Citation
(Paris, 10 mai 1994)
Afrique du Sud
Q - Nous allons tout de suite commencer par l'actualité internationale
avec l'événement du jour : l'accession à la Présidence de la
République sud-africaine, de Nelson Mandela. A l'Elysée, vous avez
vécu, ces cinq dernières années une formidable accélération de
l'histoire. Comment est-ce que vous avez vécu aujourd'hui ce qui
s'est passé à Prétoria ?
R - Les événements de Prétoria, c'est-à-dire d'Afrique du Sud, sont
parmi les plus importants, les plus symboliques de toute l'histoire
des rapports de colonisation et de décolonisation. C'est l'abandon par
tout un groupe d'hommes et de femmes, qui s'étaient habitués à
raisonner autrement, de toute idée de racisme et en tout cas de toute
mise en application d'un système raciste.
L'apartheid était abominable et il a fallu le courage et
l'intelligence de beaucoup de responsables mais surtout de deux
d'entre eux, le leader africain, noir, Nelson Mandela, et Frédérik de
Klerk, blanc, pour réussir une chose pratiquement insoupçonnable.
Je suis très heureux de penser que c'est dans cette maison, à l'Elysée
que, pour la première fois, Mandela et de Klerk se sont rencontrés à
déjeuner.
Je les avais invités, l'un et l'autre, pour contribuer à leur
rapprochement. Bien entendu, d'autres que moi, et surtout eux deux,
avaient fait l'essentiel. J'avais connu Mandela dès sa sortie de
prison - il y est resté quelque 27 ans - et il est souvent venu me
voir. Nous avons souvent eu des relations téléphoniques.
J'ai beaucoup estimé et apprécié de Klerk et c'est pour moi un jour de
grande joie. Voilà.... Nous vivons suffisamment de choses
douloureuses.
Q - Justement !...
R - Voilà un espoir au Proche-Orient, timide, fragile, mais quand même
un espoir, et en Afrique du Sud, cette réussite ...
Q - Alors il y a cette promesse de vie meilleure qui tient du miracle
en Afrique du Sud et il y a en Afrique du Nord, beaucoup plus au
Nord....
R - ...cela tient à la volonté de deux hommes, à leur clarté d'esprit et à leur courage
moral. Ce n'est pas un miracle, cela !
Algérie
Q - .. et il y a la menace d'un retour à l'obscurantisme en Afrique du Nord, une menace
qui coûte cher aux ressortissants français. Deux religieux français ont été tués dimanche. Que
peut faire la France ? Que doit faire la France pour protéger les ressortissants français ?
Demandez-vous à tous les Français qui vivent en Algérie de revenir en France ?
R - C'est ce qui a été fait. Cela leur a été recommandé et on ne peut que le
recommander ! Je pense que tous les Français qui vivent en Algérie ont été informés que nous
désirions, le gouvernement et moi-même, que, pour sauver leur vie, ils rentrent en France.
Je pense que si vous voulez que je sois clair, c'est cela !
Q - Et face à la montée de l'intolérance, un certain nombre de gens craignent une
arrivée massive de réfugiés en France. Que doit faire le pays dans ces circonstances ?
R - Tout dépend du résultat de la lutte qui se déroule actuellement en Algérie. Il est très
difficile à un Français de s'exprimer là-dessus, sans prendre d'extrêmes précautions
psychologiques. Nous avons une connaissance particulière de l'Algérie, nous avons été quand
même le pays considéré comme colonisateur, disons colonial... on peut apprécier diversement !
La France a été utile à l'Algérie mais les Algériens n'aiment pas qu'on le dise et que nous
prenions un ton paternaliste pour prendre des positions dans un sens ou dans l'autre.
Q - Le gouvernement actuel souhaite des élections. Si ces élections aboutissent à une
victoire des islamistes, ne redoutez-vous pas l'avènement d'une République islamiste tout près
de la France ?
R - Le peuple algérien fera ce qu'il entendra faire. On ne peut pas être démocrate, ici, et
contester à un peuple, là-bas, le soin de décider lui-même de son destin. Bien entendu, on peut
souhaiter qu'il soit davantage éclairé, que la crise économique qui frappe ce peuple algérien,
comme beaucoup d'autres, ne vienne pas déformer son jugement, qu'il n'y ait pas seulement
une sorte de réaction de refus à l'égard de ceux qui gouvernent pour donner leurs suffrages à
d'autres qui promettent un type de société qui, à mes yeux en tout cas, n'est pas une société de
progrès.
Q - On peut dire que 32 ans après la fin de la guerre d'Algérie, ce pays est à la dérive.
