Fiche du document numéro 127

Num
127
Date
Mercredi 15 decembre 1999
Amj
Auteur
Fichier
Taille
214815
Pages
86
Titre
Rapport de la Commission indépendante d'enquête sur les actions de l'Organisation des Nations Unies lors du génocide de 1994 au Rwanda
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Cote
S/1999/1257
Source
ONU
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
NATIONS
UNIES

S
Conseil de sécurité
Distr.
GÉNÉRALE
S/1999/1257
16 décembre 1999
FRANÇAIS
ORIGINAL : ANGLAIS

LETTRE DATÉE DU 15 DÉCEMBRE 1999, ADRESSÉE AU PRÉSIDENT
DU CONSEIL DE SÉCURITÉ PAR LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
Dans ma lettre du 18 mars dernier (S/1999/339), je vous ai informé de mon
intention d’établir une procédure d’enquête indépendante sur les actions de
l’Organisation des Nations Unies lors du génocide au Rwanda en 1994, et vous ai
prié d’en faire part aux membres du Conseil. Je vous ai demandé de bien vouloir
me confirmer que le Conseil de sécurité appuyait cette importante entreprise.
Dans votre réponse du 26 mars (S/1999/340), vous m’avez fait savoir que le
Conseil souscrivait à la ligne de conduite proposée.
Comme suite à cet échange, j’ai constitué une commission présidée par
Ingvar Carlsson, ancien Premier Ministre suédois, qu’étaient chargés d’assister
Han Sung-Joo, ancien Ministre des affaires étrangères de la République de Corée,
et le général Rufus M. Kupolati du Nigéria. La Commission s’est acquittée avec
la diligence et l’efficacité les plus grandes de la tâche qui lui était confiée.
Vous trouverez ci-après un exemplaire du rapport de la Commission, que je
vous serais très obligé de bien vouloir porter à l’attention des membres du
Conseil.
(Signé) Kofi A. ANNAN

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ANNEXE
Lettre datée du 15 décembre 1999, adressée au Secrétaire général
par les membres de la Commission indépendante d’enquête sur les
actions de l’Organisation des Nations Unies lors du génocide
de 1994 au Rwanda
La Commission indépendante d’enquête sur les actions de l’Organisation des
Nations Unies lors du génocide de 1994 au Rwanda a l’honneur de vous faire tenir
le rapport ci-après, conformément au mandat que vous lui avez assigné par votre
lettre au Conseil de sécurité datée du 18 mars 1999. Les membres de la
Commission tiennent à remercier tous ceux qui ont coopéré avec eux et facilité
leurs travaux. Ils savent gré, en particulier, aux deux conseillers spéciaux de
la Commission, Elinor Hammarskjöld et Lee Shin-wha, d’avoir bien voulu leur
apporter leur très précieux concours.
(Signé) Ingvar CARLSSON

(Signé) Rufus M. KUPOLATI
(Signé) HAN Sung-Joo

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Pièce jointe
RAPPORT DE LA COMMISSION INDÉPENDANTE D’ENQUÊTE SUR LES
ACTIONS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES LORS DU
GÉNOCIDE DE 1994 AU RWANDA
15 DÉCEMBRE 1999
I.

INTRODUCTION

Quelque 800 000 personnes ont été massacrées lors du génocide de 1994 au
Rwanda. Le carnage dont hommes, femmes et enfants ont été victimes au cours
d’une centaine de jours entre avril et juillet 1994 constitue l’un des
événements les plus abominables qui entacheront à tout jamais le XXe siècle dans
la mémoire des hommes. Les Rwandais ont tué des Rwandais, décimant avec
férocité la population tutsie du pays, mais s’attaquant aussi aux Hutus modérés.
D’inqualifiables atrocités ont été commises, par les milices et les forces
armées, mais aussi par les civils contre d’autres civils.
Outre qu’elle n’a pas empêché le génocide, la communauté internationale n’a
pas fait cesser la tuerie une fois qu’il a commencé. Cette défaillance a laissé
de profondes blessures dans la société rwandaise et pèse encore aujourd’hui sur
les rapports assombris entre le Rwanda et la communauté internationale, en
particulier l’Organisation des Nations Unies. Les plaies ouvertes alors doivent
être pansées, pour le bien du peuple rwandais et pour celui de l’ONU. C’est
pour le Rwanda, pour l’ONU et pour tous ceux, où qu’ils se trouvent, qui
risqueraient d’être victimes d’actes de génocide à l’avenir, qu’il importe
d’établir la vérité.
En s’efforçant d’élucider ce qu’a été le rôle de l’ONU au cours du
génocide, la Commission d’enquête espère contribuer à la restauration de la
confiance entre le Rwanda et l’Organisation, faciliter la réconciliation entre
les Rwandais et aider à éviter que pareil drame ait jamais lieu à l’avenir. La
Commission a analysé le rôle des différents acteurs et organes du système des
Nations Unies. Chacun de ceux-ci, en particulier le Secrétaire général, le
Secrétariat, le Conseil de sécurité et les États Membres de l’Organisation, doit
reconnaître sa part dans l’échec de la communauté internationale au Rwanda et en
assumer la responsabilité. Il importe aussi que cette admission s’accompagne
d’une aspiration vers le changement : de la volonté résolue de faire en sorte
que des catastrophes telles que le génocide au Rwanda ne se produisent jamais
plus, où que ce soit.
C’est sur le système des Nations Unies tout entier que retombe la
responsabilité de n’avoir su ni prévenir ni mettre fin au génocide au Rwanda.
La carence première a consisté à ne pas mobiliser les ressources et l’engagement
politique qu’appelaient les événements du Rwanda et la présence des
Nations Unies dans le pays. Les États Membres ont persisté à ne pas témoigner
de la volonté politique voulue et à se refuser d’agir de façon suffisamment
résolue. Ces pesanteurs, qui ont influé sur l’action du Secrétariat et la prise
de décisions au Conseil de sécurité, ont également transparu dans les
difficultés qu’il a maintes fois fallu surmonter afin d’obtenir les troupes
nécessaires à la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).
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Enfin, bien que la MINUAR se soit ressentie d’une pénurie chronique de
ressources et du faible rang de priorité politique auquel elle a été maintenue,
il convient aussi de faire observer que de graves erreurs ont été commises dans
l’affectation des moyens mis à la disposition de l’ONU.
Dans une lettre datée du 18 mars 1999 (S/1999/339), le Secrétaire général a
informé le Conseil de sécurité de son intention d’établir une procédure
d’enquête indépendante sur les actions de l’Organisation des Nations Unies au
cours du génocide de 1994 au Rwanda. Dans leur réponse (S/1999/340), les
membres du Conseil ont déclaré souscrire en l’espèce à l’initiative envisagée.
En mai 1999, le Secrétaire général a chargé M. Ingvar Carlsson (ancien Premier
Ministre suédois), M. Han Sung-Joo (ancien Ministre des affaires étrangères de
la République de Corée), et le général Rufus M. Kupolati (à la retraite)
(Nigéria) de mener l’enquête.
La Commission indépendante d’enquête a reçu pour mandat d’établir les faits
relatifs à la manière dont l’Organisation des Nations Unies avait fait face au
génocide au Rwanda d’octobre 1993 à juillet 1994, et de faire au Secrétaire
général des recommandations à ce sujet. Le présent rapport est soumis en
application de ce mandat.
Il était demandé à la Commission d’enquête d’établir une chronologie des
événements clefs ayant marqué l’intervention des Nations Unies au Rwanda
d’octobre 1993 à juillet 1994. Il était attendu d’elle qu’elle évalue le mandat
et les ressources de la MINUAR et la manière dont ceux-ci avaient influé sur
l’action des Nations Unies face aux événements auxquels étaient liés les
massacres. Il lui était également demandé de tirer les conclusions voulues et
les enseignements du drame et de présenter son rapport au Secrétaire général
dans les six mois qui suivraient le début de l’enquête. Il était entendu que la
Commission aurait librement accès à tous les documents de l’ONU et aux personnes
concernées.
La Commission a commencé ses travaux le 27 juin 1999.
La Commission avait pour mandat d’enquêter sur les actions de
l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble. Le soin lui incombait ainsi
d’étudier les actions de la MINUAR, du Secrétaire général et du Secrétariat, de
même que celles des États Membres de l’Organisation et des organes politiques
dans lesquels ils sont représentés. En ce qui concerne les actions des États
Membres, la Commission s’est principalement intéressée à celles des positions
prises qui ont influé sur la manière dont l’ONU a réagi face au drame qui se
déroulait au Rwanda. Il appartiendra à d’autres d’analyser les questions plus
vastes soulevées par les positions de tel ou tel pays sur le problème du Rwanda.
L’Organisation de l’unité africaine (OUA) et d’autres acteurs régionaux ont
joué un rôle important tout au long du processus de paix et durant la crise au
Rwanda. Ayant pour mandat d’enquêter sur le rôle de l’ONU, la Commission a mis
l’accent sur l’influence que les acteurs régionaux avaient exercée à cet égard.
Le Groupe international de personnalités éminentes de l’OUA, dont le rapport est
attendu pour l’an prochain, pourra sans nul doute rendre pleinement compte des
divers aspects de la perspective régionale sur le génocide au Rwanda.

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La Commission a pu s’entretenir avec un grand nombre de personnes (dont la
liste figure à l’annexe II) ayant eu connaissance de faits l’intéressant.
La Commission a étudié les archives de l’ONU. Outre les archives centrales
de l’Organisation, elle a étudié les dossiers tenus par un certain nombre de ses
services, dont le Cabinet du Secrétaire général, le Département des opérations
de maintien de la paix et le Département des affaires politiques, ainsi que les
archives de la MINUAR. Elle a également eu accès à des documents émanant de
sources gouvernementales et non gouvernementales. Dans une lettre datée du
8 septembre, elle a invité tous les pays qui avaient fourni des contingents à la
MINUAR au cours de la période sur laquelle portait son mandat à lui faire part
de leurs observations ou à lui communiquer des éléments d’information.
La Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide établit les critères définissant ce qu’il faut entendre par génocide,
soit l’un des crimes les plus ignominieux pouvant être perpétrés à l’encontre
d’une population. Pour l’essentiel, la Convention établit à la fois que
certains actes doivent avoir été commis et l’avoir été dans une intention bien
précise : celle de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel. Le Conseil de sécurité s’est fondé sur les
mêmes critères pour établir le mandat du Tribunal pénal international pour le
Rwanda que contient la résolution 955 (1994). Le Tribunal a établi que le
massacre de Tutsis au Rwanda en 1994 constituait un génocide, en l’espèce un
génocide planifié et mis à exécution par les extrémistes hutus à l’encontre des
Tutsis.
II.

LES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS

L’Accord de paix d’Arusha
Le 4 août 1993, après plusieurs années de négociations, le Gouvernement de
la République rwandaise et le Front patriotique rwandais (FPR) signaient
l’Accord de paix d’Arusha. Cet accord prévoyait que les Nations Unies
joueraient un rôle très large, par le biais d’une "Force internationale neutre
(FIN)", dans la surveillance de la mise en oeuvre de ces dispositions pendant
une période de transition censée s’étendre sur 22 mois. Quelques semaines plus
tôt, dans une réponse conjointe adressée au Secrétaire général en date du
14 juin 1993 (S/25951), le Gouvernement et le FPR avaient demandé que soit créée
une force de ce genre et prié le Secrétaire général d’envoyer une mission de
reconnaissance au Rwanda pour en dresser les plans. Les parties s’étaient
également entendues sur le fait que le Groupe d’observateurs militaires neutres
(GOMN II) de l’OUA pourrait être intégré à la FIN.
Selon l’Accord de paix d’Arusha, la FIN était censée contribuer à la mise
en oeuvre de l’Accord, plus particulièrement en supervisant la mise en oeuvre du
Protocole sur l’intégration des forces armées des deux parties. Elle était
également censée mener une large gamme de missions de sécurité : garantir la
sécurité générale du pays et vérifier le maintien de l’ordre public, assurer la
sécurité de la distribution d’aides humanitaires et contribuer à assurer la
sécurité de la population civile. Il était également demandé à la Force de
contribuer à la recherche des caches d’armes et à la neutralisation des bandes
armées à travers tout le pays, d’effectuer des opérations de déminage, de
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contribuer à la récupération de toutes les armes distribuées à la population
civile ou acquises illégalement par celle-ci et à contrôler le respect de la
cessation des hostilités. En outre, la FIN était censée assumer la
responsabilité de l’établissement et de l’aménagement de points de rassemblement
et de cantonnement et déterminer des paramètres de sécurité pour Kigali en vue
d’en faire une zone neutre. Parmi les autres tâches qui lui étaient assignées
figurait le contrôle du processus de démobilisation de ceux des militaires et
des gendarmes qui n’étaient pas destinés à intégrer les nouvelles forces armées.
La FIN, enfin, devait être informée de toute violation du cessez-le-feu et en
poursuivre les auteurs.
Le calendrier d’application de l’Accord reposait sur l’hypothèse que la FIN
serait déployée dans un délai d’environ un mois. Bien avant la signature de
l’Accord, les représentants des Nations Unies avaient informé les parties que
cette hypothèse n’était pas réaliste. Dans les mois précédant l’adoption de
l’Accord, le Gouvernement, qui avait jusque-là retardé sa signature, pressa
l’ONU d’entamer les préparatifs du déploiement avant même que l’Accord ne soit
signé. L’ONU fait valoir que la planification d’une opération de maintien de la
paix ne pouvait pas être engagée si les parties ne manifestaient pas d’abord
leur attachement au processus de paix en signant l’Accord.
Une semaine à peine après la signature de l’Accord, l’ONU publiait un
rapport qui peignait un tableau très sombre et inquiétant de la situation des
droits de l’homme au Rwanda. Ce rapport faisait suite à la mission effectuée au
Rwanda, du 8 au 17 avril 1993, par le Rapporteur spécial sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires de la Commission des Nations Unies
sur les droits de l’homme, M. Waly Bacre Ndiaye. Ndiaye avait établi que le
Rwanda était le théâtre de massacres et de nombreuses autres graves violations
des droits de l’homme. Le fait que la population tutsie était prise pour cible
avait conduit Ndiaye à se demander si la qualification de génocide pouvait être
envisagée. Après avoir dit qu’il ne pouvait porter à ce stade un tel jugement,
il se référait à la Convention sur le génocide et disait que les cas de violence
intercommunautaire portés à son attention montraient "très clairement que les
victimes des attaques, des Tutsis dans l’écrasante majorité des cas, avaient été
désignés comme cibles uniquement à cause de leur appartenance ethnique, et pour
aucune autre raison objective". En plus de signaler la gravité du risque de
génocide au Rwanda, Ndiaye recommandait une série de mesures destinées à
prévenir de nouveaux massacres et autres violations, mais son rapport semble
avoir été largement ignoré par les principaux acteurs du système des
Nations Unies.
Pour faire suite à l’Accord d’Arusha, le Secrétaire général a dépêché une
mission de reconnaissance dans la région du 19 au 31 août 1993 en la chargeant
d’étudier les fonctions qui pourraient être confiées à la FIN et d’évaluer les
ressources nécessaires à une opération de maintien de la paix de ce genre. La
mission était conduite par le général Romeo A. Dallaire (Canada), qui était à
l’époque chef du Groupe d’observateurs militaires de la Mission d’observation
des Nations Unies Ouganda-Rwanda (MONUOR). Elle comprenait également des
représentants d’autres organismes du système des Nations Unies.
Par une déclaration de son président en date du 10 septembre (S/26425), le
Conseil de sécurité se félicitait de la signature de l’Accord d’Arusha et
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faisait savoir qu’il avait conscience des espoirs qu’avaient les parties
rwandaises que la communauté internationale prêterait assistance à la mise en
oeuvre de l’Accord. Les recommandations de la mission de reconnaissance
n’avaient pas encore, à cette date, été présentées au Conseil de sécurité.
Le 15 septembre, une délégation commune du Gouvernement rwandais et du FPR
était reçue par le Secrétaire général à New York. Ses membres firent valoir
l’importance de déployer rapidement une force internationale et de mettre en
place sans tarder les institutions de la transition. Prévenant que tout retard
risquait de provoquer l’effondrement du processus de paix, ils exprimèrent le
souhait de voir l’effectif de la Force s’élever à 4 260 personnes. Le
Secrétaire général fit entendre la voix du réalisme : même si le Conseil devait
approuver une force de cette envergure, il faudrait au moins deux ou trois mois
pour la déployer. L’ONU réussirait peut-être à envoyer quelques observateurs
supplémentaires en plus des 72 déjà sur place, mais même cela prendrait
plusieurs semaines. Il fallait donc prévenir le peuple rwandais que, dans
l’intervalle, il ne pouvait compter que sur lui-même. Le Gouvernement et le FPR
devaient faire un effort pour respecter le cessez-le-feu, poursuivit le
Secrétaire général, parce que si les combats devaient reprendre, il serait
encore plus difficile de trouver des contingents. Le Secrétaire général
mentionna aussi les demandes de troupes considérables qui étaient faites aux
Nations Unies, en particulier pour la Somalie et la Bosnie, et évoqua la crise
financière que traversait l’Organisation.
Création de la MINUAR
Le 24 septembre 1993, alors que la période de transition envisagée à
l’origine était déjà passée de deux semaines, le Secrétaire général soumit au
Conseil de sécurité un rapport portant sur la création d’une opération de
maintien de la paix au Rwanda (S/26488). Ce rapport était lui-même basé sur le
rapport de la mission de reconnaissance. Le Secrétaire général proposait le
déploiement en quatre phases d’une force de maintien de la paix comprenant
2 548 militaires, avec pour commencer le déploiement immédiat d’un élément
avancé comptant environ 25 militaires, 18 civils et 3 policiers. Cette première
phase devait durer trois mois, jusqu’à ce que soit mis en place le Gouvernement
de transition à base élargie (GTBE). Au cours de ces trois mois, l’opération
préparerait la mise en place d’une zone de sécurité à Kigali et surveillerait le
respect du cessez-le-feu. Le rapport du Secrétaire général précisait qu’à la
fin de la phase 1, l’effectif de l’opération comprendrait 1 428 militaires.
La mission devait être répartie sur cinq secteurs couvrant respectivement
Kigali, la zone démilitarisée, les forces gouvernementales et le FPR, tandis que
la MONUOR constituerait le cinquième secteur. Les trois derniers secteurs se
composeraient entièrement d’observateurs militaires responsables du contrôle de
l’application du Protocole d’accord sur l’intégration des forces armées. Cela
impliquait, entre autres, de surveiller le respect de la cessation des
hostilités, vérifier le désengagement des forces, les mouvements de troupes à
destination des points de rassemblement et l’acheminement des armes lourdes
jusqu’aux points de cantonnement, et contrôler les opérations de démobilisation
des militaires et des gendarmes.

