Citation
A l'occasion du tout récent voyage de notre Président de la République à
Kigali, la France et le Rwanda viennent de se réconcilier. C'est une bonne
nouvelle pour les deux pays.
Leurs relations étaient tendues depuis longtemps, et même carrément rompues
depuis novembre 2006. Cette rupture faisait suite aux mandats d'arrêt lancés
par le juge anti-terroriste français Bruguière contre neuf personnalités
rwandaises proches du Président Kagamé; le juge les soupçonnait d'avoir
commandité, en avril 1994, l'assassinat du Président rwandais de l'époque,
Juvénal Habyarimana, mort dans un attentat perpétré contre l'avion qui le
transportait en compagnie, notamment, de son homologue du Burundi.
Le Président Kagamé contestait formellement cette accusation et mettait en
cause, de son côté, les extrémistes hutus qui, par cet attentat, auraient donné
le signal du génocide qu'ils préparaient contre les tutsis. Une commission
d'enquête constituée à Kigali a établi et diffusé un rapport qui conclut en ce
sens et qui taxe aussi de complicité de génocide plusieurs personnalités
françaises dont Hubert Védrine, Edouard Balladur, Dominique de Villepin,
François Léotard, moi-même et plusieurs officiers de l'armée française. Sur ce
point, le rapport n'est évidemment qu'un tissu d'allégations mensongères. Mais
la technique du contre-feu est vieille comme le monde...
Je n'ai, pour ma part, aucun élément qui me permette de trancher entre les deux
thèses en présence sur l'attaque de l'avion des Présidents du Rwanda et du
Burundi. Je souhaite que la vérité soit faite un jour sur ces événements.
J'ai en revanche quelques convictions précises, voire quelques certitudes sur
la politique de la France au Rwanda d'avril 1993 à avril 1995, période où j'ai
été ministre des affaires étrangères du gouvernement Balladur.
Ce que je sais, c'est qu'à l'époque, loin de prendre parti pour un camp contre
l'autre, le gouvernement français a tout fait pour réconcilier le gouvernement
du Président Habyarimana, légalement élu, et le leader du Front Patriotique
Rwandais (FPR), le colonel Kagamé qui, de l'Ouganda où il se trouvait en exil,
se lançait dans la reconquête du territoire de son pays. C'est ce qu'on a
appelé le processus d'Arusha, du nom de la ville de Tanzanie où se déroulaient
les négociations. Ce processus, lancé dès 1992, a abouti en août 1993 à une
série d'accords qui actaient la réconciliation nationale, le départ des troupes
françaises présentes au Rwanda, la mise en place d'une force des Nations Unies,
la MINUAR, pour surveiller la bonne application de l'accord, et la création
d'un gouvernement de transition consacrant la réintégration des exilés tutsis.
Nous avons presque réussi à convaincre les parties de respecter cet accord. Nous avons retiré les forces françaises de l'opération Noroît qui étaient présentes sur le sol rwandais depuis octobre 1990 pour protéger les 600 ressortissants français du Rwanda (à l'exception de 24 coopérants militaires dans le cadre d'un détachement d'assistance technique). Une Assemblée nationale de transition s'est installée en mars 1994. Bref le processus de paix semblait bien engagé... jusqu'à l'attentat du 6 avril 1994 qui a évidemment ruiné les efforts de la diplomatie française.
Ce que je sais aussi, c'est que loin de se taire sur ce qui s'est alors passé
au Rwanda, le gouvernement français a, par ma voix, solennellement dénoncé le
génocide dont des centaines de milliers de Hutus [corrigé en Tutsis le 5 août
2011] étaient les victimes. Je l'ai
dit le 15 mai 1994 à l'issue de la réunion du Conseil des Ministres de l'Union
Européenne à Bruxelles, et de nouveau le 18 mai à l'Assemblée Nationale au
cours de la séance des questions d'actualité.
Ce que je sais, c'est que la communauté internationale a fait preuve d'une
passivité, voire d'un « aveuglement » scandaleux. Malgré ce qui se passait sur le
terrain et que l'on savait, malgré les appels de son Secrétaire général en
exercice, Boutros Boutros Ghali, qui réclamait l'envoi rapide de 5 000 Casques
bleus, le Conseil de Sécurité a été incapable de prendre la moindre décision...
sauf celle de ramener les effectifs de la MINUAR de 2548 à 270 hommes (21 avril
1994).
Devant la carence de la communauté internationale et les obstacles mis par
certaines grandes puissances aux demandes du Secrétaire général de l'ONU, la
France a été la seule à avoir un sursaut de courage. J'ai longuement expliqué,
à l'époque, l'initiative qui a abouti à l'opération Turquoise, c'est-à-dire à
l'envoi d'une force internationale, principalement constituée de militaires
français. Le gouvernement français a obtenu le feu vert du Conseil de Sécurité
par la délibération n° 929 en date du 22 juin 1994. Le Secrétaire d'Etat
américain, Warren Christopher, m'a fait personnellement part de son admiration
pour cette initiative de la France.
Ce que je sais enfin, c'est que l'opération Turquoise s'est exactement déroulée
dans les conditions fixées par la résolution des Nations Unies. Elle a permis
de sauver des centaines de milliers de vies. Je me souviens de l'accueil que
réservaient à nos soldats les réfugiés qui fuyaient les combats opposant le FPR
(Front Patriotique Rwandais du colonel Kagamé) et les FAR (Forces Armées
Rwandaises). Turquoise a également protégé des dizaines de sites de
regroupement de civils Tutsis et permis aux ONG d'accéder en toute sécurité à
ces populations. Son mandat n'était en aucune manière de faire la guerre, mais
de mener une opération humanitaire, nettement définie dans le temps et dans
l'espace. Elle l'a remplie dans des conditions qui font honneur à l'armée
française et à notre pays. Jusqu'à ce qu'enfin arrivent sur place les Casques
bleus de la MINUAR II, fin août 1994.
Tout cela, je l'ai déclaré en détail devant la mission parlementaire sur le
génocide du Rwanda qu'a présidée en 1998 M. Paul Quilès. On peut se référer à
ses conclusions, ou, si l'on cherche un texte plus synthétique, à l'article
que Paul Quilès a publié le 28 mars 2009 dans le Figaro, sous le titre « Rwanda:
cessons de diaboliser la France ».
Aujourd'hui, il est utile que la France et le Rwanda dissipent les malentendus
et se réconcilient. Il reste nécessaire que les coupables de cet abominable
génocide soient poursuivis, traduits en justice et châtiés, où qu'ils se
trouvent.
Mais il ne serait pas acceptable de ré-écrire une autre Histoire.