les "envahisseurs" en créant un système de patrouilles au sein duquel Hutus
et Tutsis pourraient participer ensemble. Il demanda ensuite les conseils
des participants; Damien Biniga, d'allure sale et dépenaillées, demanda à
prendre la parole. Il rentrait tout de juste de Rwamiko. Chaque témoin se
rappelle en détail la teneur du discours de Biniga. Il était soigneusement
élaboré pour convaincre tous les Hutus présents que leur vie et celle de
leurs enfants étaient en danger. Il déclara que la seule solution était de
lutter et que les Hutus de Rwamiko avaient déjà entamé la lutte. Pour les

Tutsis qui entendirent les propos de Biniga, c'est à partir de ce moment-là
qu'ils ressentirent les premiers frissons de l'angoisse. Vénuste Bucyana, de
Gisizi, dit connaître Biniga depuis des années 70. Il se rappelle du récit que
Biniga fit des événements survenus à Rwamiko.
Biniga a dit: 'Je vais vous dire ce qui se passe à Rwamiko, écoutez
bien. Un home tutsi de Giseke[colline de Rwamiko] a pris une fillette
hutue. Il a pris un tronc d'arbre puis lui a pris le petit doigt. Il l'a
coupé avec une machette. Il a pris l'annulaire et a fait la même
chose; Il a continué à couper jusqu'au pouce. Vous comprenez la
méchanceté des Tutsis. Voilà la raison qui a poussé les Hutus de
Rwamiko à se défendre.'
Biniga a ensuite décrit la manière dont le père de la fillette mutilée décida
de se venger. D'après François Murima, il ne faisait aucun doute que Biniga
appuyait sans réserve cette initiative.
Il a pris sa machette et a tué l'homme tutsi qui avait coupé le doigts
de sa fille. Puis il dit que la guerre avait débuté. Biniga a rejeté la
responsabilité de la tragédie sur cet homme tutsi
Enfin et surtout , Biniga a tout fait pour que cet incident soit perçu
non comme un cas isolé mais plutôt comme le début d'une guerre qui allait
immanquablement déferler sur le résidents de Mubuga. Vénuste explique
que Biniga rejeta d'emblée le système de sécurité propos par le
bourgmestre.
'Maintenant le bourgmestre est en train de dire qu'il faut faire des
patrouilles ensemble avec ces méchants. Qu'est-ce qui nous dit que
les Tutsis de Mubuga ne vont pas faire la même chose?'
Pendant qu'il parlait, Biniga jouait avec une boîte d'allumettes, donnant
plus de poids à chacun de se mots en faisant semblant d'allumer une
allumettes à intervalles réguliers. Pour encourager les Hutus à former un
front uni, il déclara à son public que tous les chefs hutus à Kigali avaient
été assassinés par le FPR. Vincent rappelle ses propos;
'Tous les leaders politiques hutus ont été rués par le FPR. Le FPR a
tué Pasteur Bizimungu, Alexis Kanyarengwe, Agathe Uwilingimana,
Faustin Twagiraamungu et Frédéric Nzamurambaho. Heureusement
que Kagame est mort aussi, sinon les Tutsis nous auraient achevés'.
En outre, Biniga a allégué qua sa femme et ses enfants "ont été tué à

Kacyiru, Kigali-ville, par les Inkotanyi", ce qui était faux23.Vestine
Karangwayire est une cultivatrice d'environ vingt-cinq ans, originaire du
secteur Gisizi. Elle se rappelle comment Biniga alla jusqu'à utiliser son
apparence débraillée comme preuve du danger que représentaient les
Tutsis.
Vous voyez que je ne porte plus de pantalon propre à cause de la
provocation des Tutsis. Je n'ai pas le temps de me laver ni de me
peigner à cause des
Tutsis. Chacun doit se protéger et doit
rester sur place. Parmi nous il se trouve
des gens qui veulent
nous provoquer, notamment les Tutsis du projet DANK. Prenez donc
les précautions'.
La nuit du même jour il n y a pas eu de patrouilles nocturnes. Les
gens n'étaient plus solidaires. Le discours de Biniga avait porté ses
fruits de division.
Cassien Kajeguhakwa raconte également les efforts mis en oeuvre par
Biniga pour tenter de représenter la violence de Rwamiko comme un acte
de légitime défense et pour encourager les résidents de Mubuga à suivre
l'exemple que leur donnaient les Hutus de Mubuga. Il précise que Biniga
identifia alors les cibles immédiates en disant:
'Ces fauteurs de troubles tutsis ont commencé à fuir vers la paroisse
de Kibeho, mais nous verrons ce qu'ils mangeront. Vont-ils
consommer les briques de la paroisse? On verra. Pourquoi faut-il
continuer à supporte les gens pareils?'
Les résidents hutus de Mubuga étaient au courant des tueries et
étaient conscients de l'insécurité qui régnait à Rwamiko depuis le 7 avril.
Toutefois au départ, ils pensaient que leur commune serait épargné. Le
calme ne durera pas longtemps, comme l'explique Niyonsenga.
L'insécurité a commencé après la réunion que Biniga a tenue le 11
avril au marché, près du bureau de la sous-préfecture.
Joseph arriva en retard à la réunion mais était présent lorsque Biniga
proféra des menaces explicites de ses collègues de DANK.
J'ai entendu Biniga dire ceci à la population : 'Vous savez que
beaucoup de gens qui travaillent dans le projet DANK ou dans
d'autres services ici à Muninine sont pas originaires de Gikongoro;
Alors, il faut faire ne pas les laisser partir. Vous savez que parmi
eux, la majorité sont des complices du FPR. Ils doivent rester ici
23

La famille de Biniga a continué de vivre au Rwanda

pour nous aider à faire des patrouilles. Vous avez compris?'
On voyait très bien que Biniga incitait les gens de Mubuga à
commencer eux aussi le génocide. Après la réunion, on a mis des
barrières dans tout le quartier et on a commencé à menacer les
Tutsis.
Emmanuel Nzabirinda explique la façon donc Biniga utilisa à
Rwamiko, la violence qu'il avait lui-même déclenchée comme une stratégie
pour déstabiliser Mubuga.
Directement après la mort d'Habyarimana, l'insécurité a commencé
dans la commune de Rwamiko. Biniga n'a rien fait pour calmer ces gens
mais je le voyais dans sa voiture, en train de transporter des petites houes et
des épées, les stockant chez lui; Il avait la commande chez les forgerons de
Giheta, commune Mubuga. Personne n'avait pensé à leur utilité puisque le
génocide n'avait pas encore commencé à Mubuga.
Quelques jours plus tard, j'ai accompagné quelqu'un qui apportait
des vivres aux réfugiés burundais qui vivaient dans la commune de Nshili;
En chemin, j'ai vu des Tutsis qui fuyaient, on brûlait encore des maisons de
Tutsis dans la commune de Rwamiko et Kivu. De retour , j'ai trouvé Biniga
au bar de Sekamana.
Quelqu'un demanda à Biniga pourquoi il n'avait rien fait pour désamorcer
la situation à Rwamiko.
Il a répondu: " Pourquoi dois-je les empêcher? Est-ce que vous en
connaissez au moins la cause , avant de me demander de faire cela?
Emmanuel assista à la réunion qui eut lieu sûr la place du marché.
Je suis arrivé à cette réunion alors que Biniga expliquait la cause du
génocide à Rwamiko. Il nous a dit: ' Vous devez comprendre les gens de
Rwamiko, ils ont tué les Tutsis parce qu'ils étaient fâché à cause de
l'assassinat de leur président par les Inkotanti et vous savez très bien que
les Tutsis sont leur complices.' Un certain Mutaga a pris la parole et a dit
à Biniga; 'je ne veux pas soutenir les gens de Rwamiko; nous allons
combattre contre cela, même si vous nous apportez de l'essence pour nous
aide à brûler les maisons des Tutsis, personne n'acceptera.
Biniga se servit de la boîte d'allumettes pour provoquer chez les
Hutus une véritable frénésie génocidaire mais également pour leur faire
comprendre ce que leur coûterait toute dissension;
Biniga nous a montré une allumette qu'il avait dans la main et il nous
averti en disant : 'Avec cette allumette, on peut vous brûler tous sans avoir
recours à l'essence'. Puis il a appelé Byimana et Charles Sindambiwe qui

étaient à la réunion et leur a dit: 'J'espère que vous n'êtes pas sourds; Vous
allez commencer à travailler'. 'travailler', ça voulait dire tuer;
Tout le monde a compris le message
Nyiridandi, le bourgmestre de Mubuga , était présent à cette
réunion. Il nous a demandé de commencer des barrages routiers
partout et à faire des patrouilles; Après la réunion, les interahamwe
ont formé des groupes. Ils sont allés cherché des arbres en dessous
de ma maison et de celle de Sekamana pour ériger des barrages. Les
Tutsis ont commencé à avoir peur, car ils voyaient que Biniga les
avaient livrés.
Le lendemain, le mardi 12 avril, les interahamwe ont brûlé les
maisons des Tutsis, comme Birindabagabo, enseignant, Gasimba,
cultivateur, et Simon Rucyempampumzi.
Lorsqu'arriva le 11 avril, des milliers de réfugiés de Rwamiko et de Kivu
avaient trouvé refuge à Mubuga, dans la paroisse de Kibeho. Chacun avait
une histoire à raconter qui parlait d'attaques meurtrières, de biens pillés, de
maisons incendiées. Les résidents de Mubuga avaient vu des maisons
incendiées de Rwamiko et les Tutsis parmi eux étaient donc fort perturbés.
Un système de patrouilles nocturnes avait été organisé mais n'avait guère
contribué à assouvir le craintes. La plupart d'entre eux savaient
pertinemment que le sous-préfet appuyait la violence. Ils l'avait vu se
rendre périodiquement à Rwamiko, accompagné de ses gendarmes, tandis
que des réfugiés continuaient de fuir Rwamiko en direction de Mubuga.
Mais le discours de Biniga prononça le 11 ne fit que confirmer ses
intentions à l'égard des réfugiés.
Nombre des personnes présentes ont aussi confirmé que Biniga avait
qualifié les Tutsis du projet DANK de "collaborateurs du FPR". Cette
accusation cadrait parfaitement avec le but général du génocide: veiller à
l'élimination complète de intellectuels tutsis, en leur qualité de chefs de la
communauté. D'après François Murima, il menaça ouvertement les
membres du personnel de DANK en disant:
'Vous les Tutsis de DANK, vous êtes en collaboration avec les
Inyenzi et vous ne suivez pas les conseils que nous vous avons
donnés. Je ne veux plus voir deux Tutsis ensemble. Vous êtes les
promoteurs de tout ce qui se passe maintenant.'
Le projet DANK était un point de départ fort commode pour la stratégie de
Biniga; il avait collaboré avec plusieurs employés du projet depuis un
certain temps. Biniga se contenta de désigner les Tutsis qu'il souhaitait voir
éliminés. Comme l'explique Jean Damascène Rugemintwaza, ses propos
eurent un effet instantané et destructeur.

Parmi ces Tutsis il a cité Vianney Byukusenge, alias 'Kamba', Léo
Rugema, Kimenyi. et Kabaka. Par la suite tous ces Tutsis ont été
tués. C'était urne manière de les livres à la mort.
Après son discours la réunion s'est transformée en une sorte de
marché où tous les Hutus bavardaient. Le directeur de DANK qu'il
allait disponibiliser des fusils aux ex-FAR qui étaient des réservistes.
Il expliquait cela en disant qu'il acceptait de le faire pour renforcer
les patrouilles. Le directeur a promis aussi de donner des prix et des
habits à ces soldats. Ce jour-là il a donné un fusil à Nyambo, qui
était planton à la sous-préfecture, dans la sous-préfecture,
dans
le secteur Gasare. Il en a donné aussi à Ndereyimana qui est
maintenant en détention, à Emmanuel Niyigaba et à Alfred, un expolicier de Mubuga.
Cette nuit-là, d'autres armes furent apportées par Jean Marie Kimonyo, qui
habitait à Kigali-ville, mais qui collaborait avec Biniga. Jean Damascène
Misigaro le vit arriver.
Ce soir-là, le commerçant Jean Marie Kimonyo, est arrivé à Munini
à bord de sa camionnette Hilux remplie de machettes. Une partie de
ces machettes a été stockée chez le comptable Nkomeje et une autre
parie chez le commerçant Rudandaza.
Il y avait des employés du projet DANK dans l'assistance. A DANK,
il n'avait que les Tutsis qui avaient peur, mais également les Hutus qui
n'adhéraient pas à l'agenda de Biniga. Un d'eux était Augustin Mutijima,
l'actuel préfet de Gikongoro;
Biniga nous a dit: ' Vous savez qu'Agathe, nzamurambaho, etc... les
grands complices du FPR ont été tués? Vous aussi les Inyenzi, vous
allez mourir'. Parmi les Inyenzi il a visé les agents du projet DANK.
Nous avons eu peur parse que nous voyions que même que le
miliciens qui collaboraient avec Biniga avaient des grenades, des
fusils, de petites haches, etc...Après la réunion, les miliciens ont
brûlé les maison d es Tutsis; Ceux-ci ont commencé à fuir vers le
bureau de la sous-préfecture.
Beaucoup de mes amis ont été tués par Biniga comme la famille
Rwitsibagura; Je accuse d'avoir tué des gens avec lesquels je
travaillait sur le projet DANK.? Biniga était terrible. C'est vraiment
lui qui a planifié le génocide de Munini, et on a tué beaucoup de
gens à cause de lui.
Certains des partisans les plus enthousiastes de Biniga se trouvaient être
des collègues d'Augustin.

Les grands miliciens comme Sindambiwe, Byimana, Kanyandekwe,
Boniface , Gasana et Placide Ndayambaje étaient des employés de
DANK. Avec l'aide d'Alphonse, le secrétaire du parquet de Munini,
ils ont mis des barrières artout pour nous empêcher de fuir loin.
Après cette réunion, l'atmosphère qui régnait à Mubuga se
transforma. Il n'avait plus de patrouilles communes et nombre de Tutsis
passaient la nuit dans la brousse. Des barrages routiers furent ériges furent
érigés; Biniga lui-même a transporté les arbres. Le lendemain d'autres
maisons de Tutsis furent incendiées et nombre d'entre eux furent attaqués
par des bandes armées de machettes. Les attaques sur les domiciles du
domiciles du personnel tutsi du projet DANK eurent priorité. François
décrit ce qui s'est passé.
Le lendemain, le 12 avril, vers 11:00 heures, nous vu les maisons de
Tutsis en train de brûler; Les Tutsis commençaient à courir. Des
barrages étaient déjà érigés sur la route. Les jeunes T utsis de
DANK furent les premiers à être pourchassés; Biniga les avait livré
en quelque sorte lors de la réunion du 11 avril.
Vincent Birindabagabo travaillait à l'époque pour le projet DANK. Il a fait
un récit détaillée de l'attaque que ses collègue et lui subirent après la
réunion.
La réunion a pris fin vers 15:00 heures et un type appelé Ngendo,
qui est actuellement en détention à Munini, s'est approché de moi.
Il était parmi formé par Biniga. Il m'a dit: 'Si tu as un endroit où tu
peux aller, fuis, car Biniga nous a donné l'ordre de vous tuer'. J'ai
averti quelques tutsis mais nous ne voyions pas encore ce qu'il fallait
faire. Nous avons passé la nuit chez nous et le lendemain, le 12 avril
quelques Tustis d'autres secteurs ont commencé à fuir . Vers midi,
Bucyana est venu me voir et m'a dit qu'il venait d'apprendre
que Biniga était en train de réclamer sa tête, ainsi que la
mienne et celle de Sekamana, de
Laurien , un agent du parquet,
de Kimenyi, de Tindo et de
tous les agents du projet DANK. Sans
tarder une attaque dirigée par Byimana a été lancée. Nous avons fui.
Au lieu de courir avec les autres, j'ai préféré grimper un avocatier.
Les gens qui attaquaient sont arrivés chez moi et ont fouillé ma
maison. Ils n'ont rien trouvé. Le nommé Juvénal Myasiro, qui était
parmi ceux uni qui attaquaient, a dit aux miliciens de brûler la
maison pour me faire descendre, si, par hasard, j'étais dans les
combles; Ma maison a été brûlée.
Le soir, je suis descendu de l'avocatier et je me suis réfugié à la
paroisse de Cyahinda.

La maison d'Adèla Mukakarangwa se trouvait juste en face du marché,
secteur Gasizi. Son mari était en déplacement à Kigali à l'époque, mais elle
assistait à la réunion et entendit les mises en garde lancées par Biniga à
l'intention des Hutus: 'Soyez vigilants! Ne laissez pas les Tutsis de Mubuga
vous prendre par surprise !" Elle décrit l'effet des propos du sous-préfet.
Après son discours, je vous assure que les gens hutus étaient furieux
et on voyait que le massacre allaient sans doute suivre. Comme
j'avais épousé un homme hutu, j'étais plus ou moins en sécurité par
rapport aux autres Tutsis. Je suis allée chez moi.
La réunion a pris fin vers 15:00 heures et les barrages ont tout de
suite été érigés, notamment le barrage sur la route qui allait au
projet DANK. C'était pour empêcher les Tutsis de DANK de rentrer.
C'est Biniga qui a donné l'ordre d'ériger ce barrage. Je l'ai vu de
mes propres yeux dire aux jeunes paysans hutus de le faire. J'étais
chez moi et comme je vous l'ai dit, je vivait sur la route et j'observais
beaucoup de choses. Je n'étais pas menacée car mon mari est Hutu,
et alors mes enfants sont donc aussi des Hutus.
Patrice Mutaga, Chef du MDR dans le secteur Gasizi, prononça
également un discours lors de la réunion, une fois que Biniga eut donné le
ton .par la suite, il a résumé l'effet des propos de Biniga;
La même soirée, la tragédie a eu lieu. J'ose dire que le discours de
Biniga est à la base des massacres des Tutsis de cette région; Il s'est
adressée à la population et, sans tarder, les Tutsis ont été tués . Je
cois que c'était l'intention de son discours24.
Les tutsis qui assistaient à la réunion étaient conscients que Biniga venait
de les condamner à mort. Nombre d'entre eux sortirent furtivement dès la
fin de son discours; certains partirent aussitôt se cacher. Voyant que des
barrages routiers avaient été érigés à divers carrefours, Cassien
Kajeguhakwa et ses voisins de Bukeye quittèrent leur domicile le soir du
11 et tentèrent de se réfugier au centre de Ndago. Biniga leur rendit visite
là-bas;
Il nous a demandé pourquoi nous étions là-bas, nous avons répondu que
nous fuyons l'insécurité de notre cellule. Il a rigolé. Il est parti avec ses
gendarmes sans aucun mot de soutien - une autorité comme lui!
Véstine parle de la participation directe de Biniga aux événement du 12
24

