Fiche du document numéro 13726

Num
13726
Date
Jeudi 2 juin 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
60647
Pages
2
Urlorg
Titre
Continuons de hurler
Nom cité
Cote
Nº1543
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Si l'action d'une poignée d'intellectuels en colère contre la mutilation de la Bosnie a connu tant d'éclat, c'est qu'elle avait une résonance morale dans un concert de cynisme

Ainsi, il n'y aura pas de bulletins Sarajevo, le 12 juin, dans les bureaux de vote. Il n'y aura pas non plus beaucoup d'électeurs, mais c'est une autre histoire. La décision est sage. Il n'est pas bon que des intellectuels se fourvoient dans des manoeuvres électorales dont l'objet n'est pas celui de leur combat. Oh! je sais bien, on n'en peut plus des résolutions de l'ONU qui ne sont pas appliquées, des abdications habillées en négociations, on n'en peut plus d'être là, impuissants devant la mutilation annoncée d'un pays martyr. Voter Sarajevo, c'eût été au moins un geste, une façon de dire « Assez! ». Mais si l'action d'une poignée d'intellectuels en colère a connu tant d'éclat, c'est précisément parce qu'elle n'entrait pas dans le jeu politique classique. Parce que ses meneurs ne cherchaient pas d'électeurs. Parce que c'était un cri, SOS Bosnie! Parce qu'elle avait une résonance morale dans un concert de cynisme, alors que nous suffoquons d'amoralité. Mais à voter pour elle, on risquait d'affaiblir le score du seul chef de parti qui ait eu le courage de prendre fermement position, Michel Rocard. La liste Sarajevo transformée bon gré mal gré en opération de politique intérieure... et même intersocialiste... Déplaisant. On eût dévié loin du projet initial: saisir les esprits, remuer les consciences, secouer les diplomates. Ce projet a réussi. Maintenant, il faut le poursuivre, interpeller, harceler, hurler contre le découpage ethnique de la Bosnie, qui se prépare, ô infamie, avec l'aval de la France. La campagne continue! Si la menace d'une levée de l'embargo est seule capable d'intimider l'agresseur et de le conduire à des conditions de paix décentes, comme la menace des avions de l'Otan l'a conduit à libérer Sarajevo, comment peut-on déclarer qu'on l'écarte? On ne se proclame pas vaincu avant d'avoir tiré toutes ses cartouches. Le débat n'est pas seulement chez nous. Il est aux Etats-Unis où le Congrès s'est prononcé pour la levée de l'embargo, à quoi Bill Clinton s'oppose. Il s'agit de savoir si l'Occident flapi se couche devant les milices serbes. La réponse pèsera lourd sur l'avenir.

Voilà Bernard Pivot saisi, lui aussi, par la fièvre électorale. Ce ne fut pas pour le meilleur, même si Edmonde Charles-Roux fut digne, et Olivier Duhamel pertinent. On fut chagriné de voir la gracieuse Aline Pailler muée en virago, un Marchais version femme, alors que ses amis communistes s'efforcent, en ce moment, de se donner un autre visage.

Le débat Baudis-Rocard à « 7 sur 7 » fut en revanche intéressant. On le croyait meilleur, Dominique Baudis. Ce n'est pas une mauvaise lame, parfois il touche, mais il n'avait rien à dire, ce bon jeune homme, sur l'essentiel: que peut l'Union européenne contre le chômage, pour la croissance? Les propositions de Michel Rocard tiennent debout. Dominique Baudis en a discuté en boutiquier, sans rien leur opposer de concret. Rien. Fichu programme.

Au milieu de ces soirées européennes, on eut la délicieuse surprise de voir surgir, samedi soir, sur Arte, à l'heure où les chaînes font assaut de niaiseries, un spectacle de rêve: « les Noces de Figaro », transmises depuis le Festival de Glyndebourne. C'était bien chanté, bien réalisé, bien sous-titré, détail non négligeable. C'était un enchantement. Si Arte n'existait pas, il faudrait l'inventer.

« Envoyé spécial » nous a montré, au Rwanda, un homme, un Français, Marc Vaiter, qui est resté sur place et se bat, seul, pour protéger un groupe d'enfants orphelins. Il y a des gens qui vous réconcilient avec l'humanité.

Enfin, s'annonce un festival « Débarquement » dont le programme est effarant. Il y en aura à toutes les heures, sur toutes les chaînes, pour tous les goûts. Il est vrai que, pour un anniversaire, c'en est un! La Une a eu la bonne idée de confier dix minutes quotidiennes à Alain Decaux, pour qu'il raconte, pendant deux semaines, les péripéties au jour le jour de l'opération Overlord, images à l'appui. Voilà une façon intelligente de traiter l'événement. « Les Brûlures de l'histoire » l'ont déjà salué, selon leur formule, d'excellente façon avec la collaboration précieuse de Gilles Perrault. On a de l'appétit pour cette formidable page d'histoire. Nul doute qu'il va être comblé.

F. G.



Françoise Giroud

Le Nouvel Observateur
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024