Fiche du document numéro 13509

Num
13509
Date
Samedi 14 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
128961
Pages
2
Urlorg
Titre
Le procureur général de Kigali parle
Sous titre
M.Nkubito a pu échapper aux massacres. Pour lui, les tueurs ont pour objectif d'empêcher la mise en oeuvre d'un processus démocratique au Rwanda.
Nom cité
Mot-clé
Cote
no 15473
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
ALPHONSE MARIE NKUBITO est président du collectif des ligues et associations de défense des droits de l'homme. Magistrat depuis 1978, il a été nommé en 1982 procureur général à la cour d'appel de Kigali. Il répond aux questions de « L'Humanité ».

Comment expliquez-vous les massacres perpétrés au Rwanda?

J'ai assisté à un processus qui a été planifié. L'élimination systématique d'opposants politiques, l'épuration ethnique, le génocide ont été préparés avec soin, à telle enseigne que personne ne pouvait sortir du pays, même si l'on habitait le long de la frontière. Moi-même, je n'ai eu la vie sauve que par l'intervention d'un militaire ami qui avait appris que l'ordre avait été donné de me tuer avec toute ma famille et qui nous a fait évacuer le 8 avril.

Avez-vous vu ou entendu parler de massacres?

Oui. Etant président des associations des droits de l'homme, les victimes m'appelaient au secours, alors que moi-même, je ne pouvais pas bouger. J'ai demandé à la gendarmerie d'intervenir. En vain. J'ai essayé de faire appel aux forces des Nations unies, la MINUAR. Il me fut répondu qu'elles ne pouvait pas bouger. Au fil des heures, j'apprenais que tel ou tel qui venait de me téléphoner avait été tué.

Je ne suis pas un politicien. Je ne me situe pas dans l'opposition. Je dénonce toute violation des droits de l'homme d'où qu'elle vienne. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai été victime de tentatives d'assassinat en novembre 1993. J'avais fait emprisonner un proche du président qui détournait l'aide destinée aux personnes déplacées. On a voulu me tuer, car on avait acheté d'autres magistrats qui étaient disposés à le libérer.

Qui a commis ces massacres?

Ils ont été perpétrés d'abord par la garde présidentielle, rejointe ensuite par des milices du parti du président. Les causes sont claires: la mouvance présidentielle avait pour objectif d'empêcher l'application des accords de paix d'Arusha sur le partage démocratique du pouvoir.

Quelle est, selon vous, l'attitude de la France?

Le rôle de la France est difficilement identifiable. J'ai été reçu à l'Elysée où on m'a dit que le fait de recevoir un envoyé du « gouvernement intérimaire » n'était pas une reconnaissance de ce dernier. Mais le fait même qu'il ait été reçu suscite des interrogations, d'autant plus que cette « autorité » a été installée par les militaires.

Est-il vrai que la tragédie rwandaise est le résultat d'une guerre entre deux ethnies historiquement opposées?

Il ne s'agit pas de cela. En fait, les Tutsi ou les Hutu sont des classifications qui, historiquement, n'ont pas de fondements. Il y a dans mon pays des pasteurs et des cultivateurs. C'est la seule distinction apparente entre nous. Mais soit. Avec la colonisation, cette distinction a été marquée sur les cartes d'identité. Il y a maintenant des gens qui sont Tutsi, Hutu ou Twa par leur carte d'identité. L'argument ethnique a été utilisé pour assurer le maintien ou l'accession au pouvoir de l'une ou l'autre faction. Aujourd'hui, on tue tous les Tutsi que l'on assimile au Front patriotique rwandais (FPR). C'est grâce à leur carte d'identité que l'on sélectionnait ceux qui devaient être massacrés. Même des Tutsi membres du parti présidentiel ont été tués. Tous ceux qui étaient considérés comme des opposants ont été la cible des tueurs. Moi-même, je suis hutu. J'étais en cinquième position sur la liste des gens à abattre. C'est la démocratie qui était visée.

Comment expliquez-vous le silence, en France en particulier, sur les massacres?

C'est aux autorités françaises de s'expliquer. La France étant amie du Rwanda, nous attendions qu'elle condamne sérieusement les massacres et les massacreurs, qu'elle exige qu'ils soient jugés. Comment peut-on prétendre qu'il n'y a pas eu de génocide? Ce qui s'est passé est bien un crime contre l'humanité. On a systématiquement éliminé les gens de l'opposition à cause de leur opinion. On a éliminé systématiquement les Tutsi à cause de leur appartenance communautaire. Cela porte un nom: génocide. Nous demandons à la France de se prononcer pour la constitution d'un tribunal chargé de condamner ces criminels. Nous voulons que la France soutienne les accords d'Arusha, qui instituent le partage du pouvoir, garantissant la démocratie, le droit des minorités et le respect des droits de l'homme.

Propos recueillis par Michel Muller
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024