Citation
On a beau être ministre, il y a des sujets que l'on n'affectionne que modérément et d'autres qui vous délient la langue. Alain Juppé, par exemple, titulaire du portefeuille des Affaires étrangères dans le gouvernement Balladur, s'est trouvé peu inspiré lorsque, au Rwanda, les miliciens et les militaires de la clique alors au pouvoir massacraient des centaines de milliers de personnes. Le ministre s'était tu, refusant trop longtemps de parler de génocide. Il n'était sorti de son mutisme que pour mettre sur un pied d'égalité massacreurs et FPR.
Aujourd'hui, Alain Juppé est beaucoup plus prolixe et se permet même de conseiller - ou plutôt de menacer - les nouvelles autorités rwandaises. Le ministre a mis en garde, lundi matin, sur les ondes d'une radio nationale, les autorités de Kigali contre toute « fausse manoeuvre ». Si le nouveau gouvernement se décidait à exercer son autorité sur la « zone humanitaire sûre », créée par la France en territoire rwandais, cela constituerait, aux yeux d'Alain Juppé, « une grave erreur psychologique et politique ».
Ah, que le cours des choses aurait peut-être été bouleversé, si ce genre d'admonestation avait été adressé lorsque les extrémistes régnaient sur le pays au temps de la dictature d'Habyarimana. Mais, à l'époque, Alain Juppé, son gouvernement comme celui qui l'avait précédé ne trouvaient rien à redire aux appels aux meurtres lancés par les hommes du pouvoir.
L'attitude récente de Paris aurait dû inciter le ministre à plus de réserve et, surtout, à plus d'humilité. Par ses propos, Alain Juppé a contribué à disqualifier encore un peu plus la France aux yeux des démocrates rwandais. Le Rwanda n'a pas besoin des leçons d'un ministre français, mais d'une « assistance massive, seule condition d'une reprise de l'activité productive », comme le rappelait il y a deux semaines dans les colonnes de « l'Humanité » le nouveau président rwandais, Pasteur Bizimungu. Et il ajoutait : « Avec la France, nous cherchons à reconstruire des rapports de coopération et de solidarité fondés sur la compréhension et non sur le paternalisme ou le diktat ».
Christophe Deroubaix