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En 1994, vous aviez 33 ans, vous étiez un jeune professeur agrégé d’histoire dans le secondaire, spécialiste de l’affaire Dreyfus1. Comment, en tant que jeune enseignant, avez-vous vécu ou ressenti le génocide des Tutsi du Rwanda ? Est-ce que vous diriez que vous êtes passé « à côté », comme un certain nombre de personnes à l’époque, ou bien aviez-vous bien pris conscience, dès cette époque, de la singularité et de l’ampleur de cet événement ?
Il est certain que la nature de l’événement du génocide des Tutsi m’a échappé. Mais je dirais qu’en 1994 je travaillais quand même, déjà, sur des éléments qui, je pense, m’ont permis, 27 ans plus tard, de pouvoir mener des travaux de recherche sur la France face au génocide des Tutsi.
Je m’explique. Je poursuivais depuis 1989 une thèse sur l’affaire Dreyfus, plus précisément sur l’engagement des savants dans l’affaire Dreyfus. À l’époque, j’ignorais, par exemple, les engagements de Jean-Pierre Chrétien, un historien mobilisé contre le processus génocidaire qu’il avait identifié au Rwanda. J’aurais pu tout à fait réaliser la même recherche sur l’engagement des savants face au génocide des Tutsi. Je menais cette thèse sur les intellectuels d’origine scientifique dans l’affaire Dreyfus parce que je me préoccupais de rassembler les savoirs nécessaires pour comprendre les déterminations des intellectuels démocratiques européens face au nazisme. Il s’agissait pour moi d’étudier les réseaux savants de l’anti-nazisme d’avant-guerre, notamment autour d’Élie Halévy et de Raymond Aron. Je venais du terrain de l’occupation nazie à laquelle j’avais consacré, à l’université Paris X Nanterre, un mémoire de maîtrise, puis un mémoire de DEA. Cela veut dire que je m’intéressais dès le milieu des années 1980 aux réponses que la pensée politique pouvait apporter face aux catastrophes du XXe siècle.
En 1994, je sortais aussi de deux années de coopération en Turquie en tant que lecteur dans les universités d’Istanbul. Je m’étais initié à l’histoire du génocide des Arméniens, précisément parce qu’il était impossible de l’étudier dans mes cours en raison du négationnisme d’État sévissant en Turquie. Je m’étais préparé. Donc forcément, j’ai approfondi le dossier des génocides et de la raison d’État. J’ai commencé à vraiment travailler sur le génocide des Tutsi dans le cadre de la Mission d’études en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse2. Une grande partie du rapport est consacrée au génocide des Tutsi, au négationnisme et au déni l’entourant encore à l’époque. Des digues ont cédé depuis. Pour revenir à votre question, donc, le génocide des Tutsi s’est progressivement imposé à moi, en tant que chercheur et professeur. Il n’y a pas d’événement qui ne relève à ce point de l’humanité et de ses responsabilités.
Et vous regardiez la télévision ? Avez-vous mesuré ce qui était en train de se passer quasiment en direct ?
J’ai un souvenir très précis : c’est, au fond, un inconfort de la réflexion provoqué par les images de flots de réfugiés filmés dans la zone Turquoise et ensuite au Zaïre, et l’affirmation d’un génocide, le 16 mai 1994, par Alain Juppé. C’était très compliqué de comprendre comment on pouvait voir des réfugiés vivants qui ne semblaient pas fuir des génocidaires, et ce constat de génocide. Il y avait une énigme, une confusion totale sur ce qui se passait au Rwanda. Ce qui était montré ne ressemblait pas aux scènes de génocides telles qu’on les connaissait pour le génocide des Arméniens et la Shoah. Un autre souvenir, plus ancien, personnel cette fois, explique aussi mon intérêt pour les génocides. En classe de terminale, en 1979, j’ai été primé au Concours national de la résistance et de la déportation pour l’académie de Paris, dans un lycée où notre professeure d’histoire, Simone Gros, était une ancienne assistante de Pierre Mendès France. En récompense, j’ai été invité à participer au pèlerinage annuel des anciens déportés et enfants de déportés, à Auschwitz entre autres, dans la Pologne communiste. Cette double expérience, en Pologne et en Turquie un peu plus tard, dans les années 1986-1988, a été très marquante pour moi. J’avais donc cette connaissance des génocides et de leur comparaison possible, et je pense que cela a joué dans la suite de mon parcours de chercheur.
Justement, dans quelle mesure votre cheminement intellectuel jusqu’à la création de la commission et vos travaux antérieurs (l’affaire Dreyfus, les archives, l’État, le génocide des Arméniens…) ont-ils nourri votre regard et votre pratique pour le travail de la commission ? Ou votre objectif était-il plutôt d’avoir un regard neuf et de ne pas réutiliser ce bagage intellectuel sur ces thématiques ?
Le rapport de la commission, dit « rapport Duclert », est une œuvre collective, le fruit d’un travail d’équipe3. Il est vrai que la commission tire son origine de la lettre de mission qui m’a été adressée personnellement par le Président Macron, à charge pour moi de la composer et de la mobiliser sur la recherche attendue4.
Vous l’avez suggéré, il y a tout de même un arrière-plan réflexif qui agit toujours. Mes recherches sur l’affaire Dreyfus ont été pertinentes pour le sujet parce que l’événement permet de comprendre ce qui se joue dans une société démocratique, les formes de dissidences, d’engagements contre la raison d’État, les tensions au sein d’un État républicain. Le travail sur l’histoire de l’État que j’ai mené avec Marc Olivier Baruch et d’autres chercheurs5, la connaissance des archives aussi, notamment au travers de mon expérience de professeur mis à disposition du musée de l’Histoire de France où s’élaboraient des ateliers d’archives pour les scolaires et les étudiants, m’ont également armé, je pense, pour ce défi qu’a représenté la Commission de 2019-2021.
Au sujet des archives, il existe une grande différence entre les consulter en salle de lecture et y accéder en direct là où elles sont conservées, dans les compactus des dépôts publics. On a retrouvé en partie cette satisfaction de l’accès direct aux archives au cours de notre travail au sein de la commission, dans des salles de lecture au plus près des dépôts, même si c’est vrai, nous n’avons pas pu physiquement nous y rendre, ce qui aurait été sans doute idéal. La raison en était qu’un carton d’archives sur le Rwanda peut côtoyer un carton sur les opérations en ex-Yougoslavie pour lesquelles nous n’étions pas mandatés. Les archivistes nous ont communiqué tout ce qu’on demandait. Et là, il n’y a eu aucune barrière : classifiés ou pas, on a pu regarder tous les documents identifiés et présents dans les centres d’archives. Pour les archives encore conservées par les services producteurs, l’expérience a été parfaitement concluante à la DGSE [Direction générale de la sécurité extérieure], moins pour les archives du DPSD [Direction de la protection et de la sécurité de la Défense] et celles du ministère de l’Intérieur – auxquelles, pour des raisons de délai probablement, nous n’avons pas pu accéder.
Ensuite, il y a eu mon travail sur le génocide des Arméniens. Ma thèse portait sur l’affaire Dreyfus et mon habilitation à diriger des recherches sur la France face au génocide des Arméniens. Il y a un lien : avant l’engagement en faveur du capitaine Dreyfus de la part de ceux qui vont devenir ces dreyfusards, quelques mois plus tôt donc, ces futurs dreyfusards se sont mobilisés pour défendre les Arméniens d’Anatolie et de Constantinople décimés dans les grands massacres de 1894-1896. Ceux-ci présentent des caractères génocidaires qui frappent les contemporains, même s’ils n’utilisent pas ce vocabulaire. On est vraiment dans un processus qui ne porte pas encore la fatalité d’arriver à une phase paroxysmique de destruction, aboutissant à la disparition complète de la minorité arménienne de l’Empire ottoman. Alors que le gouvernement de la République ne réagit pas à ces « grands massacres », des historiens, des écrivains, des intellectuels, des diplomates aussi, défient les gouvernements européens et s’engagent pour les Arméniens. En 2015, année de soutenance de mon HDR à l’université Paris 1 avec Christophe Charle comme garant, se déroule aussi un grand colloque international conçu par un Conseil scientifique créé pour l’occasion. Les travaux sur « Cent ans de recherche sur le génocide des Arméniens » débutent dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Ce colloque conduit directement à la création de la mission d’étude de 2016 à 2018 voulue par Najat Vallaud-Belkacem, avec son rapport remis le 4 décembre 2018 au Collège de France et publié par CNRS éditions6. De là, on aboutit à la Commission de recherche sur « la France, le Rwanda et le génocide des Tutsi », titre de l’édition en librairie du rapport publié chez Armand Colin7. On est loin du schéma complotiste d’un « inspecteur général » bombardé à la tête de la Commission Rwanda en mission spéciale pour étouffer la vérité. Ma présidence résulte de fortes logiques scientifiques retracées sommairement ici.
Ensuite, et c’est important, pour revenir à votre interrogation initiale, nous avons décidé, avec l’ensemble de l’équipe, de mettre en retrait nos spécialisations pour affronter le plus objectivement possible la masse d’archives. L’idée n’était pas de retrouver des choses que l’on connaissait par ailleurs mais de nous confronter aux archives. C’est vrai qu’il y a un côté un peu vertigineux dans cette démarche, parce qu’on s’immerge et qu’on ne sait pas si on va en sortir. On a ainsi manié des dizaines de milliers d’archives et pendant un certain temps, au fond, on ne voyait rien. Seulement une sorte d’action régulière de l’État confronté à une situation qui semblait échapper totalement aux décideurs politiques comme aux exécutants administratifs. Puis le brouillard s’est déchiré et on a compris qu’il existait une connaissance française du processus génocidaire en cours au Rwanda contre la minorité tutsi.