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Les secteurs de Kigali et de la zone démilitarisée comprendraient chacun un
bataillon d’infanterie et des observateurs militaires. Il était proposé qu’en
sus de tâches analogues à celles prévues pour les autres secteurs, la MINUAR à
Kigali et dans la zone démilitarisée aiderait à récupérer et à vérifier les
armes en installant des postes de contrôle et en effectuant des patrouilles, et
qu’elle contribuerait aussi à assurer la sécurité des points de rassemblement et
de cantonnement. Une petite unité de police civile se verrait confier la tâche
de surveiller le maintien de l’ordre.
Le 5 octobre, le Conseil adoptait à l’unanimité la résolution 872 (1993)
par laquelle était créée la MINUAR. Le Conseil, qui n’avait pas approuvé tous
les éléments du mandat recommandé par le Secrétaire général, s’est prononcé pour
un mandat plus restreint. Il y manquait notamment l’idée que la MINUAR devrait
contribuer à la récupération des armes. Au lieu de cela, la résolution
prévoyait que la MINUAR devrait contribuer à assurer la sécurité de la ville de
Kigali, notamment à l’intérieur d’une zone libre d’armes établie par les parties
s’étendant dans la ville et dans ses alentours (souligné par les auteurs).
Le mandat de la MINUAR comprenait également les éléments suivants :


Superviser l’accord de cessez-le-feu, qui appelait à la mise en place
de points de cantonnement et de rassemblement et à la délimitation
d’une nouvelle zone démilitarisée ainsi qu’à la définition d’autres
procédures de démilitarisation;



Superviser les conditions de sécurité générales pendant la période
finale du mandat du Gouvernement de transition, jusqu’aux élections;



Contribuer au déminage, essentiellement au moyen de programmes de
formation;



Examiner, à la demande des parties ou de sa propre initiative, les cas
de non-application du Protocole d’accord sur l’intégration des forces
armées, en déterminer les responsables et faire rapport sur cette
question, en tant que de besoin, au Secrétaire général;



Contrôler le processus de rapatriement des réfugiés rwandais et de
réinstallation des personnes déplacées, en vue de s’assurer que ces
opérations étaient exécutées dans l’ordre et la sécurité;



Aider à la coordination des activités d’assistance humanitaire liées
aux opérations de secours; et



Enquêter et faire rapport sur les incidents relatifs aux activités de
la gendarmerie et de la police.

Dallaire fut nommé commandant de la force de la nouvelle mission. Arrivé à
Kigali le 22 octobre, il y fut rejoint le 27 octobre par un élément avancé
composé de 21 militaires. Le Secrétaire général nomma ensuite un ancien
Ministre des affaires étrangères du Cameroun, M. Jacques-Roger Booh Booh, son
Représentant spécial pour le Rwanda. M. Booh Booh est arrivé à Kigali le
23 novembre 1993.

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Le même jour, le général Dallaire envoyait à New York, pour approbation par
le Secrétariat, un projet de règles d’engagement à l’intention de la MINUAR. Ce
projet comprenait, en son paragraphe 17, une disposition qui autorisait
expressément la Mission à intervenir, y compris en utilisant la force, en
réponse à des crimes contre l’humanité et autres violations ("Du risque aussi de
voir commettre, pendant le mandat de la MINUAR, des actes criminels répondant à
des motifs ethniques ou politiques qui imposeraient à la MINUAR une obligation
morale et juridique d’utiliser tous les moyens disponibles pour y mettre un
terme, par exemple, des exécutions ou des attaques contre des personnes
déplacées ou des réfugiés"). Le Siège n’a jamais répondu de façon formelle à la
demande d’approbation envoyée par le commandant de la Force.
L’évolution de la situation au Rwanda en novembre et décembre 1993 était
une source de préoccupation pour la nouvelle opération de maintien de la paix.
Le processus politique était bloqué. Il était de plus en plus évident que les
difficultés politiques avaient pour toile de fond une violence chaque jour plus
visible. Selon l’ONU, une soixantaine de personnes avaient été tuées au cours
d’incidents violents pendant ces deux mois. Les rapports établis par la MINUAR
durant cette période décrivent crûment la brutalité avec laquelle ces meurtres
avaient été commis. À ce moment déjà, l’optimisme qu’avait suscité la signature
de l’Accord d’Arusha commençait à être mêlé de fortes inquiétudes concernant les
activités armées au Rwanda et l’existence de milices. Qui plus est,
l’assassinat du Président burundais Melchior Ndadaye à la fin d’octobre 1993,
les violences qui s’en étaient suivies et les mouvements de réfugiés qui en
étaient résultés ajoutaient au cadre dans lequel se déroulait la Mission un
nouveau motif d’inquiétude qui n’avait pas été prévu au moment de sa création.
Au début décembre, le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques,
James O. C. Jonah, se rendit brièvement au Rwanda après avoir assisté aux
obsèques du Président burundais. Jonah fut reçu par le Président rwandais, le
général Juvénal Habyarimana. Selon Jonah, le Secrétaire général lui avait
demandé oralement de prévenir le Président Habyarimana qu’il avait été informé
que des meurtres d’opposants étaient en cours de préparation et que l’ONU ne le
tolérerait pas. Le Secrétaire général n’avait pas révélé à Jonah la source de
cette information. Le Président Habyarimana a démenti, et Jonah a déclaré qu’il
avait communiqué ce démenti au Secrétaire général.
Dans un effort concerté pour débloquer le processus politique, M. Booh Booh
a convoqué le 10 décembre une réunion des partis politiques à Kinihara, au
Rwanda. Il est résulté de cette réunion une déclaration commune par laquelle
les partis politiques ont réaffirmé leur attachement aux objectifs de l’Accord
d’Arusha. Il n’en reste pas moins que le calendrier convenu par les parties au
conflit n’était toujours pas exécuté. À la fin du mois de décembre, un
bataillon du FPR fut caserné dans le complexe du Conseil national du
développement à Kigali, conformément aux dispositions de l’Accord de paix
d’Arusha. Le 5 janvier, toujours conformément à l’Accord, le Président
Habyarimana était inauguré. Cependant, des désaccords entre les partis
continuaient d’empêcher la formation du Gouvernement de transition à base
élargie et la mise en place de l’Assemblée nationale.

