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De notre envoyé spécial au Rwanda.
LA dépouille du premier ministre, Agathe Uwizinigiyimana, assassinée dès le 7 avril au tout début des massacres, en compagnie d'une dizaine de soldats belges qui tentaient de la protéger, a-t-elle été retrouvée ? Sa mort ne faisait aucun doute, mais le corps n'avait pas été retrouvé, laissant penser que les tueurs avaient veillé à le faire disparaître…
Rappelons les circonstances de ce meurtre. L'avion transportant le président Habyarimana s'écrase le 6 avril en soirée. Quelques heures plus tard, la garde présidentielle entraîne les milices - selon un plan préparé longtemps à l'avance - aux domiciles des membres du gouvernement issus des partis d'opposition (Mouvement démocratique rwandais, Parti social-démocrate, Parti libéral, Parti chrétien-démocrate) ainsi que des dirigeants et cadres de ces formations pour les massacrer avec leurs familles.
Les tueurs arrivent devant le domicile du premier ministre peu avant l'aube, vers 5 heures du matin. Ils arrosent le bâtiment de coups de feu. Agathe Uwizinigiyimana aurait réussi néanmoins à s'enfuir et à gagner la résidence au centre-ville d'une personnalité du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). C'est là qu'elle aurait été abattue quelques instants plus tard.
Camp de Kanombe, non loin du palais présidentiel, vendredi 15 juillet. Cette caserne est occupée par le FPR depuis le 24 mai. Mais, ainsi que le déclare le lieutenant FPR qui reçoit la presse, « ce qui nous intéressait jusqu'à la fin des combats, c'était la collecte des munitions. Nous n'avons commencé à fouiller systématiquement que depuis trois jours ».
La veille au soir, cassant les carreaux de la porte blindée et verrouillée de la petite morgue de l'hôpital attenant au camp, les soldats FPR découvrent deux cercueils dans une salle et trois cadavres allongés sur les tables de pierre de la seconde. Les cadavres sont nus et ne peuvent être identifiés : militaires tués dans les combats ou civils assassinés ? Les deux cercueils hâtivement assemblés portent chacun une inscription en lettres minuscules : « Madame premier ministre Agathe » sur l'un ; « corps venant avec madame le premier ministre » sur l'autre.
Le lendemain matin, les autorités convoquent la presse pour qu'elle assiste à l'ouverture du local. La porte blindée est forcée devant les journalistes et un officier ghanéen de la MINUAR. Les inscriptions sont bien là. Les cercueils eux-mêmes ne seront ouverts qu'en présence d'un médecin légiste. C'est alors seulement qu'on saura s'ils contiennent les corps d'Agathe Uwizinigiyimana et, peut-être, de son époux. Leurs cinq enfants sont, eux, sains et saufs et résident actuellement en Suisse.
JEAN CHATAIN