Témpoignage reecueilli à Mubuga , le 29 janvier 1997

A 11:00 heures du matin , les barrages ont été érigés. Biniga a
aussi installé une barrière en bas de la sous-préfecture. J'étais
en train de tirer de l'eau du robine quand j'ai vu Damien
Biniga avec quelques miliciens des alentours, en train de
traîner des arbres pour ériger le barrage.
Après avoir dressé le barrage, il est allé cherché son véhicule,
puis il est revenu.
"Fusil à la main , Biniga a dit à certains gens qui se trouvaient là:
'Soyez vigilants. Que personne n'échapper parmi la communauté des
Tutsis. Faites en sorte que les enfants hutus qui naîtront dorénavant
doivent demander comment était le Tutsi. Il faut aussi savoir que
Rwigema, qui est à l'origine de tout ceci, est parti qu'il était gosse;
N'épargnez même pas les nouveau-nés'"
Sur ce, Biniga partit et Véstine rentra chez elle, de son propre aveu"
rongée par la peur" afin de mettre son mari et ses voisins en garde. Ils
abandonnèrent leurs maisons la nuit même ,et partirent pour la commune
de Nyakizu à Butare. Deux jours plus tard, Biniga et certains miliciens de
Munini se rendirent à Nyakizu et les y trouvèrent. Ils s'en allèrent mais le
lendemain ils revirent et se mirent à tirer sur les réfugiés. Beaucoup de gens
furent tués mais Véstine parvint à s'échapper et gagner le Burundi.25
D'après Alphonse Nkurana, Biniga et le bourgmestre, Charles
Nyilidandi, convoquèrent une réunion de neuf conseillers hutus le 12 avril
à Mubuga. Le dixième conseiller, Cléophas Nkurunziza du secteur
Nyarusovu, en fut exclu car il était tutsi. La réunion eu lieu dans le bureau
du secteur. Alphonse apprit que, durant la réunion, " ces conseillers avaient
reçu l'ordre de mettre en oeuvre le génocide". Pour Alphonse et les autres
Tutsis de Mubuga, les conséquences de cette déclaration allaient être
immédiates.
Quand je suis revenu les conseillers qui avaient participé à la
réunion ont tenté de nous empêcher de fuir comme ils l'avaient fait
avec les Tutsis du secteur Gisizi qui se réfugiaient dans notre secteur
avec leur troupeaux depuis lundi soir Ils allaient vers la paroisse de
Kibeho. Ils voulaient nous entasser d'abord à un endroit et ensuite
nous éliminer.
Quand la nuit a englouti Kibeho:
la paroisse de Kibeho, 11-15 avril 1994
Les preuves de la participation de Damien Biniga à la série de
massacres qui eurent lieu dans la paroisse de Kibeho sont accablantes. Sur
25

Témoignage recuilli à Mubuga , le 20 janvier 1997

la base de son discours sur la place du marché à Gisizi le 11 avril, il ne
faisait aucun doute que les Tutsis qui s'étaient réfugié dans la paroisse
figureraient parmi les premières cibles. Mais personne n'aurait pu imaginer
la vitesse et la brutalité des attaques qu'il allait orchestrer pendant les quatre
jours qui suivirent le discours.
Au départ la paroisse était remplie de Tutsis qui espéraient échapper aux
premiers actes de violence qui avaient enflammé Rwamiko, la commune de
Munini qui comptait la plu importante population tutsie. Il reçurent un
accueil chaleureux de la part de l'abbé Pierre Ngoga qui était lui même
tutsi; Certes tout au long de la tuerie, le prêtre s'efforça de défendre sa
paroisse et il fut la source d'un grand réconfort pour les réfugiés. Hélas,
même les efforts surhumains n'auraient pas suffi à maîtriser la démesure du
problème.
Tandis que l'idéologie génocidaire gagnait du terrain, des Tutsis
originaires des quatre coins de Munini débarquèrent à la paroisse la
majorité provenant des secteurs Mara, Rwamiko, Runyinya, Gorwe,
Gisororo et Matyazo. Un grand nombre d'entre eux étaient déjà gravement
blessé. Selon les propos de l'un des survivants: "Avec chaque heure, chaque
minute, chaque seconde qui passait, le nombre des Tutsis augmentait. Les
nouveaux arrivants s'entassaient. Nous sommes restés dans l'église, les
écoles, les maisons paroissiales, à l'intérieur comme à l'extérieur des cours
paroissiales". Les Tutsis furent même encouragés à s'y rassembler par six
gendarmes, qui travaillent sous les ordres de Biniga, sans doute dans le but
de faciliter leur extermination par leurs soins, mais aussi par Biniga luimême. Un survivant raconte comment Biniga a même empêché les
miliciens de l'attaquer à Kibeho le 9 avril car, explique-t-il, "il a dit que
tous les Tutsis arrivent à Kibeho de manière à ce qu'il puisse les abattre
tous en même temps".
Suite aux menaces prononcées par Biniga le 11 à Mubuga, nombreux
furent les Tutsis de cette commune qui virent rejoindre les réfugiés dans la
paroisse. Le soir du 11 avril, les survivants estiment qu'il y avaient environ
30.000 réfugiés dans la paroisse.
Quand arriva le 15 avril, il en restait moins de 2.500, et la plupart d'entre
eux étaient gravement blessés. Cette nuit-là, l'église même, un bâtiment
célèbre dans tout le Rwanda comme un lieu d'apparition de la Sainte Vierge
fut incendiée et rasée, alors qu'elle abritait encore certains survivants
blessés incapables de fuir.
Des familles entières furent décimées, sous la vigilance de Biniga, lors des
massacres de Kibeho; Claver Karamaga estime qu'il a perdu 79 membres
de sa famille, y compris ses parents, ses frères et soeurs, ses cousins, des
oncles et des tantes. Il évoque le rôle de Biniga dans leur mort.
J'ai perdu presque tous les membres de ma famille. Ils ont tous été
décimés à la paroisse de Kibeho, le jeudi 14 avril 1994. Le principal

responsable de leur mort pendant le génocide est Biniga, le souspréfet de Munini. Biniga était le meneur des attaques des gendarmes
à Kibeho;
La haine que Biniga vouait au prêtre de la paroisse, l'abbé Ngoga,
était connue de tous; André Sekamana se rappelle qu'il avait souvent
reproché au prêtre de faire preuve de partialité ethnique dans ses sermons.
Il ajoute:" On voyait clairement qu'il lui en voulait pour rien ". L'antipathie
de Biniga à l'égard de l'abbé Ngoga fut encore ravivée au cours des
premiers jours d'Avril 1994. Etant lui-même un intellectuel tutsi, le prêtre
constituait une cible de prédilection pour les génocidaires. En outre, ses
efforts en vue de préparer les réfugiés de la paroisse à se défendre et son
refus de collaborer avec les plans de Biniga enragèrent le sous-préfet. C'est
peut-être l'une des raisons pour lesquelles Biniga fit de Kibeho la première
cible du génocide. La nuit qui précéda la première attaque sur Kibeho,
Biniga ordonna à Sekamana de prendre dix sacs de farine de manioc dans
sa boutique pour les amener aux réfugiés. Il s'agissait d'un geste tellement
farfelu, tellement déplacé, que Sekamana eut aussitôt le sentiment que la
manoeuvre avait un tout autre but.
Je lui ai dit:' Mon véhicule peut charger 4,5 tonnes. Laisse-moi
prendre au moins comme je le fais pour les réfugiés burundais de
Nshili'. Il a dit non et il a mis dix sacs de farine dans mon véhicule. Il
m'a mis devant pour conduire et il m'a suivi jusqu'à la paroisse de
Kibeho . Qu'est ce que les réfugiés de Kibeho pouvait faire avec cette
farine dépourvue de tout accompagnement,
Biniga saisit l'occasion pour avertir l'abbé Ngoga et pour l'accuser d'être à
l'origine des tentions qui existaient entre les réfugiés.
Biniga lui a dit :'Voici le résultat de tes homélies incendiaires. A
présent, l'eau va déborder. Tu es prêtre. Calme cette situation!'. Le
curé n'a rien répondu. Il y avait plus de 2.000 réfugiés mais leur
nombre augmentait sans cesse. Biniga a menti aux réfugiés en disant
qu'il allait qu'il allait calmer les esprits mauvais de Rwamiko qui
brûlaient des maisons.
Ce soir-là Biniga est retourné au bar d'André. Il était furieux et était
prêt à mettre en œuvre ses projets;
Ce soir-là Biniga est venu à mon bar, accompagné de huit
gendarmes; Il portait les bottes militaires, ainsi que un pantalon et
une chemise kakis comme l'uniforme de la Croix-Rouge. Il avait un
fusil dans les mains sur lequel il avait mis une grenade et tous ces
gendarmes avaient des fusils. Il disait des mots très méchants et il me

provoquait en me disant qu'il voulait m'envoyer à Rwamiko pour
calmer la situation . Je lui disait que je ne pouvait rien faire, que je
n'étais quelqu'un d'importance qu'on écouterait. Il m'a dit que ses
enfants, ainsi que sa femme, avaient été tués par les Inkotanyi, raison
pour laquelle il ne voyait pas pourquoi il devrait courir derrière les
Tutsis de Rwamiko.
Lundi 11 avril: Biniga évalue la situation et désarme les réfugiés.
Biniga se rendit à la paroisse de Kibeho le matin du 11 avril, sous prétexte
d'avertir l'abbé Ngoga d'une réunion de sécurité qui devait avoir lieu à
Munini. Il était accompagné de plusieurs gendarmes. Frédéric Sebareme
explique pourquoi le prêtre déclina l'invitation
Le curé Pierre a refusé parce qu'il savait que Biniga voulait tout
simplement le faire tuer;
Le sous-préfet exprima ouvertement son mépris pour le sort des
réfugiés. Frédéric son impartialité absolue;
Devant tout ce monde de réfugiés affamés et démunis, Biniga s'est montré
impitoyable et il nous a dit que notre présence ne voulait rien dire pour lui
Vestine Nyirafurere, originaire du secteur Runyinya, à Rwamiko,
entendit Biniga demander au prêtre ce que les réfugiés faisaient dans son
église. Elle relate l'échange suivant entre le prêtre et Biniga.
L'abbé Pierre Ngoga s'est tourné vers lui et lui a dit: 'Comment osestu poser une telle question étant données les circonstances? 'Tu peux
voir par toi- même que ces pauvres gens ont eu les bras , les jambes
coupées; et tu as l'audace de me demander ce qu'ils font ici. Ils sont
venu ici pour y chercher un abri'. Biniga lui répondit: 'Si ces gens
veulent de l'aide, ils ne devraient pas chercher les excuses en disant
qu'on veut les tuer'.
Biniga demanda à l'abbé Ngoga de faire de faire sortir les gens pour qu'ils
puissent assister à une réunion. Le prêtre lui répondit: "Une réunion est un
quorum. Les gens sont ici. Tu as donc ton quorum. Alors pourquoi ne pas
organiser la réunion ici même?" Biniga répliqua :"Tu te moques de moi"
"Biniga ajouta: Les Tutsis ont utilisé leur argent pour acheter les
vaches. Nous avons employé notre argent pour acheter des fusils. A
présent, laissons les cornes lutter contre les balles'. Puis il est parti".
Courroucé par la réponse de l'abbé Ngoga, Biniga quitta la, Paroisse mais

sans avoir déployé six gendarmes pour y imposer la "sécurité", avec l'ordre
de veiller à ce que les Tutsis se ressemblent dans la paroisse et n'en partent
pas. D'après Vénuste Murekezi qui avait fui une attaque à Rwamiko: " Ces
gendarmes voulaient faciliter la rafle de tout le monde en les groupant dans
un même endroit; Ils voulaient nous entasser dans un seul lieu de manière
à pouvoir achever leur tâche le plus rapidement"
Cet après midi-là Biniga revint, cette fois dans le but de désarmer les
réfugiés. Déclarant que les réfugiés ne devaient pas porter d'armes et que
lui et ses gendarmes garantiraient leur protection, il ordonna aux six
gendarmes de confisquer toutes les armes traditionnelles des réfugiés, telles
que les machettes, les lances et les bâtons en leur possession. A présent,
presque tous sans défense, les réfugiés virent d'autres réfugiés tutsis de
Mubuga déferler sur la paroisse le soir du 11 avril, n'ayant d'autre endroit
où aller et d'autre opinion que d'attendre, leur sort aux mains de Biniga.
Les assassins se rendirent à la paroisse le 11, comme l'explique Innocent
Bakundukize. La nature de leur visite ne pouvait laisser les réfugiés dans le
doute quant à leur futur.
Le lundi 11 avril, nous avons pris nos massues et des machettes puis
nous sommes allés attaquer les Tutsis dans la paroisse de Kibeho.
Ceux-ci étaient trop nombreux et ils nous ont chassés avec des
pierres qu'ils lançaient. Nous avons couru et les gendarmes nous ont
dit qu'ils allaient nous chercher de renforts. Nous sommes retournés
sur les barrages, très tristes parce que nous n'avions pas trouvé
moyen de tuer ces Tutsis.
Nous n'avons pas beaucoup progressé, dit-il, parce que "personne
n'est venu nous aider", une erreur qui n'allait pas se répéter. les jours
suivants.
Mardi 12 avril: première escarmouche
Vers 13:00 heures, le 12 avril, Biniga revint à Kibeho. Il était
accompagné de plusieurs des personnalités les plus influentes de Munini,
déjà bien connues comme figurant parmi ses principaux collaborateurs.
Des témoins ont spécifiquement désigné Juvénal Ndabalinze , directeur de
la fabrique de Mata, Silas Mugerangabo, bourgmestre de Rwamiko,
Charles Nyilidandi bourgmestre de Mubuga, Innocent Bakundukize,
l'agronome de la commune de Mubuga, et l'abbé Emmanuel Nduwayezu, le
directeur du groupe scolaire Marie Merci de Kibeho.
Cette fois, il s'adressa directement aux réfugies, les accusant de
comploter avec le FPR. Frédéric Sebareme a décrit cette harangue en détail.
Avec un regard très menaçant, Biniga nous a injuriés , disant que
parmi nous se trouvaient des Inyenzi, et que nous devions donc nous

séparer ou bien mourir avec. Il ajoutait que nous avions acheté des
vaches pour nous protéger mais qu'eux aussi avaient acheté des
armes, comme des fusils et des grenades.
La menace qui pesait sur les réfugiés avait un caractère immédiat.
Avant même la fin du discours de Biniga, les réfugiés virent arriver les
assaillants. Vianney Rwamukwaya compte parmi les nombreux survivants
qui les ont identifiés comme des résidents des communes de Rwamiko,
Runyinya et Mubuga, à Butare. Ils arrivèrent dans les véhicules qui
appartenaient à la fabrique de thé et aux commerçants de la localité et,
affirme-t-il, il était évident que Biniga était de "mèche" avec eux. Augustin
Kabandana souligne le rôle joué par les gendarmes au cours de l'attaque.
Les tueurs étaient épaulés par les gendarmes de Damien Biniga.
Biniga ne portait pas de fusil dans cette attaque mais les gendarmes
en avaient plusieurs.
Vénuste Murekezi déclare qu'au lieu de défendre les réfugiés, les six
gendarmes que Biniga avait postés à la paroisse lors de sa visite précédente
"les empêchaient de fuir les lieux". Même les femmes et les enfants à
l'intérieur de l'église ne furent pas épargnés par les tueurs. Vestine
Nyirafurere était parmi les femmes et les enfants qui avaient été mis dans
l'église.
L'abbé Ngoga nous a conseillé de nous défendre avec des pierres,
alors que c'étaient seulement des femmes et des enfants qui avait été
mis dans l'église.
Véneranda Mukankusi, agricultrice de 45 ans originaire de la cellule
Warurayi à Mubuga, a assisté à la tuerie.
Butare, 19 janvier 1995.) Cet après midi-là, certains des assaillants,
qui portaient des feuilles de bananiers, étaient originaires de
Mubuga. Ils ont attaqué l'école, et d'autres qui provenaient de
Rwamiko, se sont dirigés
vers l'église. Ce jour-là, ils étaient
accompagnés par un policier communal, Athanase Saba. Il s'est
servi de son fusil alors que les autres employaient
des pierres.
26
Ils ont tué six personnes et ont blessé sept autres .
Dix personnes ont trouvé la mort durant cette attaque et plusieurs centaines
de réfugiés furent blessés mais ils résistèrent tant bien que mal; Vianney
Rwamukwaya était parmi eux.
26

Témoignage recueilli à Matzyaso, Butare, le 19 janvier 1995.

Nous avons organisé un système d'autodéfense avec des briques, des
tuiles et des cailloux ainsi que des pierres. Ils ont commencé à nous
attaquer à coup de fusils et de grenades. Aidés par notre grand
nombre et nos petites armes nous les avons délogés. Ils se sont
repliés.
Mais il n'y allait pas y avoir de répit pour les réfugiés. Le mercredi
13 avril, les tueurs tentèrent une deuxième fois de les exterminer. Cette fois
encore, les réfugiés à repousser leurs assaillants, mais ils subirent
beaucoup plus de pertes. Une estimation fait état d'au moins 200 personnes
tuées.
A cette occasion, Biniga n'apparut que lorsque les tueurs eurent
quitté les lieux. Losrsqu' il parla aux réfugiés, il tenta de les rassurer, leur
disant qu'il leur offrirait une certaine forme de sécurité; son intention
probable était de veiller à ce qu'ils ne quittent pas Kibeho.
Second Twagirumukiza, maçon de 41 ans originaire de Kibeho,
entendit Biniga qui tentait de donner aux réfugiés une fausse impression de
sécurité.
Ceux qui sont venu avec des fusils étaient peu nombreux et ils se sont
vite enfuis devant notre résistance. Le
sous-préfet,
Damien
Biniga, a ensuite amené un nouveau groupe de gendarmes. Ils nous a
dit que les assaillants étaient des bandits et nous a garanti notre
sécurité. Il est parti en disant: 'Ne vous inquiétez de rien. Contentez
vous d'enterrer vos morts.' Nous avons enterrez ceux qui avaient
trouvé la mort pendant l'assaut, environ deux cent personnes.
Ensuite, certains des gendarmes sont partis pour aller protéger ceux
qui s'étaient réfugiés au Groupe scolaire de Marie Merci. Le
directeur de l'école école, l'abbé Emmanuel[Uwayezu], est parti
avec Biniga..
Mais les réfugiés ne tirèrent aucun réconfort des agissements de
Biniga. Tout comme Vianney Rwamukwaya, la plupart d'entre eux savaient
bien que ses "mesures de sécurité" s'inscrivaient dans un ordre du jour
caché.
Le mercredi 13 avril, six gendarme ont renforcé leur garde dans le
but de nous empêcher de fuir. Nous avons intensifié nos prières
puisque notre mort nous semblait inévitable.
Jeudi 14 avril: le jour du grand massacre
A l'aube du 14 avril, les réfugiés ont été réveillé par l'arrivée de
Damien Biniga et de ses soldats, renforcés de milliers et de milliers
d'interahamwe venus des quatre coins de Munini et même d'aussi loin que