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Le câble du 11 janvier 1994
Le 11 janvier 1994, Dallaire envoya au Conseiller militaire du Secrétaire
général, le général Maurice Baril, un télégramme chiffré ou câble intitulé
"Demande de mise sous protection d’un informateur". Ce câble occupe une place
importante dans le débat sur la notion des informations dont disposait l’ONU
concernant le risque de génocide. Il y était écrit que Dallaire avait pris
contact avec un informateur qui était un instructeur de très haut niveau dans
les milices Interahamwe. Ce contact avait été arrangé par "un homme politique
très important" (que des câbles ultérieurs ont révélé être le Premier Ministre
désigné, M. Faustin Twagiramungu). Le câble communiquait des éléments
d’information de la plus haute importance.
Le premier élément d’information concernait une stratégie dont le but était
de provoquer le meurtre de soldats belges de la MINUAR et le retrait de leur
bataillon. L’informateur avait été chargé d’organiser les manifestations qui
avaient eu lieu quelques jours plus tôt contre les députés de l’opposition et
les soldats belges. Les milices Interahamwe espéraient que le bataillon du FPR
répondrait à leurs provocations en ouvrant le feu sur les manifestants. Les
députés devaient être assassinés et les troupes belges devaient elles aussi
faire l’objet de provocations. Si les Belges répondaient par la force, un
certain nombre d’entre eux seraient alors assassinés, ce qui garantissait que la
Belgique retirerait son contingent du Rwanda.
Deuxièmement, l’informateur disait que les Interahamwe avaient entraîné
dans les camps des forces gouvernementales 1 700 hommes qui étaient maintenant
répartis par groupes de 40 dans tout Kigali. Il avait reçu l’ordre de dresser la
liste de tous les Tutsis de Kigali, et il soupçonnait que c’était pour les
exterminer. Il disait encore que ses hommes pouvaient tuer jusqu’à 1 000 Tutsis
en 20 minutes.
Troisièmement, l’informateur avait révélé l’existence d’une forte cache
d’armes contenant au moins 135 fusils d’assaut G3 et AK 47. Il était prêt à en
indiquer l’emplacement à la MINUAR si sa famille était mise sous protection.
Après avoir ainsi rapporté les informations communiquées par l’informateur,
Dallaire faisait savoir au Secrétariat que la MINUAR avait l’intention de passer
à l’action dans les prochaines 36 heures. Il recommandait que l’informateur
soit mis sous protection et évacué et — sur ce point particulier, mais non pas
sur le précédent — il sollicitait l’avis du Secrétariat sur la façon de
procéder. Enfin, Dallaire reconnaissait éprouver certaines réserves concernant
la fiabilité de l’informateur et disait que la possibilité d’un piège ne pouvait
pas être complètement exclue. Néanmoins, le câble se terminait par un appel à
l’action — en français dans le texte — qui a été souvent cité : "Peux ce que
veux. Allons-y."
Le câble, qui était adressé à Baril, a été communiqué également à d’autres
hauts fonctionnaires du Département des opérations de maintien de la paix, y
compris M. Kofi Annan, qui était alors Secrétaire général adjoint, M. Iqbal
Riza, Sous-Secrétaire général, et M. Hedi Annabi, chef de la Section Afrique du
Département. Les deux Secrétaires généraux adjoints aux affaires politiques de
l’époque, MM. Marrack Goulding et James Jonah, ont déclaré aux auteurs de ce
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rapport que le câble ne leur avait pas été montré lorsqu’il est arrivé. Le
Cabinet du Secrétaire général recevait alors d’office copie de tous les câbles.
Les archives du Cabinet contiennent un exemplaire de celui du 11 janvier, mais
le Secrétaire général a déclaré qu’il ne lui en avait été montré une copie que
plus tard.
La première réponse du Siège à la MINUAR fut envoyée le soir du 10 janvier
(heure de New York). C’était un câble d’Annan à Booh Booh, portant les mentions
"Immédiat" et "Seulement" et signé par Riza. Il y était dit que les
informations rapportées dans le câble de Dallaire étaient inquiétantes, mais
qu’elles contenaient certaines contradictions. "Nous devons traiter cette
information avec prudence", poursuivait Annan. Le paragraphe final sollicitait
l’avis mûrement réfléchi de Booh Booh et ses recommandations. Il concluait que
"la MINUAR ne devra entreprendre aucune action de reconnaissance ou autre, y
compris en réponse à la demande de protection, avant d’avoir reçu des directives
claires du Siège".
Booh Booh répondit à Annan par câble également daté du 11 janvier. Le
Représentant spécial y rendait compte d’un entretien que Dallaire et le
conseiller politique de Booh Booh, M. Abdul Kabia, avait eu avec le Premier
Ministre désigné, qui avait exprimé son "entière confiance dans la véracité et
la sincérité de l’informateur". Booh Booh soulignait qu’il ne restait que 24 à
48 heures avant que l’informateur ne soit obligé de procéder à la distribution
des armes, et il sollicitait les instructions du Siège sur la façon de gérer la
situation, y compris en ce qui concernait la demande de protection de
l’informateur. Le paragraphe 7 et dernier du câble faisait savoir que Dallaire
était "prêt à mener l’opération en conformité avec la doctrine militaire, avec
reconnaissance, répétition de mission et par application d’une force écrasante.
Si les signes d’une résistance éventuelle ou la possibilité d’un scénario
inutilement risqué apparaissaient à quelque moment que ce soit du processus de
reconnaissance, de planification ou de préparation, l’opération serait
rapportée".
Le Siège répondit le même jour. Le câble était toujours établi sous le nom
d’Annan et signé par Riza mais il était adressé cette fois à Booh Booh et
Dallaire simultanément. Le Siège communiquait qu’il ne pouvait donner son
accord à l’opération envisagée au paragraphe 7 du câble de Booh Booh, car à son
avis elle dépassait clairement le mandat confié à la MINUAR par la résolution
872 (1993). À la place, et seulement si la MINUAR estimait que l’informateur
était absolument fiable, Booh Booh et Dallaire avaient pour instructions de
solliciter d’urgence une audience du Président Habyarimana et de lui faire
savoir qu’ils avaient reçu des informations apparemment fiables concernant des
activités des Interahamwe constituant une menace patente contre le processus de
paix. Ils devaient préciser à Habyarimana que les activités en question
comprenaient la formation et le déploiement de groupes subversifs à Kigali ainsi
que le stockage et la distribution d’armes à ces groupes. Ces activités
constituaient une violation manifeste de l’Accord d’Arusha et de la zone libre
d’armes de Kigali. Le câble invitait Booh Booh et Dallaire à faire comme si le
Président n’était pas au courant de ces activités; mais ils devaient aussi
insister pour que le Président procède immédiatement à une enquête, prenne les
mesures nécessaires et fasse en sorte qu’il soit mis fin aux activités
subversives. Ils devaient demander au Président de faire savoir à la MINUAR,
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dans les 48 heures, quelles mesures il avait prises, y compris pour récupérer
les armes en question. Si des incidents violents éclataient à Kigali, les
informations reçues sur les milices seraient portées à l’attention du Conseil de
sécurité; il serait procédé à une enquête sur la responsabilité des incidents
et des recommandations seraient faites au Conseil.
Avant leur audience avec le Président, Booh Booh et Dallaire devaient
communiquer ces informations aux Ambassadeurs de Belgique, de France et des
États-unis et leur demander d’effectuer des démarches similaires.
En conclusion, le câble du Siège soulignait que "le souci primordial était
la nécessité d’éviter de se lancer dans un type d’action qui risquait de
déclencher l’usage de la force et des conséquences imprévisibles".
Le 13 janvier, Booh Booh envoya à Annan une réponse dans laquelle il
décrivait les actions entreprises en exécution des instructions du Siège. Ce
câble chiffré était intitulé : "Initiatives prises en rapport avec les récentes
informations concernant la sécurité". Booh Booh faisait savoir au Siège que
Dallaire et lui avaient rencontré les chefs de mission belge, français et
américain, qui avaient exprimé leur grave préoccupation et dit qu’ils
consulteraient leurs capitales respectives. Booh Booh et Dallaire avaient
ensuite été reçus par le Président et lui avaient transmis le message comme ils
en avaient reçu l’ordre. Booh Booh précisait à l’intention du Secrétariat que
le Président avait semblé alarmé par le ton de la démarche. Il avait nié être
au courant des activités des milices et promis de faire enquête.
Au cours de l’incidence, Booh Booh et Dallaire avaient également soulevé la
question du harcèlement du personnel civil de la MINUAR et les violences
exercées contre des Rwandais "appartenant tous au même groupe ethnique" pendant
les manifestations du 8 janvier. Tout en répondant qu’il n’était pas au courant
des manifestations, le Président Habyarimana avait présenté ses excuses pour les
éventuels écarts de conduite à l’égard du personnel de la MINUAR. Il avait
suggéré que les deux questions soient évoquées avec le Bureau de son parti, le
Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND).
C’est ce que firent Booh Booh et Dallaire le même jour, lors d’un entretien
avec le Président et le Secrétaire national du MRND, qui nièrent l’un et l’autre
que le MRND ou sa milice fussent impliqués dans les activités incriminées.
Booh Booh et Dallaire leur demandèrent instamment de faire enquête et de rendre
compte à la MINUAR dans les meilleurs délais.
Dans une ultime observation, Booh Booh faisait savoir qu’une analyse
préliminaire de ces entretiens indiquait que tant le Président Habyarimana que
les dirigeants du MRND avaient été stupéfaits par la précision des informations
en la possession de la MINUAR. "Le Président du MRND semblait déconcerté et
aurait par la suite ordonné d’accélérer la distribution des armes. Mon [c’est
Booh Booh qui parle] évaluation de la situation est que la décision de
confronter les parties incriminées avec l’information en question était la bonne
et pourrait les forcer à décider d’adopter d’autres façons de déstabiliser le
processus de paix, notamment dans la région de Kigali."

