Fiche du document numéro 1657

Num
1657
Date
Mercredi 20 juillet 1994
Amj
Fichier
Taille
100208
Pages
2
Sur titre
BULLETIN
Titre
Amère « victoire » au Rwanda
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
TROIS mois et demi de guerre et de massacres s'achèvent au Rwanda, et
d'autres difficultés commencent. Aujourd'hui maître de l'ensemble du
pays, hormis la zone de sécurité créée au sud-ouest par les forces
françaises, le Front patriotique rwandais (FPR) se retrouve à la tête
d'un pays exsangue, qui continue de se vider de sa population, et dont
des centaines de milliers d'habitants, réfugiés au Zaïre, sont menacés
d'une catastrophe humanitaire.

La fuite de plus d'un million de Hutus hors des frontières est la pire
illustration des difficultés qui attendent le nouveau pouvoir. Comment
le FPR, qui a promis de réconcilier les Rwandais, pourra-t-il mener
cette tâche à bien, alors que les populations hutues ont fui devant sa
progression, victimes à la fois de la peur et de la propagande des
extrémistes de leur communauté ?

ETRANGE paradoxe : le FPR, qui avait plusieurs fois échoué dans sa
conquête du pouvoir à partir de l'Ouganda, entre 1990 et 1993, se
retrouve cette fois propulsé, en partie malgré lui, à la tête du pays.
Entraîné dans la guerre parce que la population tutsie qu'il représente
et les Hutus modérés étaient victimes d'un génocide, il hérite d'un
pouvoir qu'il aura du mal à exercer, sauf à utiliser la force : les
Tutsis, qui représentaient 15 % de la population, sont évidemment
beaucoup moins nombreux aujourd'hui, et les Hutus hormis les
intellectuels modérés ne lui accordent pas la moindre confiance.
Les nouveaux maîtres de Kigali, dont on sait peu de chose mais dont
l'attitude et notamment la volonté de ne pas aller à l'affrontement avec
les Français traduit une intelligence politique certaine, ont certes
fait un premier geste : deux Hutus le chef de l'Etat et le premier
ministre seront les plus hauts responsables officiels du pays. Nul doute
néanmoins que le FPR gardera l'essentiel du pouvoir.

DE leur côté, les auteurs du génocide sont en fuite. Le gouvernement
intérimaire héritier du pouvoir hutu, ainsi qu'une partie des forces
armées rwandaises ont passé la frontière zaïroise, et nombre de notables
locaux impliqués dans les massacres ont trouvé refuge dans des camps, où
ils vivent de l'aide internationale. Pour prix de leur triste besogne,
ils ont perdu un pouvoir qu'ils ne concevaient pas de partager avec les
Tutsis. Reste à les juger. En attendant, des centaines de milliers de
vie sont en danger, que les Français engagés dans l'opération « Turquoise » ne peuvent sauver seuls. Et une nouvelle menace pèse : le
spectre d'affrontements entre les réfugiés au Zaïre et la population
autochtone, dans une région pauvre et déjà surpeuplée.

La victoire du FPR acquise, les pays occidentaux ne devraient plus
continuer à tenir l'opération française dans la plus grande suspicion.
Certains d'entre eux commencent à verser une mince obole en faveur des
réfugiés. Reste à savoir si les terribles images diffusées par la
télévision sauront émouvoir les opinions publiques, comme elles
l'avaient fait à propos de la Somalie.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024