Fiche du document numéro 13587

Num
13587
Date
Dimanche 22 mai 1994
Amj
Hms
11:59:00
Auteur
Fichier
Taille
87317
Pages
2
Urlorg
Titre
"On a été formés pour tuer des Tutsis"
Cote
reutfr0020011106dq5m00zsc
Source
Fonds d'archives
Type
Dépêche d'agence
Langue
FR
Citation
KABUGA (RWANDA), 20 mai, Reuter - Nous avons été entraînés pour tuer,
pour éliminer tous les Tutsis et leurs sympathisants; c'est ce que les
chefs de l'armée nous ont appris à faire
, sanglote Juliana
Mukanyarwaya, 26 ans, membre de l'ethnie hutue, tribu majoritaire au
Rwanda.

Avec ses 21 compagnons de la très redoutée milice interahamwe,
Juliana est retenue prisonnière par les rebelles du Front patriotique
rwandais (FPR), à environ 5 km de la capitale, Kigali.

Juliana raconte que le jour de l'arrivée des rebelles, elle venait
juste de tuer à coups de massue cloutée un adolescent tutsi sans
défense: Il avait déjà été abattu mais les soldats m'ont demandé de
l'achever
.

Juliana explique que son unité était commandée par Jean-Baptiste
Gatete, maire de Murambi, une commune de l'est du pays, et militant du
MRND (Mouvement Républicain national pour le développement), le parti
du défunt président Habyarimana.

Il coordonnait toutes nos activités, précise Juliana avant d'ajouter:
Il est maintenant en Tanzanie, dans un camp de prisonnier. Si le FPR
m'emmène au camp, je peux l'identifier
.

Du fond de sa prison de fortune, une maison abandonnée au pied de
collines luxuriantes, entourée de bananiers et de cases noircies par
les flammes, Juliana confesse: Je me sens coupable d'avoir fait ce que
j'ai fait, mais je ne me sens pas responsable. Je ne faisais
qu'exécuter les ordres. Je n'avais pas le choix
.

Les compagnons de cellules de Juliana arrêtés voici deux semaines, font
partie des 2.000 prisonniers de guerre que le FPR déclare détenir dans
les territoires qu'il contrôle, dans le nord et l'est du pays.

Le FPR s'occupe bien de nous. Ils nous ont bien traité, reconnaît
Juliana.

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400 Tutsis tués sous ses yeux
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Un des adolescents déguenillés qui partage la cellule de Juliana, a
tout juste 16 ans. Il hausse la voix pour couvrir le bruit des tirs
d'artillerie et raconte qu'il appartenait à une unité de interahamwe
chargée d'identifier les Tutsis de Kabuga et de les dénoncer aux
autorités militaires.

Une fois que j'avais déterminé qui était tutsi ou qui était un de
leurs sympathisants, je faisais mon rapport à l'armée. Un jour, les
soldats sont venus tuer 400 Tutsis. J'ai assisté à la scène
, dit-il.

Selon lui, environ 4.000 des 10.000 Tutsis de Kabuga ont été tués
depuis l'attentat qui a causé la mort du président Habyarimana, le 6
avril.

Les chefs de l'armée nous ont dit qu'ils (les Tutsis) avaient tué le
président alors on nous a dit de le venger
, dit-il.

J'ai vu des femmes violées à plusieurs reprises pendant quatre ou cinq
jours avant qu'on ne leur fracasse le crâne à coup de massue ou qu'on
ne les abatte devant leurs enfants
, témoigne-t-il.

Un autre prisonnier, 74 ans, dit, comme pour s'excuser:Je regrette ce
que j'ai fait. Je le regrette devant Dieu, devant l'humanité, j'ai
honte mais qu'auriez-vous fait à ma place ?


Nous n'avions pas le choix. Soit vous participiez au massacre, soit
vous étiez massacrés avec toute votre famille. Alors j'ai pris les
armes et j'ai défendu les membres de ma tribu contre les Tutsis
,
conclut-il. /CIC

(c) Reuters Limited 1994
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