Il fallait vivre cette expérience, où l’on commence par être submergé sous le nombre des documents, la masse d’archives venant faire écran à la vérité. Pour comprendre ensuite que la solution réside en elles, ou plutôt dans le travail patient et méthodique pour les associer, les comprendre et découvrir alors, progressivement, des faits divergents qui émergent, des situations de conflits qui se renforcent et qui démontrent doublement quelle « France » était engagée au Rwanda, qui n’était pas « toute la France8 » comme l’écrit Jean-Pierre Chrétien, et quelles responsabilités ces autorités pouvaient avoir dans le processus menant au génocide des Tutsi. Nous ne sommes venus sur le dossier ni avec nos certitudes de spécialistes d’autres savoirs, ni avec des préjugés sur « la culpabilité » ou « l’innocence » de la France dans le génocide. C’était un exercice d’humilité, consistant à se déprendre de ce que l’on savait afin de ne pas biaiser notre lecture des archives. Nous nous sommes documentés, évidemment, sur le sujet. Mais l’objectif premier était de maîtriser la matière archivistique. C’était une chance de pouvoir y accéder avec des pouvoirs d’investigation forts, il ne fallait pas que la porte se referme sans avoir pénétré dans la forteresse des archives de l’État et du régalien, une occasion qui n’allait pas se reproduire et qui permettait de l’ouvrir à l’ensemble des chercheurs. Nous agissions en avant-garde, en mission de service public aussi. Le résultat a surpassé toutes nos attentes, deux trains de dérogation générale les 6 avril et 6 juillet 2021, 12 000 documents ouverts à la consultation de tous et, pour un certain nombre d’entre eux, intégralement déclassifiés, deux répertoires numériques réalisés par les archivistes, un état des sources archivistiques pour la recherche conçu par nos soins, une publication en ligne sur le site des Archives diplomatiques pour de nombreux documents rwandais.
Pour toutes ces raisons, j’ai accepté cette mission, entraînant la commission dont je remercie vivement les membres, combatifs jusqu’à la fin et obtenant le succès qu’on leur reconnaît aujourd’hui. J’en suis heureux et j’en suis fier pour eux. Dans ce contexte de mobilisation sur les archives, on a choisi de privilégier la critique archivistique (dans la « Note intermédiaire » du 7 avril 2020, dans l’« Exposé méthodologique » du 7 avril 2021) plutôt que la critique historiographique, tandis que la pratique des entretiens s’est limitée à interroger les anciens acteurs au regard des archives dont ils pouvaient disposer personnellement ou de l’éclairage qu’ils pouvaient apporter sur tel ou tel document retrouvé.
En résumé, le travail dans les archives est vite apparu gigantesque et, pour cette raison, la commission a été composée en deux étapes. Une première équipe, rendue publique le 5 avril 2019 en parallèle de la révélation de la lettre de mission, et une deuxième, élargie, annoncée le 16 octobre 2019 sur le site du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (onglet Rwanda). J’ai réalisé qu’il fallait plus de forces vives que les neuf membres initiaux pour assumer ce défi archivistique. Une fois la commission réunie dans sa formation plénière, le travail en archives a été conçu de manière très libérale. J’ai bien conscience que l’unité d’une équipe et sa solidité se construisent grâce à l’intelligence collective. Cependant, s’il y a quelque chose sur laquelle j’ai insisté, c’est qu’on était là devant un dossier d’histoire de l’État et de la République saisi à travers les archives produites, collectées, conservées. Pour les traiter en historien, il fallait bien comprendre quels étaient les règles institutionnelles, les procédures réglementaires, les principes constitutionnels. Essayer d’apprécier le fonctionnement d’un État et des pouvoirs politiques face à un sujet comme le Rwanda. Là, c’était peut-être la compétence historiographique la plus importante pour comprendre ces archives, compétence qui était bien représentée dans la commission.
Précisément, avec la Mission d’étude de 2016-2018, vous aviez une entrée d’abord par la comparaison. Ensuite, vous avez approfondi vos connaissances sur le génocide des Tutsi avec le travail de la commission. Au terme de ces deux processus, qu’est-ce qui ressort, selon vous : la singularité ou la comparabilité des génocides ? Où met-on le curseur ?
Le rapport portait sur le rôle et l’engagement de la France, durant la période pré-génocidaire et le génocide des Tutsi. Donc cela veut dire que nous avons observé le génocide au travers des sources françaises. Ça, c’est important de le rappeler. La critique habituelle est de dire : « On ne peut pas comprendre la responsabilité de la France si l’on ne considère que les sources françaises. » Pour moi, c’est une vue de l’esprit. Les séries diplomatiques françaises intègrent des documents ou des renseignements émanant de l’allié rwandais, des partenaires de la France, du Conseil de sécurité des Nations unies. Le rapport de la commission est attentif aux cadres régionaux, internationaux et mondiaux dans lesquels se développe la crise rwandaise et s’amplifie la politique de soutien inconditionnel de la France à un Rwanda pré-génocidaire. Pour s’en convaincre, il suffit d’interroger la version en ligne du rapport sur les occurrences Burundi, Ouganda, Zaïre, Tanzanie, Belgique, États-Unis, Nations unies, Conseil de sécurité, etc. : elles se montent à plusieurs centaines.
L’équipe de la commission s’est particulièrement intéressée à la préparation du génocide des Tutsi au Rwanda, ce qu’elle a défini comme un « processus génocidaire ». Un génocide s’explique et se définit par cette préparation, méthodique, continue et grandissante. Or la France est présente dès 1975 et massivement durant la phase d’aggravation accélérée du processus entre 1990 et 1993. Elle cautionne un régime qui, sur ses marges et en son centre, développe ce processus. La répétition de massacres le démontre, comme la persécution au quotidien des Tutsi, leur déshumanisation, la cruauté dont ils sont victimes. Ces aspects-là, on a pu les mesurer avec les sources françaises. Les massacres sont relatés, les descriptions montrent leur dimension organisée, ils ne sont en rien spontanés, etc.
Si nous avons pu conclure sur ces « responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le processus et pendant le génocide, c’est précisément parce que le processus est déjà le génocide. Pas seulement quand il y a la phase paroxysmique, donc à partir du 6 avril au soir, quand la France n’est plus présente. Elle va être présente à travers Amaryllis et Turquoise, mais l’implication de la France aux côtés du régime génocidaire est moins forte… Cette absence est l’argument classique pour expliquer que la France n’a rien à voir avec le génocide des Tutsi. Or le processus génocidaire se déroule au moment où la France est massivement présente, entre 1990 et 1993, et le soutien de la France au régime raciste, violent et corrompu du Président Habyarimana accélère le processus sans que les autorités françaises ne comprennent le piège dans lequel elles se mettent. Ce soutien inconditionnel au pouvoir d’Habyarimana, c’est même, je dirais, le principal accélérateur du processus génocidaire. La France avait pourtant les moyens de briser l’impunité dont s’entourait Habyarimana – profitant du soutien militaire français qu’il surexploitait à son profit.
Voilà ce qui est ressorti des archives françaises, en parallèle des alertes nombreuses sur le risque de génocide des Tutsi qui est exposé au moment même des événements. Et ce qui est très intéressant, c’est qu’on voit comment les agents de l’État, les chercheurs rattachés aux institutions publiques identifient eux-mêmes ce processus visant une « ethnie ». Ils l’ont analysé avec leurs mots, parfois en le qualifiant eux aussi de génocide. Ce sont des données qui, pour nous au sein de la commission, ont été vraiment importantes, car elles ont signifié qu’il n’y avait nul anachronisme dans notre démarche, aucun « biais rétrospectif », comme le proclament certains à l’encontre du rapport – probablement sans l’avoir lu. Les autorités françaises étaient clairement averties, par leurs différentes administrations, des menaces aggravées sur la minorité tutsi, sur son existence même dans la société et l’État rwandais.
Ces données précédant l’extermination paroxysmique d’avril-juillet 1994 nous ont permis de mieux comprendre le génocide des Tutsi. Il ne se réduit pas à cette phase paroxysmique, pas plus qu’il ne peut découler en totalité de l’attentat contre le Président Habyarimana. Un génocide ne s’enclenche pas seulement parce qu’un attentat est commis, il est planifié et préparé sur un temps plus long. La France s’intègre dans le mécanisme génocidaire parce qu’elle soutient le régime qui organise l’élimination de la minorité tutsi, sans que les autorités politiques françaises qui décident de cette politique au Rwanda ne réalisent cet engrenage. Les conclusions du rapport de la commission ont mentionné pour cela, au sujet des autorités politiques françaises, leurs « responsabilités intellectuelles », « cognitives », qui justifient le fait qu’elles soient « lourdes et accablantes ». Ces autorités françaises font le choix d’abandonner l’opposition rwandaise qui s’opposait à la dictature raciste et corrompue du Président Habyarimana et de son clan extrémiste. Non seulement, la possibilité qu’elle offrait au Rwanda de sortir du piège ethnique est détruite, mais l’opposition elle-même est condamnée comme les Tutsi auxquels elle est identifiée. Ses membres sont des « complices » de l’ennemi, des « traîtres » de la nation.
Ces mécanismes à l’origine du génocide des Tutsi décrivent un processus génocidaire que l’on identifie pour d’autres génocides. Bien sûr, il est indispensable de continuer à comprendre la phase paroxysmique d’avril-juin 1994, mais elle ne s’explique que par une phase de préparation méthodique, caractérisée par une grande détermination, même si avant que l’extermination totale ne se déclenche, ce processus peut être enrayé, combattu. Et particulièrement dans un contexte où il est identifié par différents acteurs de l’État en France – en vain puisqu’ils ne furent pas entendus.