R - Dérive, c'est beaucoup dire... Enfin, il y a une guerre civile. C'est une conclusion
dramatique, que j'espère provisoire. Ce pays a besoin de trouver ses mots d'ordre, de retrouver
ses vérités essentielles.
Je ne pense pas personnellement, puisque vous me demandez mon avis, que ce soit par
l'intégrisme religieux. Que l'on ait une foi, qu'on la pratique, qu'on la respecte, qu'on désire la faire connaître, la faire comprendre par les autres, c'est normal, mais par la violence et par la mort, non!
Ex-Yougoslavie - Bosnie - détention des membres de Première
Urgence - relance du processus de négociation
Q - Violence et mort, dites-vous. Violence et mort en Bosnie. Il y a actuellement 11
Français, 11 bénévoles d'une association humanitaire française, Première Urgence, qui sont
détenus par les Serbes. A votre avis, Monsieur le Président, ils sont prisonniers ou otages ?
R - On peut employer les mots que l'on voudra. Ils sont prisonniers et ils ont valeur
d'otages, c'est-à-dire qu'ils peuvent servir pour ceux qui les détiennent de monnaie d'échange,
contre telle ou telle concession politique, de monnaie d'échange contre telle ou telle
concession militaire.
Q - Et la France n'a pas les moyens de taper du poing sur la table ?
R - Taper du poing sur la table, cela veut dire quoi, ce qui est difficile, dans un pays peu
connu, qui dispose de beaucoup de défenses naturelles, de reliefs, découvrir ces otages ou ces
prisonniers - ils sont l'un et l'autre - et les délivrer ?
Si cela devait être envisagé, je ne vous dirai pas qu'on va le faire. Mais je pense que ce
ne serait pas la bonne méthode, on prendrait des risques énormes pour leur vie et je pense que
la négociation reste possible.
Le coup de poing sur la table, je ne pense pas que ce soit la solution, je pense que la
négociation doit primer.
Q - Cette prise d'otages est révélatrice de l'attitude des Serbes. Le ministre français des
Affaires étrangères Alain Juppé, était dimanche assez pessimiste. Si une solution
diplomatique n'aboutissait pas, peut-être faudrait-il envisager le retrait des casques bleus
français ?
R - Monsieur Juppé, avec qui j'ai naturellement beaucoup parlé de ces problèmes,
s'adressait surtout à l'ensemble des pays qui peuvent dire leur mot et agir sur la situation en
Bosnie, c'est-à-dire les Américains, les Russes et l'ensemble des pays qui composent l'Union
européenne. C'est à eux qu'il s'adressait.
Il y a eu des négociations partielles. Les Européens sont arrivés à un résultat qu'on
pouvait croire suffisant, il y a quelques mois. Cela a échoué. Mais les Américains n'étaient pas
exactement dans ce débat et quand les Américains s'en sont mêlés, ce sont les Russes qui n'y
étaient pas. Vous savez que les intérêts sont divergents, que les traditions, les alliances
d'autrefois jouent, si bien qu'on n'a jamais encore vraiment réussi à réunir les trois parties
intéressées, extérieures, au débat global.
Q - Réussira-t-on un jour ?
R - Les Russes, les Américains, l'Union européenne : c'est le projet français, en
particulier, de réunir une conférence internationale avec ces trois grandes puissances, sous
l'égide des Nations unies, avec naturellement les belligérants.
Les Russes et les Américains s'étaient entendus pour en discuter dans un mois -
remarquez qu'il y a déjà quinze jours de cela - et nous, Français, nous avons aussitôt dit
(M. Juppé a été notre porte-parole, puisqu'il est ministre des Affaires étrangères) : il faut aller
plus vite. Moi, je me souviens avoir dit : il faut que ce soit dans huit jours... ces huit jours sont dépassés. Autant de temps perdu pour le retour à la paix et pour épargner de nouvelles
victimes.
Or, nous - la France - nous voulons absolument aboutir à ce que cette négociation ait
lieu, car seule une négociation parviendra à rétablir dans ce pays la concorde nécessaire.
Pardonnez-moi si je suis un peu long, mais le sujet s'y prête. Si en effet nos propres
partenaires américains, européens et même russes s'y refusent, cela veut dire qu'ils ne peuvent
pas donner aux Nations unies les moyens de sa mission.
La France est au premier rang des soldats des Nations unies, et de loin. Nous avons là-
bas près de 10 000 hommes. Alors, si vraiment ils ne veulent pas, nous devons pouvoir leur
dire : ``Eh bien, nous n'accepterons pas de risquer la vie de nos soldats pour rien.''
