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KINSHASA, 9 juin, Reuter - Pendant que le monde assiste impuissant au
carnage au Rwanda, un homme pense au bénéfice politique qu'il pourrait
en tirer: le président Mobutu Sese Seko, isolé sur la scène
internationale, se présente comme le seul dirigeant capable d'éviter au
Zaïre un sort analogue.
Mobutu Sese Seko veut se parer des habits d'homme providentiel de
l'Afrique centrale au moment où le Rwanda explose, où le Burundi semble
sur le point de l'imiter, où l'Angola n'en finit pas de se déchirer et
où l'instabilité règne au Congo.
Depuis le début des violences au Rwanda à la suite de l'attentat qui a
coûté la vie au président Juvénal Habyarimana et à son homologue
burundais, la radio nationale zaïroise développe un seul thème: Ce
n'est qu'un début
.
Le message du chef de l'Etat zaïrois à l'Occident est sans ambiguïté.
Ce qui risque d'arriver au Zaïre aurait une tout autre ampleur que les
massacres du Rwanda. Qu'on m'aime ou qu'on me déteste, je suis la seule
personne capable d'empêcher ça
.
Selon des observateurs étrangers, ce message commence à être pris au
sérieux dans plusieurs capitales. Mais ceux qui connaissent bien le
Zaïre savent qu'une haine raciale polarisée est peu probable dans ce
pays comptant 200 tribus.
Il semble qu'à l'extérieur on prenne au sérieux l'hypothèse selon
laquelle le Zaïre finira par exploser et que cela serait beaucoup plus
grave qu'au Rwanda et en Somalie
, explique à Reuter un diplomate en
poste à Kinshasa.
La stratégie de Mobutu a toujours été de compter sur un événement
particulier pour le remettre en selle. Il espère aujourd'hui que le
Rwanda sera ce catalyseur
, ajoute-t-il.
Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 29 ans, s'est maintenu en se posant
auprès des Occidentaux en garant de la stabilité dans une région où les
conflits ne manquent pas.
Pendant la guerre froide, il a réussi à convaincre Washington qu'il
était le dernier rempart africain contre le communisme, obtenant des
millions de dollars et un soutien militaire pour écraser toute
rébellion.
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Privé de visa
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Mais, après des décennies de corruption et de violations des droits de
l'homme, il a été lâché par l'Occident ces dernières années. Les
expatriés sont partis et les institutions financières ont arrêté leur
aide. Après la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI)
a suspendu la semaine dernière le Zaïre pour non-remboursement des
dettes.
Mobutu Sese Seko vit désormais replié dans son palais de Gbabolite, à
1.250 km de Kinshasa, ne s'aventurant pas jusqu'à la capitale où il ne
risque pourtant pas d'être renversé par une opposition divisée et une
armée démobilisée. En fait, le maréchal-président semble avoir
abandonné toute prétention à diriger son pays, qui compte près de 40
millions d'habitants.
Privé de visa par les pays occidentaux, il ne peut plus se rendre dans
ses luxueuses propriétés de Belgique et de France.
Pour revenir sur la scène internationale, il tente de se poser en
médiateur régional. En tant que chef de la communauté économique des
pays des Grands lacs, il avait réuni les dirigeants du Rwanda et du
Burundi avant l'attentat du 6 avril.
En avril toujours, il avait tenté un coup diplomatique de premier
ordre: une délégation gouvernementale rwandaise avait annoncé un
cessez-le-feu à Kinshasa alors que des pourparlers étaient prévus à
Arusha, en Tanzanie. Mais les rebelles du Front patriotique du Rwanda
(FPR) avaient refusé de se rendre à la cérémonie organisée dans le
palais de Gbadolite.
Si la cote de Mobutu Sese Seko est au plus bas en Occident, la
proximité du Zaïre avec le Rwanda joue en sa faveur.
La ville de Goma, dans l'est du Zaïre, est déjà devenue un point de
passage obligé. Si les Nations unies et les agences humanitaires
veulent utiliser ce relais pour intervenir au Rwanda, l'aide du
président zaïrois sera nécessaire.
Si une organisation non-gouvernementale décide de faire passer l'aide
par Goma, Mobutu sera en position de peser de toute son poids
,
reconnaît un diplomate.
Les informations selon lesquelles la France chercherait à réhabiliter
le maréchal-président sont impossibles à vérifier. Mais l'opposition
radicale prend au sérieux une telle perspective. Un journal radical a
expliqué cette semaine que la France ne mérite pas mieux que la guerre
que lui livrent désormais les combattants du FIS
. /WEM
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