Runyinya, à Butare. Ils sont arrivés dans le véhicule personnel de Biniga et
dans des véhicules appartenant à la commune et à la fabrique de thé. Armés
jusqu'aux dents de fusils, de grenades et d'armes traditionnelles, certains
portant des feuilles de bananier, ils cernèrent complètement la ville de
Kibeho.
Lorsqu'ils virent l'ampleur de l'assaut, les réfugiés comprirent
aussitôt qu'ils n'auraient quasiment aucune chance de survie. Vianney
Rwamukwaya explique comment l'abbé Ngoga tenta de les préparer au
massacre.
Le curé, Pierre Ngoga, voyant que notre mort approchait, partageait
notre souffrance. Ils nous a dit de nous purifier avec Dieu. Il disait
que comme nous le voyons, notre mort était inévitable mais qu'après
la vie terrestre, si nous étions purs devant Dieu, nous vivrions
éternellement. Son message était fortifiant malgré tout et je
n'oublierai jamais son courage.
Vianney put identifier un grand nombre de meneurs. Il était
manifeste que le massacre avait été méticuleusement planifié car aux rangs
des leaders figurait même un prêtre qui était résident d'une autre préfecture.
Damien Biniga était à la tête, ainsi que le directeur de l'usine de thé
de Mata, Juvénal Ndabalinze, et tous ceux qui avaient participé à la
réunion du 7 avril. Chacun était avec ses propres tueurs. Il y avait
aussi le redoutable abbé Rusingizandekwe. Il est le fils de Télesphore
Mugara et originaire de la cellule Uwururembo, secteur Runyinya,
commune Rwamiko.
Ce jour-là il était venu décimer les Tutsis de sa région natale.
Normalement, il vivait à Butare. L'abbé Rusingizandekwe portait une
culotte, et il tenait un fusil; Le pourtour de la ceinture de sa culotte
était embelli de grenades. Le fils de son oncle paternel, appelé
Claudien Nzikobandunda, directeur de l'école CERAI de
Rwarufumba, était dans son groupe. Claudien a été arrêté à
Gikongoro. Il y avait aussi Bugingo, le fils du conseiller Kaguge, de
Runyinyi. Kaguge était lui aussi présent.
La femme et les cinq filles de Justin Kageruka sont mortes à Kibeho. Il
confirme le récit de Vianney des événements du 14 avril.
Le 14 avril, beaucoup de criminels qu'on avait jamais vus sont arrivés et
ton commencé l'attaque avec, à leur tête Biniga, le bourgmestre de Mubuga
et Rwamiko, quelques cadres de l'usine , avec des enseignants et des
prêtres comme l'abbé Emmanuel Uwayezu, le directeur du groupe scolaire
Marie Merci de Kibeho, et l'abbé Thaddée Rusingizandekwe, qui portait
une culotte, armes de fusil et de grenades; Le groupe de criminels que

conduisait Rusingizandekwe portait des feuilles de bananiers et était
armé de machettes, de houes, de massues clouées et de gourdins.
Le massacre démarra vers 11:00 heures. Second Twagirumukiza;
décrit la férocité de l'assaut.
La paroisse regorgeait de monde, l'église, l'école, où que vous posiez
les yeux, il y avait des gens . Nous avions placé des femmes et les
enfants à l'intérieur même et à proximité de l'église. Biniga est arrivé
avec beaucoup de soldats. Ils se sont postés à plusieurs endroits et
ont commencé à tirer Ils avançaient et tiraient en même temps. Ils
n'ont cessé de tirer jusqu'à ce qu'ils arrivent à la porte de l'église.
Pendant tout ce temps, ils ont tiré sur des hommes, des femmes et des
enfants innocents.
Ensuite, les paysans sont arrivés et ont commencé à donner des
coups de machettes. Pour ma part durant mes efforts pour tenter
d'échapper à la mort, je m'étais retrouvé dans l'église. Comme tous
les hommes, au départ j'étais à l'extérieur. En effet, notre projet était
de réserver l'église que nous pensions être le lieu le plus sûr, aux
femmes et aux enfants . Je me trouvais tout près de la porte et j'étais
sans cesse poussé par la peur et par la foule à l'intérieur de l'église.
Le témoignage de Second contient un certain nombre de description
détaillées qui relatent le rôle particulièrement brutal du prêtre brutal du
prêtre Thaddée Rusingizandekwe27 lors de l'attaque. Il est accusé d'avoir
tiré sur des réfugiés et leur avoir lancé des grenades.
J'ai vu l'abbé Rusingizandekwe à la tête de l'attaque contre l'église .
Il se tenait près de la sainte porte sur le
devant de l'église. Il était
habillé comme un danseur "Imparamba", couvert de feuilles de
bananier. Il portait un fusil, pendu à une chaîne qui se balançait sur
son dos; Il était accompagné d'un soldat originaire de Kibeho du
nom d'Anastase Hakizimana. Tous les deux ont tiré froidement sur
les réfugiés qui se trouvaient dans l'église. Ils avançaient sans cesse
droit vers la porte où je me trouvais. Pendant ce temps d'autres
attaquants tiraient également Vers 18:00 heures ou 18h30, lorsque
la nuit a commencé à tomber, ils ont cessé de tirer. J'ai rampé sous
les cadavres en essayant délibérément de me cacher sous le plus
grand nombre de corps possible.
Les réfugiés n'eurent guère de chance de s'enfuir; Esther Ntirushwa
27

L'abbé Thaddée Rungizandekwe a été arrêté au Rwanda en septembre1994. Dans un entretien
avec African Rights en janvier 1995, il a refuté les accusations contenant sa participation aux
massacres de Kibeho. Il dit qu'il s'agissait là, de la part des survivants d'une simple revanche
personnelle car il n'avait pas réussi à leur trouver du travail.

raconte en détail ce siège si bien organisé . Esther qui a 60 ans, et sa famille
vivaient dans la cellule de Nyarunyinya, dans le secteur de Kibeho. Ils
rejoignirent les autres réfugiés le 10 avril.
Le 14, j'ai beaucoup de miliciens et de soldats qui nous attaquaient;
Les voitures de l'usine de thé Mata transportaient des miliciens.
Ils se sont divisés en quatre groupes et nous encerclés. Le premier
groupe est allé à Viro; le deuxième groupe s'est installé chez un
certain Kanyandekwe; le troisième est allé est allé à Nyarushishi;
Rubona et le quatrième groupe est allé chez KAJONG. Comme ça,
ils nous avaient bien encerclés. Ils avaient commencé à lancer les
grenades, d'autres ont reçu des coups de machettes des miliciens.
Les femmes et les enfants des génocidaires étaient venus étaient
aussi venu pour piller nos biens
l y avait des membres de la famille d'Esther parmi les victimes.
J'ai couru pour aller me cacher dans le cimetière des prêtres . j'ai vu
Biniga, Innocent Bakundukize et beaucoup de miliciens devant
l'église. Ils ont tué jusqu'au soir. Vers 18h00, j'ai entendu des
miliciens qui appelaient Biniga en criant:' Sous-préfet, qu'est ce
qu'on fait ,maintenant'? Biniga a répondu :'est-ce que vous avez
trouvé la voiture de l'abbé Ngoga?' J'ai su alors que Biniga était à la
tête de cette attaque. Comme c'était le soir, ils sont rentrés; Je suis
partie alors en pleurant et en tremblant vers Butare28.
Les réfugiés essayèrent de se défendre, mais Frédéric Sebarame explique
que ce fut en vin.
Ils se sont bien organisés. Nous avons essayé de nous défendre avec
des pierres mais c'était inutile. Les criminels utilisaient des fusils et
des grenades; ils nous ont neutralisés. Ils nous tués sauvagement
jusqu'à la tombée de la nuit. Lorsqu'ils sont repliés, ils ont dit qu'ils
allaient venir le lendemain pour achever les quelques deux milles
Tutsis qui respiraient;
Je n'avais pas encore été touché. J'étais dans le coin de l'église
couché sous les bancs. Au moment où les tueurs s'organisaient,
j'avais vu comme d'habitude Damien Biniga; le directeur de l'usine
de thé; le bourgmestre de Rwamiko et beaucoup d'enseignants de la
région. J'ai vu aussi le fameux abbé Thadée Rusingizandekwe qui
avait enlevé la soutane pour porter une culotte. Il avait un fusil and
beaucoup de grenades. A côté de lui se trouvait son père. Après le
départ des assassins, le curé Pierre Ngoga nous a conseillé de
28

Témoignage recueilli à Ngoma, Butare, le 17 avril 1999.

chercher comment fuir ailleurs. Après une longue prière, ils nous a
donné bénédiction e absolution commune.
Le récit que fait Innocent Bakundukize de l'attaque lancée sur
Kibeho et du rôle qu'il a joué dans le massacre donne le frisson.
Le matin 14 avril, beaucoup de miliciens des communes Rwamiko,
Mudasomwa; Kivu et Mubuga sont venu avec leurs machettes, grenades et
massues. Les policiers et les gendarmes avaient des fusils. Le gendarme,
Nshimiye, nous a rassemblés sur un terrain de basket de l'école des lettres.
C'est tout près du couvent des religieuses et de la paroisse de Kibeho.
Le sous-préfet de Munini, Damien Biniga, le bourgmestre de
Rwamiko, Silas Mugirangabo, et le bourgmestre de Mubuga,
Charles Nylidandi, étaient là eux aussi avec de grands fusils. Ces
autorités nous ont bien ordonnés pour pouvoir bien attaquer. Biniga
nous demandait de ne pas avoir peur de tuer un Tutsi parce que eux
aussi planifiaient d'exterminer les Hutus. Il nous disait qu'il allait
nous aider avec son fils. Après ces paroles, nous sommes allé
attaquer. Nous avons encerclé l'église et l'école primaire de Kibeho.
Puis Biniga,le bourgmestre Silas, les gendarmes, les policiers et
d'autres miliciens qui avaient des fusils et de grenades ont
commencé à tirer et lancer des grenades. Nous avons d'abord tué les
Tutsis qui étaient à l'école primaire de Kibeho et ceux qui étaient
dans la cour. Tous les Tustis qui essayaient de s'échapper
recevaient un coup de machette. Vraiment, nous n'avions plus
de pitié. Si un Tutsi n'était pas tué par des grenades ou à coups de
fusils, nous l'achevions avec nos massues et nos machettes. Je
voyais des vieilles des jeunes garçons et des filles, des hommes et des
enfants tutsis qui nous regardaient et qui nous suppliaient de les
sauver.
Les appels à la pitié ne furent pas entendus.
Mais nous n'avions plus pitié. J'avais oublié que beaucoup parmi eux
étaient avant mes amis.
"Là à Kibeho, j'entendais l'explosion des grenades et des fusils, les voix
des enfants tutsis qui sanglotaient et la grosse voix de Biniga qui nous
disait: ' courage, continuez à tuer vos ennemis, il ne faut pas avoir pitié
d'eux.
On tuait un tutsi comme on tue un serpent. On lui écrasait d'abord la
tête. Nous avons tué pendant toute la journée puisqu'ils étaient très
nombreux. Aucun tutsi ne s'est échappé. En cherchant un tutsi qui
était encore vivant pour l'achever, je sautais sur des cadavres

auxquels il manquaient des parties du corps comme la tête ou les
jambes. Le sang coulait comme l'eau d'une rivière.
Les hommes essayèrent de tuer les réfugiés aussi vite que possible.
Mais tuer un aussi grand nombre de personnes en une seule journée n'est
pas tâche aisée, comme le reconnaît Bakundukize.
Nous étions très fatigués. Chaque personne est rentrée chez elle. Les
miliciens des autre communes sont aussi rentrés chez eux.
Pourtant Biniga pensait qu'il n'y avait pas assez de morts.
Biniga nous a dit de nous rencontrer sur le terrain de basket-ball, là
où nous nous étions rassemblés avant.
Les réfugiés n'avaient guère d'option si ce n'est d'accepter que leur
mort était inévitable. Vestine Nyirafurere parle de l'horrible sentiment de
résignation qui s'était emparé d'eux.
Les réfugiés s'étaient positionnés à différents endroits, dans l'espoir
d'opposer une résistance quelconque aux assaillants. Le attaquants
se sont mis d'abord en quête des hommes qui s'occupaient des
vaches des réfugiés. Après ils ont attaqué les écoles. Ensuite est venu
le tour de l'église. Nous avons préféré courir vers les balles qui
pleuraient sur l'atelier plutôt que vers les machettes de l'église29.
Vestine déclare que l'abbé Rusingizandekwe "était celui qui donna
l'ordre que la porte de l'église soit enfoncée et que les réfugiés soient
attaqués avec du gaz lacrymogène."
Veneranda Mukankusi avait déjà échappé à Biniga et çà ses
interahamwe lorsqu'ils avaient procédé à une rafle de sa cellule de
Warurayi, à Mubuga. Mère de cinq enfants, elle a perdu l'un d'eux lors du
génocide. Elle se cacha dans la bananeraie près de la paroisse tant que dura
le massacre et assista à l'attaque lancée sur l'école et sur l'hôpital.
C'est à midi , alors que je venais de finir de faire la cuisine, qu'est
arrivée l'attaque. Nous n'avons même pas eu le temps de tirer la
nourriture du feu. Trois camions pleins de soldats sont arrivés . Ils se
sont tout de suite mis à tirer. Ils se servaient de balles et nous leurs
jetions des pierres . L'abbé Ngoga a rejoint les jeteurs de pierres. Ils
ont attaqué l'hôpital et l'école.
Devant le pouvoir des balles, les lanceurs de pierres ont été obligés
29

Témoignage recueilli à Ngoma, Butar, le 18 janvier 1995.

de battre en retraite. Certains se sont repliés vers l'école. Une fois à
l'intérieur de l'école, les assaillants ont employé des machettes et des
couteaux, pas de fusils; A ce moment-là, j'étais cachée dans la
bananeraie qui appartient à la paroisse. Je pouvais donc très bien
voir ce qui se passait30.
L'abbé Lucien Rwabashi, prêtre catholique de 64 ans, est originaire
du secteur Nyarushishi, près de Kibeho. Depuis 1990, il travaillait à la
paroisse. Il parlait en enseignant lorqu'il entendit des coups de sifflets.
Il y a eu une invasion. Les génocidaires parmi lesquels Biniga, nous
ont attaqués. Ils étaient venu avec tous les instruments de la mort fusils, grenades, et massues, Ils ont tué beaucoup de gens . Le sang
coulait comme
de l'eau de rivière. Je suis resté avec d'autres gens
entassés dans une pièce. Nous sommes resté là jusqu'au soir, en
attendant la mort.
L'abbé Lucien rend hommage à son collègue l'abbé Ngoga.
L'abbé Ngoga, qui était encore jeune a essayé d'aider les réfugiés. Il
leur trouvait de la nourriture et leur montait le moral. C'était un très
bon prêtre31.
Jean Babtiste Nteziryayo explique qu'il s'était rendu à la paroisse de
Kibeho "parce qu'on croyait que les tueurs auraient peur d'attaquer les lieux
de culte". Mais il se trouvait à la paroisse le 14 avril lorsque débarqua un
gigantesque groupe d'assassins.
A la tête des tueurs se trouvaient Damien Biniga et l'abbé
Rusingizandekwe. Ils portaient des fusils. Claude Nzikobankunda,
Kaguge, Innocent Bakundukize et les prêtres étaient là eux aussi. Il y
avait l'assistant médical au centre de santé de Kibeho et beaucoup
d'autres; Il y a eu un grand massacre et l'église a été brûlée. La
même nuit grâce aux bons conseils de l'abbé Pierre Ngoga, nous
avons quitté l'endroit en prenant des directions différentes.
La tuerie s'est poursuivie toute la journée et jusqu'à la tombée de la
nuit, soit entre dix et 12 heures en tout; Vianney a eu la chance de faire
partie des rares survivants.
C'est seulement à cause de l'obscurité que les tueurs se sont senti
30
31

Témognagerecueilli à Matzyaso, Butare, le 19 janvier 1995
Témoignage recueilli à Ngoma, le 15 janvier 1995.

obligés de rentrer. Ils sont parti sans atteindre l'endroit où j'étais,
avec une poignée de réfugiés, il restait moins de 2.500 Tutsis, qui
avaient pour la plupart des blessures graves.
Après leur départ, le curé, Pierre Ngoga, nous a réuni et nous a dit
que les criminels allaient revenir le lendemain pour nous achever; Il
a dit que ceux qui pouvaient encore marcher devrait profiter de la
nuit pour fuir, soit à Butare, soit au Burundi. Il disait qu'il fallait
quitter la paroisse de Kibeho, qu'il valait mieux mourir en fuyant
plutôt qu'attendre le retour des bourreaux. Il nous a dit de
nous
purifier de nouveaux et il a donné l'absolution commune.
Nombre de survivants décidèrent de se rendre à la paroisse de
Karama, commune Runyinya, Butare où Biniga allait bientôt les suivre le
21 avril ( voir plus loin). Certains s rendirent à la paroisse de Muganza, à
Kivu; Vianney retourna dans sa commune de Rwamiko, en se cachant dans
les brousses et dans la forêt.
Second a perdu 21 membres de sa famille proche dans la paroisse de
Kibeho, y compris sa fille de trois ans, Nyiransabimana, quatre frères, une
soeur et beaucoup d'autres membres de sa famille étendue32.
Vendredi 15 avril: incendie de l'église
Malgré le programme exténuant du 14 avril, Biniga et ses lieutenants
étaient prêts à reprendre leur sinistre tôt le lendemain matin. Ce jour-là , la
priorité était de brûler l'église de Kibeho, dans laquelle se trouvait encore
des survivants dont beaucoup étaient blessés. Innocent Bakundukize était
parmi ceux qui veulent prêter main forte.
Le vendredi 15 avril, à 7:00 heures du matin, j'étais là avec machette
et ma massue. Biniga et des gendarmes étaient arrivés eux aussi.
Nous avons attendu l'arrivée des autres miliciens. En quelques
minutes ils étaient tous revenus. Biniga nous demandé d'aller
continuer notre travail. A ce moment-là nous avions beaucoup de
forces car c'était le matin. Ce jour-là nous avons attaqué l'église de
Kibeho et les Tutsis qui se cachaient dans les maisons des prêtres.
Les Tutsis qui étaient à l'église l'avaient fermée complètement. Ils
avaient mis des bancs contre les portes. Il nous était difficile
d'ouvrir. Biniga et les gendarmes ont essayé de tirer sur cette porte
mais il était impossible de l'ouvrir; Alors nous sommes allé chercher
des herbes et des tronc d'arbres secs dans la forêt à côté. Nous les
avons placés devant la grande porte d'entrée, puis nous les avons
brûlés.
32

Témoignage recueilli à Ngoma, le 18 janvier 1995.

Le feu a attaqué la porte et la porte et les bancs ainsi que la
charpente qui était en bois. Comme ça, les gendarmes ont trouvé
comment y jeter des grenades, puisque la porte était brûlée. Ils ont
jeté beaucoup de grenades puis nous sommes entré pour achever
ceux qui étaient encore vivants. Biniga et les bourgmestres de
Rwamiko et Mubuga étaient toujours avec nous en entrant à 'église.
Biniga nous commandait et tuer aussi. Quand je suis arrivé dans
l'église, j'ai vu beaucoup de cadavres. Partout il y avait des cadavres
de la veuille et du jour même. Il était difficile de se frayer un chemin.
Nous avons terminé de tuer le soir puis Biniga nous a demandé de
rentrer.
Second était caché non loin de là, dans des latrines, lorsque Innocent
et ses compagnons , arrivèrent pour mettre le feu à l'église. Il tenta de
s'échapper après le massacre du 14, mais réalisa qu'il risque de tomber dans
une embuscade et revint à Kibeho la nuit même. Il entendit les hurlements
causés par la dernière vague de terreur meurtrière sur la paroisse.
J'ai entendu le bruit d'un véhicule puis quelqu'un qui donnait des
ordres. Il disait; 'Gardez toutes les portes'. Aussitôt après, j'ai
entendu des enfants crier. Puis des voix qui disaient: renvoyez-les
dans l'église'. Tout à coup, l'église s'est embrasée'. Les hurlements
des enfants qui disaient: "Nous brûlons!" devenaient de plus en plus
forts. Leurs cris se sont tus tandis que l'église était consumée. Après
les attaquants sont partis.
Le lendemain, le samedi 16 avril, Jean-Damascène Kayitesi, alors
employé à la paroisse de Muganza à Kivu, arriva à la paroisse de Kibeho
aux environs de 9:00 heures du matin. Avec ses compagnons, il avait
survécu aux massacres d'envergure de Muganza, dans lequel Biniga eu un
rôle de meneur, comme on le décrit ci-dessus. N'ayant pas eu connaissance
des événement qui avaient eu lieu à Kibeho et encouragé par les rumeurs
selon lesquelles l'abbé Ngoga y avait organisé" les réfugiés pour qu'ils
puisent se défendre eux-mêmes, ils partirent sur Kibeho pour, JeanDamascène," supporter l'abbé Ngoga". Mais il ne trouvèrent que quelques
réfugiés à Kibeho.
L'église était en train de brûler. Il n'y avait pas de réfugiés. Il y avait
des cadavres, rien que des cadavres. Des cadavres remplissaient la
cours.
Biniga ne voulait pas que le monde découvre la vérité. Bakundukize
fait un récit détaillé des efforts qu'il déploya pour effacer les preuves.
La lundi 18 avril, Nyilidandi a demandé à toute la population de

venir enterrer les cadavres. Biniga est venu avec des caterpillars
pour creuser des fosses communes et des camions. Il les avait
trouvés à la préfecture de Gikongoro. Biniga et le bourgmestre nous
ont montré deux endroits -derrière les maisons des prêtres et en
dessous de la cour de l'école primaire de Kibeho - pour y ccreuser
des fosses communes. Nous avons ramassé des cadavres, en les
mettant dans ces camions pour les jeter dans les fosses. Nous avons
enterré ces cadavres pendant deux jours.
Néanmoins la traque continua.
Ensuite nous avons commencé à chasser les Tutsis qui étaient cachés
dans les broussailles et dans les maisons des hutus. Nous avons
continué à piller et à détruire les maisons des Tustis. Après ces
travaux le bourgmestre et les conseillers nous ont demandé de
reprendre nos activités. Moi, je suis retourné à l'usine de thé Mata
pour travailler. C'était au mois de mai.
Les massacres de Kibeho furent d'un telle ampleur que la plupart des
survivants du drame ont perdu plusieurs générations de leur famille et un
nombre incalculable d'amis et de connaissances. Il est impossible
d'exprimer pleinement l'étendue de leur souffrance , mais il n'est difficile
d'identifier le responsable à l'origine de leur perte - selon les propos de
Venuste: "Biniga m'a pas tant endeuillé ". Venuste Murekezi souligne qu'on
ne serait trop insister sur le rôle de meneur d'homme de Biniga dans le
massacre accompagné d'autres représentants
des autorités locales,
d'enseignants, de directeurs de l'usine et de prêtres: "Leur présence
encourageait d'ailleurs les paysans tueurs qui voyaient en ce qu'ils faisaient
un acte apprécié par des intellectuels".
Quant aux survivants, il devait leur sembler que les horreurs de
Kibeho ne pourraient jamais être égalées, qu'ils avaient survécus à la pire
des tragédies . Pourtant, pour nombre d'entre eux, ce ne devrait pas leur
dernière rencontre avec l'appétit meurtrier de Biniga et des assassins qui
l'accompagnaient. Où que les survivants aient trouvé refuge, Biniga les
traqua. Et alors même que des dizaines de milliers de Tutsis trouvaient la
mort à Kibeho, Biniga et un groupe de tueurs de la région se préparaient à
massacrer d'autres réfugiés comme eux à la paroisse de Muganza, à Kivu.