Q - Plus globalement, on a le sentiment que l'ONU, l'OTAN, l'Occident globalement, a
toujours un certain décalage par rapport aux événements et qu'au fond les Serbes bosniaques
vont arriver à ce qu'ils souhaitaient, c'est-à-dire à un vrai découpage ethnique du pays.
R - On peut le craindre, on ne peut pas dire que vous ayez tort. Mais
il faut regarder quelle était la carte de ce que j'appellerai les
différentes ethnies, croate, serbe et (ce n'est pas une ethnie) la
communauté musulmane en Bosnie. L'on voit les Serbes, qui sont surtout
des paysans, des gens de la campagne, comme les Croates, de leur côté,
qui occupaient la plus grande partie du terrain alors que les
Musulmans étaient concentrés dans les villes.
Donc, ce qu'on appelle le découpage ethnique, en l'occurrence, serait
tout à fait désastreux, on ne peut pas reconnaître un principe de ce
genre, mais la réalité locale fait que l'on doit tenir compte que les
villes et les campagnes ne sont pas habitées par les mêmes groupes
d'hommes.
Q - Mais les Serbes sont très largement au-delà...
R - On ne peut pas non plus s'en tenir à une Bosnie musulmane dans laquelle chacune
des villes serait séparée de sa voisine, avec des territoires qui seraient entre ces villes, hostiles, en état de guerre latente.
Donc, il faut bien que les négociateurs découpent sur le terrain des régions dans
lesquelles soit les Bosniaques musulmans, soit les Bosniaques serbes, soit les Bosniaques
croates, disposent d'une majorité. C'est ce qu'ont fait les négociateurs, et ils ont bien fait, mais ils n'y sont pas arrivés parce qu'il faut le consentement des intéressés et, jusqu'ici, nous n'y sommes pas parvenus.
Irak
Q - Monsieur le Président, la communauté internationale est
parvenue à arrêter l'invasion du Koweït par l'Irak, opération
spectaculaire réussie. La communauté internationale, dans un premier
temps, est intervenue de manière efficace en Somalie. Pourquoi
n'a-t-elle pas réussi à éviter ces massacres terribles qui se sont
déroulés récemment au Rwanda ?
R - Ah ! Le Rwanda, maintenant...
La situation n'est pas la même. Pour l'Irak, je ne voudrais pas faire
un discours...
Q - Non, non, la question porte sur le Rwanda. C'est un rappel...
R - ...Je comprends, mais le fait que vous ayez dit « Irak » fait que
tous ceux qui nous écoutent pensent qu'en effet il y a eu une guerre
rapide et que l'Irak a dû céder ; il résiste encore aujourd'hui, mais
enfin il a dû céder. Il a été vaincu et le Koweït a été libéré. Donc,
on se dit : pourquoi ne pas faire la même chose ? C'est parce qu'il y
avait du pétrole là-bas, il n'y en a pas ici... Non ! Il ne faut
quand même pas être aussi simpliste.
En Irak, il y avait un homme, un dictateur, à la tête d'une forte
armée, dans un pays très nettement structuré, un pays d'ailleurs très
ancien et fort. Et, ayant dévoré le Koweit, l'Arabie Saoudite eût été
très menacée. Comment aurait résisté la Syrie ? Comment aurait résisté
la Jordanie ? Tout ce monde-là eût été dominé par l'Irak... Donc, à ce
moment-là, l'Irak devenait une puissance mitoyenne d'Israël... Voyez
tout ce que cela représentait d'électricité dans l'air, de
possibilités de conflits. Si nous avions été à l'époque où l'Union
Soviétique était encore solide, cela pouvait être une menace de guerre
généralisée.
Donc, il faut comprendre que des précautions aient été prises là-bas,
au Moyen-Orient, de la manière dont cela a été fait.
Rwanda
Pour le Rwanda, les choses sont différentes. Humainement parlant,
elles sont du même ordre ...
Q - On parle de 200 000 morts.
R - On parle de 200 000 morts.
Il s'agit, pour bien fixer les esprits, d'une ancienne colonie belge.
La Belgique y a fait d'excellentes choses et a gardé, comme pays
européen, une sorte, je ne dirai pas de tutelle, mais disons de
compagnonnage un peu préférentiel.