L’étude que la commission, par son investigation des années 1990-1993, a été en mesure de réaliser sur le processus génocidaire approfondit donc la connaissance du génocide des Tutsi et des génocides du XXe siècle.
Puisqu’on est en train de parler de la comparabilité des génocides, on peut évoquer le Burundi voisin. Est-ce que le fait que ces deux pays soient si proches peut aider ou, au contraire, entraver la comparaison, dans une approche simultanée des processus génocidaires à l’œuvre dans les Grands Lacs ? Et faudrait-il, selon vous, examiner le rôle de la France au Burundi voisin concernant 1972 ?
De manière générale, je pense qu’aujourd’hui la preuve est faite qu’on peut mener des travaux de recherche historique sur des sujets qui impliquent les plus hautes autorités de l’État et les institutions les plus régaliennes sans que cela provoque un séisme. Finalement, les Armées, qui avaient le plus à redouter des conclusions d’un rapport, voire de l’irruption de chercheurs dans les archives classifiées, apparaissent dans le rapport comme les exécutants loyaux des ordres qu’on leur donne, agissant même avec une certaine réserve pouvant tendre vers une approche critique. Au fond, le professionnalisme des Armées sort plutôt grandi de ce dossier, en comparaison de nombreux diplomates, moins informés au final, plus soumis à la hiérarchie du Quai d’Orsay et aux enjeux de carrière.
De manière générale, il me semble indispensable, dans le pays qui est le nôtre, de pouvoir interroger l’attitude passée de la France, notamment sur ces questions liées aux génocides ou à des massacres très organisés et particulièrement effroyables, afin d’armer le présent avec des savoirs nouveaux. Parce qu’un pays ne peut pas vivre sans la vérité. Vous connaissez la formule de Jaurès après les grands massacres arméniens : « Nous en sommes venus au temps où l’humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné9. »
Je pense par ailleurs qu’il y a une pression particulière qui joue pour l’ouverture de ce type d’enquêtes historiennes, c’est l’existence d’une controverse. Là, il faut considérer le rôle qu’ont joué des actions militantes sur la question du Rwanda, du génocide des Tutsi, qui, pour des raisons stratégiques ou par conviction, ont parfois amplifié les faits, les analyses, mais ont fait perdurer des questions vives qui ont quand même contraint les pouvoirs publics à agir.
Pour poursuivre sur la question du Burundi, on a eu un certain nombre de documents sur le Rwanda en lien avec le Burundi dans le cadre du travail de la commission. Ce qu’on a observé, c’est bien sûr l’exploitation par le régime Habyarimana des crises du Burundi, notamment la dernière [à partir de 1993], avec la certitude qu’il y a une menace Tutsi qui implique d’accélérer le processus génocidaire. Et aussi l’exil de toute une série de Hutu extrémistes du Burundi vers le Sud du Rwanda, et des radios extrémistes. Donc là, le constat qui s’impose est que l’extrémisme hutu a une dimension internationale – enfin régionale plutôt –, Burundi, Rwanda, et aussi Zaïre. Et peut-être le troisième élément qui nous a intéressés : pourquoi le Burundi ne s’enflamme-t-il pas après le 6 avril ? Là, je pense qu’on en revient à des catégories claires et nécessaires des génocides. La phase paroxysmique se noue au moment où l’ensemble des pouvoirs d’État, des institutions régulières, de la société adhèrent à l’entreprise criminelle et se rangent derrière les fers de lance de la destruction du groupe cible – ici pour le Rwanda, les milices, les cadres de partis, une bonne part du clergé catholique et, graduellement, une majorité de « voisins ». Au Burundi, à ma connaissance, ce que nous avons constaté, c’est le fait que les institutions ne basculent pas dans la décision de destruction après les assassinats successifs des présidents Melchior Ndadaye [21 octobre 1993 à Bujumbura] et Cyprien Ntaryamira [6 avril 1994, dans l’attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana]. Cela signifie que les pouvoirs légaux, institutions publiques et acteurs politiques, ont un rôle décisif dans le déclenchement, ou non, de la phase paroxysmique parce qu’avec leur basculement dans le crime, c’est un signal lancé à tous, c’est l’impunité offerte à tous les criminels. C’est tout à fait exact pour le Rwanda, même si une petite partie des FAR [Forces armées rwandaises] décide de se tenir à l’écart du génocide des Tutsi sans toutefois tenter de l’arrêter. Cette composante ne joue pas un rôle de contre-pouvoir au sein de l’État, face à l’État criminel qui se destine, de manière quasi ontologique, à l’extermination de l’« ennemi intérieur », le Tutsi et ses complices hutu démocrates. En ce sens, la comparaison avec le Burundi est limpide et devrait être soulignée, parce que c’est aussi un enseignement à prendre en compte afin d’empêcher qu’un processus génocidaire ne bascule dans le génocide lui-même.
On en vient au mandat à l’origine de la commission, en 2019, qui définissait le périmètre archivistique de la commission de manière claire et large, en parlant de « l’ensemble des fonds d’archives françaises relatifs à la période pré-génocidaire et au génocide lui-même », et en même temps limité aux seules archives françaises. La note méthodologique qui accompagne le rapport revient sur ce périmètre, son ampleur et ses limites. Aujourd’hui, une fois ce mandat et le travail achevés, comment définiriez-vous un protocole de recherche et un éventail de sources pour écrire ou continuer à écrire cette histoire ?
Je pense qu’aujourd’hui, s’il fallait continuer sur l’histoire de la France au Rwanda, elle impliquerait deux élargissements. Un premier temporel : cette histoire de la France au Rwanda commence vraiment avec le coup d’État de 1973 qui installe au pouvoir Juvénal Habyarimana. S’ensuivent un rapprochement avec la France de Valéry Giscard d’Estaing, la signature d’un premier « accord particulier d’assistance militaire », toutefois limité à la formation de la gendarmerie rwandaise. Cela signifie que, pour éclairer l’action de François Mitterrand entre 1990 et 1994, il faut prendre en compte le fait que l’implication de la France est déjà très forte dès son premier mandat. La moitié de la commission s’est transformée en équipe de recherche et plusieurs de ses membres ont travaillé sur la France au Rwanda dans les années 1980. C’est très loin d’être anecdotique. Il y a des dossiers extrêmement intéressants et troublants, notamment le dossier des « vagabondes10 », qui témoigne du fait que les autorités françaises sont informées des dérives meurtrières du régime, dès 1982-1983, c’est-à-dire au moment où François Mitterrand fait son premier voyage à Kigali, suivi d’un second en 1984. Cela signifie que, lorsque l’intervention d’octobre 1990 se décide, elle s’effectue en connaissance de cause. Le second élargissement est spatial. Pour comprendre le mécanisme du génocide, il faut élargir aux Grands Lacs. C’est certain que les clefs, c’est aussi le Zaïre, c’est le rôle de Mobutu, c’est le Burundi et c’est l’Ouganda. L’Ouganda en particulier, à travers les rapports extrêmement complexes entre le FPR [Front patriotique rwandais] et le pouvoir de Museveni. Loin – et, du reste, on l’a déjà montré – de l’alliance qu’on a voulu voir entre le FPR et Museveni en usant de l’expression, très en cours à l’Élysée, mais doublement fausse, de mouvement [FPR] « ougando-tutsi ».
Parmi les sujets traités par le rapport, j’en vois un à approfondir en priorité. J’ai été frappé, dans ces années cruciales de 1991-1993, par l’essor de la démocratie au Rwanda, avec ses partis d’opposition, ses associations de défense des droits de l’homme, sa presse indépendante, accompagnant une fraction active de la société rwandaise de plus en plus méfiante vis-à-vis de l’apartheid anti-tutsi, une évolution sociale et culturelle mortelle pour l’extrémisme hutu. Une telle alternative menaçait l’engrenage racialiste, et la catastrophe aurait pu être évitée si la France avait soutenu l’opposition rwandaise plutôt que de favoriser sa perte, avec son éclatement entre démocrates et extrémistes se reconnaissant dans le Hutu Power. Quand la France se prévaut de la réussite des accords d’Arusha, ce n’est pas exact. Les signataires des accords d’Arusha sont abandonnés par la France, avant et pendant le génocide. Bruno Delaye et Jean-Marc de La Sablière, respectivement conseiller pour la cellule africaine à la présidence française et directeur des Affaires africaines et malgaches au Quai d’Orsay, exigent des partis d’opposition qu’ils se rangent derrière Habyarimana contre le FPR. La minorité tutsi attend beaucoup de l’opposition hutu, qui se raffermit grâce à elle. Les extrémistes le ressentent comme une insupportable provocation. Pour détruire cette fragile mais réelle démocratisation politique et sociale, l’arme du génocide s’impose plus que jamais, préparé au sein de l’État, des forces armées, dont la Garde présidentielle, au sein de l’ancien parti unique MRND [Mouvement révolutionnaire national pour le développement] et de sa filiale de la CDR [Coalition pour la défense de la République] et de leurs milices. Le même schéma a prévalu pour la minorité arménienne dans l’Empire ottoman, dont le rôle dans la démocratisation est insupportable pour les Jeunes-Turcs unionistes perfectionnant leur dictature racialiste.