Une série de massacres à la paroisse de Muganza, Kivu, 12-15 avril
A partir du 7 avril, après plusieurs attaques sur leurs maisons , les
Tutsis du secteurs Kivu, commune Kivu, commencèrent à fuir en masse
vers la paroisse de Muganza. Ils y furent bientôt rejoints par les résidents
d'autres secteurs de Kivu et par d'autres encore, qui fuyaient la vague de

violence qui s'était abattue sur les autres communes de Munini, à savoir
Rwamiko, Nshili et Mubuga, y compris certains des survivants du massacre
de Kibeho.
Aux premiers signes de terreur et d'instabilité à Kivu, le bourgmestre,
Juvénal Muhitira , avait instauré un système de patrouilles nocturnes de
"sécurité"; le but en était d'empêcher les Tutsis de fuir la commune. Ceux
qui trouvèrent refuge à la paroisse apprirent bien vite que le bourgmestre
collaborait avec le sous-préfet et le prêtre chargé de la paroisse, l'abbé
Joseph Sagahutu.
Jean-Damascène Kayitesi, qui avait travaillé comme secrétaire de la
paroisse pendant six ans, explique:
Jusque-là, la participation active du Sagahutu n'était pas connue.
Mais nous savions que lanuit, il tenait des réunions avec Biniga, le
bourgmestre de Mubuga, Charles Nyilidandi, le bourgmestre de
Kivu, Muhira, et le chef des renseignements de la sous-préfecture
Munini, Déo Bizimana33.

André Sekamana a confirmé que Biniga et Muhitira s'étaient
rencontrés dans son bar à Mubuga, ainsi que Nyiridandi, à l'issue de la
réunion publique du 11 avril à Mubuga. Il a rencontré que Muhitira étaient
arrivé avec ses policiers et "qu'ils avaient tous des fusils . Malgré cela,
l'administration locale soutenait que Muganza, où les partisans du CDR
étaient relativement peu nombreux, serait épargnée par la vague de
violence. Muhitira envoya quelques policiers communaux pour garder la
paroisse et les réfugiés continuèrent de s'y entasser. Au 11 avril, 8.600
réfugiés étaient inscrits dans la paroisse - certains s'étaient installés à
l'intérieur même de l'église, d'autres se trouvaient dans les foyers ou au
centre de santé. Leur nombre augmentait avec chaque heure qui passait. Le
lendemain, Jean Damascène calcula qu'il devait y avoir environ 11.000
réfugiés dans la paroisse. C'est aussi ce jour-là que la paroisse subit sa
première attaque.
Jean Marie-Vianney Uwizeyeyezu, âgé de 34 ans, se prépare
actuellement pour sa prêtrise au grand séminaire de Nyakibanda, à
Gishamvu, Butare. A la mi-1993, il était en stage à la paroisse de Muganza,
aidant les abbés Sagahutu et Jean-Marie Rwanyambuto. En visite chez ses
parents à Nyamagabe, Gikongoro, il réalisa que les Tutsis étaient tués et
que leurs maison étaient incendiées, suite à la mort d'Habyarimana . Il
retournait à Muganza lorsqu'il apprit que l'abbé Rwanyambuto avait quitté
Muganza et que l'abbé Sagahutu était seul. Il espérait que le fait d'être hutu
le protégerait des violence et qu'il pourrait ainsi aider ceux qui en avaient
33

Témoignage recueilli à Matyazo, Butare, le 2 avril 1995.

besoin.
En arrivant à Muganza, j'étais triste. Tout au bout de la route il y
avait des pierres des miliciens. Il y avait aussi des réfugiés tutsis rassemblés
à la paroisse de Muganza. Le bourgmestre, Muhitira, était au centre
Kamirabagenzi avec deux policiers. J'ai demandé à ce bourgmestre
pourquoi il ne faisait aucun effort pour calmer la situation. Il s'est contenté
de meregarder seulement sans rien dire. Environ cinq minute plus tard,
l'abbé Sagahutu est venu avec à peu dix soldats. L'abbé s'est approché du
bourgmestre. Les soldats ont demandé à Sagahutu: 'C'est lui le prêtre dont
tu nous avais parlé?' Il a répondu: Non, L'autre n'est pas encore revenu.34
Jean- Marie Vianney apprit ce que faisait Sagahutu par les
religieuses maristes italiennes de Muganza.
Elles m'ont accueilli chaleureusement en disant: 'Soyez les
bienvenus. L'abbé Sagahutu nous a abandonnés. C'est un très
mauvais prêtre qui passe toute la journée à circuler avec les soldats.
Toi, tu dois essayer de tranquilliser les gens'.
En rendant visite aux réfugiés, il se rendit compte de leur misère.
L'abbé Sagahutu était contre les réfugiés. Il avait fermé toutes les
sales et les chambres. Les femmes et les enfants étaient à l'extérieur
sous la pluie; L'église était pleine de gens.
Ils avaient faim, même si la paroisse disposait d'une grande quantité
de riz, donnée par Caritas. Jean-Marie ouvrit les portes pour qu'il pussent
s'abriter et organisa la distribution de riz et de bois de chauffage.
Sagahutu avait fermé aussi l'endroit où il y avait le générateur qui
assurait l'éclairage. Alors je l'ai ouvert et j'ai ai allumé parce que les
réfugiés avaient peur d'être dans l'obscurité pendant la nuit.
L'abbé Sagahutu avait d'autres préoccupations.
L'abbé Sagahutu était parti avec les soldats, il est revenu le 12 vers
1:00 heure du matin. Il a glissé un petit papier sous la porte de ma
chambre en me disant qu'il allait à une réunion de
sécurité au
34

C'est une référence faite au prêtre tutsi, Jean Marie-Vianney Rwanyabuto, qui servait à la paroisse
de Muganza avec l'abbé Sagahutu. Depuis 1994, Sagahutu a été maintes fois accusé d'avoir été
impliqué dans le meurtre de Rwanyabuto, qui fut tué, à Butare, pendant le génocide. C'est une
référence faite au prêtre tutsi, Jean Marie-Vianney Rwanyabuto, qui servait à la paroisse de
Muganza avec l'abbé Sagahutu. Depuis 1994, Sagahutu a été maintes fois accusé d'avoir été
impliqué dans le meurtre de Rwanyabuto, qui fut tué, à Butare, pendant le génocide.

bureau de la sous-préfecture de Munini. Il m'a aussi demandé de
préparer tout le matériel nécessaire
pour la messe du matin du 12, me faisant comprendre qu'il allait
revenir pour célébrer cette messe. IL est parti cette nuit-là et n'est
pas revenu. Les réfugiés ne voulaient pas de cette messe; ils
considéraient Sagahutu comme un complice des génocidaires.
Les résultats de cette réunion de "sécurité" ne tardèrent pas à se faire
manifester. Le matin du mardi 12 avril, vers 10:00 heures" environ,
quelques 400 miliciens. débarquèrent. C'est à ce moment que les véritables
intentions du bourgmestre et le soutien local écrasant dont il bénéficiait
devinrent évident. Jean-Marie Vianney ne pouvait pas faire grand-chose
pour protéger les réfugiés.
Le 12, les miliciens ont attaqué avec des machettes, des lances, des
épées etc...Les femmes et les enfants pleuraient en mêle temps et
venaient m'entourer en disant: 'Fratri, nous allons mourir. Qu'est ce
qu'on va faire?' Il y avait deux policiers qui étaient à la paroisse qui
soi-disant gardaient les réfugiés, mais c'étaient en réalité des
complices des génocidaires.
Jean-Damascène Rugemintwaza décrit comment Muhitira prit la
tête de l'assaut; il ajoute que "tous les conseillers commandaient les
miliciens de leur secteur". Les policiers communaux restèrent à l'écart
tandis que les réfugiés tentaient de repousser leurs adversaires en leur jetant
les pierres. La milice riposta en lançant une grenade et au moins quatre
réfugiés furent gravement blessés; Vers 13:00 heures, les assaillants s'en
allèrent.
Pour les survivants des massacres de Kibeho et de Rwamiko, le cours
des événements de Muganza leur inspira sans doute un douloureux
sentiment de déjà-vu. Chaque incident portait la marque irréfutable de
l'orchestration de Biniga, les efforts locaux afin d'éliminer les réfugiés
suivis de sa propre intervention puis d'un massacre d'envergure et
minutieusement organisée. Un discours voilé prononcé par Biniga le
mercredi 13 avril fut le premier signe concret de son implication . Il
s'adressa aux réfugiés d'un ton empreint de sarcasme. Jean-Damascène
Kayitesi se rappelle l'avoir entendu dire: "Seul Kagame peut nous sauver.
Lui n'y pouvait rien faire ". André Senkware se rappelle l'avoir vu arriver
avec l'homme d'affaire Rudandaza et plusieurs gendarmes; il tentait
d'apaiser la frayeur des réfugiés en leur disant que leur "vie serait
épargnée". Le bourgmestre, qui accompagnait Biniga, adopta une attitude
similaire. Selon Jean Marie-Vianney Uwizeyeyezu, "il dit à ces réfugiés
que s'ils ne voulaient pas être tués, ils devraient tout donner aux Hutus les
laisser venir et aller librement à la messe et au marché ; Une seule chose
est sûre, peu après ce discours, la tuerie a recommencé. André suggère que

les gendarmes aux ordres de Biniga y ont pris part, accompagnés de
paysans de Kivu et de Mubuga". Cette fois réfugiés furent tués.
Mais les choses allaient encore empirer. Un certain nombre de
survivants estiment que la lenteur de progression des événements qui
allaient culminer avec l'attaque massive de Muganza s'explique par le fait
que les forces génocidaires étaient alors axées sur la démolition la paroisse
de Kibeho. Une fois le sort de Kibeho réglé le 14 avril , le dernier assaut
survint le lendemain matin du 15 avril, vers 11:00 heures; Rwangobwa, un
paysan de 69 ans, le décrit en ces termes:
Les tueurs étaient très nombreux, il y en avait autant que de gens sur
la place du marché un jour d'affluence. Trois d'entre eux portaient
de fusils .Mais en plus deux gendarmes communaux ont rejoint les
tueurs. On disait que Biniga allait arriver avec des renforts, ce qui
donnait envie de fuir à tous ceux qui étaient en état d le faire.
Jean Damascène Kayitesi parle de l'aptitude des assaillants à s'organiser.
Il y avait au moins quatre fusils, beaucoup de grenades, de machettes et de
massues. Il y avait plusieurs réservistes dont
Rwagasore et Venant
Havugimana. Nous avons essayé tant bien que mal de nous défendre.
Jean-Baptiste Ntezirayo était arrivé à Muganza après avoir échappé au
gigantesque massacre de la paroisse de Kibeho le 14 avril. Il reconnut les
mêmes individus à la tête de l'attaque.
Biniga et ses hommes sont arrivés. Il a été rejoint par le fameux abbé
Sagahutu. Il y avait aussi le bourgmestre de Kivu, Muhitira, et des
milliers d'interahamwe.
Les survivants attribuent le succès de Biniga dans la paroisse e
Muganza à l'aide qu'il reçut de l'abbé Joseph Sagahutu. Sylvain Murera
était, à ce moment-là, employé au centre de santé. Il travaille aujourd'hui
pour la commune de Ngoma, en Butare. Il se joignit à l'exode vers la
paroisse après la mort du président;
Les miliciens ont commencé à nous attaquer le 11 avril. Jusqu'au 14
avril, nous avions essayé de nous défendre aussi bien que possible.
Le 15 avril a été le dernier jour des milliers de Tutsis qui avaient été
avec nous; Ils ont été tués par des groupes armés d'interahamwe et
gendarmes amené par Biniga, Sagahutu et Muhitira.
Sylvain et de nombreux autres partirent pour la paroisse de Kibeho,
ne sachant pas que Biniga y avait organisé une attaque sanglante avant de

fondre sur Muganza.
Quand nous sommes arrivés à mi-chemin entre Kibeho et Muganza,
en direction de Nyarushishi, sur une colline abrupt connue sous le
nom de Rugabano, les milices et les gendarmes de Biniga nous ont
attaques.
Sylvain parvint à atteindre la paroisse de Cyahinda le même jour,
pour malheureusement se retrouver au milieu d'une attaque féroce lancée
par Biniga.
L'attaque du 15 durant trois heures et fit beaucoup de morts. D'après JeanMarie Vianney Uwizeyeyezu, le désastre était tel qu'il était difficile d'aider
ou d'organiser les survivants. Heureusement, l'église, qui abritait un grand
nombre de femmes et d'enfants, fut épargnée.
Le 15, les génocidaires sont revenus avec des grenades, des fusils,
des machettes, des lances etc.. Ils étaient trop nombreux. Ils nous
nous ont encerclés et ont commencée à tuer. Beaucoup de Tutsis ont
été tués immédiatement, d'autres ont été blessés. Ils ont tué jusqu'au
soir . Après leur départ, nous avons commencé à ramasser les
blessés, mais il n'y avait pas moyen de les soigner. Certains n'avaient
plus de jambes. Nous étions complètement découragés. Vers 20:00
heures les jeunes ont commencé à fuir vers le Burundi et ailleurs.
J'ai tenu une réunion avec les vieux pour voir comment partir tous
soit à Kibeho soit à Cyahinda.
Ils partirent à minuit. Ce fut une expédition périlleuse.
J'ai pris ma Bible. Les femmes ont pris les enfants. Certains réfugiés
qui avaient encore de vaches sont partis avec. Les blessés et les
vieux qui ne pouvaient pas marcher sont restés à Muganza. Nous
avons marché toute la nuit. C'était difficile. Il y avait des cadavres
partout.Les gens étaient démoralisés.
En chemin , les miliciens triaient des gens pour les tuer. Ils prenaient
aussi leurs vaches. Certaines femmes et les enfants n'avaient plus la
forces de marcher, surtout à cause de la faim, et on était obligé de
les attendre. Nous sommes arrivés à Cyahinda le samedi vers 9;00
heures du matin. Là, nous avons encore entendu des coups de feu.
Les réfugiés de Muganza ont regretté d'être venus. La radio
annonçait qu'il y avait la sécurité dans le pays, sauf à Cyahinda, et
dans une petite partie de Gikongoro35.
35

Témoignage recueilli à Gishamvu, Butare, le 8
avril 1999.

mars 1999 et à Nyamagabe, Gikongoro, le 16

Tous les survivants bien portants s'enfuirent, explique Rwangoga,
craignant une nouvelle attaque. Par la suite, il apprit que, de fait, Biniga
était revenu le samedi 16 pour achever les blessés et tuer ceux qui n'avaient
pas pu s'enfuir". Rwangoga partit pour Nyarushishi à Mubuga.
Biniga a laissé des assaillants derrière lui pour achever les blessés
et ceux qui ne pouvaient pas courir. Et il s'est lui-même dépêché
pour retrouver et tuer ceux qui s'échappaient. Il est allé nous
attendre à Nyarushi , Mubuga. C'est là que Bonoga nous a achevés.
En plus de soldats de Biniga, les villageois nous attendaient aussi.
Cette coalition a achevé les gens. Ils nous attendaient sur la route.
Mais Biniga n'abandonna pas sa chasse aux survivants pour autant,
de sorte que ces deux endroits furent bientôt le théâtre de nouveaux
massacres. A la paroisse de Cyahinda dans la commune de Nyakizu, au lieu
du refuge qu'ils espéraient y trouver, les réfugiés de Muganza tombèrent au
cœur même d'une opération militaire.

Meurtre sur son propre terrain:
massacre dans le bureau de Biniga, le 16 avril 1994
Alors que les maisons étaient réduites en centres et des tueries
perpétrées sur tout le territoire de la sous-préfecture, de nombreux Tutsis
étaient forcés ou encouragés à se rassembler à Mubuga, dans le bureau de
Biniga, à la sous-préfecture. Biniga y transportait un grand nombre de
Tutsis, les assurant de sa protection. Pendant ce temps, la milice de Nshili
se montrait particulièrement efficace, empêchant les Tutsis de fuir au
Burundi.
Comme nous l'avons déjà dit ci-dessus, Emmanuel Nzabirinda était
un ami du sous-préfet. Il explique ainsi la stratégie de Biniga lors du
rassemblement des Tutsis dans le bureau de la sous-préfecture.
Biniga a distribué des armes à ses miliciens; je les ai vus aller chez
lui. De retour au centre de négoce, certains avaient des fusils,
d'autres des grenades ou de petites houes. Ils étaient devenus fous.
Ces miliciens chassaient les Tutsis et leur avaient demandé de fuir
au bureau de la sous-préfecture. C'était un moyen de les rassembler
pour pouvoir les massacrer sans
en laisser un.
Biniga a amené chez lui 20 gendarmes, commandés par un
lieutenant. Ils logeaient chez lui pendant la nuit. Pendant la journée
certains gendarmes circulaient avec Biniga, d'autres gardaient les
réfugiés tutsis au bureau. Biniga et ses miliciens ne dormaient plus.
Ils passaient tout leur temps à chasser les Tutsis et les conduire au
bureau de la sous-préfecture.