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Il ressort clairement d’un câble adressé à Annan et Jonah par Booh Booh le
2 février, date à laquelle les conditions de sécurité avaient connu une
dégradation sensible, que le Président n’avait transmis à la MINUAR aucune
information sur les mesures qu’il était censé prendre comme suite aux
informations face auxquelles il avait été placé le 12 janvier.
Impasse politique et détérioration des conditions de sécurité
Les notes versées aux dossiers conservés par le Secrétaire général
indiquent qu’il s’est entretenu le 14 janvier avec Booh Booh et Habyarimana.
Selon les archives, Booh Booh a indiqué au Secrétaire général que les deux
parties en présence au Rwanda n’avaient pas respecté jusqu’alors l’accord
prévoyant la constitution d’un gouvernement et qu’il faisait de son mieux pour
trouver une solution en coopération avec les Ambassadeurs de la France, de la
Belgique, des États-Unis et de la Tanzanie. Le Secrétaire général a demandé à
Booh Booh de rencontrer le Président et de lui faire part de son inquiétude en
raison du retard dans le règlement de la situation. Booh Booh a été prié
d’expliquer que chaque jour de retard risquait de coûter des milliers de dollars
à l’ONU puisqu’il faudrait que les troupes restent disponibles plus longtemps.
De plus, les retards créaient aussi des difficultés avec le Conseil de sécurité.
À 19 h 30, le 14 janvier, le Président Habyarimana a téléphoné au
Secrétaire général. Habyarimana a déclaré qu’il avait reçu les quatre
Ambassadeurs (probablement ceux qui avaient été mentionnés par Booh Booh comme
indiqué ci-dessus) et qu’il avait besoin de leur appui et de celui de Booh Booh
pour pouvoir imposer une solution aux parties. La note versée au dossier
poursuit : "Le Secrétaire général a donné au Président l’assurance que l’ONU
avait confiance dans son autorité et l’a prié de faire de son mieux pour régler
le problème. Le Secrétaire général a expliqué que si aucun progrès n’avait
lieu, l’ONU serait obligée de mettre fin à sa présence. Le Président a dit que
ce serait une catastrophe pour son pays. Il s’est engagé à faire de son mieux
et à rencontrer de nouveau les Ambassadeurs la semaine suivante."
L’inquiétude s’est maintenue au sujet de la distribution d’armes, des
activités des milices, des assassinats et de la montée des tensions ethniques
durant tout le début de 1994. Dans un télégramme adressé à Annan et Jonah le
2 février, Booh Booh écrivait que les conditions de sécurité se détérioraient un
peu plus chaque jour. Il faisait état "de manifestations de plus en plus
violentes, d’attaques à la grenade commises chaque nuit, de tentatives
d’assassinat, de meurtres politiques et ethniques", ajoutant "et nous recevons
de plus en plus d’informations sérieuses et confirmées indiquant que les milices
armées des parties constituent des stocks et pourraient se préparer à distribuer
des armes à leurs partisans". Il poursuivait ensuite : "Si cette distribution a
lieu, elle aggravera plus encore les conditions de sécurité et créera un danger
considérable pour la sûreté et la sécurité du personnel militaire et civil des
Nations Unies et de la population toute entière." Booh Booh décrivait en outre
des signes qui laissaient penser que les FGR se préparaient à un conflit,
stockant les munitions et cherchant à renforcer leurs positions à Kigali. La
MINUAR décrivait un scénario sinistre : "Si l’attitude de concentration
défensive adoptée actuellement par la MINUAR à Kigali se maintient, les
conditions de sécurité se dégraderont davantage encore. Nous pouvons nous
attendre à des manifestations plus fréquentes et plus violentes, à des attentats
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à la grenade et des attaques armées plus nombreuses contre les groupes ethniques
et politiques, à la multiplication des assassinats et, selon toute
vraisemblance, à des attaques directes contre les installations et le personnel
de la MINUAR, comme on l’a vu dans le cas de la résidence du Représentant
spécial du Secrétaire général." La MINUAR concluait qu’il fallait mener des
opérations de dissuasion, déterminées et sélectives, visant des caches d’armes
confirmées et des individus dont on savait qu’ils détenaient illégalement des
armes. Booh Booh écrivait que ces opérations seraient effectuées non seulement
pour accomplir la mission de récupérer les armes illégales mais aussi pour
assurer la sécurité et l’activité ininterrompues du personnel et des
installations des Nations Unies au Rwanda. La MINUAR sollicitait les directives
et l’approbation du Siège pour entreprendre des opérations de dissuasion.
Durant le mois de février, Booh Booh a continué à tenter principalement
d’amener les parties à conclure un accord sur l’établissement des institutions
de transition. Simultanément, la mission a continué à faire part de
l’inquiétude que lui causait l’aggravation des conditions de sécurité, notamment
au cours d’une réunion avec la Belgique, la France, l’Allemagne et les
États-Unis, tenue le 15 février.
Le 14 février (le Livre bleu des Nations Unies sur le Rwanda indique le
14 mars), le Ministre des affaires étrangères de la Belgique, M. Willy Claes, a
adressé une lettre au Secrétaire général dans laquelle il préconisait un mandat
plus ferme pour la MINUAR. Malheureusement, cette proposition ne semble pas
avoir retenu sérieusement l’attention du Secrétariat ni celle des autres pays
intéressés.
De son côté, Dallaire insistait constamment pour obtenir l’autorisation de
prendre une part plus active aux opérations de dissuasion contre les caches
d’armes dans la zone de contrôle des armes de Kigali. Cependant, le Secrétariat
s’en tenait à l’interprétation du mandat rendue évidente par ses réponses au
télégramme de Dallaire, considérant que la MINUAR ne pouvait faire qu’appuyer
les efforts de la gendarmerie. Le 15 février, Dallaire mentionnait une
recommandation antérieure tendant à ce que soient engagées des actions
dissuasives "soutenues par" la gendarmerie et par l’armée; il soulignait
qu’aucune de ces deux institutions rwandaises ne disposait des ressources
nécessaires pour mener elle-même des opérations de bouclage et de fouille. Il
s’engageait à informer le Siège des détails des opérations pour lui permettre de
confirmer qu’elles étaient conformes aux directives données par le Secrétariat
et au mandat lui-même. En réponse, le Siège a fait part de ses doutes au sujet
de l’idée proposée par Dallaire et a demandé des précisions. Annan a souligné
que la sécurité publique relevait de la responsabilité des autorités et que rien
ne devait changer à cet égard. "Comme vous le savez, la résolution 792 [sic]
(1993) a seulement autorisé la MINUAR à ‘contribuer à la sécurité de la ville de
Kigali, à l’intérieur d’une zone de sécurité établie par (je répète par) les
parties’."
Dans une déclaration du Président datée du 17 février (S/PRST/1994/8), le
Conseil de sécurité s’est déclaré gravement préoccupé par la détérioration des
conditions de sécurité, particulièrement à Kigali, et a rappelé aux parties leur
obligation de respecter la zone de contrôle des armes. La déclaration a été
remise au Président Habyarimana le 19 février. Les 21 et 22 février,
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M. Félicien Gatabazi, Ministre des travaux publics et Secrétaire général du
Parti social démocrate (PSD), et M. Martin Buchnyana, Président de la Coalition
pour la défense de la République (CDR), ont été assassinés. Les tensions se
sont aggravées à Kigali et dans le reste du Rwanda. Dans un rapport du
23 février, Dallaire écrivait que d’abondants renseignements lui parvenaient au
sujet de la distribution d’armes, de listes de cibles désignées aux escadrons de
la mort et de préparatifs de troubles civils et de manifestations. "Le temps
pour les discussions politiques semble compté car la moindre étincelle du côté
de la sécurité pourrait avoir des conséquences catastrophiques."
Le lendemain, Booh Booh écrivait que, selon certaines indications, les
violences de la veille pouvaient avoir eu des motivations ethniques et être
dirigées contre la minorité tutsie. Il ajoutait qu’en raison du long passé
tragique d’affrontements ethniques du Rwanda, le risque d’incidents
d’inspiration ethnique existait en permanence, spécialement dans les périodes de
tension, de peur et de confusion. "Cependant, la MINUAR ne disposait d’aucune
preuve définitive ou suffisamment forte que les événements des jours précédents
aient été inspirés par des considérations ethniques ou aient provoqué des
conséquences ou des réactions ethniques." De même, d’après les minutes d’une
réunion tenue le 2 mars avec les Ambassadeurs de la Belgique, de la France et
des États-Unis, Dallaire a écarté l’idée que les meurtres commis peu auparavant
à Kigali aient pu être provoqués par des considérations ethniques.
Le 27 février, Dallaire informait le Secrétariat de son intention de
redéployer à Kigali deux compagnies, un petit groupe de commandement et une
unité logistique du contingent ghanéen se trouvant dans la zone démilitarisée,
pour remplir des fonctions de garde à titre temporaire jusqu’à ce que la
situation dans la capitale se stabilise. Dallaire soulignait le caractère
urgent de l’opération, déclarant que "le sérieux renforcement en cours des
actions terroristes au moment même où la capacité de réaction de la gendarmerie
et de la MINUAR est sérieusement réduite pourrait signifier la fin du processus
de paix".
Le 1er mars, le Secrétaire général recevait un envoyé spécial du Président
du Rwanda, le Ministre des transports et des communications, M. André Ntagerura.
Le Secrétaire général s’est concentré entièrement sur le blocage du processus
politique, menaçant de retirer la MINUAR si aucun progrès n’était réalisé. Le
Secrétaire général a souligné que l’ONU devait répondre à de nombreuses
priorités concurrentes et déclaré que la MINUAR pourrait être retirée dans les
15 jours si aucun progrès n’intervenait.
Le Secrétaire général a présenté au Conseil de sécurité, le 30 mars, un
rapport sur la MINUAR (S/1994/360) qui décrivait l’impasse politique, la
détérioration des conditions de sécurité et la situation humanitaire au Rwanda.
Le Secrétaire général recommandait la prolongation du mandat de la MINUAR pour
une durée de six mois. En pratique, les principaux membres du Conseil de
sécurité n’étaient pas disposés à accepter une prolongation aussi longue du
mandat. La décision prise le 5 avril dans la résolution 909 (1994), adoptée à
l’unanimité, a finalement prolongé le mandat d’un peu moins de quatre mois et
prévu la possibilité d’un réexamen au bout de six semaines si aucun progrès
n’était accompli. Le Conseil a reconduit son appui à la Mission, acceptant
notamment une proposition du Secrétaire général tendant à augmenter le nombre
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des agents de police civile, sous réserve de l’application de l’Accord de paix
d’Arusha.
L’avion présidentiel est abattu; le génocide commence
Le 6 avril 1994, le Président Habyarimana et le Président du Burundi,
Cyprien Ntaryamira, sont revenus en avion d’un sommet sous-régional sous les
auspices du facilitateur du processus d’Arusha, le Président tanzanien Ali
Hassan Mwinyi. Selon des responsables tanzaniens, les pourparlers de Dar
es-Salaam avaient été couronnés de succès et le Président Habyarimana s’était
engagé à appliquer l’Accord d’Arusha. Les interlocuteurs de la Commission
d’enquête en Tanzanie ont déclaré qu’ils avaient encouragé Habyarimana à
remettre son retour au Rwanda jusqu’au lendemain mais qu’il avait insisté pour
repartir le soir même. Il avait également invité le Président du Burundi à
l’accompagner dans son avion.
Selon un rapport de la MINUAR au Siège, l’avion a été abattu à environ
20 h 30 alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Kigali. Il a explosé et tous les
passagers ont été tués. À 21 h 18, la Garde présidentielle avait mis en place
le premier de nombreux barrages routiers. Dans les heures qui ont suivi, la
Garde présidentielle, les Interahamwe, parfois des membres de l’armée rwandaise,
et la gendarmerie ont dressé de nouveaux barrages routiers. La MINUAR a été
placée sous alerte rouge à environ 21 h 30.
Selon les archives de la MINUAR, à 22 h 10, Dallaire a téléphoné à Riza
pour l’informer. Au cours de la nuit, Dallaire a assisté à une réunion au
quartier général des forces gouvernementales avec le colonel Luc Marchal,
commandant de la MINUAR pour le secteur de Kigali. Le chef d’état-major de la
gendarmerie, le général de division Augustin Ndindilyamana, présidait la réunion
à laquelle assistait notamment le colonel Théoneste Bagosora, que Dallaire
décrit comme "en position d’autorité". Selon Dallaire, Bagosora a déclaré lors
de la réunion que ce qui s’était passé n’était pas un coup d’État, que les
officiers présents étaient en train d’établir une administration intérimaire.
Un élément inquiétant de la position adoptée par Bagosora et les autres était
qu’ils écartaient l’autorité du Premier Ministre, Mme Agathe Uwilingiyimana,
refusant de la laisser s’adresser au pays à la radio malgré l’insistance de
Dallaire et de Booh Booh. La réunion au siège des forces gouvernementales a été
suivie d’une réunion à la résidence de Booh Booh, à laquelle Bagosora et
l’officier de liaison des forces gouvernementales étaient présents.
Dallaire a par la suite déclaré qu’il avait donné les instructions
suivantes à Marchal : "aider à maintenir la sécurité à Kigali avec la
gendarmerie afin d’essayer de maintenir le calme et d’éviter d’autres violations
de la zone libre d’armes de Kigali". Dallaire a écrit qu’il avait confirmé
"qu’il fallait une patrouille pour s’assurer du site où l’avion présidentiel
s’était abattu, pour renforcer la sécurité autour de la résidence du Premier
Ministre Agathe [Uwilingiyimana] et pour escorter celle-ci à la station de
radio, si le commandant de la Force pouvait contribuer à obtenir des stations
qu’elles lui permettent de s’adresser à la nation".
Les efforts déployés par la MINUAR pour se rendre sur le site de l’accident
n’ont pas abouti, la patrouille qui avait été envoyée pour enquêter ayant été
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arrêtée, désarmée et retenue à l’aéroport durant les premières heures du
7 avril. À 2 h 45, Dallaire a indiqué que le chef de la mission militaire
française et un autre officier étaient arrivés et avaient déclaré qu’ils avaient
des instructions de Paris leur enjoignant de veiller à ce que l’accident d’avion
fasse l’objet d’une enquête probante, dont Dallaire leur assura qu’elle aurait
lieu. Les officiers français ont offert les services d’une équipe technique
militaire présente à Bangui (République centrafricaine).
Après l’accident, la MINUAR a reçu un certain nombre d’appels téléphoniques
de ministres et d’autres politiciens lui demandant sa protection. À l’aube du
7 avril, le nombre de soldats gardant la résidence du Premier Ministre a été
accru. Un groupe de soldats belges commandés par le lieutenant Lotin a été
dépêché de l’aéroport après 2 heures (3 heures selon la Commission d’enquête
constituée par la MINUAR) et est arrivé à la résidence du Premier Ministre
environ trois heures plus tard. Selon les sources belges, à 6 h 55 (7 h 15
selon la Commission d’enquête), le lieutenant Lotin a informé ses supérieurs que
ses hommes et lui étaient encerclés par environ 20 soldats rwandais armés de
fusils et de grenades, et que des membres de la Garde présidentielle demandaient
aux Belges de déposer leurs armes. Son supérieur lui a dit de n’en rien faire.
Au cours de la matinée, le Premier Ministre s’est enfui de sa résidence en
escaladant un mur et a cherché refuge dans l’enceinte des Volontaires des
Nations Unies (VNU) à Kigali. Selon un Volontaire des Nations Unies qui était
présent et assistait à la scène, le Premier Ministre, son mari et cinq enfants
sont arrivés dans le complexe entre 7 h 30 et 8 heures (un peu plus tard selon
le rapport adressé au Siège par la MINUAR). Le Premier Ministre s’est réfugié
dans une autre maison que sa famille. Les VNU en ont informé M. Le Moal,
responsable de la sécurité par intérim, à environ 8 h 30. Selon le rapport de
Dallaire au Siège, il a appelé Riza à 9 h 20 pour l’informer que la MINUAR
devrait peut-être utiliser la force pour sauver le Premier Ministre. Riza a
confirmé les règles d’engagement : la MINUAR ne devait pas ouvrir le feu tant
qu’on ne lui tirait pas dessus. Une escorte armée dépêchée pour secourir le
Premier Ministre a été bloquée sur la route.
De nouveau selon un témoin oculaire, à environ 10 heures, des soldats
rwandais ont pénétré dans le complexe des VNU alors que ces derniers parlaient
au téléphone avec le responsable de la sécurité, ont proféré des menaces et
déclaré qu’ils recherchaient une seule personne. Après avoir fouillé le
complexe, les soldats ont fini par découvrir le Premier Ministre, et l’ont
abattu après l’avoir emmené à l’écart.
Selon le rapport des VNU, Dallaire est arrivé dans l’enceinte à environ
12 h 30 et a promis de revenir avec des véhicules armés pour évacuer les
Volontaires des Nations Unies. En fait, c’est seulement après 17 h 15 que ces
derniers ont finalement été évacués à l’hôtel des Mille collines par un convoi
organisé par le responsable du Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD).
Le massacre des Casques bleus belges a été l’aboutissement d’une escalade
de la tension entre ces derniers et les soldats rwandais qui se trouvaient à
l’extérieur de la résidence du Premier Ministre. Plusieurs fois ce matin-là,
les soldats assurant la protection du Premier Ministre se sont vu demander de
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déposer leurs armes par les soldats rwandais qui les encerclaient. Selon les
archives belges, à 8 h 49, le lieutenant Lotin s’est vu déclarer par son
supérieur, le lieutenant-colonel Dewez, que son groupe ne devait pas se laisser
désarmer, et devait négocier; Lotin a répondu qu’il était trop tard parce que
quatre hommes étaient déjà désarmés. Dewez a alors déclaré que Lotin était
autorisé à déposer les armes s’il le jugeait nécessaire. Les troupes de la
MINUAR ont ultérieurement été emmenées au camp de Kigali par minibus. Lotin a
emprunté le Motorola de l’observateur militaire togolais qui était au camp pour
informer Dewez de la situation, déclarant également que ses hommes risquaient
d’être lynchés. Dewez, après avoir d’abord demandé si Lotin n’exagérait pas, a
informé son commandement de secteur et a demandé que l’armée rwandaise ou Rutbat
(le bataillon bangladais) intervienne. Mais pendant ce temps-là, au camp de
Kigali, les Casques bleus des Nations Unies ont été passés à tabac et,
ultérieurement, après que les soldats de la paix ghanéens et les Togolais eurent
été écartés, les soldats belges ont été sauvagement assassinés.
Dallaire a déclaré devant la commission d’enquête du Sénat belge qu’alors
qu’il passait en voiture devant le camp de Kigali conduit par un major rwandais,
il a "brièvement aperçu ce que je pensais être deux soldats en uniforme belge
sur le sol à l’intérieur du camp, à environ 60 mètres. Je ne savais pas s’ils
étaient morts ou blessés, mais je me souviens que j’ai tout d’un coup réalisé
que nous avions maintenant subi des pertes". Dallaire a déclaré qu’il avait
ordonné au gendarme qui le conduisait d’arrêter la voiture, mais que ce dernier
avait refusé. Arrivé à l’École militaire, Dallaire a parlé à l’observateur
togolais, qui lui aurait dit que des soldats belges étaient détenus au camp de
Kigali et étaient maltraités ou passés à tabac.
Dallaire a déclaré devant la même commission d’enquête qu’il ne pensait pas
qu’il eût été possible d’intervenir militairement, et que lui-même avait été
empêché de se rendre au camp de Kigali, d’abord par son chauffeur puis par
Bagosora, avec lequel la situation des Casques bleus belges a été évoquée à
14 heures environ, lorsqu’ils se sont rencontrés au Ministère de la défense.
Dallaire a déclaré qu’à environ 21 heures, on lui a dit que les Belges avaient
été tués. Dallaire s’est alors rendu à la morgue de l’hôpital de Kigali, où on
avait déposé les corps des soldats belges.
Dallaire a informé la commission du Sénat belge qu’il n’avait pas été
possible de monter une opération armée pour sauver les Belges en raison des
risques élevés de pertes qu’auraient connues ceux qui seraient intervenus et
parce que l’opération aurait très probablement échoué. Décrivant les carences
et le manque de ressources de la MINUAR, Dallaire ne pensait pas qu’il disposait
de forces capables de mener une intervention en faveur des Belges : "La MINUAR
était une opération de maintien de la paix. Elle n’était pas équipée, formée ni
dotée des effectifs nécessaires pour mener des opérations d’intervention."
Au matin du 7 avril, des membres de la Garde présidentielle ont aussi
attaqué la résidence du Vice-Président du Parti libéral (PL) et Ministre du
travail et des affaires sociales, M. Landoald Ndasingwa. Ndasingwa était un des
politiciens de l’opposition dont la MINUAR assurait la sécurité depuis des mois,
et il avait fait l’objet de campagnes de propagande et de menaces à la
Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM). Selon les déclarations de la
famille Ndasingwa et d’un employé de celle-ci, à environ 6 h 30, les policiers
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gardant la maison voisine du Président de la Cour constitutionnelle, M. Joseph
Kavaruganda, ont déclaré à l’un des policiers rwandais gardant la maison de
M. Ndasingwa que des membres de la Garde présidentielle étaient en route pour
venir tuer ce dernier. Entendant cela, Ndasingwa aurait demandé aux membres des
forces gouvernementales protégeant sa maison de demander des renforts. La
famille a néanmoins déclaré avoir découvert peu après que les soldats ghanéens
de la MINUAR qui gardaient la maison de Ndasingwa s’étaient enfuis dans une
propriété voisine sans prévenir aucunement Ndasingwa. Environ 30 à 40 minutes
plus tard, selon un témoin, environ 20 membres de la Garde présidentielle sont
arrivés à la maison, munis d’armes légères. Après avoir fouillé la maison, ils
ont abattu M. Ndasingwa, sa femme, sa mère et ses deux enfants.
Durant la même matinée, le juge Kavaruganda a été enlevé de son domicile.
Kavaruganda était aussi gardé par la MINUAR. Lorsque des soldats rwandais sont
venus à son domicile et lui ont demandé de les accompagner, le juge Kavaruganda,
craignant pour sa vie, a refusé de les suivre et s’est enfermé dans la maison
avec sa femme et deux de ses enfants. Selon Mme Kavaruganda, les soldats des
Nations Unies qui se trouvaient à l’extérieur se tenaient debout et parlaient
aux Rwandais, leurs armes posées sur une table à côté d’eux. Pendant ce
temps-là, à l’intérieur de la maison, le juge Kavaruganda a téléphoné
successivement aux contingents belge, bangladais et ghanéen de la MINUAR pour
demander du secours. Bien qu’on lui ait assuré que des renforts allaient
arriver, il n’en a rien été. Finalement, les soldats rwandais qui étaient à
l’extérieur ont forcé la porte principale. Le juge Kavaruganda a été emmené, sa
famille frappée et maltraitée. Selon Mme Kavaruganda, les gardes des
Nations Unies n’ont rien fait pour empêcher l’enlèvement ni les mauvais
traitements.
Durant le cours de son mandat, la MINUAR a reçu des informations faisant
état de menaces contre un certain nombre de politiciens et de hauts
fonctionnaires. S’agissant de Ndasingwa et de Kavaruganda, un mémorandum
interne daté du 17 février 1994 et adressé à Dallaire par l’officier de
renseignement militaire de la Mission contenait des détails sur un complot
visant à les tuer organisé par des membres nommément désignés de l’"Escadron de
la mort". Selon Dallaire, après le 17 février, outre les gardes du corps armés
personnels des politiciens et les véhicules d’escorte armés de la MINUAR, un
groupe d’au moins cinq soldats armés de la MINUAR a été affecté à la résidence
de chacun de ces politiciens.
Un autre homme politique dont la résidence était protégée par la MINUAR
était M. Boniface Ngulinzira, Ministre des affaires étrangères à l’époque des
négociations d’Arusha. Selon son épouse, Mme Florida Ngulinzira, à environ
7 h 30, les gardes des Nations Unies postés à l’extérieur de sa maison ont
informé Ngulinzira que Ndasingwa avait été tué, et qu’ils pensaient que les
massacres politiques avaient commencé. Un appel téléphonique du Premier
Ministre désigné, M. Faustin Twagiramungu, a confirmé que des éléments de la
Garde présidentielle recherchaient des hommes politiques. Selon Mme Ngulinzira,
les soldats des Nations Unies ont à ce moment-là demandé aux membres de la
famille de monter dans un camion, les ont recouverts d’une bâche et les ont
emmenés. À l’arrivée, les membres de la famille ont découvert qu’ils avaient
été emmenés à l’École technique officielle (ETO) à Kicukiro, un faubourg de
Kigali.
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Beaucoup de civils se rendaient à l’ETO pour se mettre sous la protection
des soldats belges de la MINUAR qui y étaient stationnés. La Commission
d’enquête a rencontré des survivants des événements tragiques qui se sont
produits à l’ETO, événements qui au Rwanda revêtent une importance symbolique en
tant qu’exemple des carences de la Mission des Nations Unies. Environ
2 000 personnes s’étaient réfugiées à l’ETO, pensant que les soldats de la
MINUAR pourraient les protéger. Il y avait des membres des Interahamwe et des
soldats rwandais hors de l’enceinte de l’école. Le 11 avril, après que les
expatriés se trouvant à l’ETO ont été évacués par des troupes françaises, le
contingent belge a quitté l’école, laissant derrière lui des hommes, des femmes
et des enfants dont bon nombre ont ensuite été massacrés par les soldats et les
membres des milices qui attendaient.
M. Ngulinzira a demandé aux troupes françaises de l’évacuer de l’ETO mais
celles-ci ont refusé. Il a été tué lors des massacres qui ont eu lieu après le
départ des soldats de la MINUAR.
Quelques jours après que l’avion présidentiel a été abattu, la Belgique,
les États-Unis, la France et l’Italie ont monté des opérations pour évacuer
leurs nationaux; il s’agissait d’évacuer les expatriés. Le commandant de la
Force a informé le Siège de l’arrivée des trois premiers avions français durant
les premières heures du 8 avril. Dans un câble de Annan (Riza) daté du 9 avril,
Dallaire était prié de "coopérer avec les commandants français et belge pour
faciliter l’évacuation de leurs nationaux et des autres ressortissants étrangers
demandant à être évacués. Vous pouvez échanger des officiers de liaison à cette
fin. Vous ne devez ménager aucun effort pour ne pas compromettre votre
impartialité ni outrepasser votre mandat mais vous pouvez à votre discrétion le
faire si cela était essentiel pour l’évacuation des ressortissants étrangers.
Ceci ne devrait pas, je répète ne devrait pas, englober la participation à
d’éventuels combats, excepté en état de légitime défense".
Retrait du contingent belge
Le Secrétaire général a rencontré le Ministre belge des affaires
étrangères, M. Willy Claes, à Bonn, le 12 avril. Selon les minutes de
l’entrevue conservées par l’Organisation des Nations Unies, le message adressé
par Claes à l’Organisation était le suivant : "Les conditions nécessaires à la
poursuite d’une opération de maintien de la paix au Rwanda n’étaient plus
réunies, le plan de paix d’Arusha était mort, il n’y avait pas de possibilité de
dialogue entre les parties; en conséquence, l’ONU devait suspendre la MINUAR."
Claes a déclaré qu’il disposait d’informations selon lesquelles le contingent
ghanéen s’était enfui, laissant la MINUAR avec seulement 1 500 soldats (ce qui
n’était pas exact). Il a poursuivi en disant qu’"un retrait de la MINUAR
pourrait être vu comme aggravant le risque d’une véritable guerre civile.
Toutefois, la MINUAR a été incapable jusqu’ici d’arrêter les massacres et
20 000 personnes sont mortes malgré sa présence". En réponse à l’observation du
Secrétaire général indiquant qu’il avait adressé une lettre au Conseil de
sécurité pour demander davantage de troupes et une modification du mandat de la
MINUAR et qu’il ne pensait pas que le Conseil accepterait un retrait de la
Mission, Claes a déclaré que la Belgique devait faire un choix et avait décidé
de retirer ses unités du Rwanda. Elle préférait que le retrait s’effectue dans
le cadre collectif de la MINUAR, et elle ne souhaitait pas se retirer seule.
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Selon les minutes de la réunion conservées dans les archives de
l’Organisation des Nations Unies, Claes a aussi déclaré que la Belgique était
prête à laisser ses armes et son matériel au Rwanda si la MINUAR devait
y rester.
Le Secrétaire général a informé le Conseil de sécurité de la position belge
dans une lettre datée du 13 avril. La lettre indiquait qu’il serait extrêmement
difficile pour la MINUAR de mener ses tâches à bien de manière efficace. La
MINUAR ne pourrait plus continuer de s’acquitter de son mandat si le contingent
belge n’était pas remplacé par un contingent aussi bien équipé ou si la Belgique
ne revoyait pas sa décision. Le même jour, le Représentant permanent de la
Belgique auprès de l’Organisation des Nations Unies a écrit directement au
Conseil. Après avoir décrit en détail la gravité de la situation, parlant de
"massacres généralisés" et de "chaos", le Représentant permanent a déclaré que
puisque la mise en oeuvre de l’Accord de paix d’Arusha était gravement
compromise, toute l’opération MINUAR devrait être suspendue. La Commission
d’enquête croit comprendre qu’outre cette lettre et d’autres adressées
ultérieurement au Conseil de sécurité, le Gouvernement belge a effectué des
démarches de haut niveau auprès de membres du Conseil pour obtenir que ce
dernier retire la MINUAR.
Le rôle que la MINUAR a continué de jouer
Le Département des opérations de maintien de la paix a proposé deux
options, qui ont été communiquées à la MINUAR pour observations et au Secrétaire
général, à Madrid, pour approbation le 13 avril :
1)
Maintenir la MINUAR en place, moins le contingent belge, pendant trois
semaines. Cette option était subordonnée à plusieurs conditions, notamment
l’existence d’un cessez-le-feu effectif, chaque partie acceptant d’être
responsable du maintien de l’ordre et de la sécurité des civils dans les zones
placées sous son contrôle, l’aéroport de Kigali étant déclaré territoire neutre
et les effectifs de la MINUAR étant regroupés à l’aéroport. Les parties
seraient averties que faute de parvenir à un accord le 6 mai au plus tard, la
MINUAR serait retirée;
2)
Réduire immédiatement les effectifs de la MINUAR et maintenir
uniquement une présence politique réduite, à savoir le Représentant spécial, des
conseillers, des observateurs militaires et une compagnie.
Dallaire a répondu qu’il était favorable à l’option 1. Le Conseiller
politique (hors classe) du Secrétaire général et son Représentant spécial au
Conseil, l’Ambassadeur Chinmaya Gharekhan, a informé Annan dans un câble
manuscrit codé du 14 avril que la première option avait la préférence du
Secrétaire général et qu’au cas où aucun progrès ne serait réalisé, il convenait
de passer à la seconde option. Gharekhan soulignait, se référant aux lettres
adressées au Conseil les 8 et 13 avril, que le Secrétaire général n’avait "à
aucun moment" recommandé ni préféré le retrait. Le câble poursuivait : "Un
retrait brutal et total n’est ni possible, ni souhaitable, ni judicieux."

