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FRANÇOIS MITTERRAND a repris à son compte, samedi, la proposition du gouvernement visant à mettre sur pied une intervention militaire au Rwanda. S'exprimant devant l'assemblée générale de l'UNESCO, le président français a aussi fixé un échéancier. « Une affaire d'heures et de jours », a-t-il dit avant d'indiquer que « deux ou trois pays africains ont répondu favorablement ». Par contre, la « réponse ferme de pays européens » se fait toujours attendre. Et pour bien se faire comprendre, il a répété : « Quoi qu'il en soit, nous le ferons. » Au même moment à Paris, l'Elysée et Matignon publiaient un communiqué commun dans lequel ils indiquaient que la France y mettrait « les moyens nécessaires ».
Le but serait « strictement humanitaire » et l'intervention serait engagée « sur la base d'un mandat qui sera demandé aux Nations unies et en liaison avec toutes les organisations internationales et toutes les organisations intéressées ». Alain Juppé a précisé, depuis Dakar, que le nombre de soldats français engagés dans l'aventure pourrait se situer entre 1.000 et 2.000.
Et comme cette action « humanitaire » ne doit pas apparaître pour ce qu'elle est - un retour d'une ancienne puissance coloniale sur ses terres impériales - Paris fait de son mieux pour soigner le déguisement. A cet effet, deux artifices sont utilisés. Le premier, c'est l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU d'une résolution présentée par… la France. Le texte sera étudié ce lundi ou mardi. Le représentant français à l'ONU, Jean-Bernard Mérimée - qui s'était opposé, fin avril, à l'emploi du mot « génocide » dans une résolution - a présenté « de manière formelle » les idées françaises qui ont suscité, a-t-il assuré, une « réaction générale (…) positive ».
Une opération à la « somalienne »
Ensuite, le gouvernement et l'Elysée font des pieds et des mains pour ne pas être les seuls à envoyer des soldats sur Kigali, même si les troupes françaises vont former le gros des bataillons. Pour l'instant, l'Italie - et son président du Conseil, Silvio Berlusconi - est le seul pays européen à avoir répondu positivement. Alors, comme les pays occidentaux ne se bousculent pas au portillon, il faut trouver un autre habillage. Quelle meilleure vitrine que la participation de pays africains eux-mêmes ? Là non plus, les offres de services ne sont pas légion.
En fait, les seuls chefs d'Etat qui sont vraiment enthousiastes, ce sont les dictateurs qui se sentent pousser des ailes à l'idée d'être réhabilités par l'intermédiaire d'une action « humanitaire ». Ainsi, le maréchal Mobutu verrait d'un bon oeil que quelques soldats de sa tristement célèbre Division spéciale présidentielle franchissent la frontière qui sépare le Zaïre du Rwanda. Peu importe que le même Mobutu soit interdit de séjour en France depuis qu'il a brisé, par la répression, la vague de démocratisation. Le général Eyadéma, au pouvoir au Togo depuis des décennies, qui s'est lui aussi illustré dans la chasse à l'opposant, appuie l'initiative française.
D'autres pays, ligotés par l'aide financière française, n'ont pas le choix. « Venez avec nous, ou on vous oubliera » : tel est en substance le message français, qui a d'autant plus de prise que la dévaluation du CFA a renforcé la dépendance de certaines économies africaines vis-à-vis des deniers français. Ce n'est pas un hasard si le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, est allé rendre une visite amicale au président sénégalais, Abdou Diouf. Bref, pour les autorités françaises, tous les moyens sont bons pour s'offrir les services de contingents africains.
Une intervention militaire de protection des populations civiles exige qu'aucun pays participant ne soit suspecté d'arrière-pensées. Dans le cas précis du Rwanda, on ne peut pas dire que l'impartialité française ait été prouvée par le passé. En fait, seule une opération contrôlée de bout en bout par l'ONU, l'Organisation de l'unité africaine peut offrir la garantie d'une réussite. La France balaie cet argument d'un revers de main en prétendant qu'une telle opération serait trop longue à mettre en oeuvre. Mais on sait que des militaires africains sont prêts à partir et que les fonds sont débloqués.
Pour le Front patriotique rwandais, une intervention française serait synonyme d'agression. « Ce n'est pas aux Français d'intervenir. C'est à nous de le faire nous-mêmes », a répété samedi son porte-parole. Pour être tout à fait clair sur son attitude en cas d'arrivée d'une force française, le FPR a fait savoir par la voix d'un de ses officiers qu'il considérera que les Français les attaquent et que, en retour, le FPR les attaquera.
François Mitterrand s'est certes attaché à nier les responsabilités françaises dans la situation actuelle, mais cela ne suffit pas pour effacer le soutien inconditionnel que sa politique a apporté à Habyarimana ainsi qu'à son armée, aujourd'hui responsable des massacres. Toutes ces données font de la France le pays le moins habilité à intervenir au Rwanda. Pourtant, si les membres du Conseil de sécurité adoptent le plan français aujourd'hui, l'intervention militaire pourrait être déclenchée dans la semaine. Comme le notent plusieurs observateurs, la résolution ne prévoyant aucun contrôle des Nations unies, l'Elysée, Matignon et les réseaux troubles des Monsieur Afrique pourraient manoeuvrer à leur guise. On ne devine que trop dans quel sens. Même s'ils s'en défendent, c'est bien une nouvelle opération « à la somalienne » qui est préparée.
CHRISTOPHE DEROUBAIX