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Les quatre messages sortis des ondes sonnent comme des cris de victoire, des appels aux meurtres. Ils se réjouissent de la mort du ``tyran'' rwandais Juvénal Habyarimana, ils saluent le succès de ses assassins. « Vous informons que la mission de notre escadron renforcé s'est soldée par une réussite brillante », proclame l'un d'eux. Ils raillent les hutus qu'ils comparent à des « gorilles » et annoncent une « guerre » sans merci contre leur régime.
Datés du 7 avril 1994 au matin, ces télégrammes en swahili sont attribués aux rebelles tutsis du Front patriotique rwandais (FPR). Douze heures plus tôt, Juvénal Habyarimana, le chef de l'Etat hutu, a été tué dans l'explosion de son avion, au-dessus de sa capitale, Kigali. Depuis, partout dans le pays, ses partisans massacrent la minorité tutsie. C'est le point de départ d'un génocide qui fera plus de 800.000 morts et, parce que l'attentat a aussi coûté la vie aux trois pilotes français, d'une longue enquête confiée, à Paris, au juge Jean-Louis Bruguière.
Pour le magistrat du pôle antiterroriste, ces messages codés signent le crime. Ils prouvent la culpabilité du FPR et de son chef, Paul Kagamé, devenu le président du Rwanda. Ils sont cités à plusieurs reprises dans la procédure. Depuis la rétractation de plusieurs témoins clefs, ils font partie des dernières pièces à conviction léguées par Jean-Louis Bruguière, parti en semi-retraite, à son successeur, Marc Trévidic.
Ce sont des faux, déclare aujourd'hui Richard Mugenzi, l'opérateur radio censé les avoir interceptés. Dans une vidéo filmée par le journaliste Jean-François Dupaquier, il assure que ces textes lui ont été fournis par son supérieur, un officier des Forces armées rwandaises, le colonel Anatole Nsengiyumva, à des fins de propagande. Joint par téléphone à Kigali, il confirme la supercherie. « Je n'ai pas entendu ces messages, je les ai réceptionnés de mon chef. Ils étaient écrits sur du papier ordinaire et je les ai recopiés », dit-il.
Entre 1990 et 1994, ce polyglotte sert d'oreille à l'armée rwandaise. Opérateur radio au centre d'écoute de Gisenyi, il espionne jour et nuit les transmissions du FPR. Ses rapports rédigés à la main sont transmis à l'état-major, aux services de sécurité, à la présidence. Son chef lui ordonne aussi parfois de glisser dans sa livrée quotidienne des documents inventés. « Cela faisait partie de la guerre psychologique, pour tromper l'ennemi, ou élever le moral des troupes. Je trouvais ça normal ».
Il va ``se passer quelque chose''
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire de telles révélations ? En juillet 1994, il suit les leaders hutus dans leur fuite éperdue au Zaïre, puis collabore pendant dix ans avec le Tribunal pénal international sur le Rwanda. Il est l'un des principaux témoins à charge dans le procès de Théoneste Bagosora, le cerveau du génocide. Il dit n'avoir jamais été interrogé sur les télégrammes du 7 avril, avant l'enquête Bruguière. Dans sa déposition, le 7 juin 2001, il se contente de les identifier. Pas un mot sur leurs origines. Les enquêteurs français qui viennent le voir à Arusha, le trouvent « confus ». « J'ai été prévenu de leur arrivée une demi-heure avant. Ils m'ont montré plein de messages et ne m'ont pas posé de question particulière. A l'époque, je n'avais pas beaucoup réfléchi à tout ça ».
En revanche, les policiers français ne relèvent pas un point crucial de l'audition de Mugenzi. Six heures avant l'attentat, son chef, le colonel Nsengiyumva, aurait annoncé au mess des officiers qu'il va « se passer quelque chose ». Ce militaire très proche de Bagosora a-t-il participé à un complot pour éliminer Juvénal Habyarimana et faire porter les soupçons sur le FPR ? Le président rwandais a-t-il été tué par des extrémistes hutus au moment où il s'apprêtait à appliquer les accords d'Arusha prévoyant un partage du pouvoir avec les rebelles tutsis ? Une piste, comme le montre la lecture du dossier, jamais explorée par le juge Bruguière.
Christophe BOLTANSKI