Fiche du document numéro 13441

Num
13441
Date
Mardi 3 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
136621
Pages
2
Urlorg
Titre
Deux prêtres témoignent sur les atrocités au Rwanda
Sous titre
Ils ont assisté à des massacres et ont réussi à fuir. Un terrible acte d'accusation.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Cote
no 15463
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.

TOUS les témoignages recueillis sur les massacres au Rwanda concordent: les tueries ont été programmées soigneusement avant d'être mises à exécution sous la direction des forces gouvernementales.

Voici deux témoignages qui complètent cet acte d'accusation. Il s'agit de deux prêtres - abbé Fabien Ntaganira et abbé Rukanika - tous deux du diocèse de Kabgayi. Je les ai rencontrés. Ils racontent:

« Les massacres ont commencé à Kigali, sitôt connue la nouvelle de la mort du président. A Kabgayi, nous avons immédiatement vu arriver des colonnes de réfugiés venant de Kigali
commente Fabien Ntagamika. Dimanche matin, mon cuisinier vient me prévenir: Il y a des gens qui veulent vous tuer. Il me conseille de partir. »

« Lundi, je suis allé à l'évêché pour demander l'autorisation de partir. Le carnage se généralisait et les réfugiés de Kigali étaient de plus en plus nombreux. Tout le monde paniquait. Nous ne cessions d'apprendre que d'autres massacres avaient lieu dans telle ou telle préfecture. J'ai commencé à avoir vraiment peur. »

« Mardi, le gouvernement a quitté Kigali pour Gitarama, tout près de chez nous. Les massacres prenaient une très grande ampleur. Au point que même des gens de Gitarama commençaient à fuir vers le sud. Les Interanamwe (littéralement: ceux qui tuent ensemble) étaient déjà arrivés dans la partie nord de Gitarama. Ils avaient des armes. Jeudi, on me confirmait qu'un militaire se renseignait sur l'appartenance ethnique des prêtres réfugiés à l'évêché. Un coup de téléphone anonyme nous accusait de cacher des ennemis et nous menaçait de mort. Un hôpital, installé sur le territoire du diocèse et qui avait accueilli une centaine de blessés, a reçu le même appel anonyme: Nous venons les achever. Ils l'ont fait. »

« Vendredi matin, l'évêque nous a aidés à trouver des laissez-passer, car nous ne pouvions partir sans l'autorisation du préfet. Vers trois heures, nous prenions le chemin de l'exil. »

Butare ville morte



« Nous sommes arrivés à Butare. La ville était presque morte. On ne voyait que des soldats et des maisons en train de brûler. Sur les routes, des gens avec des armes blanches, et d'autres qui fuyaient en larmes. Et des cadavres, beaucoup de cadavres, descendant la rivière Akanyaru. Les douaniers et les soldats ne disaient rien à tous ces gens armés. Après notre passage, nous avons su que les militaires se déployaient tout au long de la frontière pour empêcher les départs vers le Burundi. Moi-même, je n'ai pu passer qu'en corrompant un gendarme (3.000 francs rwandais, approximativement 180 francs français). Mais le lendemain, tous ceux qui tentaient de traverser étaient fusillés par les militaires rwandais. Un prêtre, Firmin Butera, ferait partie des victimes.
Lundi, quand nous sommes arrivés à Bujumbura, nous avons rencontré un frère des écoles chrétiennes, blessé par les militaires. Il nous a raconté le massacre de la paroisse de Kibeho (un lieu de pèlerinage pour les catholiques de cette partie de l'Afrique - NDLR). Les réfugiés, soutenus par les prêtres de la paroisse, s'étaient défendus et avaient repoussé les agresseurs. Alors, ce sont les militaires et la police communale qui sont venus, dirigés par le bourgmestre et le sous-préfet. Une attaque de grande envergure avec des armes à feu. Plus de 4.000 personnes ont trouvé la mort à Kibeho. Les réfugiés étaient entassés dans les locaux de l'église, de l'école primaire et de l'école secondaire; les militaires les ont massacrés à la grenade. »
La sinistre litanie se poursuit.

Cyhinda [Cyahinda], « peut-être 2.000 morts ». Le prêtre qui me parle fait soudain une atroce pantomime: « Les plus jeunes enfants il les tuaient comme ça: par les jambes, un coup sur la nuque. »

Le récit est maintenant achevé. Les deux prêtres font part alors de leur amertume et de leurs doutes: « Pourquoi les évêques n'ont-ils pas réagi? Ils ont fait quelques discours, mais n'ont eu aucune action prophétique. S'ils l'avaient fait, peut-être les massacres se seraient arrêtés. Non, les autorités religieuses n'ont rien fait. Parmi les prêtres tués étaient particulièrement visés ceux qui militaient pour la défense du droit de l'homme. »

« Depuis longtemps, certaines autorités de l'Eglise au Rwanda collaboraient étroitement avec le gouvernement. L'archevêque de Kigali (Vincent Nsengiyumva, qui fut par ailleurs membre du Comité central du MLND) était un proche du général-président Habyarimana. D'autres avaient peur de s'exprimer. Deux évêques seulement (sur neuf que compte le Rwanda - NDLR) se sont engagés personnellement, ceux de Kibungo et de Kabgayi. L'évêque de Rwankeri [Rugengeri], lui, a osé officiellement demander aux chrétiens de soutenir le gouvernement actuel. »

Les prêtres ont appris que « l'Humanité» avait publié une liste de membres du clergé assassinés par les milices gouvernementales (voir « l'Humanité » de samedi dernier). Ils ont vu cette liste et me demandent s'il est, hélas, possible de la compléter. Et de m'énumérer de nouveaux noms: abbé Ananie Rugasira, professeur au petit séminaire de Ndera; le prêtre Louis Glasore, du diocèse de Nyundo; abbé François Rwigezna, de la paroisse de Muhororo; abbé Silas Gasake, de la paroisse de Muhororo; abbé Lucien Rwabashi. Les soeurs de la congrégation des Benedikira (soeurs de Marie) des diocèses de Nyundo, Kigali, et Kabuga ont été massacrées.

JEAN CHATAIN
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024