Mais la France, comme c'est un pays francophone, a été constamment
appelée au secours et nous y avons envoyé des soldats, à la fois pour
aider à sauvegarder nos compatriotes qui vivent au Rwanda et pour
sauvegarder en même temps les Belges et toutes les nationalités
européennes qui se trouvaient là et qui faisaient appel à nous. Mais
nous n'avons pas envoyé d'armée pour combattre. Nous ne sommes pas
destinés à faire la guerre partout, même lorsque c'est l'horreur qui
nous prend au visage. Nous n'avons pas le moyen de le faire et nos
soldats ne peuvent pas être les arbitres internationaux des passions
qui, aujourd'hui, bouleversent, déchirent tant et tant de pays.
Alors, nous restons à la disposition des Nations unies. Les Nations
unies, qui s'étaient emparées de ce problème, devant la violence des
combats, l'assassinat des deux Présidents du Rwanda et du Burundi et
les avancées du mouvement d'opposition, appuyé par un pays voisin,
l'Ouganda (tout cela à cause des affinités ethniques), les Nations
unies se sont retirées. Eh bien ! Nous n'avons pas à nous y
substituer, ce n'est pas notre rôle. Nous sommes à la disposition,
nous voulons bien être les bons soldats de la paix pour les Nations
unies mais il faut qu'on nous le demande, il faut que cela s'organise,
il faut qu'il y en ait d'autres à nos côtés.
Essais nucléaires
Q - Monsieur le Président, on le voit bien à travers ce tour du monde
rapide que nous venons de faire (mais l'émission dure une heure, on ne
peut pas ``faire plus long'', comme on dit), il y a encore des
désordres, il y a encore des peurs, il y a encore des menaces et, au
moment où on a cette perception de la peur ou du désordre, vous dites
il y a quelques jours : « La France ne reprendra pas les essais
nucléaires, ni aujourd'hui, ni demain »...
R - Non, non, attention, précisons bien. Il faut que les choses soient
très nettes.
Dans mon intervention de l'autre jour sur la dissuasion nucléaire de
la France, j'ai annoncé ma décision : celle d'interrompre les essais
nucléaires...
Q - Et de ne pas les reprendre tant que vous serez en place.
R - J'ai pris cette décision, je l'ai communiquée à M. Bush, qui à
l'époque était Président des Etats-Unis, à M. Major, qui était déjà
chef du gouvernement britannique, et à M. Eltsine, qui était chef de
l'Etat russe.
Ils m'ont dit : « Oui, nous allons cesser nous aussi, nous acceptons ce
qu'on appelle un moratoire, c'est-à-dire qu'on ne va pas faire des
expériences nucléaires pendant un certain temps. »
Au terme de ce délai, c'est M. Clinton à son tour qui m'écrit en me
disant : ``J'aimerais que l'on pût prolonger ce moratoire, qu'on pût
encore prolonger le moment où il n'y aura pas d'essais.'' Bien entendu,
j'ai aussitôt répondu oui, c'était tout à fait conforme à ma position.
Et une deuxième demande vient d'être faite récemment par M. Clinton
dans le même sens. Très bonne idée ! On s'achemine peu à peu vers la
cessation des expériences nucléaires.
Q - Vous avez ajouté : ``Après moi, on ne le fera pas''. Comment peut-on...
R - C'est pourquoi je disais : ``Précisons...'' Arrêter les expériences
nucléaires, c'est une décision. C'est la mienne, puisque cela relève
de ma fonction. Donc, tout le temps que je serai là, cette décision
sera appliquée, sauf si elle devait être modifiée parce qu'un de nos
partenaires aurait lui-même, manquant à sa parole, engagé des
expériences nucléaires et parce que nous ne voudrions pas,
naturellement, que notre appareil de défense dissuasive fût, en
quelque sorte, amoindri par rapport aux autres.
Mais en revanche, j'ai ajouté, pas du tout en plaisantant parce que ce
n'est pas un sujet sur lequel on peut plaisanter, mais enfin de façon
un peu plus personnelle, disons même peut- être un peu ironique,
devant les protestations que soulève ma décision (il y a des gens qui
voudraient tout le temps qu'on fasse du nucléaire, même quand on n'en
a pas besoin, qu'on fasse sauter des bombes un peu partout, comme
ça...), j'ai ajouté, et ceci était une prévision (d'abord une
décision, maintenant une prévision) : ``Si vous voulez m'en croire je
m'adressais à je ne sais qui .... à mes successeurs...''
Q - Vous n'aviez pas l'air ironique, vous aviez l'air assez ferme
quand vous l'avez dit.
R - Non, j'ai dit : ``C'est une prévision'', et j'ai dit : ``vous ne le
ferez pas non plus, car il s'agira de tant de questions politiques,
diplomatiques...'' Et puis il y a le fait que, dans le même moment où
l'on cherche à empêcher les autres pays, en dehors des cinq
détenteurs, d'avoir des armements nucléaires, l'on dise : ``on ne veut
pas de dissémination de l'arme nucléaire'', et qu'en même temps, nous,
on le fasse, c'est un langage qui n'est pas facile à tenir.
