Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.
PASCAL MUNYAMPIRWA est un opposant de longue date à la dictature. Il a dû fuir le Rwanda pour se réfugier au Zaïre. Les tueurs du général Habyarimana l'ont retrouvé et Pascal a dû fuir de nouveau, cette fois vers le Burundi. Je l'ai rencontré au Rwanda. Pendant plusieurs jours, nous ne nous sommes guère quittés. Il m'a guidé à travers le pays. Pascal est devenu mon ami.
Il n'y a plus de courrier au Rwanda, mais les lettres circulent de la main à la main, dans l'espoir de trouver un jour leurs destinataires. Ainsi, l'autre jour, une enveloppe attendait Pascal à Mulindi. Elle lui a été adressée par l'un de ses frères, l'abbé Modeste. Son contenu peut se résumer en une phrase atroce: la population de son village natal a été massacrée, toute la famille de Pascal a disparu. Deux survivants seulement, l'abbé Modeste, réfugié au Zaïre, une nièce, dont j'ai pu faire connaissance à Byumba.
« Tous les Rwandais sont en deuil, me dit Pascal. Les Tutsi et les Hutu qui sont dans l'opposition. Comme tous mes compatriotes, je suis issu d'une famille très nombreuse. Ils ont tous été assassinés: mes oncles, mes tantes, mes soeurs, mes frères, leurs enfants »...
« Ces massacres avaient été préparés. La mort d'Habyarimana a été le prétexte, non la cause. Tu as vu, partout, ces gourdins, ces haches, ces machettes abandonnés dans leur fuite par les tueurs. La tuerie était programmée depuis longtemps par Habyarimana lui-même. Je t'ai montré un journal de la dictature. Il annonçait les massacres pour la fin mars. Une erreur de quelques jours seulement puisqu'ils ont commencé début avril. Ce journal, à ton retour, fais-le traduire. Il faut que les preuves soient connues à travers le monde. »
« Il n'y a pas que les armes blanches. Tu as vu les fusils saisis. Ils viennent de France, d'Afrique du Sud et d'Egypte. Comment comprendre la protection apportée par la France aux meneurs, ceux qui ont préparé le coup ? Agathe, l'épouse du dictateur, est en France. Protais Zigiranyirazo, le beau-frère d'Habyarimana, aussi. De là-bas, ils continuent d'attiser les massacres. »
« Quels intérêts peuvent bien exister entre les chefs des massacreurs et certaines personnalités françaises? Les ventes d'armes? Le commerce de la drogue? Des commissions occultes?... Je l'ignore. Ce qui se passe ici ne peut se comparer qu'à ce que Hitler a commis en Europe. Alors, pourquoi ce soutien, ces protections? »
« Les assassins qui ont massacré ma famille étaient commandés par le préfet de Cyangugu, Emmanuel Bagambiki. Il est venu une première fois pour pousser les Hutu de cette région à massacrer les gens vivant sur la ``colline des Tutsi''. Les Hutu ont refusé. Là-bas, ils sont nombreux à rejeter la dictature, une grande partie d'entre eux avaient adhéré au MDR (Mouvement démocratique rwandais). Ils n'ont pas obéi au préfet. Alors il est reparti, puis revenu. Pas seul. Quatre camions bourrés de soldats de l'armée régulière. Il a donné l'ordre d'exterminer tout le monde: hommes, femmes, enfants. »
« Les militaires ont rassemblé les gens de ma colline dans la propriété de Côme Simugomwa, un parent éloigné qui tenait un magasin. Lui-même et sa famille ont été tués, en même temps que ma famille et celles de nos voisins. »
« Mon oncle et ma tante étaient âgés. Dans les soixante-quinze ans. Ils ont été brûlés vifs dans leur maison. De tous leurs enfants et les enfants de leurs enfants, personne n'a survécu. »
« Mon frère Antoine et sa famille, tous massacrés. Mes amis d'école: François Mugengano, Grandios Semucyo, Thadée... Sur la colline des Tutsi on ne trouvera sans doute plus personne. Ils étaient plus de trois cents à y habiter et à y travailler. Des paysans. Que pouvaient-ils faire face aux soldats? »
JEAN CHATAIN