Le mercredi 13, Biniga est allé compter le nombre de Tutsis qui
étaient arrivés à son bureau. Après il nous a rejoint dans le bar de
Rudandaza. Il nous a empêché de cacher les Tutsis à la maison; il
nous a dit de les conduire à son bureau, en disant qu'il voulait leur
apporter de la bouillie. Il était entouré par les miliciens munis de
toute sorte d'armes.
Comme Biniga devait superviser le génocide dans d'autres
communes, il a laissé la responsabilité à François Byimana, le
président du MRND dans notre commune de Mubuga,
Alphonse, l'inspecteur de la police judiciaire(IPJ) à Munini, et
Charles Sindambiwe, un agent de DANK. Biniga est parti
après avoir acheté beaucoup de bière pour ses miliciens. Je ne
sais pas si c'était mercredi 13 ou jeudi 14. Vendredi soir, ces
miliciens ont tenu une réunion près du caféier qui se trouve à
l'école primaire de Gisizi.
Un certain nombre d'autres détenus qui se trouvaient à Mubuga
pendant le génocide ont également parlé des massacres ayant eu lieu dans
le bureau de Biniga. Joseph Niyonsenga fait le récit suivant des événements
dont il a été témoin.
Biniga a quitté Mubuga une semaine après la mort du président.
Avant de quitter Mubuga, il a désigné quelques personnes qui
devaient rester à Mubuga pour superviser le génocide. Parmi ces
gens il y avait Alphonse, IPJ au parquet de Munini, originaire de la
commune Mudasomwa à Gikongoro, et Charles Sindambiwe, un
agent de la DANK, originaire de la commune Nyabikenke à
Gitarama. Ce sont eux qui sont restés à Mubuga pour donner des
ordres aux miliciens. Je voyais toujours Charles et Alphonse
pendant le génocide et je causais avec eux.
Il y avait beaucoup de Tutsis à Mubuga, et il était impossible de les
exterminer sans les mettre ensemble. Les miliciens de Biniga ont
menacé les Tutsis, ont brûlé leurs maisons tout en demandant d'aller
se réfugier au bureau de la sou-préfecture, disant que les gendarmes
allaient les protéger. Ma femme est tutsie et elle était elle aussi
partie au bureau de Biniga ,mais je suis allé la chercher.
Certains des collègues de Joseph qui travaillaient sur le projet DANK
rechignaient à suivre les instructions de Biniga, peut-être parce qu'ils
présentaient le danger.
Les Tutsis et les Hutus qui n'étaient pas originaires de Gikongoro et
qui travaillaient avec le projet DANK ont refusé d'aller au bureau
de la sous- préfecture. Ils sont allé se cacher dans une maison de
DANK. Mais les miliciens et les gendarmes les ont obligés à aller au

bureau.
Ces agents de DANK étaient Rugema, chef de service de
construction, Léon Ntamitondero, chef de garage, Pierre Butare,
chauffeur, Janvier Habyarimana, originaire de Nyanza, et Zachée,
un comptable de l'unité opérationnelle. Notre caissière, Jeanette
Murebwayire, était parti se cacher chez le bourgmestre de Mubuga,
Nyiridandi, mais elle a elle aussi été découverte et amenée au bureau
de la sous-préfecture.
Une fois arrivé au bureau, un Tutsi ne pouvait pas sortir. Il y avait
des gendarmes qui surveillaient le bureau et qui les empêchaient
d'aller se cacher ailleurs. Personne ne pouvait apporter de la
nourriture ou de l'eau aux Tutsis. Ils étaient comme des prisonniers.
Chaque jour il y avait un groupe de miliciens conduit par Alphonse
qui allaient compter le nombre de Tutsis qui se trouvaient au bureau.
Les hommes en charge des réfugiés n'ont pas fait faux-bord à Biniga.
Nous étions dans le bar de Rudandaza, buvant de la bière, quand
Alphonse nous a dit que le nombre des réfugiés augmentait chaque
jour et qu'il était très content. Charles et Alphonse avaient un stock
de grenade et ils ont commencé à les distribuer aux miliciens . Ils se
préparaient pour attaquer les Tutsis. Les miliciens ont reçu des
massues et des houes.
Le vendredi 15 avril, les interahamwe ont passé la journée à
demander aux Hutus de venir les aider à tuer les Tutsis le lendemain,
samedi. Samedi 16 avril, je suis allé au bar de Rudandaza avec
Boniface Gasana, un paysan de Nshili, et beaucoup d'autres
personnes. Alphonse est entré et nous a dit qu'il ne cherchait que 60
personnes pour tuer les Tutsis au bureau de la sous-préfecture. Les
miliciens qui étaient là ont dit que 60 personnes ne suffisaient pas
pur tuer tous les Tutsis qui s'y trouvaient. Alphonse a répondu: 'Si
chaque miliciens tue au moins cinq Tutsis, il y aura assez de
personnes pour tuer les réfugiés'.
Céléstin Nzirabalimyi avait été prévenu du danger qu'il courait s'il se
rendait au bureau de la sous-préfecture.
Je me suis caché dans la brousse le soir. Un milicien nommé Bideri
m'a conseillé de ne pas aller à la sous-préfecture car Biniga avait
donné l'ordre de nous tuer.Il m'a dit d'aller plutôt dans la brousse.
Cependant, de nombreux autres avaient pas été prévenus à temps du
danger. André Gashugi travaillait comme gardien au sein du projet DANK.
Le 12 avril, avec sa famille, il avait quitté sa maison située dans le secteur
Gisizi, à Mubuga, après avoir réalisé que les maisons de tutsis étaient
systématiquement brûlées. Leur but était d'atteindre le Burundi en passant

par la commune de Nshili. Mais les interahamwe de Nshili leur bloquèrent
le passage, leur disant de retourner à Mubuga ou de mourir". La famille se
rendit au bureau de la sous-préfecture, espérant que les gendarmes les y
protégeaient. Mais le plan de Biniga ne tarda pas à devenir évident.
Après notre arrivée, j'ai vu Biniga et ses gendarmes conduire un
grand nombre de Tutsis qu'ils entassaient à la sous-préfecture pour
pouvoir les éliminer en masse. Ils nous disaient qu'ils allaient nous
protéger. Nous sommes restés là-bas, sans aucune assistance; même
le tuyau qui amenait l'eau a été coupé. Nous y avons passé quatre
jours; presque chaque jour, Biniga et les gendarmes amenaient de
nouveaux réfugiés. Notre nombre augmentait rapidement jusqu'à
atteindre 8.000.
Des réfugiés venaient d'autres communes de Munini. Augustin
Kasire raconte que les Tutsis de la commune de Kivu, fuyant après l'attaque
du 12 avril vers la paroisse de Muganza, se dirigeaient vers son secteur,
Gasizi. Ils furent renvoyés par les principaux génocidaires de Mubuga.
Notre conseiller, Ndahayo, a dressé un barrage pour bloquer leur
passage. Il leur a dit d'aller plutôt au bureau de la sous-préfecture à
Munini.
Augustin prit donc la route de Nshili, mais on lui donna les mêmes
instructions.
Quand nous sommes arrivés à la commune de Nshili, le bourgmestre
Paul Kadogi nous a forcés de repartir au bureau de la souspréfecture, à Munini. Il disait que les réfugiés burundais menaçaient
de nous tuer. Ceci s'est passé le mardi soir. Le jeudi après midi le
14, nous sommes retournés au bureau de la sous-préfecture.
Certains des réfugiés atteignaient le bureau de Biniga, mais les membres du
groupe d'Augustin furent attaqués à proximité, et beaucoup d'entre eux
furent tués (voir ci-dessous).
Le samedi 16 avril, les hommes et les armes nécessaires pour massacrer les
réfugiés avaient été rassemblés. De sa maison, Adèle Mukakarangwa
pouvait surveiller le bureau de la sous-préfecture. Elle a vu les réfugiés s'y
rassembler. Elle même aurait pu en faire partie si elle n'avait pas été
protégé par son mari hutu. Elle estime que ce samedi-là, il y avait environ
10.000 Tutsis rassemblés. Le même jour, Adèla observa les miliciens
encercler le bureau et bloquer les routes qui y menaient. Elle vit également
le sous-préfet.
Biniga était dans son bureau. C'était vers 13:00 heures , j'ai eu peur

car je voyais que tous les Tutsis allaient mourir sauf moi. J'avais de
la peine.
Adèla est allée chez Bideri, le milicien qui avait prévenu Célestin
Nzirabalimyi. Il travaillait dans un bar que possédait son mari. De là, elle
put voir de plus près tout ce qui se passait. Elle fut témoin de l'attaque
menée par les gendarmes de Biniga.
J'entendais les grenades exploser, j'entendais des coups de fusils.
C'était l'opération des gendarmes de Biniga. Lorsqu'il y avait un
Tutsi qui cherchait à s'enfuir, il allât tout droit dans l'embuscade des
miliciens qui l'abattaient à coup de massue et de machette.
Je ne saurais pas dire ce que Biniga faisait au moment des tueries.
Quand les armes se sont tues. Je l'ai vu circuler tranquillement
comme si de rien n'était. Il circulait dans sa Jeep blanche.
Après le massacre, un véhicule a embarqué tous les corps pour les
jeter dans des fosses communes.
Vincent Mihigo, un cultivateur actuellement en détention à
Gikongoro, faisait partie des hommes qui avait été mobilisés pour mener à
cette tâche. Il a donné une description franche des préparatifs précédant le
massacre et son propre rôle dans les événements du 16 avril. Il a dit que des
Tutsis qui avaient été obligés d'abandonner leur projet de fuir au Burundi,
furent rassemblés dans la cellule Nyembaragasa, dans son secteur, Kabirizi.
Le 14 avril, les hommes tutsis ont été séparés des autres et tués à
l'endroit nommé Ntwari. Les femmes sont allées au bureau de la
sous-préfecture de Munini. Comme ils étaient très nombreux, les
réfugiés ont aussi occupé la cour. Ils n'avaient rien; les miliciens
avaient érigé des barrières pour empêcher les gens de leur apporter
de quoi manger.
Le 15 avril, les miliciens ont passé toute la journée à se préparer et
exciter les Hutus à les aider à organiser les tueries du lendemain.
Les Hutus étant intimidé chacun à chercher une arme. Vincent, de la
cellule de Umurambi, en Kabirizi, a catégoriquement refusé de se
joindre à la tuerie, et le milicien Corneille Kayigamba lui a donné un
coup d'épée. Ceci a causé la panique parmi les Hutus.
Le jour suivant avait été désigné pour l'extermination des réfugiés. La
population avait été bien préparée pour cette tâche, comme l'explique
Vincent.
Le 16 avril, entre 10:00 et 11:00 heures du matin, j'ai pris mon
grand bâton, d'autres ont pris des machettes, etc...Nous avons
encerclé le bureau de la sous-préfecture. Nous étions nombreux et il

y avait aussi des gendarmes. Les gendarmes ont tiré avec leurs
fusils, les miliciens ont jeté des grenades au milieu des réfugiés. La
population locale lançait des pierres et des briques. Nous avons tués
des tutsis de manière très brutale. Les femmes et les enfants criaient
beaucoup. C'était terrible. Personne n'avait pitié d'eux. Les Batwas y
étaient aussi et leur rôle était de vérifier parmi les cadavres s'il avait
encore des survivants. Beaucoup de Tutsis ont étés tués ce jour-là.
Aucun d'entre eux n'a échappé à la mort.
"Nous avons tué des amis; des gens avec qui nous avions grandi; des
femmes qui nous avaient donné à manger et de petits enfants du même
âge que les nôtres".
Dans la soirée, Vincent a rencontré Biniga dans un bar. Il était, a-t-il
dit, "très content que tous les tutsis aient été exterminés".
Il a acheté beaucoup de bière pour les génocidaires. Il avait deux
fusils ( un pistolet et un grand fusil), et il disait en swahili, 'Sufuri
kwa sufuri[nous sommes quittes]. 'Mes enfants ont
été tué par
les Inyenzi à Kigali, mais nous avons tué beaucoup de Tutsis'. Le
bureau de la
sous-préfecture était jonché de cadavres.
Pourtant, Biniga n'était pas encore satisfait.
Ce soir-là, Biniga nous a demandé de fouilles dans la brousse et
dans les maisons de familles hutues pour ne laisser aucun survivant
tutsi. Beaucoup de femmes et d'enfants qui se cachaient dans les
maisons des Hutus ont été
tués. Le 17 avril, on a creusé les
fosses communes aux bureau de la sous-préfecture et dans le champ
d'Antoine Senturo, et on y enterré les cadavres. Biniga n'a jamais
dormi pendant le génocide; il circulait tout le temps pour le
superviser.
De nombreux Hutus qui se trouvaient dans les environs à ce
moment-là, ont donné des renseignements supplémentaires. Joseph
Niyonsenga a expliqué qu'il se trouvait dans un bar quand on lui a annoncé
le massacre.
Vers 15:00 heures ils sont venu nous dire qu'on venait de massacrer
les Tutsis qui étaient au bureau de la sous-préfecture. Nous sommes aller
voir tout de suite.

Il décrit la scène qui les attendait quand ils ont atteint le bureau.

Nous avons vu de nombreux cadavres. Les Batwas et les miliciens
étaient en train d'achever les Tutsis qui respiraient encore. Je pense
qu'on a pris la décision de tuer ces Tutsis sur le champ pour les
empêcher de fuir comme l'avaient les Tutsis qui étaient à la paroisse
de Muganza. Le dimanche 17 avril, les interahamwe ont trouvé les
gens pour enterrer les cadavres dans une fosse commune. Après, les
génocidaires ont continué à tuer les Tutsis qui se cachaient dans la
brousse ou dans les maisons des Hutus.
Emmanuel Nzabarinda suit, lui aussi, le déroulement du massacre.
Les Tutsis qui étaient au bureau de la sous-préfecture soufraient
beaucoup. Personne ne pouvait sortir pour aller chercher de la
nourriture ou de l'eau, et les gendarmes le surveillaient. Le samedi
16 avril j'ai vu les conseillers et les interahamwe dans une réunion
devant le caféier à l'école primaire de Gisizi. Ils se sont mis les
herbes sur la tête et ils sont allés attaquer les Tutsis au bureau de la
sous-préfecture. Ces miliciens étaient avec les gendarmes et le
bourgmestre de Mubuga, Nyilidandi. Ils ont encerclé le bureau et ils
ont pilonné les Tutsis.Les miliciens utilisaient leurs machettes pour
les achever. J'ai pu entendre les cris des enfants; Personne n'a pu
échapper.
Rudandaza a donné sa voiture pour transporter les corps. On les a
enterré en dessous du caféier près de ma forêt. Après ils ont planté des
colocases pour camoufler la fosse.
Emmanuel était aussi présent lorsque Biniga rendit son verdict sur
les événement du 16 avril.
Biniga est revenu le 19 avril. Il a acheté beaucoup de bière chez
Rudandaza en remerciant les miliciens pour avoir bien travaillé.
Moi, j'étais là aussi. Biniga a vraiment fêté avec le bourgmestre
Nyiridandi. Le génocide a continué et Biniga circulait partout. Il a
quitté Mubuga vers le 20 juillet.
Juvénal Myasiro est un autre témoin oculaire.
J'ai vu de mes propres yeux comment le bourgmestre, Nyilidandi, et
le sous-préfet, Biniga
ont entassé les Tutsis qui n'avaient pas fui
la sous-préfecture de Munini. Ils leur disaient que les gendarmes
allaient les protéger. Biniga avait beaucoup de gendarmes. Ils y
ont passé quatre jours sans ravitaillement en eau et en nourriture. Le
cinquième jour ils ont été abattus. Les miliciens les ont encerclés; les
gendarmes ont utilisé des grenades et des fusils pour les anéantir.
Ceux qui voulaient s'échapper en courant ont été vite assommés par

les miliciens qui utilisaient des massues, machettes, petites houes,
lances et haches. Je crois que personne n'a échappé. Biniga était
dans son bureau et les gens dans la cour de son bureau. Il n'a rien
fait pour épargner ces vies humaines. Le lendemain un camion est
venu embarquer ces corps et les jeter dans les fosses communes
creusées sous la route.
Biniga était pour le génocide .Je suis persuadé que s'il avait voulu
prononcé un seul mot pour arrêter le génocide des Tutsis de sa
préfecture, les Tutsis n'auraient pas péri. Il était fort respecté chez
nous.
Pendant les jours qui ont suivi, Biniga s'efforça de maintenir la
frénésie meurtrière qu'il avait réussi à instaurer. Selon Adèle
Mukakarangwa:
Il allait partout annoncer aux gens que les Tutsis avaient des
grenades, des fusils et des lances pour éliminer les Hutus, et dire que
les Hutus devraient les mettre dans les fosses où les Tutsis voulaient
les mettre. Il les encourageait à traquer vite les Tutsis car le FPR
était sur le point d'arriver à Munini, ce qui n'était pas vrai.
Le mercredi 20 avril, Biniga et le bourgmestre, Charles Nyilidindi,
ont réuni les tueurs et le habitants des environs. Biniga nous a dit :
'Maintenant le vent n'est plus dans les sorghos. Observez-vous les
uns les autres; n'êtes-vous pas propres? Il n'y aucun intrus parmi
vous. Récoltez les biens des Tutsis. Cueille leur sorgho et si vous
rencontrez un Tutsi sur votre chemin il faut l'abattre. Détrompezvous , il ne faut rien tolérer, le FPR n'épargne même pas les
nouveau-nés. Tous les biens des Tutsis ont été effectivement pillés.
La femme et les enfants d'André Gashugi étaient parmi les victimes
de cette attaque. Il a confirmé que les tueurs étaient menés par les
gendarmes: "Les gendarmes ont commencé à nous tirer dessus et à nous
lancer des grenades". André a réussi à s'échapper en passant "sur les corps
de victimes" et à atteindre le Burundi le 20 avril;
Il y a eu un autre massacre important le 16 avril, dans la souspréfecture de Munini. Des milliers de Tutsis ont été tué dans la paroisse
catholique de Musebeya, commune de Nshili, lors d'une attaque bien
organisée, menée par le bourgmestre de Nshili, Paul Kadogi36, des soldats,
des gendarmes et la police municipale. Avant le début du génocide, Biniga
visitait rarement Nshili. Les partis politiques de l'opposition y étaient
fortement représentés, contrairement au MRND. L'hostilité politique envers
le MRND encouragea, une fois, les habitants à arrêter Biniga. Mais en avril
1994, les dirigeants du MRND et du MDR de Nshili surmontèrent leurs
36

Paul Kadogi est actuellement en détention à Gikongoro.

différences afin de poursuivre le génocide.
On pouvait faire confiance à Kadogi pour coordonner la préparation de
tueries dans sa commune. Cependant, Biniga ne voulu prendre aucun risque
et il participa à une série de réunions nocturnes à Nshili pour prépare le
terrain pour le carnage du 16 avril. Deux anciens bourgmestres de la
commune qui étaient membres du MRND -Boniface Sibomana et
Murasandonyi- participèrent à ces meetings, ainsi que François Mukonisha,
président du MDR de Nshili, et conseiller de Runyombyi, François
Mutangana. Les réfugiés Burundi qui vivaient dans le camp de Winteko,
secteur Nsholoro, et dans celui de Ruhero avaient été également préparés.
Biniga a tenu un certain nombre de meetings à Ruhero, près du bureau
communal, avec des officiels locaux, des officiers de l'armée et des civils.
Le 16 avril, l'insécurité était telle à Nshili que la majorité de la population
tutsie s'était rassemblée à la paroisse. Biniga n'eut aucun besoin de
superviser ce massacre-là. Il avait contribué à son succès et pouvait être
certain que Kadogi et ses supporters ne lui feraient pas faux-bord.