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Dans un câble également daté du 14 avril, Dallaire expliquait les
conséquences dramatiques du retrait belge, selon lui un "coup terrible pour la
mission".
Le 13 avril, le Nigéria a présenté au Conseil de sécurité, au nom du Groupe
des pays non alignés, un projet de résolution préconisant un renforcement de la
MINUAR. Le lendemain, les options du Secrétaire général ont été présentées
oralement au Conseil par Riza. Toutes les deux options étaient subordonnées à
un cessez-le-feu. On a aussi évoqué la possibilité de combiner ces deux
options, vu la solution qui avait la préférence du Secrétaire général.
Le lendemain, les positions au sein du Conseil s’étaient quelque peu
modifiées. Le Nigéria soutenait maintenant l’option 1. Selon le compte rendu
du Secrétariat, les États-Unis ont initialement déclaré que si une décision
devait être prise à ce moment-là, ils n’accepteraient qu’un retrait de la
MINUAR, estimant qu’étant donné les circonstances une opération de maintien de
la paix au Rwanda était inutile. Le Royaume-Uni et la Russie étaient favorables
à la seconde option, et à l’issue de nouvelles consultations les États-Unis ont
indiqué qu’ils pouvaient s’y rallier.
La déclaration faite à la presse le 15 avril par le Président du Conseil
est révélatrice de l’atmosphère qui régnait au sein de celui-ci à l’époque.
Cette déclaration ne fait aucune mention des massacres qui étaient en cours.
Elle indique que "la priorité immédiate au Rwanda est l’établissement d’un
cessez-le-feu entre les forces gouvernementales et le FPR". Le Conseil exigeait
que les parties acceptent un cessez-le-feu immédiat et retournent à la table de
négociations et il réaffirmait que l’Accord de paix d’Arusha était le seul cadre
viable pour un règlement du conflit rwandais.
Le maintien de la MINUAR a continué d’être lié aux efforts visant à
parvenir à un cessez-le-feu. Le 18 avril, Annan (Riza) a envoyé un câble dans
lequel il insistait sur ce point. Le Département des opérations de maintien de
la paix arguait qu’étant donné qu’il ne semblait pas y avoir de perspective
réelle qu’un cessez-le-feu intervienne dans les jours à venir, il avait
l’intention de déclarer au Conseil qu’il fallait envisager un retrait total de
la MINUAR au lieu des deux options qui avaient été présentées. Il fut demandé à
Booh Booh et Dallaire d’évaluer une dernière fois quelles étaient les chances de
parvenir à un cessez-le-feu.
Dallaire répondit le 19 avril : il était favorable au maintien d’une
présence minimale (une force de 250 hommes) et était contre un retrait total :
"Un retrait complet de la MINUAR serait très certainement interprété comme un
abandon, voire une désertion." Il insistait aussi sur le risque de réactions
dangereuses contre la MINUAR en cas de retrait.
Dallaire peignait comme suit le dilemme auquel l’ONU devait faire face dans
le cadre des scénarios envisagés : "Un retrait de la MINUAR affectera à coup sûr
le moral de la population civile, en particulier des réfugiés, qui auront le
sentiment que nous les abandonnons. Pourtant, en réalité, actuellement nous ne
faisons pas grand-chose si ce n’est assurer la sécurité, fournir un peu de
nourriture et des médicaments ainsi qu’une présence. L’assistance humanitaire
n’a pas réellement commencé. [...] Les réfugiés se trouvant en des lieux comme
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l’hôtel Mille collines, la Croix-Rouge, la cathédrale Saint-Michel, etc., en
territoire contrôlé par les forces gouvernementales rwandaises risquent de se
faire massacrer, mais elles courent ce risque depuis déjà une semaine alors même
que la MINUAR est sur le terrain."
Le 19 avril, la position du Secrétariat s’était sensiblement modifiée : le
projet de rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité comprenait
maintenant trois options : renforcer la MINUAR, réduire ses effectifs ou retirer
complètement la Mission. Le câble sous couvert duquel le projet a été envoyé à
Kigali indique que "l’option renforcement de la MINUAR a été retenue ici le soir
venu, ce qui nous a amenés à vous demander tardivement de retenir le personnel
dont le départ était prévu pour demain".
Le 20 avril, Booh Booh indiquait qu’il appuyait complètement ce qui était
devenu l’option 1, le renforcement du mandat et des effectifs de la MINUAR, mais
déclarait aussi qu’il "n’avait aucun problème avec l’option 2 telle que
modifiée". Concernant cette dernière option, néanmoins, Booh Booh était réservé
sur le fait que les éléments restants seraient sous la direction du commandant
de la Force — aussi bien lui-même que le commandant devaient rester à Kigali.
Le même jour, alors que le Conseil se préparait à prendre une décision,
l’Ambassadeur du Nigéria, M. Ibrahim A. Gambari, a rencontré le Secrétaire
général. Gambari a demandé à Boutros-Ghali de contrecarrer les initiatives en
cours au Conseil de sécurité pour obtenir le retrait de la MINUAR. Le
Secrétaire général, qui a déclaré qu’il avait l’impression de "se battre seul",
a pressé l’Ambassadeur d’encourager les chefs d’États africains à se rallier à
cette position et à écrire au Conseil pour s’opposer à un retrait.
Le 21 avril, le Conseil a décidé à l’unanimité de ramener les effectifs de
la MINUAR à environ 270 hommes et de modifier le mandat de la Mission. Dans sa
résolution, le Conseil déclarait qu’il était "atterré par les violences
généralisées qui ont suivi au Rwanda et qui ont causé la mort de milliers de
civils innocents, dont des femmes et des enfants...".
Durant les consultations officieuses qui ont précédé l’adoption de la
résolution 912 (1994), quelques membres du Conseil se seraient déclarés déçus de
ce que le rapport ne contenait pas de recommandation du Secrétaire général (qui
a cependant déclaré que son porte-parole avait oralement indiqué qu’il était
favorable à un renforcement du mandat). Le Nigéria a déclaré que le groupe des
pays non alignés préférait l’option 1, mais qu’il ne pouvait l’appuyer en
l’absence de volonté politique à cet effet. Selon le Secrétariat, le
Royaume-Uni a répondu que l’option 1 n’était pas viable parce que l’opération en
Somalie avait enseigné que les conditions sur le terrain pouvaient évoluer
rapidement et dangereusement.
Nouvelles propositions concernant le mandat de la MINUAR
À la fin d’avril cependant, la situation désastreuse au Rwanda a incité le
Secrétaire général à recommander au Conseil de sécurité de revenir sur sa
décision tendant à réduire les effectifs de la Force. La lettre adressée par
Boutros-Ghali au Conseil de sécurité le 29 avril (S/1994/518) prévoyait un
changement d’orientation important — au lieu d’envisager le rôle de l’ONU comme
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celui d’un médiateur neutre dans une guerre civile, reconnaître la nécessité de
mettre fin aux massacres de civils, qui duraient alors depuis trois semaines et
avaient provoqué la mort d’environ 200 000 personnes. Le Secrétaire général
déclarait que le mandat énoncé dans la résolution 912 (1994) ne permettait pas à
la MINUAR de prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux massacres. Il
demandait au Conseil de reconsidérer ses décisions antérieures et d’envisager
les mesures, y compris des mesures énergiques, qu’il pourrait prendre ou qu’il
pourrait autoriser les États Membres à prendre afin de rétablir l’ordre public.
Le Secrétaire général terminait de façon acerbe en déclarant qu’il était
conscient que de telles mesures nécessiteraient des États Membres qu’ils y
consacrent des ressources en hommes et en matériel d’une ampleur telle qu’ils
s’étaient montrés jusque-là peu disposés à envisager.
Le lendemain, le Conseil de sécurité a publié une déclaration du Président
sur la question (S/PRST/1994/21). Le Conseil ne répondait pas sur le fond, à ce
stade, à la lettre du Secrétaire général, mais promettait de le faire
ultérieurement. On peut noter d’un autre côté que la déclaration représentait
un premier pas dans la direction d’une prise de position plus claire par le
Conseil contre le génocide en cours. Le Conseil soulignait que les massacres de
civils avaient eu lieu "en particulier" dans des zones contrôlées par des
membres ou des partisans du Gouvernement intérimaire du Rwanda (dont le
représentant participait encore aux délibérations du Conseil). Les membres du
Conseil ne pouvaient encore s’accorder à utiliser le terme de génocide, mais
tournaient la question en citant presque mot à mot la Convention sur le génocide
dans le texte de la déclaration du Président. Finalement, cette déclaration
mentionnait également la possibilité d’imposer un embargo sur les armes.
Des notes sur les discussions qui ont eu lieu au Conseil de sécurité
pendant les jours qui ont suivi la lettre du Secrétaire général montrent un
organe divisé sur un certain nombre de questions : celle de savoir si une
intervention devrait avoir lieu, et dans l’affirmative, comment qualifier
l’importance des moyens à mettre en oeuvre (des pays tels que le Brésil, la
Chine et le Royaume-Uni étaient semble-t-il d’avis que le rôle de l’Organisation
ne devrait pas être énoncé en termes trop fortement "interventionnistes"), le
rôle éventuel d’acteurs régionaux, la question de l’embargo sur les armes. Le
3 mai, les États-Unis ont obtenu un certain appui en faveur d’une initiative
consistant à envoyer dans la région une équipe du Conseil de sécurité chargée de
recueillir des informations sur la situation, mais le Royaume-Uni a élevé des
objections et cette initiative n’a pas été poursuivie.
Selon les notes du Secrétaire général, le Président nigérian du Conseil a
fait pression deux jours plus tard sur ses collègues pour qu’ils agissent (il
aurait dit que le Conseil risquait de devenir la risée du monde entier s’il ne
le faisait pas). Il s’est inquiété de la situation — l’histoire de "l’oeuf et
de la poule" — qui existait à son avis entre le Secrétaire général et les pays
africains, le Secrétaire général souhaitant que ces pays prennent des mesures
contre les massacres, alors que les pays d’Afrique voulaient, avant de
s’engager, obtenir davantage de renseignements sur les effectifs et le coût de
la force envisagée, ainsi que sur l’appui logistique qui serait disponible. Le
représentant de la France a estimé que le Conseil devrait se concentrer sur
l’aide humanitaire, une des possibilités étant la création de couloirs
humanitaires.
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Le Président du Conseil a suggéré que le Conseil écrive au Secrétaire
général pour lui demander de présenter des ébauches de plans d’urgence et une
recommandation sur une présence accrue des Nations Unies. À la suggestion du
Royaume-Uni, la demande n’a pas été présentée de façon formelle mais l’a été
sous forme d’une demande de document officieux. Le lendemain, un accord est
intervenu, prévoyant qu’une lettre serait adressée au Secrétaire général pour
lui demander de commencer par présenter des plans d’urgence; bizarrement, cette
lettre précisait aussi que les membres du Conseil de sécurité n’attendaient pas
du Secrétaire général des recommandations fermes ou définitives.
Le projet de conception des opérations pour un mandat futur de la MINUAR,
qui était esquissé dans un télégramme de Booh Booh daté du 6 mai, exposait
clairement la situation de la population civile : "La guerre civile s’est
intensifiée dans tout le pays et il semble que les massacres de civils innocents
se poursuivent, en particulier dans les campagnes [...] Cette situation qui ne
cesse de s’aggraver pose de sérieuses questions quant à l’efficacité et la
viabilité du mandat révisé de la MINUAR, celle-ci n’ayant ni les pouvoirs ni les
ressources pour prendre des mesures efficaces afin de mettre fin à la tuerie
systématique de civils et de contribuer à la création d’un environnement à peu
près satisfaisant sur le plan de la sécurité, conditions essentielles pour la
reprise d’un dialogue qui faciliterait les efforts en vue de la conclusion d’un
accord de cessez-le-feu et de l’application de ce cessez-le-feu." Dans ce
télégramme de la MINUAR, les priorités étaient claires : la MINUAR devait avant
toute chose être en mesure d’arrêter les massacres, et en deuxième lieu,
poursuivre les efforts pour obtenir un cessez-le-feu. C’était là un changement
important par rapport aux priorités indiquées dans les premiers échanges de
correspondance entre Kigali et le Siège de l’ONU, changement qui est intervenu
un mois après le début des massacres.
Le document officieux qui a été présenté au Conseil le 9 mai était moins
clair au sujet des massacres qui se poursuivaient et certainement plus vague en
ce qui concerne le rôle que devrait jouer la MINUAR pour arrêter les tueries.
Alors que selon le projet de conception susmentionné des opérations de la
MINUAR, la Mission devrait être habilitée "à prendre d'urgence des mesures
efficaces pour arrêter les massacres de civils innocents", la version finale du
document officieux disait que la MINUAR devait "assurer des conditions de
sécurité pour les personnes déplacées et autres personnes en difficulté, y
compris les réfugiés ...". Le document officieux déclarait aussi expressément
que le mandat révisé n'envisagerait pas de mesures de coercition, que la Mission
aurait essentiellement recours à la dissuasion pour s'acquitter de ses tâches et
n’utiliserait la force qu'en cas de légitime défense. Il déclarait qu'une force
de 5 500 hommes, y compris cinq bataillons d'infanterie, représentait l’effectif
minimum viable pour une MINUAR renforcée. Les tâches de la Mission étaient
résumées comme suit : "apporter un soutien aux personnes déplacées et autres
personnes touchées et assurer leur sécurité et contribuer à l'acheminement de
l'aide humanitaire".
Dans un communiqué de presse daté du 12 mai concernant le document
officieux, le Front patriotique rwandais a déclaré que l’effectif minimum de la
force était trop élevé : une mission de la dimension originale (2 500) était
préférée. Le Front patriotique rwandais a déclaré que les seules zones du
Rwanda où la population pouvait avoir besoin d'une protection des Nations Unies
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étaient situées dans le sud-ouest du pays sous contrôle des forces
gouvernementales rwandaises.
Lorsque le Conseil a commencé l'examen du document officieux le 11 mai, le
Secrétariat a informé le Secrétaire général que plusieurs membres avaient
exprimé leur appui à la conception énoncée dans ce document. Sans s'opposer à
proprement parler à cette conception, les États-Unis souhaitaient que l'on
étudie la possibilité de créer une zone protégée le long de la frontière
rwandaise, avec une force internationale qui assurerait la sécurité des
populations. Le représentant des États-Unis a déclaré qu'une telle mission
nécessiterait sans doute des effectifs moins nombreux et serait moins complexe
que certaines des autres solutions envisagées. Mais la solution de zones
protégées aux frontières a été critiquée par Dallaire dans un télégramme daté du
12 mai.
Le 13 mai, le Secrétaire général a présenté officiellement ses
recommandations dans un rapport au Conseil de sécurité, qui prévoyait le
déploiement progressif de la MINUAR II, avec des effectifs pouvant aller jusqu'à
5 500 hommes, en soulignant la nécessité d'amener le plus rapidement possible
les troupes sur le terrain. Les divergences susmentionnées ont continué.
Durant le dernier jour des consultations, les membres du Conseil se sont
intéressés essentiellement aux amendements au projet de résolution présentés par
les États-Unis. Les propositions des États-Unis consistaient à mentionner
expressément la nécessité d'obtenir le consentement des parties, à attendre pour
effectuer les dernières phases du déploiement que de nouvelles décisions aient
été prises par le Conseil et que le Secrétaire général ait présenté au Conseil
une conception plus détaillée des opérations, y compris entre autres éléments le
consentement des parties et les ressources disponibles.
Selon les notes du Secrétaire général, un certain nombre de délégations ont
pensé qu'il n'était pas judicieux de chercher à obtenir le consentement exprès
des parties. La France et la Nouvelle-Zélande pouvaient difficilement accepter
que l'on déploie seulement un petit nombre d'observateurs militaires et un
bataillon d'infanterie et que l'on attende pour déployer le reste des effectifs,
comme le proposaient les États-Unis. Après plusieurs heures de consultations,
le Conseil a élaboré le projet qui a été adopté par la suite.
Création de la MINUAR II
Le Conseil a adopté la résolution 918 (1994) le 17 mai 1994. La résolution
décidait d'augmenter les effectifs de la MINUAR et imposait un embargo sur les
armes au Rwanda. Le Rwanda a voté contre cette dernière décision, ce qui met
bien en lumière la difficile question de principe posée par le fait que le
Rwanda était membre du Conseil de sécurité.
Après l'adoption de la résolution, les efforts ont porté sur le
rassemblement des effectifs qui constitueraient les cinq bataillons autorisés
par le Conseil. Le Secrétariat a tenu un certain nombre de réunions avec des
contributeurs potentiels. Booh Booh s'est rendu dans des pays d'Afrique
importants pour les persuader de contribuer aux effectifs de la MINUAR et le
Secrétaire général a pris personnellement contact avec un certain nombre de
chefs d'État africains et a obtenu que le Secrétaire général de l'OUA l'aide à
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susciter des offres de troupes. Les résultats obtenus ont été médiocres.
Quelques pays d'Afrique ont déclaré qu'ils envisageaient de fournir des troupes
à condition de recevoir à cette fin une aide financière et logistique. Le
25 juillet, plus de deux mois après l'adoption de la résolution 918 (1994), la
MINUAR n'avait encore que 550 hommes, un dixième des effectifs autorisés. C'est
ainsi qu'au manque de volonté politique de réagir fermement contre le génocide
lorsqu'il a commencé, est venu s'ajouter le fait que l'ensemble des États
Membres de l'Organisation n'ont pas voulu s'engager à fournir les troupes
nécessaires qui auraient permis aux Nations Unies d'arrêter les massacres.
M. José Ayala Lasso, le Haut Commissaire aux droits de l'homme qui venait
de prendre ses fonctions, s'est rendu au Rwanda les 11 et 12 mai 1994. Il est
allé à Kigali et Byumba et s’est entretenu avec les représentants du prétendu
Gouvernement intérimaire et du Front patriotique rwandais. Son rapport à la
Commission des droits de l'homme est paru le 19 mai 1994 (E/CN.4/S-3/3). Ayala
Lasso déclarait que plus de 200 000 civils avaient été tués et demandait que ces
massacres soient énergiquement condamnés, mais il s'est contenté de déclarer que
la situation était caractérisée par des violations des droits de l'homme
extrêmement graves qui se poursuivaient. Ses recommandations s'adressaient aux
deux parties. Ayala Lasso n'a mentionné le terme génocide que dans une
référence à la Convention qui était un des instruments internationaux relatifs
aux droits de l'homme auxquels le Rwanda était partie. Il a proposé de nommer
un rapporteur spécial pour les droits de l'homme au Rwanda, qui serait assisté
par des observateurs des droits de l'homme.
Dans un nouveau rapport faisant suite à la même visite, qui a été envoyé au
Conseil de sécurité le 21 juillet 1994 (S/1994/867), Ayala Lasso a souligné que
plusieurs centaines de milliers de personnes avaient été tuées. Il a mentionné
des éléments de preuve qui donnaient à entendre que les massacres commis par les
forces gouvernementales avaient été accomplis de manière planifiée et concertée
et il a mentionné les incitations à la violence et au meurtre de Radio Rwanda et
de la Radio-Télévision libre des Mille collines. Il a mentionné également des
informations faisant état de massacres de civils par des forces des deux camps
et d’exécutions sommaires par les forces du FPR, apparemment commises à titre de
représailles.
Le 16 mai, le Secrétaire général a rencontré Booh Booh et de hauts
fonctionnaires du Secrétariat, y compris Annan et Goulding, pour s’entretenir
des événements du Rwanda. Il a publié ensuite un communiqué de presse, où il
réaffirmait son soutien à Booh Booh, contre qui le FPR lançait depuis un certain
temps des accusations de partialité.
Le 18 mai, le Secrétaire général a écrit à un certain nombre de chefs
d'État et de gouvernement africains, en leur demandant de fournir des troupes
pour la MINUAR II. Il a informé le Secrétaire général de l'OUA de cette
démarche dans une lettre datée du même jour, qui fait partie de la
correspondance échangée par les deux Secrétaires généraux au sujet du rôle des
Nations Unies depuis le début du génocide.
Le 20 mai, Annan a transmis à Booh Booh une demande du Secrétaire général
tendant à ce qu'il s'installe à Nairobi pendant les semaines suivantes et

