Fiche du document numéro 1553

Num
1553
Date
Dimanche 26 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
137473
Pages
2
Sur titre
Les premiers soldats français ont été accueillis au Rwanda par une foule enthousiaste
Titre
Liesse chez les Hutus, soulagement chez les Tutsis
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le village de Kirambo, pavoisé aux couleurs de la France et du Rwanda,
fête-t-il sa libération ? Quand, au détour de la piste, surgit le
premier véhicule militaire français, une clameur monte de la foule en
liesse. Les tam-tams s'affolent, la colonne française entre au pas, se
frayant difficilement un chemin au milieu d'une haie de villageois en
délire. Des centaines de mains se tendent vers les hommes des commandos
de marines juchés sur les camions, brusquement embarrassés par leurs
fusils.

Les bouquets de fleurs pleuvent sur le capot des jeeps recouvert d'un
filet de camouflage, le mitrailleur du véhicule de tête finit par lâcher
une de ses mains crispée sur la poignée de son arme pour saluer et
sourire. Les hommes du capitaine de frégate Marin Gillier ne
s'attendaient pas à pareille réception. Une heure plus tôt, en quittant
la route asphaltée pour s'enfoncer sur la piste qui remonte le long du
lac Kivu, ils s'étaient dit d'un air entendu que les choses sérieuses
allaient commencer. Mais tout au long de leur route ce ne sont que
chants, danses et banderoles saluant l'amitié franco-rwandaise.
Pas la moindre trace de rebelles. Un drapeau rwandais flotte devant la
mairie de Kirambo où le bourgmestre, en complet veston, s'apprête à
prononcer un discours.

« Nous espérons que votre présence ici apportera un soulagement à la
population et aux déplacés de la région
 », lance-t-il. « Merci pour
votre accueil et vos sourires
 », répond le capitaine de frégate Gillier,
s'attirant un franc succès.

La réception se termine par des danses avant que les autorités
n'invitent l'officier français à visiter le camp de réfugiés : quelque
300 000 personnes qui ont fui l'avancée du Front patriotique rwandais
(FPR). Certains ont quitté leur village la veille de l'arrivée des
maquisards, d'autres n'ont jamais pu rejoindre le leur. Justin Théréroho
ne reverra sans doute jamais sa famille « décimée par les inkontanyi
[rebelles] comme tout mon village de Gituza
 », dans le Nord-Est.
Théoneste a quitté sa ville de Byumba lors de la mort de ses parents en
octobre 1990, quand le FPR a envahi le nord du Rwanda. Il s'est réfugié
à Kigali puis à Butaré où « il faisait ses humanités » à l'université,
quand la guerre a repris. Il s'est replié au bord du lac Kivu car « ça
devenait vraiment trop chaud là-bas
 », où le FPR est aux portes de la
ville. Il est responsable des réfugiés de guerre et attendait avec
impatience la venue des Français : « Le front est loin mais on a peur
des infiltrations
 ».

La liesse populaire est à la mesure du soulagement des villageois. Il
n'y aurait pas eu de massacres à Kirambo « mis à part les partisans du
FPR que nous avons débusqués
 ». Selon la version officielle, la majorité
des Tutsis menacés par les milices hutues depuis la mort du président
Habyarimana se sont enfuis sur l'île zaïroise d'Idjwi, au milieu du lac
Kivu. Les autres ont pu atteindre Cyangugu et se réfugier dans le stade
de la ville protégé par l'armée. Ici, il n'est pas question d'aller
montrer aux journalistes de passage les fosses communes, comme le font,
plus à l'est, les rebelles, dans chaque village qu'ils viennent de
conquérir.

Pas la moindre trace de culpabilité collective, même chez les religieux.
« Que voulez-vous faire quand la foule est en colère ?, s'excuse le
pasteur lorsque l'on évoque les massacres de femmes et d'enfants. Je
m'efforce bien de prêcher le pardon mais mes paroissiens ne veulent rien
entendre.
» Parmi toutes ces personnes qui serrent avec chaleur les
mains des soldats, qui agitent des bouquets de fleurs ou des drapeaux
français, parmi tous ces jeunes gens qui dansent de joie, combien
d'assassins ? Le détachement français n'est pas là pour se poser ce
genre de question. Il continuera cet après-midi vers Kibuye, plus au
nord, en espérant trouver des Tutsis ou des opposants hutus qui se
cachent encore après deux mois de clandestinité pour échapper aux
machettes des miliciens.

Les réfugiés tutsis soulagés



A trente kilomètres de là, le camp de Nyarushishi dévoile l'autre face
de la tragédie rwandaise. Rassemblés autour de feux, quelque 8 000
personnes d'origine tutsie s'apprêtent à passer une nouvelle nuit dans
leurs huttes bleues et vertes éparpillées sur les versants de collines.
Mais leur angoisse quotidienne a disparu depuis qu'un détachement
français, arrivé jeudi, veille sur le camp. Ce matin, il a d'ailleurs
chassé des miliciens qui rôdaient alentour. La veille, ils avaient
réussi à tuer trois réfugiés.

« Un colonel de la gendarmerie rwandaise nous protégeait de son mieux,
mais avec dix hommes il ne pouvait pas faire grand-chose
 », dit
Jean-Bosco Nyabiranga, qui peut apercevoir, depuis le camp, sa ferme
pillée, d'où il a été chassé le 9 avril par ses voisins. « Parce que je
suis de la race contraire
 », explique ce fermier tutsi qui a fui sa
bananeraie avec femme et enfants. Dirigé vers le stade de Cyangugu, il y
a retrouvé plusieurs milliers d'autres personnes menacées. « La force
publique nous gardait mais des militaires venaient régulièrement
chercher ceux qu'ils appelaient des personnes suspectes, en général des
fonctionnaires et des intellectuels qu'on ne revoyait jamais
 »,
raconte-t-il.


Comme à Kirambo, la présence française a soulagé les déplacés, mais
pour d'autres raisons. Visiblement, la mission française n'a pas été
comprise de la même façon par tout le monde et il y a fort à parier
que les autorités rwandaises demandent un jour aux soldats français de
les aider à traquer les « ennemis de la nation qui menacent la
population
 ». « Il y a encore des suspects à Nyarushishi »,
assure un gendarme.
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024