Massacres sur massacres:
la paroisse de Cyahinda, du 15 au 18 avril
Dans le cas de ce génocide, qui dépendait de la coopération à tous le
niveaux des autorités locales, il n'est pas rare d'entendre parler du rôle
prépondérant joué dans les massacres par une personnalité haut-placée. Il
est impossible de documenter pleinement l'étendue des crimes commis ne
serait ce que par les conseillers, bourgmestres et préfets37. Toutefois ce qui
distinguait Damien Biniga de la plupart des autres tueurs, c'est l'énergie et
l'enthousiasme inépuisables dont il faisait preuve concernant le génocide. Il
a ratissé la totalité de Munini pour dénicher tous les Tutsis à abattre,
ordonnant des fouilles dans la préfecture voisine de Butare afin de
démasquer les réfugiés qui avaient tenté de s'échapper à la frénésie
meurtrière organisée dans sa propre sous-préfecture. Pour chaque jour du
mois d'avril, il y a des rapports qui font été de la participation de Biniga
dans la préparation et la mise en oeuvre de massacres à divers endroits.
Ainsi par exemple, des témoignages qui se recoupent parfaitement
montrent que, le 14 avril, Biniga a participé à un massacre à Kibeho et qu'il
a rendu visite au bourgmestre de Nyakizu pour organiser une attaque sur
Cyahinda. Il se serait également rendu au bureau de la préfecture pour
s'emparer d'armes en vue d'une attaque sur Muganza le lendemain. Le 15
37

Pour obtenir d'autres exemples et des détails sur la participation de membres des autorités locales,
voir African Rights Rwanda, Death, Despair and Defiance, Revised Edition, et les numéros 4, 7 et
8 de la série Témoin du génocide

avril, il perpétra des massacres à Muganza et à Cyahinda. Dans tout autre
contexte, on serait frappé par une telle assiduité à la tâche; ici, on ne peut
qu'être stupéfié devant un tel engagement concernant les massacres, qui
semble être sans égal, même dans le contexte du Rwanda d'avril 1994.
La paroisse de Cyahinda se trouve dans la commune de Nyakizu,
préfecture de Butare, près de la frontière avec Munini, de l'autre côté de la
frontière avec Mubuga, à Gikongoro. Emmanuel Muhinyuza enseignant de
l'école primaire originaire de Mubuga, explique que, tout comme lui les
réfugiés s'étaient enfuis à Cyahinda depuis Gikongoro car ils croyaient
qu'ils y seraient davantage en sécurité. En effet, la région était la seule à
avoir un préfet tutsi, Jean-Baptiste Habyarimana, et on connaissait bien ses
efforts afin d'éviter les massacres.
Nous avions l'impression qu'il pourrait nous protéger. Alors nous
sommes allés à Cyahinda. Beaucoup de gens de Kivu, Mubuga,
Rwamiko se sont dirigés vers Cyahinda en quête de sécurité.
Durant les premiers jours du génocide, Nyakizu restaura calme. La
principale menace émanait de l'autre côté de la frontière, de Gikongoro,
notamment du fait des miliciens du secteur Kamana à Mubuga. Les
résidents locaux organisèrent des patrouilles afin d'écarter ces fauteurs de
trouble. Le bourgmestre, Ladislas Ntaganzwa38 rassura les résidents et
encouragea leurs tentatives d'autodéfense. Marcel Sharangabo, commerçant
et agriculteur de 53 ans originaire Cyanwa, prit par aux patrouilles. IL parle
du soutien initial offert par le bourgmestre qui, explique-t-il, leur déclara
dans le premier temps: "Le génocide n'aura pas lieu dans notre commune"
Marcel explique que le changement dans le comportement du bourgmestre
et de certain des membres des patrouilles, est survenu à l'issu d'une visite
de Damien Biniga. Marcel a reconnu Biniga sur le champs l'ayant vu à des
réunions à l'école de Marie Merci à Kibeho, où sa fille était élève.
Le mercredi 13 avril Biniga a commenté à rendre visite à notre commune.
Il cherchait le bourgmestre Ladislas Ntaganzwa. Je ne sais pas où ils se
sont rencontrées ou ce qu'ils se sont dit. A cause de la visite de Biniga, les
Hutus ont commencé à nous abandonner et à nous considérer comme des
ennemis. Le 15 avril, très tôt le matin, nos voisins ont commencé à brûler
nos maisons et aussi à piller. Nous nous sommes enfuis vers la paroisse
de Cyahinda.
Bertin Rwandanga participera également aux patrouilles jusqu'au 14 avril,
38

Ladislas Ntaganzwa a été inculpépar le Tribunal pénal international pour le Rwandaet il est
actuellement détenu à Arusha

jour où il vit Biniga
C'était le soir. Je me promenais en écoutant ce que les gens racontaient
parce qu'il y avait une grande panique. Lorsque j'ai vu Biniga avec des
soldats dans une camionnette, allant là où notre bourgmestre habitait, je
me suis dit qu'il allait y tenir une réunion parce que je voyais aussi d'autre
personnes qui allaient chez le bourgmestre39.
Bertin, 53 ans, est un agriculteur originaire de Cyarwa, secteur Cyahinda,
qui a fait connaissance dans le cadre de ses visites fréquentes chez des
membres de sa famille habitant à Mubuga. Il considère que Biniga est à
l'origine de la première attaque contre les Tutsis de Nyakizu, qui est
survenue le soir même, à l'issue de la réunion.
Dans la soirée, j'ai vu la voiture de Biniga avec des soldats à Sheke dans le
secteur de Kamana. Ils ont arrêté la voiture près des miliciens. Ils ont
distribué les machettes qui étaient dans la voiture. Puis les soldats ont
commencé à nous tirer dessus avec leurs fusils. Biniga était là. Il avait
aussi un fusil. Nous avons fui. Ces génocidaires ont traversé la rivière et ils
sont venus piller les maisons des Tutsis. Nous, Tutsis, sommes allé nous
cacher avec nos enfants dans la forêt.
Le matin du 15 avril, les Hutus de notre secteur nous ont chassés, alors
qu'avant ils collaboraient avec nous. Cela m'a montré que vraiment Biniga
étaient parvenu à les sensibiliser la veille. Ils ont tué et ils ont aussi brûlé
nos maisons .Nous sommes alors allés à la paroisse de Cyahinda. J'étais
avec ma femme, Triphonie Mukandatsikira et mes enfants: mes filles, Erina
Vumiliya, Nyirasafari, Mukagasa et Muhutukazi, et mon garçon Safari.
Victor Munyamana, agriculteur de 29 ans, est lui aussi originaire de la
cellule de Cyagwa. Il connaissait Biniga car sa tante maternelle habitait
près de son bureau. Il a raconté l'attaque en détail.
Moi et d'autres hommes de mon secteur , hutus et tutsis, de mon secteur
étions installés sur la rive de la rivière Akanyaru, qui sépare notre secteur
du secteur Kamana de la commune Mubuga. Les miliciens étaient
rassemblés sur l'autre rive, voulant attaquer notre secteur, mais ils avaient
peur de venir parce qu'ils voyaient que nous étions très nombreux et
solidaires. Ils y sont restés, nous injuriant et nous jetant des pierres . Nous
aussi nous faisions la même chose.
A 18:00 heures, Biniga est arrivé à bord d'une camionnette 4x4 avec des
gendarmes, des policiers communaux et des civils. Leur véhicule s'est
39

Témoignage recueilli à Nyakizu, Butare, le 2 décembre 1997

arrêté là où les miliciens étaient rassemblés. Biniga et ses compagnons
sont sortis de la voiture et ont commencé à distribuer les machettes qu'ils
avaient apportées. Les miliciens qui venaient de recevoir ces machettes ont
commencé à chanter pour nous démoraliser et nous montrer qu'ils étaient
soutenus par leur sous-préfet. Les gendarmes et les policiers ont commencé
à injurier les Hutus qui étaient avec nous en "disant: 'Vous les imbéciles
hutus, pourquoi vous êtes toujours avec les Tutsis? Qu'est ce que vous
attendez? Il faut abandonner les Tutsis sinon nous allons vous tuer tous '.
Nous avons répondu pourquoi voulez-vous nous tuer? Qu'est ce que nous
avons fait de mal? Nos compagnons hutus disaient qu'ils allaient rester
avec nous. Les gendarmes qui nous écoutaient se sont fâchés et ils ont
commencé à nous tirer dessus . C'était la première fois que nous
entendions des coups de feu. Nous sommes enfuis. Les miliciens et les
gendarmes ont profité de notre départ pour traverser la rivière et venir là
où nous étions. Comme c'était seulement le soir ils près de la frontière du
secteur Kamana, par exemple, les maisons de Gatebuka Thaddée,
Sebudurugu et Jean Nyilimanzi. Biniga est venu lui aussi dans notre
commune pour pousser le Hutus à tuer le Tutsis. Il parlait à haute voix,
sifflait et crier fort.
Victor a expliqué la rapidité avec laquelle l'intervention de Biniga mit le
feu aux poudres et transforma la situation.
Les Hutus qui étaient avec nous nous ont abandonnés immédiatement pour
aller collaborer avec les miliciens du secteur Kamana. Les Miliciens du
secteur Muhambara de Nyakizu ont commencé à chasser eux aussi les
Tutsis. Dans cette nuit du 14 avril, nous avons eu peur et nous sommes
allés loger dans les forêts et dans les bananeraies. Le 15 avril, très tôt le
matin les massacres des Tutsis ont commencé; on brûlait aussi nos
maisons. Nous avons fui vers la paroisse de Cyahinda.
Lorsque Victoria arriva à la paroisse de Cyahinda, il rejoignit d'autres
réfugiés, dont bon nombre étaient originaires de Gikongoro. Alphonse
Nkurana figurait parmi les premiers arrivants; il était venu se réfugier à
Cyahinda avec sa famille quant ils virent les maisons brûler près de leur
domicile dans le secteur de Gisizi à Mubuga. Il vit Biniga pour la première
fois le 13 avril; il conduisait une voiture blanche qu'Alphonse reconnut
comme étant un véhicule volé à un commerçant qu'il connaissait. Biniga
s'est adressé aux réfugiés.
Il nous a dit de rentrer à Mubuga car le calme était revenu. Nous
avons refusé. Il partait et repassait toujours avec le même discours
mensonger. Nous avons répondu catégoriquement que nous ne pouvions
pas bouger de la commune Nyakizu. Il est parti furieux;

Le lendemain , Biniga revint pour convaincre les autorités locales de
l'aider. Jean-Damascène Misigaro, agriculteur de Gasare à Mubuga, se
trouvait dans la paroisse et le vit passer dans sa voiture.
Le 14 avril, Biniga est venu dans sa véhicule, accompagné d'un Daihatsu
du projet DANK.. Le véhicule était plein de gendarmes. Ils sont allé
directement vers le bureau communal de Nyakizu où ils ont passé quelques
heures avec le bourgmestre, Ladislas; Ils sont venus pour nous trahir.
Vincent Ndwaniye, originaire de Gisizi à Mubuga explique que durant les
deux premiers jours de son arrivée à la paroisse, il a vu Biniga à quatre
reprises. Il est clair qu'il travaillait en étroite collaboration avec les tueurs.
Il venait avec son véhicule et arrivait au centre de Cyahinda. Il se gardait
de venir à la paroisse où nous étions mais il allait au centre d'à côté dans
les bars et les restaurants. C'est là que les paysans de Nyakizu se
réunissaient pour comploter contre nous.
Au 15 avril, il y avait des dizaines de milliers de réfugiés dans la
paroisse de Cyahinda. Ils avaient déjà subi plusieurs attaques de moindre
envergure qui avaient tout de même affaibli leurs défenses. Mais ce
vendredi-là, assaut d'une précision quasi-militaire en tuant des milliers.
Dans leur témoignages, les survivants soulignent l'influence et
l'intervention directe de Biniga. Un certain nombre de leurs récits ont été
enregistrés par African Rights au cours du génocide, en juin 1994, à
Bugesera.

Vendredi 15 avril: désarmement puis attaque des réfugiés
La première indication du massacre imminent du 15 avril fut l'arrivée
de Ladislas Ntaganzwa, le bourgmestre accompagné de gendarmes, de
miliciens et de réfugiés burundais. Le bourgmestre ne cacha nullement la
haine féroce qu'il venait soudainement de se trouver à l'égard des Tutsis;
Tout d'abord, il confisqua leurs armes traditionnelles. Puis les qualifiant "de
sauvage", il déclara que les réfugiés qui n'étaient pas originaires de
Nyakizu devaient rentrer chez eux .
Quelques minutes plus tard, Vincent Ndwaniye vit Biniga arriver dans sa
voiture et la tuerie commença.
Biniga transportait, comme d'habitude des gendarmes. Les paysans
de
Gikongoro , armés de machettes et de massues, accompagnaient le
véhicule. Au début, Biniga et ses troupes s'étaient groupés à quelques
mètres de notre site. Puis ils nous ont attaqués après nous avoir désarmés.
C'était un coup bien préparé. Les gendarmes et policiers communaux venus

de Munini en collaboration avec les gendarmes et policiers communaux
joints à Nyakizu, tous ont collaboré pour nous fusiller et nous lancer des
grenades. C'était terrible . Il y a eu beaucoup de morts. Les paysans après
avoir abattu et piller nos vaches ont procédé à l'achèvement de leur
victimes en utilisant leurs armes traditionnelles.
Vincent explique que Biniga se tenait tout près de l'église et" qu'il
riait avec le bourgmestre" tandis que les massacres se poursuivaient.
D'après lui, les deux dignitaires ont également lancé des grenades à
l'intérieur de l'église où se cachaient et les enfants.
Un témoin a raconté que le massacre avait la "précision d'une opération
militaire. Dans un premier temps aucun civil n'a pris part à l'attaque". Les
réfugiés ont essayé de riposter et les témoins pensent qu'au moins un
gendarme a été tué, mais dans l'ensemble leurs pierres n'eurent qu'un bien
faible impact contre les armes à feu. Il n'existait non plus aucune issue:
Cassien Gahamanyi explique ce qui est arrivé aux réfugiés qui tentèrent de
s'enfuir.
Ils ont trouvé des interahamwe qui les attendaient justes quelques
mètres plus loin, au centre de Cyahinda. Ils ont été tués là. Ce jour-là
environ 800 personnes ont péri.
Bien que Célestin Nzirabalimyi n'ait pas vu le sous-préfecture de ses
propres mains durant le massacre, il fait remarquer que "Biniga avait un
fusil et qu'il ne le portait pas pour rien". Une chose est sûr : les miliciens
amenés par Biniga jouèrent un rôle primordial. dans l'attaque. François
Murima, originaire de Munini fut en mesure d'identifier un grand nombre
des miliciens.
Damien Biniga est venu avec plusieurs gendarmes et paysans de
Munini. Il était avec les interahamwe que je connaissais de Munini,
dont Bigirimana , fils de Paul. Ils avaient des fusils et ont tirés sur
nous . Biniga en avait aussi. Ils ont collaboré avec les miliciens de
Nyakizu pour nous éliminer. Ils ont tué un grand nombre de Tutsis.
Bertin Rwandanga se rappelle l'horreur que vécut sa famille.
Mes enfants ont commencé à pleurer et à courir. Je ne savais pas où
avait fui ma femme . Certaines personnes sont mortes
immédiatement. Je suis allé avec d'autres rescapés dans la forêt de
Bisi à Nyakizu. Les gens qui sont venu après moi au Burundi m'ont
dit que ma femme et mes enfants avaient été tués à l'église de
Cyahinda.
Victor Munyemana était arrivé à la paroisse le 15 avril avec toute sa

famille. Tout comme Marcel Sharangabo, un autre réfugié de la
paroisse , il soutient que c'est le bourgmestre qui "a donné l'ordre de
tirer aux gendarmes". La mère de Victor, Bernadette Mukantwali, a
été tué durant l'attaque; Il raconte la scène qui eu lieu à la paroisse
cette nuit-là.
Il y avait de la panique. Je voyais beaucoup de cadavres dans la
cour. Les femmes ne savaient plus comment calmer leurs enfants qui
pleuraient. Il n'y avait plus d'eau. Il y avait de la saleté partout parce qu
il n'y avait pas de toilettes. La pluie tombait chaque nuit.
Vincent Birindabagabo, dont les quatre enfants ont été tués, décrit
comment un grand nombre de survivants tentèrent de fuir, réalisant que
leur sort était aux mains de Biniga.
Nous voyions que notre approchait et nous nous sommes échappés
un à un. Les uns disaient qu'il fallait attendre et voir, d'autres disaient qu'il
fallait fuir. Moi je suis parti la nuit même. C'était le 'sauve-qui-peut'; Je
suis arrivé au Burundi, dans la province de Ngonzi.
L'instinct de ceux ayant choisi de fuir s'avéra le bon? Damien Biniga, les
gendarmes et les interahamwe revinrent à la paroisse de Cyahinda dans les
jours qui suivirent en quête de survivants.
Samedi 16 et dimanche 17 avril: les tueries se poursuivent
La série d'attaques qui eut lieu les 16 et les 17 avril fut dévastatrice.
Cassien Gahamanyi explique qu'une fois encore les réfugiés tentèrent
d'opposer une certaine résistance mais ils avaient pour seules armes des
pierres, contre les balles des gendarmes et de la multitude d'interahamwe.
Les gens continuaient à mourir . Il y avait tellement de morts que
personne ne savait par où passer. Il y avait des corps partout - des corps
déchirés des corps éclatés.
André Sekamana vit Damien Biniga à la tête des assaillants e 16 avril
et il l'accuse d'avoir une part active dans les massacres.
Biniga est arrivé et a lancé une attaque de grande envergure. Il était
accompagné de plusieurs véhicules de commerçants hutus comme celui de
Rudandaza. Il y avait aussi des véhicules de l'usine de thé Mata et ceux du
projet DANK, tous bourrés de miliciens.

"Biniga avait son fusil et il tirait sur nous. Personnellement je le voyais
tirer dans la foule. Il était avec plusieurs gendarmes."
Les tueurs ne sont pas limités à la paroisse mais ils se sont mis à
fouiller la brousse avoisinante en quête de tutsis ayant échappé au
massacre de la veille. Jean-Damascène Rugemintwaza affirme que Damien
Biniga était à la tête de la tuerie.
Biniga est venu avec beaucoup de gendarmes et miliciens. Ils nous
ont attaqués
mais, bien qu'il y ait eu beaucoup de victimes, nous
étions très nombreux. Il avait plus de 50.000 réfugiés.
Ignace Ruzindana, inspecteur d'écoles à Gikongoro, arriva à
Cyahinda le 17, après avoir échappé au massacre de la paroisse de
Muganza. Il vit Biniga à la paroisse cet après-midi-là, en compagnie du
bourgmestre de Kivu, Juvénal Muhitira. Le même jour il vit le préfet de
Butare, Jean-Baptiste Habyarimana, accompagné d'un officier de l'armée et
d'un prêtre. Le préfet était venu soutenir les réfugiés; c'était, déclare
Ignace," une délégation fort puissante et très réconfortante".
Le préfet Habyarimana nous a demandé d'expliquer tous nos
problèmes. Nous lui avons parlé des menaces des gendarmes qui
pouvaient nous tirer dessus sans
raison, de la peur qui nous avait
envahis, du manque de nourriture qui nous affaiblissait, etc...Nous lui
avons donné toutes les informations. Nous avons cru naïvement que si les
gendarmes étaient déplacés et remplacés par des soldats, les choses
s'amélioreraient. Il a promis de changer les gendarmes. Habyarimana
nous a rassurés.
De toute évidence, le préfet n'avait plus aucune influence sur le
bourgmestre ni sur la population locale. Ladislas Ntaganzwa ne daigna
même pas participer à la réunion qui se tint à la paroisse. En outre, dès le
départ d'Habyarimana, les miliciens arrivèrent pour parachever la tuerie.
C'était terrible. Des femmes pleuraient sur leurs enfants morts. Les
cadavres nous effrayaient aussi40.