Je pense que c'est une bonne chose pour tous les peuples du monde que
de ne pas voir des expériences nucléaires, c'est-à-dire des explosions
qui peuvent être polluantes, se multiplier.
Q - Monsieur le Président, Edouard Balladur, le Premier ministre, a
exprimé un avis différent du vôtre ce matin. François Léotard a dit :
``Ces essais nucléaires sont nécessaires pour des raisons techniques'',
Alain Juppé a dit : ``C'est un point de désaccord majeur entre le
Président de la République et nous.'' Est-ce que ce point de désaccord
majeur peut nuire à la cohabitation jusqu'en 1995 ?
R - C'est un point de désaccord majeur.
J'ai informé le Premier ministre, le ministre de la Défense, le
ministre des Affaires étrangères de ma décision. J'ai dit : ``Il n'y
aura plus d'expériences nucléaires tant que je serai là.''
Bien entendu, le jour où je n'y serai plus, ceux qui me succéderont
seront totalement libres et maîtres de leurs décisions. J'ajoute -
prévision, hypothèse, diagnostic : cela m'étonnerait qu'ils le fassent
parce que les conditions seront trop difficiles.
Q - Est-ce que cela veut dire...
R - M. Balladur a dit quelque chose de vrai. Nous sommes en désaccord.
Mais, en l'occurrence, c'est le Président de la République qui décide.
J'ai usé de mon droit.
Q - Sur la défense, vous avez dit autre chose : si, à l'occasion du
débat au Parlement sur la loi de programmation militaire, un
amendement était introduit par des députés sur l'usage possible de la
force nucléaire à l'extérieur pour des conflits à l'étranger, vous en
appelleriez au peuple. De quelle façon ?
R - La décision de l'usage de la bombe atomique appartient au
Président de la République. D'abord, l'arme atomique est faite pour
qu'il n'y ait pas la guerre (c'est une arme dissuasive) et non pas
pour la gagner. Si l'on dispose d'une force réelle comme c'est le cas
de la France, on inspire tant de craintes en raison de la capacité de
destruction de la bombe atomique qu'on ne nous fera pas la guerre.
Cela, c'est la doctrine. Elle doit être absolument préservée. Puis,
une fois que l'on a dit cela, il faut être logique avec soi-même. On
ne doit pas pour autant surarmer, fabriquer des armes atomiques quand
on n'en a pas besoin et faire que tous les autres pays se lancent dans
une surenchère. Le monde finirait par sauter !
Q - L'appel au peuple, cela veut dire referendum ?
R - Cela veut dire que sur une question aussi grave, si le Parlement ou le gouvernement
se trouvaient en conflit avec moi, oui, je demanderais au peuple de trancher.
Union européenne - mise en œuvre du traité de
Maastricht
Q - En matière européenne, nous sommes maintenant à 8 mois d'une nouvelle Europe,
d'une Europe à 16. A 12, cela ne marche déjà pas très fort. Cela provoque en tout cas
beaucoup de crispations nationales. Est-ce qu'à 16 cela ne va pas être encore pire ?
R - Même à 2, à 3, à 4 ou à 5, tout est difficile Monsieur Poivre d'Arvor !
Q - Vous êtes bien d'accord pour dire que l'idée européenne est difficile, notamment
dans ce pays ?
R - Non, l'idée européenne est très forte et elle a triomphé dans 12 pays sur 12. C'est
déjà bien. Et, pourtant, rappelez-vous, on avait pu croire que le Danemark et la Grande-
Bretagne s'en iraient.
Q - Ici même, en France, Maastricht, c'était ric-rac !
R - Naturellement, et c'est pour cela que j'ai voulu un referendum ! Je savais qu'un
certain nombre de milieux intellectuels, d'affaires, d'industriels, et d'autres encore, de la
bourgeoisie informée, étaient pour l'Europe. Et si tout le monde croyait que, finalement, il y
avait 80 % de Français qui étaient pour l'Europe, dans la réalité, des intérêts gênés par la crise
économique attribuaient cette responsabilité à l'Europe. Il fallait donc que chacun donnât son
avis.
Donc, je savais que ce serait difficile. J'avais pronostiqué qu'il y aurait 52 % pour, il y
en a eu 51 %.
Q - On a l'impression que l'on va à reculons vers les élections européennes du 12 juin
en France.
R - Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
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