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consulte les gouvernements de la région pour obtenir qu'ils apportent leur appui
à l'application de la résolution 918 (1994).
Comme suite à la résolution 918 (1994), le Secrétaire général a également
envoyé Riza et Baril au Rwanda, notamment pour essayer d'amener les parties à
conclure un cessez-le-feu et étudier l'application de la résolution du Conseil
de sécurité. La mission spéciale a séjourné dans la région du 22 au 27 mai.
Dans un rapport au Conseil de sécurité daté du 31 mai, le Secrétaire général a
présenté des conclusions fondées sur cette mission. Le rapport contient des
descriptions précises des atrocités commises au cours des semaines qui s'étaient
écoulées depuis le début du génocide, parlant de "folie meurtrière" et estimant
qu'entre 250 000 et 500 000 personnes avaient été tuées. Il est à noter que le
rapport déclarait que les massacres et les tueries avaient été systématiques et
qu'il ne faisait guère de doute que les événements en question constituent un
génocide.
Le rapport inclut une référence rétrospective aux renseignements dont
disposait le Secrétariat au sujet de la situation au Rwanda avant le génocide et
sur lesquels se fondait son analyse. Il est dit au paragraphe 11 : "Dans ce
contexte, le Conseil de sécurité devrait être informé de certains événements
qui, rétrospectivement, pourraient avoir eu de l'importance à l'égard des
massacres. Entre décembre 1993 et mars 1994, la MINUAR a noté à plusieurs
reprises la diffusion d'émissions incendiaires par ‘Radio Mille collines’, ainsi
que des mouvements suspects de groupes armés, y compris apparemment [sic]
l'Interahamwe, et a averti le Gouvernement intérimaire dans les deux cas. La
MINUAR a également obtenu la preuve que des armes rentraient dans le pays; elle
a protesté auprès du Gouvernement intérimaire et a également communiqué cette
information à la communauté diplomatique." Se référant apparemment au
télégramme de Dallaire du 11 janvier 1994, le rapport poursuivait : "Le
commandant de la Force a demandé une fois au Siège l'autorisation d'employer la
force pour récupérer une cache d'armes et a reçu pour instruction d'insister
pour que la gendarmerie se charge de cette opération sous la supervision de la
MINUAR."
Le rapport du Secrétaire général proposait un plan de déploiement en trois
phases de la MINUAR II, dans le cadre duquel les phases 1 et 2 seraient
déclenchées immédiatement, de manière synchronisée. Le plan prévoyait deux
scénarios de déploiement différents, y compris le cas où le cessez-le-feu
n'aurait pas été mis en place. Les deux tâches principales de la MINUAR II
consistaient à : a) tenter d'assurer la sécurité de groupes aussi nombreux que
possible de civils menacés; et b) assurer la sécurité des opérations de secours
humanitaires selon les besoins.
Les observations finales du rapport étaient amères : "La réaction tardive
de la communauté internationale à la situation tragique que connaît le Rwanda
démontre de manière éloquente qu'elle est totalement incapable de prendre
d'urgence des mesures décisives pour faire face aux crises humanitaires
étroitement liées à un conflit armé. Après avoir rapidement ramené la présence
sur le terrain de la MINUAR à son niveau minimum, puisque le mandat initial de
celle-ci ne lui permettait pas d'intervenir lorsque les massacres ont commencé,
la communauté internationale, près de deux mois plus tard, semble paralysée,
même s'agissant du mandat révisé établi par le Conseil de sécurité. Nous devons
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tous reconnaître, à cet égard, que nous n'avons pas su agir pour que cesse
l'agonie du Rwanda et que, sans mot dire, nous avons ainsi accepté que des êtres
humains continuent de mourir."
Le FPR a adressé au Secrétaire général, le 3 juin, une lettre qui
réagissait de façon positive à la mention du génocide dans le rapport le plus
récent du Secrétaire général et demandait au Conseil de sécurité de déclarer que
les atrocités commises étaient un génocide. Il demandait aussi au Conseil de
sécurité d’adopter une résolution donnant son accord au brouillage ou à la
destruction de Radio Mille collines. Le FPR demandait en outre au Secrétaire
général et au Conseil de prendre des mesures pour suspendre la participation du
Rwanda au Conseil.
Le 8 juin, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 925 (1994), qui
souscrivait aux propositions du Secrétaire général touchant le déploiement de la
MINUAR élargie et prorogeait le mandat de la Mission jusqu’au 9 décembre 1994.
En outre, la résolution priait instamment les États Membres de répondre
promptement à la demande du Secrétaire général concernant les ressources
nécessaires, y compris une capacité de soutien logistique qui permette d’assurer
le déploiement rapide de contingents supplémentaires de la Mission. Le projet
avait initialement été présenté par les États-Unis. Selon les notes relatives
aux consultations, le terme génocide qui figurait dans la version initiale avait
été remplacé par les termes "actes de génocide" à titre de compromis, la Chine
ayant fait objection à l’utilisation du seul terme de génocide.
Opération Turquoise
Dans une lettre datée du 19 juin, adressée au Conseil de sécurité
(S/1994/728), le Secrétaire général a exposé les résultats des efforts faits
pour mettre en place la MINUAR II, dont les effectifs à ce moment-là ne
comptaient encore que 503 hommes. Le Secrétaire général déclarait que le
déploiement de la première phase de la MINUAR II ne pourrait avoir lieu, dans le
meilleur des cas, qu’au cours de la première semaine de juillet. Mentionnant
les massacres qui se poursuivaient, le Secrétaire général a suggéré ensuite au
Conseil d’examiner l’offre qu’avait faite la France d’entreprendre une opération
multinationale au titre du Chapitre VII de la Charte "pour assurer la sécurité
et la protection des personnes déplacées et des civils en danger au Rwanda".
Cette offre de la France, à laquelle s’était joint le Sénégal, a été
officiellement énoncée dans une lettre, datée du 20 juin 1994, adressée au
Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de la France.
L’opération y est décrite comme visant à maintenir une présence en attendant
l’arrivée de la MINUAR élargie. Les objectifs assignés à cette force seraient
les mêmes que ceux assignés à la MINUAR par le Conseil de sécurité, à savoir
contribuer à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des
réfugiés et des civils en danger au Rwanda, y compris par la création et le
maintien, là où il serait possible, de zones humanitaires sûres. La France
souhaitait une résolution au titre du Chapitre VII en tant que cadre juridique
pour son intervention.
Ce même jour, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 928 (1994)
prorogeant le mandat de la Mission d’observation des Nations Unies
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Ouganda-Rwanda pour une période de trois mois et décidant également que le
nombre des observateurs militaires de la Mission serait réduit au cours de cette
période.
Le 20 juin, Dallaire a envoyé au Siège un long télégramme exposant un
certain nombre de sujets d’inquiétude potentiels concernant l’opération
Turquoise proposée, y compris les conséquences pour les troupes faisant partie
de la MINUAR qui étaient de la même nationalité que les contingents de la force
conduite par la France.
Le Conseil de sécurité a tenu des consultations au sujet de l’initiative de
la France du 20 au 22 juin. La France a présenté un projet de résolution le
20 juin. Le Secrétaire général a participé à des consultations officieuses le
22 juin. Selon les notes des Nations Unies sur ces consultations, le Secrétaire
général a milité en faveur de l’adoption d’une décision urgente pour autoriser
l’opération conduite par la France. Plus tard ce même jour, le Conseil a adopté
la résolution 929 (1994) par 10 voix pour, avec 5 abstentions (Brésil, Chine,
Nigéria, Nouvelle-Zélande, Pakistan).
Le 1er juillet 1994, le Conseil a adopté la résolution 934 (1994) priant le
Secrétaire général de constituer une commission impartiale d’experts, qui devait
présenter au Secrétaire général ses conclusions "quant aux éléments de preuve
dont elle disposerait concernant les violations graves du droit international
humanitaire commises sur le territoire du Rwanda, y compris d’éventuels actes de
génocide".
Le 1er juillet également, le Représentant permanent de la France a informé
le Secrétaire général, dans une lettre qui a été communiquée au Conseil de
sécurité sous la cote S/1994/798, que les combats s'étaient intensifiés et que
la situation dans le sud-ouest du Rwanda "serait à très brève échéance
complètement incontrôlable". Selon l'Ambassadeur de France, la situation
exigeait un cessez-le-feu immédiat. L'arrêt des combats était le seul moyen
véritablement efficace pour stabiliser la situation humanitaire et parvenir à un
règlement politique à partir des Accords d'Arusha "dont, bien entendu, devaient
être exclus les responsables des massacres et notamment des actes de génocide".
En l'absence d'un cessez-le-feu, la France se trouverait confrontée au choix
suivant : soit se retirer en dehors du territoire rwandais, soit organiser une
zone humanitaire sûre. Il ressortait clairement de la lettre que la France
estimait que la création d'une telle zone entrait dans le cadre du mandat déjà
donné par le Conseil, mais qu'elle souhaitait néanmoins que l'Organisation des
Nations Unies exprime son appui à cette initiative. Le Conseil a examiné
l'intention de la France de créer la zone en question au cours de consultations
officieuses tenues le 6 juillet; plusieurs délégations ont posé à cette occasion
des questions sur la nature de la proposition. Le Conseil n'a eu aucune
réaction officielle à la lettre de la France.
Le 14 juillet, le Conseil de sécurité a publié une déclaration du Président
(S/PRST/1994/34) où il se disait alarmé par la poursuite des combats, exigeait
un cessez-le-feu immédiat, lançait un appel pressant à la relance du processus
politique dans le cadre de l'Accord de paix d'Arusha, réaffirmait le caractère
humanitaire de la zone sûre au sud-ouest du Rwanda et exigeait que tous ceux que
cela concernait respectent son caractère. Les États Membres étaient appelés à
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fournir les contributions nécessaires afin d'assurer le déploiement de la MINUAR
renforcée dans les plus brefs délais.
Goma, au Zaïre a été bombardé le 17 juillet. Ce jour-là, le général
Lafourcade, commandant de l'opération Turquoise, a demandé à la MINUAR de faire
savoir au général Kagame que si les bombardements ne cessaient pas, la France
envisagerait d'intervenir par la force. Dans un contact préalable avec le
Représentant spécial, M. Shaharyar Khan, le général Paul Kagame aurait déclaré
que le FPR n'était pas responsable et que des instructions claires avaient été
données aux forces qui se trouvaient dans la région de ne pas bombarder Goma ni
le territoire zaïrois adjacent.
Le 17 juillet, le bureau de liaison à Goma du Bureau des Nations Unies pour
les secours d'urgence au Rwanda a fait savoir que plus d'un million de Rwandais
avaient franchi la frontière et pénétré au Zaïre. On craignait qu'un nouvel
afflux de réfugiés ne se produise en provenance de la zone de protection
humanitaire contrôlée par l’opération Turquoise. C'est ainsi qu'a commencé
l'une des situations humanitaires d’urgence les plus complexes et délicates qui
se soient produites au cours des dernières années, à savoir la fuite au Zaïre
d'un nombre considérable de réfugiés rwandais, dont les camps allaient être
infiltrés par les forces de l’Interahamwe et d'autres forces responsables du
génocide. Les efforts massifs mis en place pour apporter des secours à ces
camps continuent à être jugés inadmissibles par ceux qui ont survécu au génocide
au Rwanda.
Le 18 juillet, le FPR contrôlait la totalité du territoire rwandais, à
l'exception de la zone humanitaire dépendant de l’opération Turquoise. Le FPR
déclara un cessez-le-feu unilatéral. Le 19 juillet, un gouvernement d'unité
nationale a été mis en place à Kigali pour une période de transition de cinq
ans. Le pasteur Bizimungu a été nommé Président, le général Paul Kagame,
Vice-Président et M. Faustin Twagiramungu Premier Ministre. Cent jours environ
après qu'il eut débuté l'horrible génocide a pris fin, laissant derrière lui de
graves blessures et une profonde amertume.
III.