Finalement, je pense qu’il y a trois éléments qui nous intéressent et qui ressortent du rapport. Si on continue de partir d’une perspective française : ce que la France et les autorités françaises savaient du processus génocidaire, puis du génocide à Kigali et dans la zone Turquoise. Comment les autorités françaises ont-elles agi face à cette connaissance ? Toute la question est de comprendre comment on exploite la connaissance, et comment on la rejette lorsqu’elle diverge des visions politiques et géopolitiques qui déréalisent le Rwanda. Une autre question émerge, parce qu’on a quand même souligné dans le chapitre 7 l’attitude d’un certain nombre d’acteurs lucides, courageux pour certains. Au fond, pourquoi cette France démocratique – on peut l’appeler comme ça – n’a pas pu s’imposer ? Elle n’a pas pu s’imposer parce qu’il y avait une volonté extrêmement ferme de la part des décideurs, notamment du président de la République. Et c’est ce qu’explique très bien Jean-Pierre Chrétien analysant le rapport pour la revue Esprit11 : le fait même qu’il y ait eu ces alertes répétées, qu’il y ait eu un certain nombre d’institutions conscientes des risques liés à la politique française au Rwanda, rend plus accablante encore l’attitude des autorités qui l’ont décidée et fait appliquer. Parmi ces institutions lançant des alertes, agit la DGSE. On a obtenu la libre communication de 400 notes classifiées de la centrale de renseignement sur le sujet. On constate que c’est une institution qui fonctionne. Pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Chrétien, il y a des « ressources » en France sur le sujet. Même la DRM [Direction du renseignement militaire], qui est souvent décriée dans le dossier rwandais, a produit des rapports inquiétants. Le SGDN [Secrétariat général de la Défense nationale dépendant de Matignon], la DAS [Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense], le CAP [Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères], également, à de multiples reprises. Pourquoi est-ce que ces institutions-là n’ont pas réussi à faire prévaloir la connaissance sur le Rwanda et les parties en présence dans la crise ? Le ministère de la Défense lui-même, Pierre Joxe et son cabinet, dont le directeur François Nicoullaud, son chargé de mission Jean-Pierre Filiu… Pourquoi n’ont-ils pas réussi, alors même qu’ils avaient tous ces éléments, à faire bouger ce pouvoir ? Est-ce parce que ce pouvoir français sur le Rwanda était extrêmement déterminé à s’imposer, pratiquait des méthodes autoritaires ? Le rapport de la commission apporte des réponses à ces questions cruciales.
Il faut peut-être préciser que le fait que notre commission n’a pas pu accéder, pour ces années 1990-1994, à toutes les archives qui ont été demandées, soit faute de temps, soit parce qu’elles n’existaient pas, soit parce qu’elles ont été interdites d’accès par l’Assemblée nationale, n’obère pas, de notre point de vue, les faits établis dans le rapport. L’idée qui consiste à dire que dans la mesure où la commission n’a pas vu toutes les archives, son rapport est forcément partiel et donc partial, selon le fameux jeu de mots qui a fait le bonheur de certains, ne tient pas. Avec la documentation d’État, on accède aux décisions, à l’exécution de ces décisions. On parvient à des faits démontrés par la documentation, accessibles à l’analyse, que je qualifierai de faits « acquis à l’histoire ». Une dernière réflexion enfin : la poursuite actuelle de la recherche que nous menons, comme bien d’autres chercheurs, en fait émerger de nouveaux qui s’agrègent à ceux établis par la commission, qui les consolident.
Justement, comment est-ce que vous envisagez cette question, qui est discutée, de la neutralité des archives, mais aussi du rôle des archives orales et des entretiens ? Est-ce que vous en avez quand même effectué de façon plus ou moins formelle ? N’est-il pas frustrant de se priver de ces matériaux, d’autant plus quand on travaille sur l’époque contemporaine ?
On a adopté collectivement une démarche qu’on pourrait qualifier de « méthodique », au sens de l’histoire méthodique, positiviste au bon sens du terme. Cela ne veut pas dire qu’on a fait une histoire archaïque. Mais il était indispensable de fonder nos analyses sur des faits méticuleusement établis par les archives auxquelles on avait accès. Le rapport est volumineux précisément parce qu’on a voulu documenter systématiquement, citer, montrer comment les choses s’opèrent vraiment, et démontrer, appuyer des analyses sur ces faits. Et plus les faits sont solidement établis, plus les analyses sont elles-mêmes solides et, en tout cas, peuvent se justifier. Il s’agit d’interprétations fondées, non spéculatives. La force du rapport était bien sûr d’être très exhaustif, de ne pas sélectionner. Et du reste, on a couvert quand même le spectre des institutions administratives et des pouvoirs politiques, le plus méthodiquement possible.
Pour l’objectif donné, l’information nous paraissait plus solide du côté des archives écrites. On a donc assez vite écarté la perspective d’entretiens systématiques. Parce que faire des entretiens, ça veut dire avoir la même politique d’exhaustivité. Or ça représente quand même, au minimum… – 200 à 300 acteurs à contacter, à entendre, vers lesquels il faut revenir une fois l’entretien transcrit, si l’on veut faire un travail méthodique. On était dans l’impossibilité de faire ça. Et dernier point, il faut être capable de recouper des informations provenant d’un entretien en s’appuyant sur des archives. Parce que c’est ça, en fait, un bon entretien. Les seuls entretiens qu’on a menés de manière un peu systématique, c’était toujours en relation avec les archives. Par exemple, les « notes personnelles » du jeune diplomate en fonction en 1991 en tant que « rédacteur Rwanda », chargé de suivre le pays depuis Paris, Antoine Anfré. On a été frappés par la qualité de l’information et la puissance d’analyse de ces rapports. Ils sont très intéressants parce qu’ils n’ont rien à voir avec ce que produisait à l’époque la Direction des affaires africaines et malgaches, laquelle était en ligne directe avec la cellule Afrique et l’état-major particulier de l’Élysée (comme l’attestent des archives retrouvées – mais non enregistrées sous bordereau). La commission reçoit Antoine Anfré pour comprendre le contexte, les circonstances de ces « notes personnelles » aussi énigmatiques que pertinentes pour le Rwanda. On découvre qu’Antoine Anfré a été encouragé par Paul Dijoud à écrire ces rapports personnels pour ensuite le marginaliser au sein de la DAM. Effectivement, Anfré va être « placardisé » et contraint de quitter la Direction des affaires africaines et malgaches. Et puis là, on se rend compte encore que Paul Dijoud – c’est dans le rapport – lui assène une évaluation extrêmement brutale, soulignant, pour résumer, que « Monsieur Anfré est peut-être un bon chercheur, mais un mauvais diplomate ». C’est très intéressant parce que ça veut dire qu’il y a contradiction entre la recherche et la diplomatie, et ça… ça interroge, quand même ! Antoine Anfré se défend et répond à cette évaluation-sanction.
Antoine Anfré a été formé à Kampala, auprès de Yannick Gérard qui s’est avéré être un remarquable ambassadeur qui a ensuite protesté contre la non-arrestation des génocidaires durant l’opération Turquoise. Bien sûr, on appelle Yannick Gérard. On lui demande s’il a des archives. Il n’en a pas. Antoine Anfré n’en avait pas non plus. Il a été extrêmement étonné et, je dirais, soulagé qu’on retrouve ses « notes personnelles » produites à la demande du directeur des Affaires africaines et malgaches. Et là, on avait mis la main sur quelque chose d’important. En tout cas, l’épilogue, c’est qu’aujourd’hui Antoine Anfré est le nouvel ambassadeur de France à Kigali…
On a également effectué des démarches visant à la réalisation d’entretiens avec des acteurs dont on estimait qu’ils avaient des archives. Et c’est là qu’on a découvert un fonds extrêmement intéressant qui nous a permis de comprendre comment l’état-major particulier du président de la République (EMP) intervenait au Rwanda comme un état-major opérationnel, alors qu’il n’en avait ni les capacités ni la légitimité. L’EMP a la charge de déployer pour le chef d’État/chef des Armées les moyens de sa décision en matière de dissuasion nucléaire. Sorti de cette fonction opérationnelle, il agit, et son chef en premier lieu, comme le conseiller militaire du président de la République. L’instance opérationnelle pour la décision politique est l’état-major des Armées (EMA) et son chef, le CEMA. Le fonds Galinié, du nom de l’attaché de défense au Rwanda de 1990-1991, en cours de versement à mon initiative au Service historique de la Défense, a démontré ce rôle irrégulier de l’EMP au Rwanda. Ce renversement très significatif de l’architecture des pouvoirs de la Ve République ne peut que souligner l’importance que l’Élysée, à tous les échelons, accordait au Rwanda et à la politique de soutien au Président Habyarimana. Le ministre de la Défense de 1990-1993 s’est opposé à cette dérive institutionnelle d’autant plus grave qu’elle favorisait, sur le terrain, les pouvoirs extrémistes, en particulier dans l’armée rwandaise. Pierre Joxe a perdu tous les arbitrages, ses propositions de retour à la régularité institutionnelle ont été balayées. Le rapport le démontre méthodiquement. Le fonds Colonel Galinié de la même manière, et directement depuis le Rwanda. Les entretiens menés avec l’ancien attaché de défense ont non seulement permis d’accéder à ses archives mais aussi d’approfondir leur exploitation.
Donc il y a une puissance de l’écrit, de ce qui réfère à l’écrit ?
Oui, je le pense. Parce que cela autorise à valider un certain nombre de propos issus d’entretiens. Cela permet de replacer la personne interviewée dans le contexte des faits qu’on analyse. Et puis en termes de précision chronologique, factuelle, c’est très important. Donc le lien de l’entretien avec des archives personnelles, c’est vraiment fondamental. On a eu une sorte de contre-exemple : Hubert Védrine a souhaité de manière insistante que la commission dans son ensemble puisse l’entendre indépendamment du sujet des archives sur lequel il ne nous a rien apporté de nouveau. Cependant, nous avions des objectifs connexes, notamment celui de créer un climat apaisé autour de la commission… On a accepté la demande. On lui a demandé s’il avait conservé des archives, et on l’a interrogé sur son action entre 1990 et 1994. Il a éludé la question des archives produites entre 1990 et 1994 au Secrétariat général de la Présidence. Ce fut une rencontre qui, d’un point de vue strictement scientifique – j’entends la connaissance de la période de référence et l’adéquation avec le sujet étudié –, ne nous a rien apporté. Mais Hubert Védrine en a été satisfait, je crois.