Comme il se faisait tard, les es interahamwe n'ont pas achevé la tâche
qui leur avait été fixée. Le lendemain, le 18 avril, ils sont revenu en très
grand nombre pour perpétrer le dernier et le plus violent des massacres
commis dans la paroisse de Cyahinda.
40

Témoignage recueilli à Gashora, bugesera, le 9 juin 1994

Lundi 18 avril: "une date inoubliable"
Les récits des massacres de Cyahinda décrivent une attaque après
l'autre; jour après jour, les événements semblent être une torture
perpétuelle. Pourtant, tous ceux qui se trouvaient à Cyahinda le 18 avril
admettent que ce jour-là que furent infligées les souffrances les plus
épouvantables.
Biniga et Ntaganzwa firent le nécessaire afin de veiller à ce qu'il n(y
ait quasiment aucun survivant; ils amenèrent des soldats armés ainsi que
redoutables réfugiés burundais.41. Pour maximiser leur puissance de tir, les
soldats installèrent un grand fusil dans le bureau communal à partir duquel
maintinrent un barrage constant contre les réfugiés. Des paysans armés de
machettes et de massues se tenaient à proximité pour prendre au piège toute
personne qui tentait de fuir et pour achever les blessés.
André Sekamana par le du 18 comme "d'une date inoubliable".
Tous les miliciens de la région étaient au rendez-vous, dont Biniga
Damien et son équipe. Il y avait beaucoup de gendarmes. Ils ont installés
leurs fusils et ils nous ont bombardés sérieusement. De 8h30 jusqu'à 15:00
heures ils ne faisaient que nous tuer. Nous nous sommes dispersés ici et là.
Beaucoup de Tutsis y ont laissé leur vie, mais ce jour-là, ils n'ont pas pu
tuer les réfugiés qui étaient enfermés dans l'église. Je suis parti, avec
d'autres vers le Burundi.
André Senkware raconte que, comme à l'accoutumée, le massacre fut
précédé d'une visite de Biniga.
Biniga nous a rejoints à Cyahinda, avec ses gendarmes et son ami, le
commerçant Rudandaza. Rudandaza nous a demandé où était le
commerçant Sekamana. Il a dit que Sekamana devait lui rendre son argent.
La question a stupéfié les réfugiés.
Je vous demande , était-ce le bon moment pour réclamer le
remboursement d'une dette, considérant les conditions dans lesquelles
nous vivions? Ils éliminer Sekamana et s'emparer de son bar.
41

Le rôle prépondérant des réfugiés burundais dans le génocide, et leur réputation de cruauté
impitoyable, est un sujet qui mérite une très sérieuse enquête

Tandis que Rudandaza se préoccupait de ses intérêts financiers,
Biniga mettait des dernières touches à une attaque sanglante.
Les gendarmes nous ont tiré dessus, alors que Biniga et le
bourgmestre de Nyakizu regardaient. Les paysans ont fini le travail en
utilisant les massues et les machettes.
Le souvenir du 18 avril restera à jamais gravé dans la mémoire de
Victor Munyemana; c'est ce jour-là qu'il perdit les derniers survivants de sa
famille immédiate et de nombreux autres parents.
Le 18 avril on a installé un grand fusil au bureau communal et on a
commencé à nous pilonner. Après beaucoup de miliciens et de
soldats sont arrivés dans lesvoitures et nous ont encerclés. Puis ils
ont tué avec des grenades, des machettes et des massues tous les
Tutsis qui étaient dans l'église et dans l'école primaire. Ce jour-là
j'ai vu Damien Biniga avec des soldats qui tiraient sur des gens qui
étaient dans l'église. J'ai couru, mais tous les membres de ma famille
ont été tués. En courant, je sautais sur des cadavres. Par chance, je
suis arrivé sur la colline de Gasaza, où d'autres rescapés étaient
rassemblés. Comme nous avons vu que nous étions vulnérables là
aussi, nous avons décidé d'aller nous réfugier au Burundi.
Pour Jean-Damscène Rugemintwaza, originaire de Mubuga, c'est la
collaboration entre Biniga et Ladislas Ntaganzwa qui décida du sort des
réfugiés.
Le 18 avril a été une journée catastrophique pour nous. Tous les
miliciens de Munini dirigés par Biniga, ceux de Nyakizu dirigés par
Ladislas, tous nous ont encerclés. Il y avait beaucoup de militaires. Ils ont
commencé à nous tuer. Nous sommes dispersés.
La mère , les deux frères et les deux soeurs de Jean-Damscène sont
mort dans la paroisse. Il tient Biniga comme responsable de leur mort et du
massacre de bien d'autres membres de sa famille.
Il y avait quelques heures seulement que Cassien Kajeguhakwa, originaire
de Mubuga, était dans la paroisse lorsque Biniga fit sentir sa présence.
Je dirais que je n'ai pas eu l'occasion de souffler. J'étais à peine
arrivé avec quelques membres de ma famille; Biniga est arrivé dans
l'après-midi accompagné de plusieurs gendarmes et paysans de Gikongoro
armés de massues et de machettes. Ils ont rejoint les tueurs de Nyakizu et
ils nous ont attaqués tout de suite, avec des grenades et des fusils. Les
paysans ont utilisé leurs machettes. Il y a eu beaucoup de morts à
Cyahinda.

Cassien parvint à trouver refuge dans les collines de Gasasa mai sa
femme, certains de ses enfants, petits enfants et autres parents ont trouvé la
mort à Cyahinda.
L'ampleur de l'attaque du 18 fut sans précédent. Ignace Ruzindana déclare:
"Nous avions l'impression d'être attaqué par toute la population de Butare".
Des assassins de tous types, de la région et de plus loin, participèrent à la
tuerie. Son récit du massacre recoupe les propos d'un grand nombre de
survivants.
Parmi les assaillants il y avait des soldats, des gendarmes, des
militaires de réserve, des interahamwe, des réfugiés burundais et des
paysans camouflés par des feuilles de banane sèches. Nous avons quand
même tenté de nous défendre, mais avec des pierres. Ces efforts de nous
défendre me font rire. Quant ils ont commencé à tirer ils étaient loin le
nombre de mort n'était pas très élevé. Ensuite ils ont commencé leur
approche. Nous avons paniqué. Les gens s'enfuyaient dans différentes
directions. Ils se rapprochaient. Quand ils ont été dans un rayon très
proche, ils ont intensifié les tirs. Ils ont jeté les grenades. Et je parle bien
de bombes, pas de grenades42.Une maison proche du bureau communal
s'est écroulée.
Ceux qui pouvaient courir ont couru. Mais des centaines d'autres ont
été tués à la machette. Malgré tout, il y avait tant de milliers de personnes
qu'il était possible de passer de travers. C'était plus facile à l'avant pour
nous -qui nous étions battus - de nous échapper , car nous pouvions mieux
voir ce qui se passait. Les victimes ont d'abord été ceux qui étaient derrière
-personnes âgées, femmes et enfants. Ils n'avaient aucune chance de
s'échapper. Les assaillants ont même pris les vaches que les réfugiés
avaient apportées. J'y suis retourné quelque heures plus tard pour voir si
ma famille était morte ou vivante.

"Il y avait tant de corps sans vie que je pouvais pas trouver d'endroit
où poser mes pieds sans marcher sur un cadavre. Des corps gisaient
partout dans la paroisse".

Ce seul jour, Ignace estime qu'environ 25.000 personnes ont été
massacrées, dont 28 membres de sa propre famille. Bien qu'il ait retrouvé
leur corps, y compris celui de son père et de ses frères et soeurs, il n'eut
même pas la possibilité de les enterrer. Il partit en compagnie de 8.000
42

Ceci fait référence au grand fusil dans le bureau communal.

autres survivants; certains se rendirent à Muyogoro, Butare. Il tenta de
gagner le Burundi et, bien qu'il ait été blessé par des gendarmes du côte de
la frontière rwandaise, il atteignit enfin le Burundi le 21.
Marcel Sharangabo parvint à quitter la paroisse avec sa femme et ses
enfants, mais ses parents , ses oncles et leurs familles respectives furent
tous massacrés.
Les miliciens nous ont encerclés et j'ai vu beaucoup de voitures qui
transportaient des miliciens. J'ai vu Biniga,
Rudandaza,
commerçant, Ladislas Ntaganzwa, les réfugiés Burundais qui étaient
dans le camp Karamba et les soldats. Ils ont tué les gens avec des
grenades, des fusils, des machettes et des massues. Les Tutsis qui
étaient à l'école primaire et à l'église ont tous été tués.
Béata Mukarurangwa, treize ans, est arrivée dans la paroisse le 17,
avec son père et ses frères et soeurs plus âgés. Originaire de Nshili à
Gikogoro, la famille avait d'abord tenté de se réfugier dans la paroisse de
Muganza avant de s'enfuir vers Cyahinda.
Le lundi 18 avril au matin, beaucoup de génocidaire sont venus nous
massacrer avec toutes sortes d'armes. Je ne pouvais plus courir. Je n'en
avais plus la force à cause de la faim. Les génocidaires nous ont
encerclés. J'entendais des gens qui disaient que Biniga était venu lui aussi.
Ils ont lancé des grenades. D'autres miliciens utilisaient des machettes.
Des trois frères -Alexis, Emmanuel et Callixte- ont été tué sur-le-champ.
Pour pouvoir échapper à la mort, je me suis couchée et je me suis couverte
de cadavres. Après leur départ, je suis allé sur la colline de Gasasa, là où
étaient rassemblés tous les Tutsis qui avaient pu s'échapper. Mon père était
là, lui aussi.
Avec bien des difficultés, Béata parvint à traverser la frontière pour
gagner le Burundi. Mais son père, trop choqué par la mort de son fils, n'eut
pas la force de bouger et fut abattu à Gasasa43.
Cassien Gahamanyi parle de l'intensité d'un assaut qui ne laissa aucune
issue à la grande majorité des réfugiés.
Ils sont venu et ont attaqué la paroisse de loin avec des bombes.
L'église et les salles de classes ont commencé à brûler. Tant de gens ont
été tués dans l'église et les salles de classe que ceux qui, parmi nous
,étaient encore en vie ont sauté à travers le feu et se sont précipité à
l'extérieur. Nous ne savions pas s'il y avait à l'extérieur des soldats qui
nous attendaient pour nous tuer. Nous ne pouvions pas penser au feu à
l'extérieur; nous devions sortir du feu dans lequel nous étions.
43

Témoignage recueilli à Muganza, le 3 décembre 1997.

"Le bourgmestre a conseillé à Biniga de ne pas s'inquiéter, lui disant
qu'il pouvait abandonner les survivant car ils allaient mourir de faim.
Biniga a refusé et a fait rentrer les réfugiés burundais pour nous
achever. Les réfugiés étaient lourdement armés par Biniga".

Emmanuel Muhinyuga décrit ce qui arriva après le gros des
massacres.
Plus tard dans l'après-midi, vers 6h30, trois bus chargés de
gendarmes sont arrivés de Butare. Cette fois, les civils les accompagnaient.
Les interahamwe sont partis à la recherche des rescapés à exterminer. Ils
ont chassé les gens qui s'étaient disperser dans les villages, les vieux qui ne
pouvaient pas courir très loin, ou ceux qui n'avaient pas quitter la
paroisse. Les interahamwe ont commencé seulement leur tuerie à la
machette une que les soldats et les gendarmes ont fini leur travail ; il est
clair qu'ils suivaient ceux qui avaient des fusils44.
Pour le petit nombre de réfugiés qui parvint à survivre, il n'y avait
plus guère de choix. Certains comme Victor Munyemana, décidèrent de se
cacher dans les collines et les brousses voisines. Deux jours plus tard, le 20
avril, ils furent découverts par les génocidairs de Gasana.
Ils étaient trop nombreux. Ils ont encerclé la colline et ils ont
commencé à pilonner là où nous étions . Pour pouvoir quitter cette colline
nous nous sommes regroupés et sommes passé par le même endroit. Les
miliciens avaient peur de notre groupe parce que nous avions des
machettes, des bâtons et des lances. Ils ont donc laissé passé mais la
plupart des gens sont morts sur la colline.
Nous sommes allés à Gihango, en commune Runyinya, puis à
Muyogoro, en commune Runyinya.
Le bourgmestre de Runyinya, Déo Hategekimana , et les soldats du
camp Ngoma nous ont arrêtés. Ils nous ont désarmés après nous
avoir demandé de nous asseoir. Beaucoup de gens nous ont
encerclés avec desmassues, des machettes et des fusils? Certains ont
apporté d l'eau et des patates douces pour que nous les achetions.
Certains parmi nous avaient encore un peu d'argent. Un petit
gobelet d'eau coûtait 100 francs et une patate douce coûtait 50
44

Témoignage recueilli à Gashora le 8 juin 1994.

francs.

" Les miliciens qui nous avaient encerclés rigolaient parce qu'ils
voyaient combien nous avions souffert. Ils nous regardaient comme si
nous n'étions plus des êtres humains".
On nous demandait d'appel les soldats Inkotanyi pour qu'ils viennent
nous sauver. Le bourgmestre nous a demandé d'aller à la paroisse de
Karama. Nous avons refusé d'y aller parce que nous savions comment on
avait assassiné les Tutsis à la paroisse de Cyahinda. Les soldats ont
commencé à nous tirer dessus avec leurs fusils. La population locale nous
donnait aussi des coups de machette. Beaucoup ont été tués. J'ai encore eu
de la chance, j'ai échappé avec un seul coup de machette sur un doigt de la
main gauche. Je portait une grande veste et les coups de machettes ne me
touchaient pas.

D'autres réfugiés se sont aventurés plus loin dans Butare pour
chercher refuge dans la paroisse catholique de Karama, en commune
Runyinya. D'autres encore ont décidé de traverser la frontière, espérant
trouver une forme de protection à l'intérieur du Burundi voisin. Toutefois,
ces deux groupes furent bientôt découverts et attaqués par Damien Biniga
et ses interahamwe.

La fuite entravée: Massacre à la paroisse de Karama et patrouille à la
frontière du Burundi
A Butare et Gikongoro, des milliers de réfugiés, déplacés par la
violence et la peur, s'étaient rendus à Karama. La plupart d'entre eux y
étaient depuis une semaine à peine quand, le 21 avril, Damien Biniga,
arriva à leur poursuite. Une fois de plus, les frontières régionales ne
l'avaient pas dissuadé de passer à l'action . Biniga et le bourgmestre de
Runyinya, Déo Hategekimana, alias "Cyanika", ont joint leurs forces. Ce
fut une attaque terrible; des tueurs venant des quatre communes de Munini,
préfecture de Gikongoro, avaient offert leur support et leur expertise aux
assassins de la commune de Runyinya, Nyakizu, et Gishamvu, préfecture
de Butare. Biniga était arrivé dans un camion rouge toyota accompagné par
ses collaborateurs habituels, a savoir le bourgmestre de Rwamiko, Silas
Mugengano et le directeur de la fabrique de thé de Mata, Juvénal
Ndabalinze. Ndababalinze utilisaient plusieurs véhicules appartenant à
l'usine pour transporter les futurs assassins, parmi eux un certain un certain
nombre de commerçants. Le bourgmestre de Runyinya était là pour leur
faciliter la tâche. Il avait, lui aussi, mobilisé un grand nombre de miliciens

locaux. Les tirs commencèrent vers 10:00 heures du matin et continuèrent
de manière ininterrompue jusqu'à 16:00 heures, moments où les assassins
manquèrent de munitions. Les personnes encore en vie purent se dégager
de sous les corps lorsque les meurtriers partirent chercher d'autres
cartouches.
De nombreux réfugiés se trouvant dans la paroisse de Karama
avaient déjà survécu à d'autres attaques menées par Damien Biniga. Claver
Kanamaga était venu de la paroisse de Kibeho après le massacre du 15
avril.
Nous avions passé presque une semaine là-bas quand les criminels
sont venus le
jeudi 21 avril. Damien Biniga était avec eux . Plusieurs
criminels de
Gikongoro l'accompagnaient. Ils nous ont attaqués à
coups de fusils et de
grenades, de machettes et d'autres armes
traditionnelles. Vers 16:00 heures, ils
avaient épuisé leurs munitions
et il s'est mis à pleuvoir. Nous en avons profité
pour partir chercher
refuge dans la direction du Burundi.
Frédéric Sebareme a expliqué que les individus qui avaient déjà
mené le massacre de Kibeho se trouvaient de nouveau à la tête de cette
tuerie.
Biniga accompagné du bourgmestre de Rwamiko, de celui de
Mubuga et du
directeur de l'usine de thé de Mata, conduisait la
assaillants de Gikongoro. Ce jour-là, Biniga est arrivé dans son camion
rouge. Ils étaient avec les mêmes
gendarmes qu'à Kibeho. Tous les
véhicules de l'usines de thé Mata y étaient. Les tueurs
venaient
de
Butare, des communes de Runyinya, de Nyakizu et de Gishamvu.
Ils nous ont attaqués et tués tant qu'ils pu. Vers 16:00 heures les
balles se sont épuisées et ils sont allés à Butare s'approvisionner en
munitions.
Les quelques milliers de réfugiés encore en vie profitèrent du
manque de munitions pour s'échapper. Frédéric étaient de ceux qui se
dirigèrent vers le Burundi.
Comme ils ne pouvaient pas espérer échapper à Damien Biniga sur le
territoire du Rwanda, les survivants des nombreux autres massacres qu'il
avait organisés dans la préfecture de Gikongoro et de Butare espéraient
trouver refuge au Burundi. Mais Biniga semblait anticiper leur moindre
mouvement. De nombreuses personnes, la plupart blessées , trouvèrent la
mort dans les embuscades dressées sur les chemins menant à la frontière
avec le Burundi. Biniga lui-même essaya d'empêcher ceux qui étaient
arrivé de la franchir. Il avait compris que les survivants des massacres de
Munini n'avait qu'une possibilité de survie et il était déterminé à l'éliminer.

Nombre de ceux qui avaient survécu aux massacres du 18 avril, à la
paroisse de Cyahinda, avait décidé de se rendre au Burundi, mais ils ne
pouvaient pas se mettre d'accord sur la direction à prendre. Vincent
Ndwaniye a affirmé: "Nous devenions tous fous"? Un groupe insista pour
prendre le chemin qu'il considérait comme le plus court, à travers la
commune de Nyakizu, préfecture de Butare. D'autres, craignant une
embuscade de la milice de Nyakizu, choisirent de passer à travers Nshili,
préfecture de Gikongoro.
Cassien Kajeguhakwa faisait partie du groupe qui passa par Nshili. Il
a raconté comment les miliciens leur volèrent toutes les possessions.
Ensuite à Gisenyi, secteur de Gisoro, ils furent attaqués par des assassins
amené par le directeur de l'école primaire, Straton Mukama. Donatila
Mukamanzi vivait à proximité de la maison de Biniga à Gisizi. En tant que
voisine, elle était consciente de ses préjugés et de ses relations avec les
interahamwe locaux. Lorsque les membres de sa famille décidèrent de
chercher un endroit où se réfugier, ils étaient tous d'accord pour éviter le
bureau de Biniga. Ils se dirigèrent vers Cyahinda, croyant que Biniga ne
pourrait pas les y atteindre. Ils arrivèrent à Cyahinda le 12 avril. Mais il
était impossible d'échapper à Biniga. "Après quelques jours, j 'ai vu Biniga
avec des soldats et beaucoup de miliciens à Cyahinda. Ils ont tué de
nombreux à eux, mon mari, Athanase Gakuba". Donatila, âgée de 46 ans,
prit le chemin du Burundi, passant par Gisenyi.
Les miliciens nous ont arrêtés; nous étions nombreux. Ils ont tués
tous les hommes tutsis. Les femmes génocidaires ont pris ont pris tous nos
habits. Ils nous ont accusé d'être des complices de Kagame du FPR. Neuf
enfants de mon frère Karekezi et sa femme ont été tués. Sagatarama, qui
travaillait à DANK, a été tué. On m'a asséné un coup de machette; comme
j'étais aussi très fatiguée, j'ai perdu connaissance. Je ne sais vraiment pas
comment j'ai pu arriver au Burundi45.