CONCLUSIONS

La Commission indépendante d’enquête conclut que l’intervention de
l’Organisation des Nations Unies avant et pendant le génocide qui s’est produit
en 1994 au Rwanda a échoué sous plusieurs aspects fondamentaux. Si
l’Organisation des Nations Unies n’a pas pu empêcher et arrêter le génocide au
Rwanda, la responsabilité en incombe à plusieurs acteurs, en particulier le
Secrétaire général, le Secrétariat, le Conseil de sécurité, la MINUAR et les
États Membres de l’Organisation. Cette responsabilité internationale justifie
que l’Organisation et les États Membres concernés présentent des excuses sans
équivoque au peuple rwandais. En ce qui concerne la responsabilité des Rwandais
qui ont planifié, encouragé et exécuté les actes de génocide contre leurs
compatriotes, les efforts doivent se poursuivre pour les traduire en justice
— devant le Tribunal criminel international pour le Rwanda et devant les
instances nationales au Rwanda.
Dans le chapitre suivant, la Commission d’enquête s’efforce d’abord
d’identifier les causes de l’échec absolu de l’intervention de l’ONU :
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l’incapacité de la mission de maintien de la paix des Nations Unies de faire
face aux réalités du défi qui était posé. La Commission d’enquête décrira
ensuite un certain nombre d’autres erreurs et échecs de l’intervention de
l’Organisation des Nations Unies pendant la période considérée.
1.

L’échec absolu

La cause de l’échec absolu de l’intervention de l’Organisation des
Nations Unies avant et pendant le génocide au Rwanda peut être résumée comme un
manque de ressources et un manque de volonté d’accepter l’engagement qui aurait
été nécessaire pour empêcher ou arrêter le génocide. La MINUAR, principale
composante de la présence des Nations Unies au Rwanda, n’avait ni la
planification, ni les dimensions, ni le déploiement, ni les instructions
nécessaires pour lui permettre de jouer un rôle dynamique et déterminé dans un
processus de paix en grave difficulté. La mission était plus petite que ce qui
avait été recommandé à l’origine par ceux qui étaient sur le terrain. Son
déploiement s’effectuait avec lenteur et rencontrait des difficultés
administratives démoralisantes. Elle manquait de troupes bien entraînées et de
matériel en bon état de fonctionnement. Le mandat de la mission était fondé sur
une analyse du processus de paix qui s’est révélée erronée, et qui n’a jamais
été rectifiée malgré les nombreux signes d’avertissement indiquant que le mandat
initial n’était plus adéquat. Au moment où le génocide a commencé, la mission
ne fonctionnait pas comme un ensemble cohérent : au cours des heures et des
jours réels de la crise la plus grave, des témoignages concordants indiquent
qu’il y avait un manque de direction politique, un manque de capacité militaire,
de graves problèmes de commandement et de contrôle, et un manque de coordination
et de discipline.
Une force de 2 500 militaires aurait dû être capable d’arrêter ou au moins
de limiter des massacres comme ceux qui ont commencé au Rwanda après l’accident
d’avion qui a coûté la vie aux Présidents du Rwanda et du Burundi. Or la
Commission d’enquête a constaté que les problèmes fondamentaux de capacité de la
MINUAR ont entraîné une situation terrible et humiliante, dans laquelle une
force de maintien de la paix des Nations Unies s’est trouvée pratiquement
paralysée face à l’une des pires vagues de brutalité que l’humanité ait connue
au cours de ce siècle.
Malgré les échecs de la MINUAR, il convient de mentionner que les membres
du personnel de la MINUAR et des programmes et organismes des Nations Unies ont
également été les auteurs d’actes de courage au milieu du chaos qui régnait au
Rwanda et ont effectivement sauvé la vie de nombreux civils, dirigeants
politiques et fonctionnaires des Nations Unies, parfois en risquant leur propre
vie. En particulier, les soldats de la paix qui sont restés sur place pendant
tout le génocide, notamment le commandant des forces et les contingents ghanéen
et tunisien, méritent d’être félicités pour les efforts qu’ils ont déployés pour
combattre dans des conditions extrêmement difficiles des actes de la pire
brutalité que l’humanité ait connue. Les archives des Nations Unies témoignent
de la multitude de demandes d’assistance, provenant de l’intérieur du Rwanda,
des États Membres et des ONG, afin de sauver des personnes en danger pendant le
génocide. Il est difficile d’obtenir des statistiques, mais on peut citer une
liste interne faisant partie des archives de la MINUAR qui indique que

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3 904 personnes déplacées avaient été transportées par la MINUAR au cours des
combats à Kigali entre le 27 mai et le 20 juin 1994.
2.

Les insuffisances du mandat de la MINUAR

Les décisions prises en ce qui concerne la portée du mandat initial de la
MINUAR ont été un facteur sous-jacent de l’échec de la mission, qui n’a pas pu
empêcher ou arrêter le génocide au Rwanda. Le processus de planification n’a
pas tenu compte des graves tensions persistantes qui n’avaient pas été éliminées
par les accords entre les parties. La mission des Nations Unies présupposait le
succès du processus de paix. Il n’y avait ni position de repli, ni plan
d’urgence au cas où le processus de paix échouerait.
L’incapacité absolue de créer une force ayant la capacité, les ressources
et le mandat nécessaires pour faire face à la violence croissante et au génocide
qui a suivi au Rwanda avait des causes remontant aux premiers stades de la
planification de la mission. La signature de l’Accord d’Arusha en août 1993
avait été généralement accueillie avec optimisme et soulagement après des années
de difficiles négociations entre les parties rwandaises. Bien qu’il fût évident
que des tensions persistaient sous la surface, même au sein de la délégation du
Gouvernement, la communauté internationale a accueilli l’Accord comme le point
de départ sur la voie de la paix et du partage du pouvoir au Rwanda.
À cause de l’hypothèse trop optimiste énoncée par les parties à l’Accord
d’Arusha selon laquelle une force internationale pouvait être déployée en un
mois environ, l’Organisation des Nations Unies s’est engagée dans une course
contre la montre dès les premiers jours des préparatifs de la mission. Le
processus initial de planification a souffert d’une analyse politique
insuffisante. Dallaire a admis que la mission de reconnaissance, qu’il
dirigeait, n’avait pas les compétences politiques nécessaires pour effectuer une
analyse approfondie et correcte de la situation politique et des réalités sousjacentes concernant les ex-belligérants signataires de l’Accord de paix
d’Arusha. Il semble que les membres de la mission ne connaissaient même pas le
rapport inquiétant qui avait été publié à peine quelques semaines auparavant par
le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires au sujet de la situation au Rwanda.
Dans ce rapport, le Rapporteur appuyait les constatations faites par un certain
nombre d’ONG s’occupant des droits de l’homme au cours de l’année. Il
mentionnait une situation extrêmement grave en matière de droits de l’homme, et
examinait en détail la possibilité qu’un génocide était en train d’être perpétré
au Rwanda. Le fait qu’un rapport de cette nature n’a pas été pris en
considération lors de la planification d’une vaste opération de maintien de la
paix des Nations Unies au Rwanda montre qu’il y a eu un manque de coordination
grave de la part des organes des Nations Unies concernés. En fait, Dallaire a
déclaré à la Commission d’enquête que, si l’évaluation politique avait été plus
approfondie et s’il avait eu connaissance du rapport, il aurait réexaminé les
recommandations concernant le niveau des forces faites par la mission de
reconnaissance. La responsabilité de cette erreur dans la planification de la
MINUAR incombe aux services concernés du Secrétariat de l’ONU, en particulier le
Centre des droits de l’homme et le Département des opérations de maintien de la
paix.