Comme cela est indiqué dans notre « exposé méthodologique », on a au final obtenu un certain nombre de fonds par le biais d’entretiens avec différents acteurs, au final des fonds d’archives très importants qui nous ont permis de compléter notre documentation. Dans le mandat de recherche qui nous mobilisait, on pouvait accepter de passer du temps avec des acteurs si, au bout du compte, on accédait à des archives, d’autant qu’avec elles, tout d’un coup, soudain, prend une matérialité, une exactitude beaucoup plus forte. On peut alors « authentifier » le témoignage.
Si on s’intéresse à la fabrique d’une commission, c’est assez complexe : choisir les membres, ça prête forcément à controverses, et au fond, peu de commissions y échappent. Vous vous êtes d’ailleurs déjà plusieurs fois exprimé sur la question du choix des membres de la commission. Mais est-ce que vous pourriez revenir sur ce moment : vous attendiez-vous aux critiques qui ont pu être formulées à l’encontre de cette composition ou avez-vous été étonné de l’ampleur que cela a pu prendre ?
Connaissant les milieux universitaires…, oui, je m’attendais à des difficultés. Mais en même temps, je conservais un espoir que les relations passées puissent permettre qu’une confiance entoure la commission et moi-même. Cela n’a pas été le cas. Voilà. Ce qui s’est passé ne m’a pas étonné. C’est vrai que, dans l’idéal, cette commission aurait pu être composée de spécialistes du génocide des Tutsi et de l’Afrique des Grands Lacs, et je comprends leur tristesse, source de colère contre la commission. Tout cela est derrière nous, moins peut-être les instrumentalisations du dossier pour m’affaiblir académiquement et proclamer alors, d’autant plus facilement, que cette commission était une opération politicienne.
Pour revenir sur la participation des spécialistes, très vite, j’ai constaté que cela serait extrêmement difficile parce que les sujets étant si sensibles, cette recherche et ces chercheurs se retrouvent dans des configurations publiques et affectives telles que les conditions pour un travail comme celui qu’on nous demandait n’étaient pas réunies. D’où le choix de ne pas inclure de spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs et du génocide des Tutsi dans la commission. Je pense que cette solution s’imposait et qu’elle a permis d’aboutir à ce rapport et à ces conclusions. Il y a eu au départ une brève tentative pour inclure des spécialistes de la région des Grands Lacs ou de l’Afrique subsaharienne. Et quels spécialistes ? En les incluant, on risquait d’importer dans la commission des passions, des déchirements que j’ai préféré laisser à l’extérieur. Le choix était de privilégier la compétence en matière d’archives publiques françaises, de maîtrise du fonctionnement de l’État, de connaissance des génocides. Les chercheurs et historiens de la commission sont restés unis et ont continué jusqu’à la fin. Et les quelques départs qui se sont produits, à l’initiative des intéressés, l’ont été parce qu’au fond cette méthodologie ne leur convenait peut-être pas. Cette méthodologie commune nous a en revanche permis de toujours faire comprendre notre démarche.
Comment percevez-vous l’impact du rapport sur la qualité des relations entre les parties prenantes de ce champ académique ? Est-ce que c’est un outil de pacification du champ ? Ou est-ce qu’il va contribuer au contraire à nourrir des antagonismes ensuite ?
Le champ académique parvient difficilement à s’extraire des antagonismes qui saturent l’espace public, sur la base de discours idéologiques systématiquement répétés, produisant des effets d’intimidation sur les chercheurs. Si, par exemple, sur la base d’archives méthodiquement exploitées, on constate que le FPR de 1990-1994 est un mouvement « politique » rwandais bien qu’opérant depuis l’Ouganda et combattant la dictature d’Habyarimana, alors on est soupçonnés d’accointances coupables avec le Paul Kagame d’aujourd’hui puisqu’on rejette la thèse de la « menace ougando-tutsi » au fondement de l’ennemisation du mouvement. Tous les chercheurs sérieux ont connu ce type de mise en cause, et la commission de recherche n’a pas été en reste. Qu’on cherche à nous dicter nos conclusions ou notre méthode nous a laissés indifférents. Beaucoup commentent le rapport sans l’avoir lu, simplement parce que les conclusions finales de ce travail « en commission » déplaisent.
Ceux qui ont pris la peine de le lire, tout ou partie, constatent le travail réalisé, la force de la démonstration et les garanties apportées par la méthode historienne.
Ce qui m’intéresse à cet égard, aujourd’hui, et l’entretien que vous sollicitez aujourd’hui en est une illustration, c’est l’impact du rapport sur les grands enjeux historiographiques, notamment en termes de connaissance des génocides, de réponses à des situations extrêmement conflictuelles, et de ce point de vue, il y a des avancées. Ce que je souhaite, c’est qu’on prenne au sérieux le travail qu’on a mené, qu’on se débarrasse d’une certaine forme de procès d’intention contre la commission pour revenir sur la méthodologie, sur les archives ouvertes, sur le processus génocidaire, sur la radicalisation, notamment des Forces armées rwandaises, de l’État rwandais, des partis extrémistes, d’institutions comme l’autodéfense, sous l’effet de structures clairement génocidaires et de la domination progressive de la propagande de haine. Il y a des éléments intéressants qui ne sont, de mon point de vue, pas exploités, et la première des choses, c’est de s’en saisir. Donc il faut laisser du temps, je pense, pour que le rapport soit approprié. De notre côté, l’équipe issue de la commission de recherche s’efforce d’en faire mieux connaître la méthodologie et de répondre au vœu lui-même du rapport : la poursuite de la recherche, comme l’a souhaité aussi le président Emmanuel Macron dans son discours de Kigali du 27 mai 2021. On souhaite profiter de ce qu’a été le travail de la commission et du rapport pour amener, finalement, les chercheurs à travailler ensemble. C’est dans ce sens que nous nous sommes attelés à l’organisation d’un colloque international sur le génocide des Tutsi à Kigali, avec nos collègues de l’université du Rwanda. Ce type de rencontre a aussi pour vertu de constituer des communautés humaines, pas seulement scientifiques, qui sont d’un prix inestimable.
Au-delà de la question des spécialistes du Rwanda, il y a aussi une question politique : qui vous a nommé, qui vous demande de faire quelque chose, et comment cela peut être éventuellement utilisé ? Vous avez quand même une lettre de mission, un cahier des charges qui vous a été confié. Donc comment réussit-on à écrire en commission tout en préservant les exigences de la discipline historique ? Au fond, comment peut-on écrire l’histoire avec un mandat, n’est-ce pas contradictoire ?
Je vais répondre pour le cas qui me concerne. Il n’y a eu aucun problème. Parce que ce n’est pas une commande politique, je suis désolé d’être amené à le redire. C’est une commande de recherche, à l’initiative de pouvoirs publics dans une démocratie, que ce soient le ministère de la Recherche, l’Agence nationale de la recherche, le Premier ministre, ou en l’occurrence pour ce qui nous concerne le président de la République… Des objectifs de production et de transmission du savoir sont fixés aux chercheurs, une pleine indépendance leur est garantie, l’exercice souverain de la méthode est requis. En cela, la commande est scientifique, et elle est permise par les pouvoirs publics. Mais ce n’est pas parce que la commande émane du politique que le travail scientifique demandé est politique. Emmanuel Macron et Paul Kagame voulaient avancer sur la base de faits nouveaux, non d’un point de vue mémoriel car on savait ce terrain miné, incandescent même, mais sur un plan historique et historien. C’est cela, l’intervention du politique, requérant des savoirs historiques compte tenu de l’impossibilité d’avancer sur le mémoriel. Sans cette base de la connaissance reconnue, le mémoriel tourne à vide et la diplomatie est vaine dans ce type de conflit à vif.
La lettre de mission du 5 avril 2019 est claire et elle n’appelle en rien à produire un rapport politique, un savoir dirigé. Elle seule a commandé le travail de la commission, dans laquelle ses membres se retrouvaient tous puisque, précisément, elle ne décrivait pas ni n’ordonnait une commande politique. Il me semble important de revenir à la lettre… de la lettre.
Mais quand on se fait confier une lettre de mission, on est bien obligé de considérer qu’il va y avoir une dimension politique, des tentatives éventuelles d’instrumentalisation, cela de la part du pouvoir comme de ses opposants, on ne peut pas l’écarter ?
C’est vrai. Mais simplement, dans la lettre de mission, le président Macron n’a pas écrit : « Ce rapport sera ensuite traduit politiquement. Je l’adopterai. » Non. Il donne les moyens pour faire une recherche au long cours, comme le CNRS alloue des moyens pour réaliser des programmes de recherche. La lettre de mission n’écarte pas, de plus, ce qui pourrait apparaître d’inacceptable dans l’association de la France et du génocide des Tutsi. Elle révèle en cela un certain courage politique. Elle est polysémique aussi, sur la question des archives publiques, sur la connaissance de la France au Rwanda, sur le renouvellement des causes du génocide… Du reste, nous avons lié les deux en écrivant : « l’engagement de la France au Rwanda est-il l’une des causes du génocide ? » On a travaillé la lettre de mission comme on travaillerait un programme de recherche. Donc pour moi, il n’y a pas d’instrumentalisation, pas d’opération politicienne dans laquelle on aurait été pris. Je suis désolé pour un certain nombre de nos collègues qui sont restés bloqués sur l’équation « démarche présidentielle, commande politique, opération politicienne ». La démarche était scientifique. Elle a été validée par les membres de la commission qui ont adopté la lettre de mission. De notre point de vue à tous, les treize qui ont conçu, rédigé et signé le rapport, c’est un juste et exigeant mandat de recherche.