Marcel Sharangabo échappa de justesse à la mort.
Ils ont pris les jeunes garçons et les hommes vigoureux et les ont
tués. Les cadavres étaient partout; le sang coulait comme l'eau d'une
rivière.
Les assassins tirèrent sur les réfugiés jusqu'à ce qu'ils n'aient plus de
munitions. A ce moment-là, d'autres survivants de la paroisse de Cyahinda
arrivèrent sur les lieux. Il y avait plus de réfugiés que d'attaquants.; Ces
derniers décidèrent de demander des renforts à la commune de Nshili. Les
45

Témoignage recueilli à Nkomero, Kigembe, 17 avril 1999

miliciens revirent accompagnés de Paul Kadoyi, le bourgmestre de Nshili.
Bien que Kadoyi ait initialement appelé aux meurtres, utilisant un portevoix pour encourager la milice, il sembla satisfait du nombre de morts. Il
ordonna aux survivants de mettre les mains en l'air, et il les laissa partir. De
toute façon il était persuadé qu'ils n'allaient pas vivre longtemps. Il leur dit
qu'ils seront tués par les membres du FRODEBU 46.
Cependant Damien Biniga ne voulait pas confier le sort des réfugiés
au hasard, comme l'explique Frédéric Sebareme. Le matin du 22 avril,
environ 4.000 réfugiés, pour la plus part des femmes et des enfants,
arrivèrent à la frontière du Burundi. Parmi eux se trouvaient des survivants
des paroisses Cyahinda, de Kibeho et de Karama. Frédéric, lui, avait quitté
Karama site aux massacres du 21 avril. Il a raconté que le voyage jusqu'à la
frontière avait été extrêmement dangereux et qu'un grand nombre de ses
compagnons avaient été tué en route, beaucoup dans la vallée de Gatobwe,
à Runyinya. Leur dernière rencontre avec les forces du génocide eut lieu à
la frontière même. Cette fois, Damien Biniga arriva plusieurs minutes de
retard.
Nous venions à peine de franchir la frontière que Biniga et le
bourgmestre de Runyinya , Déo Hategekimana, sont arrivés. Ils étaient
accompagnés de plusieurs gendarmes.

"Biniga s'est adressé aux soldats burundais en leur disant qu'il fallait
nous faire retourner au Rwanda. Biniga et Hategekimana leur ont dit
que nous fuyions la famine alors qu'il venait juste de recevoir des dons
d'aides alimentaires".
Les autorités burundaises connaissaient la réalité de la situation
puisque parmi nous se trouvaient des blessés graves. Chaque jour ils
voyaient les corps de Tutsis du Rwanda dans la rivière Akanyaru, la
frontière naturelle entre le Rwanda et le Burundi. Ils voyaient comment nos
maisons étaient brûlées sur les collines du Rwanda et ils captaient les
46

Front pour la Démocratie au Burundi

ondes de radios étrangères. Ils savaient
très bien ce qui se passait. Ils
demandaient à Biniga si la famine du Rwanda
coupe avec les machettes
ou bien blesse par balle ou grenade. Biniga a mâché
ses mots et est
rentré bredouille. Il était très méchant, son but était de nous exterminer
tous47.
Augustin Kabandana a confirmé cette suite d'événements ainsi que
les arguments avancés par Biniga pour réclamer ses victimes.
Le matin du vendredi 22 avril, nous avons réussi à atteindre le
Burundi . Biniga est arrivé à la frontière et a demandé aux militaires
burundais de nous faire retourner au Rwanda en arguant que nous fuyions
la famine alors que les denrées alimentaires étaient déjà prêtes et
disponibles. Les militaires burundais ont refusé et lui ont demandé si la
famine rwandaise coupait avec des machettes. Biniga est donc reparti
bredouille avec ses gendarmes48.

Malheureusement, tous les réfugiés n'avaient pas réussi à passer la
frontière quand Biniga est arrivé. Cassien Gahamanyi faisait partie d'un
groupe fuyant Cyahinda. La première confrontation avec Biniga a eu lieu
au centre commercial de Murmura. Biniga était accompagné par le
bourgmestre et par des soldats.
Ils nous ont arrêtés afin de nous tuer, mais nous avons refusé de
nous arrêter, et ils ont commencé la fusillade. Certains ont été tués , les
autres ont continué à marcher. Les génocidaires ont eu peur de nous
poursuivre parce que nous étions proche de la frontière du Burundi et les
soldats n'étaient pas loin.
Cassien a raconté ce qui est arrivé à certains de ceux qui se
trouvaient à l'arrière de la alors qu'il essayaient de passer la frontière.

Nous allions en masse vers la route bitumée allant au Burundi. Les
interahamwe
nous suivaient tuant à la machette derrière la file. Le
sous-préfet est parti en véhicule vers la frontière pour avertir les soldats
47

Témoignage recueilli à Rwamiko, le 24 avril 1997.

48

Témoignage recueilli à Rwamiko le 24 avril 1997.

rwandais qu'ils nous attendent. Les soldats ont commencé de nous tirer
dessus dès que nous avons atteint le poste de la frontière. Deux enfants ont
été tués sur-le-champ. Ils sont monté à bord d'un véhicule et ils sont venu
vers nous pour nous empêcher d'avancer et pour nous tuer. Après qu'ils
aient tué les enfants, nous avons encerclé le véhicule. Ils ont paniqué et
l'ordre a été donné qu'ils arrêtent la tuerie. Le véhicule est reparti vers le
poste frontière, et nous avons continué notre chemin vers le Burundi. Les
interahamwe ont aussi arrêté la tuerie à la machette quand ils ont réalisé
que les soldats avaient arrêté de fusiller. Les soldats nous ont laissé
passer la frontière et brusquement, ont recommencé à nous tirer dessus.
Cette fois-là ils tiraient très fort. Quand les interahamwe ont vu que
les soldats avaient repris le travail ils ont aussi recommencé à se servir de
leurs machettes. Nous étions sur le point de traverser la frontière, et ils
savaient que ceux qui traversaient ne reviendraient plus. Et puisque les
cadavres ne pouvaient pas se mettre à traverser, ils étaient déterminés à
nous tuer tous.
Cassien, sa femme et ses enfants réussirent à passer la rivière qui les
séparait du Burundi. Mais il avait déjà perdu 25 membres de sa famille,
dont son frère aîné et sa plus jeune soeur49.Témoignage recueilli à Gashora,
le 9 juin 1994).

Un sillage de mort: héritage de Biniga
Pour les survivant de Munini -et d'ailleurs- le génocide et ses conséquences
ont largement été déterminés par les actes de Damien Biniga. Aujourd'hui
leur vie -ou ce qui en reste- est inextricablement liée à la détermination
féroce qu'il avait de conduire le génocide jusqu'à sa conclusion logique. Le
nom de Biniga est marqué au fer rouge dans la mémoire de ces survivants.
Cassien Kajeguhakwa a dit qu'il connaissait à peine Biniga, mais il le tient
pour responsable de la mort de sa femme, Providence Nyiramisigaro, et de
plusieurs de ses enfants qui ont été tué à la paroisse de Cyahinda, avec
leurs époux et leurs propres enfants.
Tous sont morts par la faute de Biniga. Je mets la faute sur Biniga
car son discours nous a contraints d'abord à laisser nos biens. Nous
sommes allés à Nyakizu et il nous a poursuivis là-bas. Nous sommes allés
au Burundi et il est arrivée après notre traversée. Il nous en voulait trop.
Justin Kageruka, originaire de Rwamiko, a perdu sa femme, Véstine
Mukarurangwa, et leurs cinq filles à Kibeho. De nombreux membres de sa
49

Témoignage recueilli à Gashora, le 9 juin 1994

famille ont également été tués au cours du génocide.
En tout, j'ai perdu 134 membres de ma famille...Qui a tué tout ce
monde? La première responsabilité incombe à Damien Biniga50.
Vénuste Murekezi, âgé de 78 ans, également de Rwamiko pose une
question pertinente.
Comment peut-on ne pas accuser Damien Biniga? Il est responsable
de la mort de presque toute ma famille: ma femme, Annonciata
Uzamukunda, mes sept enfants, ma tante, Rosalie Nkundimandwa, sa
belle fille et tous ses enfants. Il est responsable de la mutilation de ma
jambe: avant le génocide j'avais les deux jambes. Biniga a participé au
génocide en tant qu'organisateur et exécuteur.
Je ne sais pas si mon âge et la situation misérable où je me trouve
me permettront de le traduire en justice. Mais Biniga m'a tant endeuillé.
Le fils d'André Senkware travaillaient pour Biniga; André est
persuadé qu'il a été tué par Biniga.
J'accuse Biniga d'avoir tué mon fils Lois Ruzindana, 21 ans, qui était
son cuisinier. Au début du génocide , il était chez lui. J'ignore comment il
a été tué, seulement Biniga peut te le dire. J'ai fait des enquêtes pour savoir
où il a été tué mon fils, mais jusqu'à présent je n'ai pas encore trouvé son
squelette. Personne ne m'a dit comment il a été tué. Seul Biniga le sait.
Alphonse Nkubana dont la fille a été tuée à Nshili, résume en ces
termes le rôle joué par Biniga au cours du génocide.
Damien Biniga est responsable de tous l'assassinat des Tutsis de
Munini. Il disposait des miliciens génocidaires dans toute la souspréfecture et ce sont eux qui ont tué les Tutsis de Munini.
Jean Batiste Nteziryayo a du mal à exprimer l'énorme contribution de
Biniga au génocide dans la préfecture de Gikongoro.
Je ne trouve pas de mots pour qualifier la criminalité de Biniga . On
ne peut pas lui trouver une catégorie puisque sa méchanceté est de loin
supérieure à celle des autres criminels. Il mérite une catégorie à lui seul. Il
a planifié, organisé et exécuté le génocide des Tutsis en 1994.
Jean-Damascène Misigaro a perdu de nombreux membres de sa
50

Témoignage recueilli à Rwamiko, le 24 avril 1997

famille au cours du génocide, dont deux frères et deux oncles. Il accuse
Biniga de leur mort.
Damien Biniga est responsable de tous les malheurs que j'ai eu. Il a
été le premier à nous chasser de nos maisons à Mubuga. Il est responsable
de
l'assassinat de quelques membres de ma famille. La destruction de
nos huit maisons situées dans la cellule Gahango, secteur Gasare lui
incombe également.
Vincent Ndwaniye, originaire également de Mubuga partage les
mêmes sentiments.
Biniga est responsable de la mort des Tutsis de Munini. Il préparait
les génocidaires et quand le moment arrivait, ses marionnettes mettaient
son plan à exécution
Comme celle de nombreux survivants de Munini, la vie d'Adèle
Mukarangwa a été profondément marquée par la mort de sa famille et
d'amis?
Si Biniga n'avait pas été actif dans cette région pendant le génocide,
il y aurait eu un grand nombre de survivants. Il circulait partout pour
dire aux gens que les Tutsis avaient des grenades, des fusils et des lances
et qu'ils avaient l'intention d'éliminer les Hutus. Il disait que les Hutus
devraient mettre les
Tutsis où ceux-ci voulaient mettre les Hutus. Je ne
serais pas te dire où se trouve Biniga maintenant, mais je sais qu'il ne
peut pas venir ici. Il a mal fait
Alphonsine Kayitesi avait 12 ans pendant le génocide. Aujourd'hui
elle consacre son énergie à s'occuper des ossements et des crânes des
victimes de la paroisse de Kibeho, où son père et de nombreux membres
de sa famille ont péri.
Après le génocide , la vie m'a dégoûtée. Partout où je passais, je
voyais les os et les crânes des Tutsis tués pendant le génocide. Parmi ces
os, il y a ceux de mon cher père, de mes cousins et cousines, de mes tantes,
oncles et des enfants de ma colline.

"Au lieu de passer toute la journée à l'école, je préfère passer la
journée au milieu de ces os des personnes qui m'aimaient"

Je suis triste quand je vois ma mère faire tous les travaux alors
qu'avant le génocide mon père l'aidait. Je sais que j'ai tous ces problèmes

à cause de Biniga, qui a organisé le génocide.
Il se pourrait que parmi les ossements dont s'occupe Alphonsine se
trouve ceux de la famille de Père Lucien Rwabashi. Trois de ses neveux
ont été tués à Kibeho avec leurs familles. Père Lucien est lui-même
survivant de Kibeho. En 1990, on lui avait demandé de servir à Kibeho, sa
région natale. Il était enchanté, dit-il, à l'idée de "passer ma vieillesse à
Kibeho, entouré de ma famille et de mes amis. Quand je célébrais la messe,
j'étais très heureux".
Maintenant je retourne à Kibeho, c'est pour pleurer. Le 14 avril,
chaque année, je célèbre la messe de Kibeho en mémoire de toutes les
victimes. Avant le génocide, Kibeho était très connue pour les apparitions
extraordinaires de la Vierge Marie.. Beaucoup de gens du pays y venaient
pour prier. Maintenant, la paroisse de Kibeho est devenue un cimetière à
cause de Biniga et de ses collaborateurs.
Il est impossible d'appréhender l'impact qu'a eu le génocide sur les
survivants. Mais les petits moyens des pauvres vivant dans la campagne ne
sont malheureusement que trop évidents. Donatilla Mukamanzi, originaire
de Mubuga, vit aujourd'hui Kigembe, dans la préfecture de Butare.
Biniga et d'autres génocidaires qui ont travaillé avec lui ont détruit
tous nos
biens qui étaient Munini. Maintenant je n'ai plus de maisons.
Je suis au centre de négoce de Nkomero à Kigembe avec mes enfants.
J'avais occupé une maison dans ce centre et la propriétaire est venue me
menacer en disant:' Est-ce que tu es ma soeur ou ma belle mère pour
occuper ma maison?' J'ai été obligée de partir. Mes champs sont loin de.
Pour manger je suis obligée d'acheter de la nourriture. Mais j'ai du mal à
me procurer de l'argent. Biniga nous a vraiment fait souffrir;
Le 18 avril, les trois frères de Mukarurangwa sont mort à la paroisse
de Cyahinda; peu après , son père a été tué non loin de là. Béata , âgée de
17 ans, est venue de Nshili. Au moment de l'entretien, elle vivaient avec sa
mère à la paroisse de Muganza, dans la commune de Kivu.

J'ai été obligée de quitter l'école pour aider ma mère qui est vieille.
D'autres
enfants de mon âge sont à l'école secondaire. Mais moi, je suis
ici et je souffre, alors que je n'ai fait de mal à personne. Je suis triste
parce que je sais que je ne
peux pas retourner à l'école; je ne peux pas
laisser ma mère.
Avant le génocide, on me donnait des cadeaux le jour de Noël . Je ne
sais plus si Noël existe encore au Rwanda. Tous les jours se ressemblent
pour moi maintenant. C'est Biniga qui m'a causé tous ces problèmes

parce que c'est lui qui a organisé le génocide dans notre région.
Ester Nturishwa, âgée de 60 ans, est originaire de Mubuga. Elle a dit
qu'il "était impossible pour elle" de trouver les mots appropriés pour
accuser Biniga.
Des pères et des mères n'ont plus d'enfants à cause de lui. Beaucoup
d'enfants sont devenus orphelins à cause de lui. Les gens ne retournent
plus à l'église de Kibeho parce qu'on l'a brûlée pendant le génocide.
Kibeho est devenu est devenu maintenant un cimetière.
La vie d'Ester n'est plus qu'un champs de ruines. Le 14 avril, son
mari, Lucien Ntirushwa, a péri à la paroisse de Kibeho avec son fils, Ignace
Kayumba et la femme de celui-ci, ainsi que leurs six enfants. Deux autres
de ses fils, deux de ses filles ainsi que cinq petits-enfants ont également ont
également été tués en 1994.
Je suis devenue comme Job, dans la Bible. Avant le génocide, j'avais
des enfants, un mari et une grande famille. Maintenant, j'occupe une
maison de la cathédrale. Tout le temps on me demande de la libérer alors
que je n'ai pas d'autre maison. Je suis obligé d'aller puiser de l'eau et de
chercher du bois. Je fais les travaux que je faisais quand j'étais une petite
fille. J'ai trois jeunes enfants. Souvent ils me demandent des cahiers , des
stylos, des habits, etc...Je me contente de les regarder sans répondre.
La mère de Jean-Damascène Rugemintwaza , certains de ses frères et
soeurs, des oncles, des tantes et des cousins ont été tués, soit à Mubuga,
soit à la paroisse de Cyahinda.
Je considère que Biniga est responsable de la mort des membres de
ma famille. Tout a commencé avec la réunion du 11 avril. Le lendemain,
notre calvaire a débuté.
Pour les survivants de Nyakizu qui ont perdu leur famille à la paroisse de
Cyahinda, le nom de Biniga est synonyme de meurtre et de deuil. L'entière
famille de Munyemana a été décimée à Cyahinda ,le 18 avril.
Biniga m'a fait souffrir. Il m'a blessé au fond du coeur et la plaie ne
guérira jamais. Je me préparait à me marier quand le génocide a
commencé. Mes parents et moi avions organisé une grande fête pour ce
jour de mon mariage. Mais ma fiancée a été tuée pendant le génocide. Je
suis revenu à Cyahinda en septembre 1997. J'ai épousé une autre fille mais
nous n'avons pas fêté. Ma femme et moi cultivons, mais nos champs restent
embroussaillés parce que nous sommes seuls.

Avant le génocide, j'allais chaque dimanche à la messe avec mon
père qui était évangéliste. Les gens me donner leurs enfants pour être leur
parrain le jour de leur baptême. Mais maintenant , je ne peux pas
retourner à l'église. Je suis allé une seule fois après le génocide. Je suis
sorti après dix minutes parce que j'ai été tellement troublé. Au lieu de prier
j'ai pensé aux membres de ma famille et d'autres Tutsi qui étaient dans
l'église et qu'on a tués. Lorsque je vois une église, je me souviens du sang
qui coulait au moment des massacres et des cris des enfants et des femmes
qui étaient tués. Je préfère prier à la maison au lieu de retourner l'église.
La femme de Bertin Rwandanga, Thiphonie Mukandatsikira, ses
quatre filles et son fils ont été tués à cyahinda, le 14 avril.
Avant le génocide, j'étais entouré de mes enfants, ma femme et
d'autres membres de ma famille. Quand j'étais malade tout le monde
s'occupait de moi. Maintenant, je peux passer même une semaine au lit
étant malade sans que quelqu'un me dise simplement bonjour. Je me
demande toujours ce que j'attends pour mourir. Je ne mange plus et je
trouve plus de sommeil. Je suis devenu fou; je pense toujours à mes enfants
et à ma femme. Biniga est la cause d tous les problèmes que j'ai
maintenant. Il m'a fait souffrir depuis le jour où il est entré dans notre
commune. Je suis toujours chrétiens parce que je ne peux pas abandonner
Dieu. Mais je ne trouve pas la force d'aller à l'église.
Rien ne peut effacer les images qui continueront à hanter les
survivants du génocide pour le restant de leur vie. Leur douleur est si
grande et si profonde . Ils ne peuvent pas non plus, être dédommagés de
leur pertes ou de ce qu'ils ont enduré en 1994. La justice, nécessaire comme
instrument de survie morale, est peut-être la mesure la plus significative
que le monde extérieur puisse prendre pour les aider à se remettre. Dans le
cas de ces survivants, la quête de justice doit, nécessairement et en tout
premier lieu se concentrer sur Damien Biniga.
Convaincu qu'aucun châtiment n'est suffisant vu l'énormité des
crimes commis par Biniga, Cassien Kajeguhakwa confie le sort Biniga aux
main de Dieu.

"La méchanceté de Biniga n'avait pas de limites territoriales. Si Dieu
est juste, il punira Biniga de façon exemplaire. Il a embrasé toute la
sous-préfecture de Munini".

Cependant, de nombreux autres survivants voudraient vivre assez
longtemps pour le voir juger par un tribunal pénal. Nous ne savons pas où il
se trouve. Mais où qu'il puisse être, il n'est pas hors d'atteinte du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (TPIR). François Murima a assuré
"qu'il aimerait voir Biniga puni". Augustin Kasire a conclu son témoignage
par ces mots: "Je suis prêt à aller n'importe où dans le monde pour
m'assurer que Biniga soit inculpé. Ce qu'il a fait est impensable".
L'engagement de Biniga pour le génocide "n'a pas connu de frontières". Il
doit en être de même pour la détermination à le voir répondre de ses
crimes. Des centaines de survivants, à Gikongoro et à Butare, sont prêts à
aider le TPIR et à "aller n'importe où dans le monde" pour veiller à ce que
Damien Biniga n'échappe pas à la justice.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024