Sous titre
Le premier ministre du Rwanda, Faustin Twagiramungu, estime à 30 000,
dans un entretien au Monde, le nombre de personnes qui devraient être
jugées par des tribunaux rwandais à la suite du génocide. De plus, le
gouvernement de Kigali a accepté, pour éviter un nouvel exode lors du
départ des forces françaises de la zone de sécurité que celle-ci soit
démilitarisée à compter du 22 août, date d'échéance de l'opération
Turquoise. La zone humanitaire sûre devrait alors être placée,
temporairement, sous le contrôle de la Mission des Nations unies pour
l'assistance au Rwanda (MINUAR).
Citation
Kigali de notre envoyé spécial
Quelle est la priorité de votre gouvernement ?
« C'est le retour des réfugiés qui se trouvent à l'extérieur. Nul ne peut
diriger un pays vide et il faut que la population reprenne le travail.
Nous devons convaincre les réfugiés. Comment s'y prendre concrètement,
c'est toute la question. Car si nous avons cette volonté, nous n'en
avons pas les moyens. »
En attendez-vous de la communauté internationale ?
« Absolument. A ce sujet, mon entrevue avec le secrétaire d'Etat
américain à propos de l'aide humanitaire a été fructueuse.
Contrairement aux Français, qui se disent nos maîtres, les Américains
sont venus nous dire qu'ils voulaient être des partenaires. C'est plus
poli. »
L'opération « Turquoise » vous indispose-t-elle à ce point ?
« Nous recevons beaucoup de lettres de gens qui vivent dans la « zone
humanitaire sûre ». Ils s'y considèrent comme des personnes déplacées
qui n'ont pas le droit de rentrer chez elles. Le devoir des troupes de
l'opération « Turquoise » serait plutôt de les inciter à partir. Les
Français devraient avoir quitté cette zone dite de sécurité le 22 août
et être remplacés par les forces de la MINUAR II qui encourageront la
population à regagner sa région d'origine. »
Ne pensez-vous pas qu'un départ précipité puisse provoquer un
« deuxième Goma » ?
« C'est ce que les Français veulent faire croire au monde. « Après nous,
le chaos. » Pourquoi ne veulent-ils pas plutôt rassurer la population
et refusent-ils de nous associer sous prétexte que la population a peur
de nous ? »
Les perspectives de votre gouvernement sont tout de même encore floues.
Ne serait-ce qu'au sujet de la durée de la transition...
« Nous sommes déterminés à favoriser la réconciliation et à préserver
l'unité du pays. Il est évident qu'il n'est pas question de
reconstituer une dictature. Il faut un partage du pouvoir. Il est vrai
qu'il existe au sein du gouvernement une certaine hostilité aux accords
d'Arusha du 4 août 1993 [qui prévoyaient un partage du pouvoir entre le
gouvernement d'alors et le Front populaire patriotique (FPR)] et des
divergences sur la date à laquelle pourraient être organisées les
élections.
J'estime qu'il faudra plus longtemps que les vingt-deux mois
initialement prévus par ces accords. Le FPR a, pour sa part, proposé
cinq ans. Mais le Parlement devra aussi se prononcer. Compte tenu des
événements passés et du génocide, il est sûr, de toute manière, que la
tâche ne sera pas facile. »
« La punition est le peloton d'exécution »
Comment entendez-vous juger les responsables des massacres ?
« Notre loi prévoit des châtiments pour ce genre de crimes et nous ne
pouvons pas attendre l'instauration d'une Cour internationale, qui peut
prendre trois ans. Nous pouvons commencer en créant nos propres
tribunaux spéciaux. La punition pour crime de guerre est le peloton
d'exécution, et non la pendaison comme en matière pénale. Bien sûr, des
observateurs étrangers seront libres de venir au Rwanda pour surveiller
le déroulement des procès. »
Quelle échéance fixez-vous ?
« Cela peut être fait dès aujourd'hui. Le ministère de la justice est
déterminé, même s'il manque de personnel. On peut déjà commencer avec
quelques dossiers. Je ne connais pas le nombre de prisonniers de
guerre, mais nous en avons et il faut les livrer à la justice.
Combien de personnes sont susceptibles de passer devant ces tribunaux ?
C'est une estimation, mais en sachant que ces massacres ont été
organisés par le parti au pouvoir avec la complicité des bourgmestres,
des conseillers de secteur et des responsables de cellule, on peut
penser que le chiffre tourne autour de 30 000 personnes, sans compter
les miliciens. Tous ceux qui ont ordonné, conçu et perpétré ces tueries
doivent être punis. »
« Ceux qui sont innocents le savent »
Comment ferez-vous pour distinguer les responsables des exécutants ?
« Il n'y a pas de gens propres impliqués dans les massacres. Ceux qui
sont innocents le savent. Les criminels ne s'aventureront pas dans le
pays. Ce que nous voulons surtout, c'est que les innocents puissent
regagner le pays. »
Que ferez-vous à propos de certaines exactions commises par le FPR et
les expropriations-attributions de logements ?
« Je n'ai pas d'informations au sujet d'exactions commises par le FPR. Il
se peut qu'il y ait ici ou là des extrémistes, mais cela ne saurait
être la politique du gouvernement. »
« Pour ce qui concerne les expropriations, c'est vrai qu'il y a des
difficultés. Cela ne peut pas continuer et il faut que la propriété
privée soit respectée. Il est temps que le gouvernement intervienne et
que l'on mette de l'ordre. Les occupations faites par les FPR sont,
elles, temporaires et les officiers devront remettre les maisons à
leurs propriétaires. C'est un devoir de l'Etat. »