L’histoire est un regard porté sur des documents par des historiens et des historiennes, et ces regards peuvent être différents. En cas de désaccords au sein d’un collectif, il faut chercher un consensus ou accepter des compromis. Or est-ce que cela n’a pas des conséquences sur l’interprétation, sur l’audace qu’on s’autorise dans ce travail d’interprétation ? Par ailleurs, dans ce processus de recherche de consensus ou de compromis, n’y a-t-il pas eu des effets d’autorité au sein de la commission ?
D’abord, peut-être que si l’on avait écrit, à la place de « rapport », « recherche remise au président de la République », on ne serait pas dans ce débat sur ce qu’est écrire l’histoire « en commission », une expression qui dit tout le préjugé s’attachant à cette expérience réussie de recherche. Je redis que les préoccupations scientifiques, l’expérience et les méthodes de recherche historiennes ont été celles qui nous ont accompagnées pendant ces deux années. Il n’y a jamais eu de tension avec le commanditaire présidentiel. Nos préoccupations étaient tout autres, face à des sources administratives et politiques parfois pléthoriques, parfois lacunaires, techniques aussi bien que réflexives, complexes en un mot, qu’il fallait maîtriser pour établir la matérialité des faits, arriver à leur compréhension, enfin établir la chaîne de décisions et, pour finir, les responsabilités.
Les conclusions n’ont appelé aucun compromis. On a remonté jusqu’à l’origine de la décision au Rwanda et aux représentations qui l’expliquaient, on a isolé alors des responsabilités politiques, c’est-à-dire le pouvoir présidentiel avec l’autorité qu’il détient sur la définition de la politique de la France au Rwanda comme sur l’exécution de cette politique. Notre conclusion sur les « responsabilités lourdes et accablantes » des autorités politiques françaises, elle s’est imposée. Tout simplement parce qu’elle découlait de la recherche exposée dans sept chapitres très documentés et analysés. Et là, il n’y a pas eu de compromis, simplement l’accord unanime des membres de la commission qui s’exprime. L’Élysée ne m’avait donné qu’une seule consigne : « On vous demande une seule chose, c’est que cela soit adopté à l’unanimité. » Il ne pouvait pas en être autrement.
Sur la rédaction du rapport, on a connu des séances également intenses, concernant son organisation, son plan, sur la façon de composer la narration des faits et l’exposé des analyses menant à l’énonciation des conclusions. Tout se tient. Sur le risque, tout à fait réel pour une recherche collective sur des sujets aussi sensibles, de dissoudre les désaccords d’interprétation en recherchant le plus petit dénominateur commun, eh bien, de manière inattendue, cela n’a pas été le cas. Si nos conclusions, sévères, ont fait l’unanimité au sein de la commission, elles s’expliquent par le travail commun d’élaboration, mené très loin, ensuite par les constats matériels, l’établissement des faits, la critique des sources.
Certes, un désaccord s’est noué un mois avant la remise du rapport, relatif au calendrier des dernières étapes. Comme indiqué dans le rapport, notre collègue Christian Vigouroux a décidé de quitter la commission un mois avant l’achèvement du rapport. Le désaccord a été acté, il ne s’en est suivi aucun drame. On remarquera qu’aucun autre chercheur n’a quitté la commission ensuite. Le rapport comme ses conclusions ont été conçus et adoptés à treize12, unanimement. Le dernier mois a ressemblé à un atelier d’écriture collective en continu, journée, soirée et parfois nuit. Toute la commission, je crois, en garde un souvenir très fort, marquant pour la vie, avec la conscience de la mission accomplie.
Ce n’est pas sans raison qu’au terme de la recherche, et une fois le rapport achevé, plusieurs d’entre nous ont ressenti une grande frustration de devoir s’arrêter ainsi. C’est pour cela qu’une équipe de recherche s’est reformée sur la base de forces vives de la commission, une moitié de ses membres qui a choisi de continuer, d’avancer en exploitant notamment toutes les archives désormais ouvertes à tous, en nous rapprochant d’autres chercheurs, tous ceux en particulier qui ont participé au colloque international de septembre 2022 au Rwanda, sur le modèle de celui de 2015 pour le génocide des Arméniens, cette fois pour le génocide perpétré contre les Tutsi.
Et comment se situe le rapport vis-à-vis des « savoirs spécialisés », dont on imagine bien qu’ils ont irrigué le travail de la commission ? Autrement dit, de quelle manière se situe le rapport dans un champ historiographique extrêmement clivé, pas seulement en France d’ailleurs ?
En fait, ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’on disposait de cette connaissance. On avait lu les bons auteurs, en particulier sur la racialisation, sur les processus de persécution, sur la déshumanisation… Et puis on retrouvait au Rwanda tout ce qu’on connaissait aussi de ces mécanismes dans d’autres contextes de génocide. C’est vrai qu’il nous a été reproché de ne pas citer et exploiter l’historiographie, mais comme je l’ai dit, c’était très compliqué, comme au moment de la composition de la commission. Citer telle ou telle historiographie, c’était tout de suite lever un drapeau : « Voilà le camp dans lequel on est. » Donc on a préféré s’en dégager, en acceptant d’être critiqué pour le manque d’analyse de la littérature secondaire. La priorité était de pouvoir tout reprendre du fond en mobilisant les sources archivistiques auxquelles nous avions accès. Elles permettaient à la fois d’établir la matérialité des faits, en tout cas de s’y approcher de près, et d’accumuler de très nombreuses données sur la connaissance qu’avaient les autorités françaises du Rwanda d’Habyarimana, de l’opposition intérieure et extérieure au Rwanda. L’historiographie insiste sur les impensés de ces représentations du pouvoir français, en repérant mieux ces rapports divergents qui attestaient une autre réalité au Rwanda et qui montraient la nécessité de penser le Rwanda en termes sociopolitiques, loin de l’erreur qu’était la vision interethnique systématique. Il y avait beaucoup d’informations divergentes, dissidentes, qui contestaient ces représentations qui dominaient à l’Élysée et au Quai d’Orsay.
À propos de ces représentations et de leurs conséquences, est-ce que la France intervient par routine interventionniste, sans bien connaître le pays et en anticipant mal les conséquences catastrophiques, en somme en s’engageant dans un pays sans bien mesurer l’engrenage génocidaire possible ? Ou à l’inverse, surinvestit-on la singularité rwandaise, pensant bien connaître le pays et maîtriser la situation, par une forme de péché d’orgueil, l’engagement français au Rwanda allant alors bien plus loin que dans les interventions habituelles sur le continent ? En lisant le rapport, on a l’impression que les deux logiques sont à l’œuvre, selon les périodes et les acteurs du dossier.
En fait, on retrouve les deux logiques. Il y a d’abord une coopération militaire régulière, classique. Certaines phases de l’opération Noroît, notamment quand elles sont commandées par l’attaché de défense, correspondent à ce qui se fait classiquement dans les pays du champ. Et puis, il y a une deuxième opération, une opération spéciale, qui est commandée directement par l’EMP [état-major particulier] et qui échappe aux contrôles du CEMA et du ministère de la Défense. Là, c’est le laboratoire d’une nouvelle politique africaine visant à maintenir des pays dans le giron de la France face à une supposée menace anglo-américaine, avec des forces spéciales et une chaîne de commandement qui remonte à l’Élysée. On a réussi à bien montrer ces schémas de communications entre l’Élysée et Bayonne [1er RPIMa, Régiment de parachutistes d’infanterie de marine], et le Rwanda. Il y a donc deux logiques à l’œuvre. Les notes du colonel Le Port de 1998 le montrent bien. Il y a des conflits très nets, par exemple entre le lieutenant-colonel Canovas, qui est placé auprès du chef d’état-major des FAR et qui reçoit ses ordres de l’Élysée via ce système de communication directe Élysée DAMI, et l’attaché de défense, Cussac, comme son prédécesseur, Galinié, qui tente de protéger la voie régulière. C’est pareil à la fin d’Amaryllis, avec l’arrivée d’un détachement du 1er RPIMa en liaison directe avec l’Élysée. Le commandant de l’opération a aussitôt mis fin à cette chaîne parallèle de communication.
Cette dualité sur le terrain comme au sommet explique qu’au début, pour la commission, ce fut compliqué de comprendre. Il était hors de question de plaquer des schémas même si, au final, certains d’entre eux se révèlent exacts. Nous avons tout repris depuis le début, un peu comme les magistrats de la Cour de cassation instruisant, entre 1903 et 1906, le dossier si complexe et hors limite des procès Dreyfus. C’est ainsi que nous avons réexaminé des archives précédemment consultées par la Mission d’information parlementaire (MIP) de 1998 portant sur les mêmes questions. Cette direction d’étude a été d’autant plus nécessaire qu’étonnamment l’Assemblée nationale, par la voix de son Bureau, a refusé à la commission de recherche l’accès au fonds Quilès (président de la MIP). Ces archives étaient pourtant expressément mentionnées dans la lettre de mission du président de la République. Certes, on le sait bien, l’exécutif est séparé du législatif, mais tout de même, on aurait pu s’attendre à une autre décision de la part du « temple de la démocratie » et à une motivation plus sérieuse. Aucune mesure de dérogation ne nous a été proposée et la communication de l’inventaire nous a été refusée.
