Fiche du document numéro 1375

Num
1375
Date
Mardi 21 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
30055
Pages
4
Urlorg
Titre
Une crise gérée en direct par une « cellule » de l'Elysée
Sous titre
LA FRANCE et le Rwanda étaient liés par un « accord particulier d'assistance militaire » qui a été signé le 18 juillet 1975 sans avoir fait l'objet d'une ratification au Parlement. C'est au nom de ce texte, dont on ignore le contenu détaillé, que, par exemple, Valéry Giscard d'Estaing, alors président de la République, inaugure, en mai 1979, une école rwandaise de gendarmerie bâtie par la France à Ruhengeri, limitrophe de l'Ouganda.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
En 1989, peu avant la guerre civile qui débute en octobre 1990 et débouchera sur les événements de 1994, cet accord d'assistance fut mis en attente de révision par les deux contractants. A l'époque, la collaboration entre la France et les ministères de la défense et de l'intérieur, à Kigali, était totale. Elle s'est traduite par une aide en matériels militaires évaluée à environ 4 millions de francs par an.

Après le déclenchement de la guerre civile, le régime du président Habyarimana, dès 1991, réclame de la France un soutien accentué qui lui est consenti par François Mitterrand. Sont alors invoquées la défense de l'intégrité territoriale du pays, l'aide à un Etat en proie à de violents troubles intérieurs, la sécurité des ressortissants étrangers mais, aussi, la protection personnelle des autorités politiques en place.

Les demandes rwandaises portent sur des matériels censés contribuer au maintien de l'ordre, à l'équipement des Forces armées rwandaises (FAR) que commande le chef de l'Etat Juvénal Habyarimana et, d'une manière générale, à la stabilité des institutions. Entre la fin 1990 et novembre 1993, l'opération « Noroît », avec quatre cents parachutistes de l'infanterie de marine et de la Légion étrangère, va appuyer la mission française de coopération militaire au Rwanda. Les soldats français aideront les FAR à faire le coup de feu : on les verra servir les pièces d'artillerie rwandaises contre les forces du Front patriotique rwandais (FPR) dirigées par Paul Kagamé.

Conseillers et coopérants



Outre le détachement opérationnel « Noroît », le Rwanda recevra une assistance militaire de la France qui passera, entre 1991 et 1993, de 7 millions de francs à 55 millions l'une des progressions les plus importantes jamais constatées en Afrique et qui mobilisera jusqu'à vingt-quatre conseillers français permanents auxquels il faut ajouter jusqu'à soixante-dix-huit coopérants militaires pour des séjours de l'ordre de deux à six mois.

Sur quoi s'est alors fondé l'Elysée pour accorder ces livraisons exceptionnelles de matériels et l'envoi de renforts à un Etat avec lequel l'accord d'assistance militaire était en instance de révision depuis 1989 ? Essentiellement sur des renseignements centralisés par l'état-major particulier de la présidence de la République où, au fil des mois, deux officiers, le général Christian Quesnot et le colonel, puis général Jean-Pierre Huchon, vont jouer un rôle de premier plan dans les prises de décisions de François Mitterrand. C'est une véritable chaîne de renseignement et d'action qui prend pied à l'Elysée. Elle utilise en direct les services de cadres dépêchés sur place par le 1er Régiment parachutiste d'infanterie de marine (RPIMa) une unité vouée aux opérations spéciales et discrètes basé à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Le colonel Huchon l'avait commandé entre 1984 et 1986. C'est donc une « antenne » militaire de crise consacrée au Rwanda qui s'est constituée auprès de François Mitterrand. Les détracteurs de cette « cellule » l'accuseront de faire écran entre le président et les armées, qui sont court-circuitées et mises fréquemment devant le fait accompli.

L'idée qui prévaut, et qui est contestée, à Paris même, par la Mission militaire de coopération (MMC) parce qu'elle est fondée sur une vision unilatérale d'une réalité locale autrement plus complexe, est que la guerre au Rwanda est le fait de violences ethniques perpétrées par l'opposition tutsie du Front patriotique rwandais (FPR) au régime hutu de Kigali. Ce mouvement opère depuis le nord-ouest du Rwanda, mais surtout depuis l'Ouganda, où il bénéficie du soutien actif du président Yoweri Museveni. De fait, le FPR et ses miliciens recrutés à Kampala -- les services de renseignement rwandais fourniront des preuves de cette intrusion à Paris -- obtiennent des succès militaires significatifs qui amènent la France à évacuer ses nationaux et les étrangers et à prolonger son effort militaire auprès des FAR au-delà de ce qu'elle avait prévu.

Malgré plusieurs cessez-le-feu sans résultats, l'implantation d'une centaine d'observateurs neutres pour contrôler une zone démilitarisée entre le Rwanda et l'Ouganda, des propositions de créer une force d'interposition et malgré l'ouverture de discussions à N'Sele, Arusha et à Dar-es-Salaam (Tanzanie), les FAR et le FPR se livrent une guérilla sauvage, pratiquant la terreur et la déportation en masse de populations. Pillages, exactions et saccages se succèdent des deux côtés, mais, à l'« antenne » de crise, on considère que les deux protagonistes, forces régulières et « rebelles », ne sont pas à placer sur le même plan.

Opération « Amaryllis »



A l'Elysée, on s'en tiendra longtemps à la thèse selon laquelle le Rwanda a été envahi par un agresseur et on accusera le FPR de faire preuve d'intransigeance. Du même coup, on écarte d'autres informations qui, dès la fin 1990 et bien après encore, signalent que l'administration Habyarimana -- elle l'admettra elle-même, en mars 1993, à Dar-es-Salaam -- et les FAR n'ont pas été les dernières à perpétrer des massacres.

Après la signature des accords de Dar-es-Salaam, le 7 mars 1993, deux compagnies de la mission « Noroît » soit deux cent cinquante hommes restent cantonnées jusqu'à fin novembre à Kigali, aux côtés de vingt-quatre coopérants militaires. Nommé à la tête de la MMC, en mai 1993, où il remplace le général Jean Varret très réservé sur le traitement de la crise rwandaise par l'Elysée, le général Huchon proposera, encore en 1994, de fournir pour 28 millions de francs d'aide militaire à Kigali. Le dispositif français sera relevé par une force de « casques bleus » qui évite d'intervenir sur le terrain et qui assistera l'arme au pied à la progression du FPR en direction de la capitale rwandaise. A Kigali même, après les accords d'Arusha, on retrouvera un bataillon du FPR fort d'un millier d'hommes.

Durant une dizaine de jours, à la mi-avril, le ministre de la défense, François Léotard, le ministre de la coopération, Michel Roussin, et le chef d'état-major des armées, l'amiral Jacques Lanxade, qui se sont accommodés de la gestion des affaires rwandaises en direct par l'Elysée, organisent l'opération « Amaryllis » : cinq cents parachutistes de l'infanterie de marine vont évacuer, au plus fort des violences, plus de mille quatre cents Français et étrangers et, sans consignes pour s'y opposer, ils devront assister aux tueries. « Amaryllis » cède la place, entre le 22 juin et le 22 août 1994 à l'opération « Turquoise » sous mandat de l'ONU, qui permet à des partisans du régime Habyarimana de profiter de la débâcle des FAR pour s'infiltrer, avec armes et bagages, en ex-Zaïre, d'où opèrent les troupes françaises.
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