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C'est ce que l'on peut appeler une protection rapprochée. Mardi 5
juillet, les bérets noirs du 11e régiment d'artillerie de marine ont
installé à la hâte des mortiers dans le camp de réfugiés de Murambi. Les
tubes sont déployés à une centaine de mètres de la population civile,
relogée dans un collège en construction. Les militaires viennent
d'arriver et ils ignorent même le nom de la position qu'ils sont en
train d'occuper. La plupart des réfugiés n'ont qu'une journée de plus
d'ancienneté. Pour tout le monde, le camp est une nouvelle étape dans
une pérégrination qui ne semble pas vouloir s'arrêter.
A vol d'oiseau, le commandement français de Gikongoro est à 2
kilomètres. La première position tenue par le FPR se trouve, elle, à une
dizaine de kilomètres, à la hauteur du village de Simbi, sur l'axe
Butaré-Gikongoro, selon le colonel Rozier qui commande le détachement
français. Le camp est un chantier d'école abandonné. Les salles de
classe font office de dortoir. Les femmes réchauffent un vague liquide
entre des rouleaux de fils d'acier. Les militaires ont enrôlé des gens
pour construire leur enclos. Le 2e régiment parachutiste d'infanterie de
marine, venu de la Réunion, est chargé de s'occuper des réfugiés et de
distribuer les biscuits de l'armée.
``Des machettes en pagaille !''
Les militaires ont enregistré les occupants. Ils sont, mardi, cinq cent
cinquante Hutus et Tutsis mélés. Les parachutistes ont dû intervenir
pour organiser la cohabitation et attribuer deux ailes différentes du
bâtiment aux communautés. « Ils ont peur, raconte un officier. Ils
n'osent pas parler entre eux et viennent nous voir discrètement. » Une
femme a signalé la présence de machettes sous les matelas d'un groupe de
Hutus. « Il y en avait en pagaille, dit le militaire. Une dizaine. On
les a saisies, avec menace d'expulsion si cela se reproduisait. »Trois
miliciens présumés, non inscrits dans le camp, ont également été arrêtés
et remis à la gendarmerie rwandaise après avoir été dénoncés par des
habitants. « Une zone de sécurité..., se désespère un Tutsi. Mais si le
FPR décide d'attaquer, nous, on ne peut même pas marcher 50 mètres sans
être menacés. »
Chacun est en perpétuelle recherche d'une vraie zone de tranquillité. Du
côté des officiers français, on reconnaît que la situation est
« délicate » et que, dans l'attente de décisions politiques, la « zone
humanitaire sûre » est « un concept dont les modalités d'exécution
restent à préciser ». « C'est une idée qui n'est venue qu'il y a deux
jours », indique le colonel Rozier. D'après lui, la neutralité de la
France n'est pas remise en cause par la présence d'une partie de l'armée
rwandaise sous bouclier français, une présence qui ne saurait trop
durer. « Il n'est pas question d'alimenter une force susceptible de
poursuivre la guerre », assure le colonel. Mais il ne revient pas aux
Français de désarmer qui que ce soit, estime-t-il, et on ne peut pas
empêcher non plus les militaires rwandais de venir s'agglutiner aux
postes avancés français : « Ils sont chez eux. » Les réfugiés de Murambi
regardent avec inquiétude l'installation des Jeeps et des mortiers,
otages d'un conflit qui les poursuit où qu'ils soient.
« On est vraiment à bout ! »
Il y a là un groupe de Tutsis cachés dans la paroisse de Ngoma, près de
Butaré, évacuée dimanche par les Français. « Ils nous avaient dit qu'on
passerait seulement une nuit ici et qu'on partirait ensuite vers Bukavu,
au Zaïre », explique, déçu, François Karuretwa, trente ans, professeur
de mathématiques au petit séminaire. Sa femme et un bébé de trois mois
ont été tués le 3 juin. Leur autre enfant, un an, a été considéré comme
orphelin et emmené par les Français vers le Burundi. « Après trois mois
de cache, on est vraiment à bout. On a fui les gens de l'armée et leur
milice et on les retrouve ici. Ils ont fui eux aussi, c'est dramatique. »
Le professeur tutsi dit que, même si le FPR gagne, « c'est toute la
société qui est blessée ». Un prêtre aurait lui aussi préféré être
emmené jusqu'au Zaïre, mais Kinshasa entend limiter l'afflux de réfugiés
et les Français sont conscients de la menace de déstabilisation qui pèse
sur les pays riverains.
Il y a aussi Françoise Kagoyire, hutue, dont le mari, journaliste tutsi,
a été tué le 9 avril à Kigali. Au long de son voyage, on lui a confié
des orphelins tutsis, et dimanche, elle a sauté dans le premier camion
français qui passait avec neuf enfants, dont elle ne sait plus que faire
aujourd'hui. Elle demande où est la Croix-Rouge. Mais il n'y a aucune
organisation humanitaire à l'horizon.
Il y a encore quatorze étudiants dont plusieurs Tutsis en quatrième
année de sciences médicales à Kigali, qui étaient le 6 avril en stage à
Kigeme, près de Gikongoro. Ils lisent la Bible à même le ciment, sans
plus savoir quoi faire. « Quelle famille allons-nous rejoindre » ? Eux
aussi voulaient partir vers l'Ouest. « On a peur du FPR », dit Jules
Birakwiye, dix-neuf ans. Nous ne connaissons pas leurs idées, nous ne
les avons jamais contactés. « Enfin, il y a des Hutus modérés de Butaré
: un vétérinaire, qui a caché les deux épouses tutsies de collègues de
son institut ; un juriste ; un ancien ambassadeur qui s'est inscrit dans
le camp et qui vit dans une famille amie. » « Ici, c'est l'impasse »,
disent-ils. Ces Hutus modérés craignent les représailles. Ils ont écrit
un texte où ils demandent au FPR de ne pas « imputer injustement à la
population les mauvaises décisions politiques prises en son nom par les
forces de la réaction ». Il y a à Murambi des réfugiés protégés, mais
terrorisés, qui n'aimeraient rien tant que quitter la « zone de sécurité »
mise en place pour les rassurer.