On observe une diplomatie et une coopération habituelles pour un pays du « champ », et en même temps, émergent les traces d’une chaîne de commandement parallèle avec des comportements qui s’apparentent pour certains à des « pratiques d’officines », comme nous l’avons écrit. Le Rwanda est un objectif stratégique pour l’Élysée parce que c’est avec lui, plus exactement avec le régime Habyarimana, que peuvent se réaliser les prophéties du sommet de La Baule, qui plus est en position avancée dans la zone d’influence anglo-américaine, dans des pays où l’on parle anglais (Ouganda, Tanzanie…). Au début, c’est compliqué à comprendre, ces deux politiques. Petit à petit, on voit se dessiner cette chaîne de commandement parallèle, qui est documentée, y compris par l’état-major des Armées, par la Coopération militaire, par le ministère de la Défense. Une fois qu’on a compris cela, on repère le phénomène à d’autres reprises. Amaryllis, à certains égards, Turquoise au début, le révèlent : Édouard Balladur et François Léotard s’opposent à l’EMP, empêchent l’Élysée de prendre l’ascendant sur les opérations. Sur le terrain, les officiers agissent avec intelligence et s’extraient d’ordres ambivalents qui font peser sur leurs épaules des responsabilités considérables. Ce qui a favorisé ce terrain d’expériences très problématiques pour la démocratie républicaine, c’est aussi qu’il n’y a aucune expérience française du Rwanda, à la différence des anciennes colonies françaises que connaissent les acteurs. Jamais au Sénégal ou en Côte d’Ivoire on aurait pu établir une telle ligne de commandement parallèle. Au Rwanda, que personne ne connaît, c’est possible parce qu’il n’y a pas de contre-pouvoirs réels. Ceux-ci vont pourtant se constituer, comme le milieu des coopérants et des ressortissants qui s’alarment des violences extrêmes contre les opposants politiques et la minorité tutsi. La cheffe de la Coopération civile Thérèse Pujolle, pour le début des années 1980, comme son alter ego pour la Coopération militaire au début des années 1990, le colonel Galinié, s’efforcent malgré tout de connaître et de comprendre la réalité du Rwanda. Leurs rapports substantiels traduisent cette recherche d’exactitude et de vérité au service du bien public.
Pour finir, une dernière série de questions sur l’après-rapport, puisque celui-ci a eu incontestablement des effets politiques. Comment percevez-vous la réception médiatique et politique du rapport, en France d’abord ? Dans son discours à Kigali le 27 mai 2021, on voit bien par exemple qu’Emmanuel Macron fait sien le rapport. Mais n’y a-t-il pas des éléments en dissonance, comme cette formule qui a été beaucoup commentée, par laquelle il rappelle les intentions louables de la France ?
D’abord, à partir du moment où le rapport est publié, il ne nous appartient plus et c’est très bien qu’il vive sa vie. C’est même fondamental. La réception est pleine d’enseignements. À l’énoncé de nos conclusions, une forme d’acceptation a dominé. On avait fait la démonstration, avec toutes les preuves devant soi, que cette politique française au Rwanda a été l’une des causes du génocide du fait du soutien hors de toute proportion à la dictature d’Habyarimana qui le préparait. Maintenant, on sait, le déni n’est plus possible. Il me semble que la société française a été soulagée de cette issue dont elle a été la principale actrice avec la presse et les médias, avec l’accueil des autorités présentes. On voit en fait qu’il n’y a pas eu de polémique sur la réception du rapport. J’ai trouvé cela très intéressant. J’ai aussi observé la manière dont la parole s’est libérée chez un certain nombre d’acteurs, et notamment pour plusieurs officiers qui se sont exprimés. On sentait bien qu’ils souhaitaient le faire et que le rapport leur a donné cette possibilité, ce qui n’était pas possible auparavant. Des expressions d’une grande hauteur intellectuelle et morale se sont succédé, l’article d’Alain Juppé dans Le Monde, les tribunes des généraux Sartre et Varret, l’entretien du colonel Galinié. D’autres ont suivi, d’autres suivront. La parole libérée est loin de s’éteindre maintenant.
Il y a ensuite la question de la réception par les associations françaises engagées dans la dénonciation de la Françafrique depuis des décennies. À chaque fois que je les rencontre, je les encourage à revenir vers le rapport : « Lisez précisément le rapport. La non-complicité constatée en conclusion, c’est simplement de relever que, dans les archives, il n’y a pas de preuves matérielles d’intention de la France de s’associer à l’entreprise criminelle. Mais la France s’associe à un régime qui se transforme en pouvoir génocidaire », d’où le constat des « responsabilités lourdes et accablantes » des autorités françaises. Il s’agit de bien préciser les termes de ce qu’on entend par complicité : nous n’étions pas des juges ou des juristes dans la commission, seulement des chercheurs et historiens qui se sont autorisés cette conclusion. Il ne s’agit pas d’une obstruction sur le plan judiciaire. On invite du reste les associations à se saisir du rapport et du socle historien, scientifique, sur lequel il est bâti. J’ai d’ailleurs de très bonnes relations avec d’autres associations comme Ibuka, que ce soit au Rwanda, en Belgique ou en France. Il y a vraiment un dialogue, même si j’ai bien senti la déception sur la complicité parce que pour eux, pour les victimes, sortir du traumatisme, c’est aussi voir des responsables français être jugés et condamnés. Je leur dis : « Mais vous savez, le jugement de l’histoire n’est pas rien. La vérité démontrée, par sa force, s’entoure d’une souveraineté universelle. C’est très important de s’en souvenir. »
C’est aussi ce que j’ai expliqué au Président Paul Kagame lors de ma rencontre du 9 avril 2021, quand je lui ai remis le rapport, à sa demande, au nom de la commission. Parce qu’il faut savoir que le rapport a été remis à Emmanuel Macron mais ensuite également à Paul Kagame qui l’avait souhaité. J’ai donc eu un entretien avec le président rwandais qui était extrêmement intéressant. À un moment donné, je lui ai dit : « Est-ce que vous voulez continuer dans la voie de possibles poursuites judiciaires contre les responsables français, ouverte par le rapport Mucyo ? Aujourd’hui, le peuple rwandais, les rescapés, les victimes, reçoivent un savoir acquis important et un constat historique de responsabilité française. Vous l’aurez aussi avec le rapport Muse13. Est-ce que, finalement, ce jugement de l’histoire n’est pas quelque chose de très important aussi ? Parce que tout de suite, vous avez une forme de jugement, celui de l’histoire. Faut-il attendre des années pour voir des gens éventuellement condamnés par la justice, d’autres acquittés. Là, vous avez quelque chose de très net. » C’est du reste ce qu’il a exprimé au président français le 27 mai 2021 à Kigali, si vous lisez précisément la réponse qu’il fait au discours d’Emmanuel Macron prononcé au mémorial de Gisozi. Bien sûr, les génocidaires doivent être poursuivis en justice. Mais sur la question d’éventuels complices français (en vertu du droit), la voie de l’énonciation de la vérité et de sa reconnaissance mérite une attention universelle. Le Rwanda a vu l’impact de l’œuvre de recherche voulue par Emmanuel Macron. Le pays a vu aussi la réaction de la société française aux savoirs révélés, face aux responsabilités démontrées : elle les a adoptés, sans drame ni repentance, avec un soulagement réel et une fierté certaine de quitter les ténèbres du déni pour ceux les lumières de la vérité. Le Rwanda ne devait pas s’attendre non plus à nos conclusions et à leur juste sévérité, pas plus qu’il ne s’attendait à ce qu’elles soient admises par la France. Le Rwanda a compris que le temps de la paix et de l’histoire commune était maintenant arrivé. Il a alors renoncé à des fondamentaux dans les discours de ripostes aux agressions françaises, admettant que l’opération Turquoise n’attestait pas la complicité de la France dans le génocide, et reconnaissant que la démarche consistant à entamer des poursuites contre des responsables français n’avait plus lieu d’être. Ce sont des inflexions majeures pour Paul Kagame et le Rwanda, formulées dans l’entretien accordé au journal Le Monde par Vincent Biruta [ministre rwandais des Affaires étrangères] à la sortie du rapport Muse, le 19 avril 202114.
À propos du discours d’Emmanuel Macron, personnellement, je le trouve juste et nécessaire. Pour moi, il se rapproche du discours du Vel’ d’Hiv’ de Jacques Chirac [16 juillet 1995]. Pourquoi ? D’abord parce qu’il se met à la place des victimes. C’est important : il endosse la mémoire des victimes. Ça, c’est quand même un début. Et il explique bien ce qu’est un génocide. Je trouve la phrase « Un génocide vient de loin » très juste. Et enfin, il adopte nos conclusions jusqu’à l’adjectif « accablant », qu’il reprend à son compte. Alors effectivement, il y a des passages convenus, des phrases de réserve pour que l’essentiel passe. Mais l’important, c’est ce qu’il avance les trois points que je viens de résumer. C’est cela qui restera.
Au-delà d’un acte de recherche, il y a un débouché diplomatique du rapport. Par conséquent, est-ce que vous acceptez ou récusez le terme de facilitateur diplomatique vous concernant ? On peut penser aussi à la rencontre qu’il y a eu entre les militaires et les diplomates français et Paul Kagame le 18 mai 2021 à Paris. Ce type de rencontre aurait été impensable avant le rapport.
Nous avons été indifférents, lors du travail de la commission, aux développements ultérieurs de la relation bilatérale une fois le rapport remis. Il s’agissait d’assumer, au fond, les pouvoirs de la recherche.
Il faut revenir ici à fin octobre 1990 pour comprendre, lorsque le colonel Galinié exige des FAR qu’ils ne massacrent pas les soldats du FPR réfugiés sur les îles dans l’Akagera, certains blessés, les autres transis de froid, après leur défaite dans l’offensive du 1er octobre. Paul Kagame, qui était sur place15, réussit à ramener à la frontière ougandaise ces troupes décimées. Il a été objectivement aidé dans cette tâche par les conséquences de l’ordre de l’attaché de défense aux Forces armées rwandaises. L’état-major rwandais s’en est pris par la suite à Galinié, dont le colonel Serubuga, reprochant à l’officier français de les avoir empêchés de liquider Kagame. La preuve de sa présence, selon le chef-adjoint des FAR, était son bâton de commandement récupéré dans l’Akegera. Il ne s’agissait pas de celui du major Kagame, celui-ci n’utilisant pas cet attribut très britannique du commandement militaire.
Au cours de mon audience du 9 avril 2021, Paul Kagame me dit : « J’aimerais bien revoir mon ami Éric de Stabenrath que j’ai connu au début de l’automne 1990 [au Kansas]. Est-ce que vous pouvez organiser la rencontre ? » Je lui réponds : « Oui mais dans ces cas-là, vous ne voudriez pas revoir aussi d’autres personnes que vous avez connues, comme Yannick Gérard qui était l’ambassadeur de France à Kampala et qui vous a reçu à plusieurs reprises ? » Là-dessus, je lui raconte l’histoire de Galinié, je lui parle du général Varret, du colonel Sartre, supérieur de Stabenrath à Turquoise et conscient comme lui des priorités, l’action contre les génocidaires et l’assistance aux survivants impliquant d’œuvrer avec le FPR plutôt que de le combattre. Je suis donc chargé d’organiser la rencontre à six. J’explique ça à l’Élysée. Ils étaient à la fois contents et un peu surpris mais ils m’ont laissé faire. Ça s’est vraiment fait sur la base de la connaissance partagée et de la confiance retrouvée. L’histoire était en marche. Cette rencontre qui eut lieu en mai 2021 à l’hôtel Peninsula à Paris, dix jours avant le vol d’Emmanuel Macron vers Kigali, était absolument incroyable, quand on songe à l’état des relations entre les deux pays pendant près de 30 ans. Les articles des journalistes invités l’ont bien restituée. Les agents français sur le terrain, Galinié pour les Armées, Gérard pour les Affaires étrangères, se sont exprimés ce soir-là avec une conviction personnelle à la hauteur de l’événement, comme une parole qui traverse les âges, qui force l’admiration, ramenant avec elle tous les espoirs brisés trente ans plus tôt et qu’il faut aujourd’hui faire reconnaître. Pour qu’une telle catastrophe ne se reproduise plus.
Une seconde demande de Paul Kagame formulée à Kigali le 9 avril 2021 n’a pas pu être complètement satisfaite, celle de faire la lumière sur son arrestation par la police à Paris [en septembre 1991]. La commission, qui n’était pas encore dissoute [elle le sera le 14 juillet suivant], a redemandé la communication des archives du ministère de l’Intérieur, qui avaient déjà été sollicitées mais qui, faute de temps, n’avaient pas pu être consultées. Cette fois, les services ont enquêté et n’ont rien trouvé, nous a-t-on affirmé. Ce dossier, je pense, mériterait d’être repris. C’est contraire à tous les usages diplomatiques que d’arrêter un émissaire qu’on fait venir pour des négociations. Peut-être que cette arrestation n’a rien à voir avec ces négociations. Mais il faut savoir la vérité.
Les échanges que j’ai pu avoir avec Paul Kagame en mai 2021 relèvent d’un partage de connaissance qui a des effets au-delà du diplomatique, vers la sphère que l’on nomme la « nouvelle éthique relationnelle » pour reprendre le sous-titre du rapport Sarr-Savoy sur la restitution du patrimoine culturel africain16. C’est une conviction qui a accompagné la démarche du rapport, de deux rapports incluant celui confié au cabinet Muse. Lorsque j’ai remis le rapport de notre commission au Président Kagame, j’ai ensuite rencontré ses conseillers, ceux-là mêmes qui m’avaient assuré, les rencontrant à Kigali au début de la mission, qu’ils ne saboteraient pas notre travail, qu’ils l’attendaient depuis 25 ans. De fait, il n’y a jamais eu de critiques contre la commission de la part du Rwanda. Jamais. Ils ont été très clairs. Ensuite, lorsque le rapport Muse est sorti, ils ont souhaité que la société française puisse y accéder comme pour le nôtre. Je les ai aidés autant que j’ai pu. Il me paraissait inconcevable qu’un tel travail conduit du côté rwandais ne soit pas connu en France et en Europe. On n’est jamais perdants à agir ainsi, quand la confiance existe et que se dessinent des buts communs, de partage de connaissance. L’attention que Le Monde a porté à la couverture presse du rapport Muse a déclenché la publication de l’entretien de Vincent Biruta. Les bons connaisseurs du dossier ont su à ce moment que la rencontre du Rwanda et de la France se réaliserait, qu’Emmanuel Macron serait accueilli à Kigali, qu’une nouvelle page de l’histoire des deux pays s’écrirait, cette fois avec des valeurs communes et partagées. S’il n’y avait pas eu ce fait nouveau d’un savoir historique neuf, je pense qu’il ne se serait rien passé en dépit de la bonne volonté des deux présidents et de leurs conseillers.
C’est pour cela qu’il faut continuer, pour amplifier le travail des savoirs et armer le pouvoir de la connaissance. Je reste par exemple déterminé à faire naître le Centre international de ressources et de recherches sur les génocides et les processus génocidaires, dont la création est préconisée par notre commission, comme le préconisait d’ailleurs aussi le rapport de la Mission génocides de 2018. Pour nous, cette recommandation est très importante, afin de doter la Convention de 1948 d’un organe de connaissance qui n’existe toujours pas à l’heure actuelle. On souhaite que la France prenne en la matière une forte initiative politique, diplomatique et morale, ce qui serait aussi une manière de tirer tous les enseignements de la catastrophe de 1990-1994 et d’assumer pour les nouvelles générations l’ampleur des responsabilités qui furent les siennes il y a trente ans.
Vincent Duclert
Cespra (EHESS-CNRS)
Étienne Smith
Sciences Po Bordeaux,
Les Afriques dans le monde (LAM)
Christine Deslaurier
Institut des mondes africains (Imaf)
Séverine Awenengo Dalberto
Institut des mondes africains (Imaf)
[Notes :]
1. Ce texte est une version remaniée d’un entretien avec Vincent Duclert réalisé le 18 mars 2022 à Paris. La durée de cet entretien (3h30) a nécessité un travail de coupes après la transcription, entraînant de nouveaux échanges avec Vincent Duclert et sa reprise de certaines sections entre mai et septembre 2022. Pour des questions de lisibilité, ces coupes ne sont pas indiquées. Nous remercions Florent Piton pour l’aide précieuse qu’il nous a apportée dans la première phase de ce processus, notamment en participant à la réalisation de l’entretien oral.
2. Créée en mai 2016 par la ministre de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche Najat Vallaud-Belkacem, cette mission réunissait une équipe de 65 personnes sous la présidence de Vincent Duclert. Son rapport préconisait d’introduire l’étude du génocide des Tutsi du Rwanda dans les programmes de Terminale. Voir V. Duclert (dir.), Rapport de la Mission d’études en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse [en ligne], Paris, Ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 15 février 2018,, consulté le 6 septembre 2022.
3. Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994). Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021, Malakoff, Armand Colin, 2021, consultable en ligne : , consulté le 6 septembre 2022.
4. La lettre de mission (5 avril 2019) portait sur « le rôle et l’engagement de la France au Rwanda durant la période pré-génocidaire et le génocide des Tutsi, 1990-1994 ».
5. M. O. Baruch et V. Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000.
6. V. Duclert (dir.), Rapport de la Mission Génocides, Paris, CNRS éditions, 2018.
7. Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi…, op. cit.
8. Jean-Pierre Chrétien 1998, « Au Rwanda, “la France” n’est pas coupable », Le Monde, 14 mars 1998.
9. J.-M. Carzou, Arménie 1915. Un génocide exemplaire, Paris, Calmann-Lévy, 2006, en exergue du livre.
10. Voir F. Robinet [homonyme de l’actuel historien], « Rwanda. La rééducation des “vagabondesˮ », Le Monde, 20 juillet 1983.
11. J.-P. Chrétien, « Une autre politique était possible au Rwanda », Esprit, n° 478, 2021, p. 56-64.
12. Composée de 15 membres au moment de la note intermédiaire, la commission comporte en effet 13 membres lors de l’adoption du rapport final. Christian Vigouroux a quitté la commission le 26 février 2021 tandis que Julie d’Andurain s’est mise en retrait des travaux à la fin du mois d’août 2020 – selon ce que la Commission de recherche a précisé à l’AFP le 14 novembre 2020.
13. En 2017, le gouvernement rwandais a mandaté Robert Muse et son cabinet d’avocats à Washington pour établir un rapport sur le rôle de l’État français en lien avec le génocide contre les Tutsi au Rwanda. Ce « rapport Muse » a été remis au gouvernement rwandais le 19 avril 2021. Il est disponible en ligne, en anglais, et en français depuis septembre 2022 : , consulté le 6 septembre 2021.
14. Vincent Biruta, « Génocide des Tutsi au Rwanda : pour Kigali, “l’État français n’est pas complice” », propos recueillis par Pierre Lepidi et Gaïdz Minassian, Le Monde, 19 avril 2021.
15. Il avait été rappelé en urgence de son stage de commandement sur la base de Fort Leavenworth au Kansas.
16. Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle [en ligne], remis au président de la République, 29 novembre 2018, , consulté le 27 octobre 2022.