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La mission de reconnaissance avait estimé qu’une force de 4 500 hommes
était requise pour remplir le mandat au Rwanda. Toutefois, le Secrétariat a
estimé qu’il ne serait pas possible d’obtenir l’appui du Conseil pour un tel
nombre de soldats. Cette évaluation de l’engagement politique était
probablement correcte à l’époque : la délégation des États-Unis avait suggéré
que l’Organisation des Nations Unies envoie au Rwanda une présence symbolique de
100 militaires. Même la France, qui avait insisté pour qu’il y ait une présence
des Nations Unies au Rwanda, estimait que 1 000 hommes suffiraient. Les
chiffres proposés par Dallaire ont été réduits avant même d’être présentés au
Conseil. Le 24 septembre, soit deux semaines après la fin de la période
initiale de transition, le Secrétaire général a recommandé une force de maintien
de la paix comprenant 2 548 militaires.
Si le mandat que le Conseil de sécurité a confié à la MINUAR dans sa
résolution 872 (1993) était déjà plus limité que la proposition faite au Conseil
par le Secrétaire général, il était encore plus éloigné du concept général
initial convenu par les parties dans l’Accord d’Arusha. La différence n’était
pas sans importance. L’interprétation de la portée réelle du mandat donné par
le Conseil est devenue l’objet d’un débat plusieurs mois avant le début du
génocide, comme on le verra ci-après. La limitation du mandat en ce qui
concerne la zone libre d’armes de Kigali était l’une des premières indications
publiques des limites des responsabilités que le Conseil de sécurité était prêt
à assumer au Rwanda. Les États-Unis ont soumis un certain nombre d’amendements
au projet de résolution qui affaiblissaient le mandat, notamment en ce qui
concerne le désarmement de la population civile. Le libellé initial concernant
la zone libre d’armes de Kigali a également été affaibli en spécifiant que cette
zone devait être établie par les parties.
La responsabilité des limitations imposées au mandat initial confié à la
MINUAR incombe en premier lieu au Secrétariat de l’ONU, au Secrétaire général et
aux fonctionnaires responsables du Département des opérations de maintien de la
paix pour avoir effectué l’analyse erronée qui était à la base des
recommandations faites au Conseil et pour avoir recommandé que la mission
comprenne un nombre de soldats inférieur à celui que la mission envoyée sur le
terrain avait considéré comme nécessaire. Les États Membres qui ont exercé des
pressions sur le Secrétariat pour qu’il réduise le nombre de militaires proposé
ont également une part de responsabilité. En outre, le Conseil de sécurité
lui-même est responsable d’avoir hésité à appuyer de nouvelles missions de
maintien de la paix à la suite de l’opération en Somalie et, dans ce cas précis,
d’avoir décidé de limiter le mandat de la mission en ce qui concerne la zone
libre d’armes.
3.

L’application du mandat

D’autres difficultés sérieuses sont apparues lors de l’application du
mandat de la MINUAR, qui avait été conçu d’une manière mesurée et qui allait
également être appliqué d’une manière mesurée sur le terrain. Le Siège a
constamment décidé d’appliquer le mandat d’une manière qui préserverait un rôle
neutre pour la MINUAR dans le cadre d’un mandat classique de maintien de la
paix. On estimait que c’était le type d’action qui aurait l’appui du Conseil de
sécurité. Malgré une détérioration de la situation en matière de sécurité qui
aurait justifié un rôle plus déterminé et plus préventif pour l’Organisation des
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Nations Unies, aucune mesure n’a été prise pour adapter le mandat à la réalité
des besoins au Rwanda.
Le télégramme envoyé à Baril par Dallaire le 11 janvier au sujet de ses
contacts avec un informateur révèle certains aspects clefs de la manière dont la
MINUAR appliquait son mandat. La Commission d’enquête estime que des erreurs
graves ont été commises dans la suite donnée à ce télégramme.
Premièrement, les informations contenues dans ce télégramme, et en
particulier celles qui indiquaient l’existence d’un plan visant à exterminer les
Tutsis, étaient d’une importance telle qu’on aurait dû leur accorder la plus
haute priorité et la plus grande attention et les communiquer au niveau le plus
élevé. Des erreurs ont été commises à la fois par la MINUAR et par le
Secrétariat à cet égard.
Dallaire n’aurait pas dû adresser le télégramme uniquement à Baril : il est
clair qu’il devait être au moins porté immédiatement à l’attention des
Secrétaires généraux adjoints aux opérations de maintien de la paix et aux
affaires politiques. En fait, bien qu’il ait été envoyé uniquement à Baril,
celui-ci l’a ensuite montré aux autres responsables du Département des
opérations de maintien de la paix. Les instructions envoyées par Annan et Riza
à la MINUAR — et leur caractère très prudent — montrent qu’ils se rendaient bien
compte que le télégramme contenait des informations très importantes.
Toutefois, ils n’en ont pas informé le Secrétaire général. En outre, le Conseil
de sécurité — qui, une semaine auparavant, avait fait dépendre son appui continu
à la MINUAR des progrès qui seraient réalisés dans le processus de paix — n’a
pas été informé. Le fait d’informer trois ambassades à Kigali n’était pas
suffisant à cet égard : la gravité des menaces mentionnées dans le télégramme
justifiait que l’ensemble du Conseil soit informé. Tout au moins, le Conseil de
sécurité aurait dû être informé lorsque la MINUAR a indiqué au début de février
que le Président n’avait rien fait pour agir sur la base de ces informations et
que la situation sur le terrain se détériorait. La référence voilée au
télégramme de Dallaire, qui est faite rétroactivement dans le rapport du
Secrétaire général au Conseil daté du 31 mai 1994, est un cas flagrant de trop
peu, et certainement de beaucoup trop tard.
Deuxièmement, il est incompréhensible pour la Commission d’enquête que des
mesures supplémentaires n’aient pas été prises pour donner suite aux
renseignements fournis par l’informateur. Lorsque la décision a été prise de
communiquer ces informations au Président Habyarimana afin qu’il prenne des
mesures à ce sujet, des pressions constantes auraient dû être exercées sur le
Président pour faire en sorte qu’il prenne les mesures promises.
Cela s’applique aux trois aspects principaux du télégramme. Lorsqu’une
mission des Nations Unies reçoit des informations selon lesquelles il existe des
plans visant à exterminer un groupe de personnes, cela exige une réaction
immédiate et déterminée et certainement, dans le cas présent, des mesures plus
énergiques que les réunions qu’ont eues Booh Booh et Dallaire avec le Président
Habyarimana et avec la direction du MRND.
Les informations concernant l’existence de caches d’armes étaient également
sérieuses. Bien que la quantité d’armes dans la cache en question qui, selon
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Dallaire, contenait au moins 135 armes, n’ait pas été d’une ampleur ou d’une
nature pouvant déterminer l’issue du génocide plus tard dans l’année, les
instructions de New York ont certainement donné comme signal aux Interahamwe et
autres extrémistes que la MINUAR ne prendrait pas des mesures déterminées en ce
qui concerne ces caches.
La question de savoir si la décision d’effectuer un raid sur la cache
d’armes faisait ou non partie du mandat de la mission revêt une importance
cruciale. Il y a des opinions divergentes. Alors que Dallaire affirmait que
c’était le cas, Baril, Annan, Riza et Annabi croyaient fermement que le raid ne
faisait pas partie du mandat. La clef est l’interprétation des termes "la zone
libre d’armes établie par les parties" dans le mandat. Il convient de rappeler
dans ce contexte que le Conseil de sécurité avait délibérément affaibli le rôle
de la MINUAR en ce qui concerne la zone libre d’armes de Kigali par rapport au
rôle prévu dans l’Accord d’Arusha. Dans ce cas, le Siège a préconisé une
interprétation prudente du mandat que le Conseil de sécurité avait adopté sur la
question de la zone libre d’armes. Les télégrammes contenant les instructions
du Secrétariat montrent qu’il y avait des préoccupations au sujet de la
possibilité que les informations soient un piège et des préoccupations pour la
sécurité de la mission : "la considération primordiale est qu’il faut éviter
d’entreprendre des actions qui pourraient aboutir à l’utilisation de la force et
à des répercussions imprévues". Étant donné ce contexte, la Commission
d’enquête estime qu’il n’y a pas de raison de critiquer la décision prise par le
Secrétariat sur la question du mandat. Toutefois, comme on le verra ci-après,
la Commission d’enquête estime que des erreurs graves ont été commises dans la
suite donnée aux télégrammes.
Les préoccupations exprimées par la direction de la MINUAR en janvier et
février au sujet des conséquences de la distribution d’armes sont très claires.
Étant donné que le Siège avait déterminé que l’exécution de raids sur les caches
d’armes et d’opérations de dissuasion ne faisait pas partie du mandat, la
Commission d’enquête estime que cette question aurait dû être soumise au Conseil
de sécurité en tant que lacune fondamentale dans le mandat de la mission, que le
Conseil devrait envisager de combler à cause des graves risques que cela
impliquait. La Commission d’enquête n’a aucune indication que la question ait
été soulevée de cette manière au Conseil.
La démarche effectuée auprès du Président était fondée sur l’hypothèse
qu’il n’était pas au courant des activités mentionnées par l’informateur.
Toutefois, il ressort clairement des archives que Dallaire avait soulevé à peine
une semaine auparavant la question de la distribution d’armes devant les
partisans du Président lors d’une réunion où celui-ci était présent et avait
déclaré que cette distribution était inacceptable car elle était contraire à
l’Accord d’Arusha. Le Président avait ensuite dit qu’il n’était pas au courant
de cela, mais qu’il donnerait des instructions à ses partisans pour qu’ils
cessent de le faire si les informations étaient correctes.
En dernier lieu, les menaces lancées contre le contingent belge auraient dû
être suivies d’une manière plus étroite, non seulement en ce qui concerne la
sécurité de ce contingent particulier, mais également dans le cadre des
discussions stratégiques au sein du Secrétariat et avec le Conseil de sécurité
sur le rôle de la MINUAR au Rwanda. L’Organisation des Nations Unies savait que
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les extrémistes d’un côté espéraient obtenir le retrait de la mission. Par
conséquent, la stratégie de l’ONU qui consistait à utiliser la menace du retrait
de la MINUAR comme moyen de pression sur le Président pour obtenir des progrès
dans le processus de paix pouvait, en fait, inciter les extrémistes à faire
obstruction plutôt que les en dissuader.
Des questions ont été soulevées quant à l’opportunité d’inviter la
Belgique, l’ancienne puissance coloniale, à participer à la MINUAR. Les menaces
lancées contre le contingent belge, qui ont été décrites dans le télégramme de
Dallaire et qui ont été exprimées à la radio et sous d’autres formes de
propagande, montrent les difficultés inhérentes à une telle participation.
Toutefois, dans le cas de la MINUAR, il faut rappeler que la Belgique avait
offert des troupes bien équipées qui n’étaient pas offertes par d’autres pays,
et que les deux parties avaient accepté qu’elle participe à la mission.
4.

Confusion au sujet des règles d’engagement

Le commandant de la Force a soumis au Siège, le 23 novembre 1993, un projet
de règles d’engagement pour la MINUAR et demandé l’approbation du Siège. Le
Siège n’a jamais répondu à sa demande. Le général Baril a dit à la Commission
d’enquête que les règles ont servi de lignes directrices. Le général Baril a
déclaré qu’à son avis, le projet était un bon texte, mais il a dit aussi qu’à
l’époque, le Siège n’avait pas de procédures établies pour l’approbation
formelle d’un tel projet de règles d’engagement. Pour le commandant de la
Force, en l’absence d’une réponse formelle, les règles d’engagement devaient
être réputées approuvées et la Commission juge en effet qu’il était raisonnable
de le penser. Cependant, un autre membre du Commandement de la MINUAR,
également de grade élevé, a indiqué à la Commission que les règles d’engagement
n’étaient pas adaptées à la réalité et qu’il n’en avait pas tenu compte.
Le même projet a été envoyé de nouveau au Siège après le commencement du
génocide, décrit alors comme "les différentes permutations des règles
d’engagement". Le Siège n’a pas fait objection au paragraphe 17 concernant les
crimes contre l’humanité. Pourtant, ce paragraphe a été éliminé dans les
versions ultérieures des règles d’engagement applicables à la MINUAR II. En
pratique, cependant, la MINUAR I n’a pas donné effet à cette clause particulière
des règles d’engagement quand la situation sur le terrain a répondu à la
description donnée au paragraphe 17. D’autres difficultés, dont le manque de
ressources et les problèmes de commandement et de contrôle, ont été invoquées
par le commandant de la Force et par d’autres acteurs pour expliquer que la
MINUAR n’ait pas arrêté les massacres. Il est cependant troublant de constater
un tel manque de clarté dans les communications entre la MINUAR et le Siège
quant à savoir quelles règles étaient en vigueur.
5.

Absence de réaction devant le génocide

a)
Après la destruction en vol de l’avion du Président, la situation à
Kigali a vite tourné au chaos. Des barrages ont été installés sur les routes et
les massacres de Tutsis et d’hommes politiques de l’opposition et de tendances
modérées ont commencé. Peu après, le FPR est sorti de ses installations et a
reçu le renfort de forces venues de l’extérieur de la capitale. Outre les
massacres de civils, des affrontements ont éclaté entre la Garde présidentielle
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et le FPR. La MINUAR a reçu des centaines d’appels à l’aide venant d’hommes
politiques, de fonctionnaires de la Mission et d’autres. Des milliers de
personnes ont cherché refuge là où la MINUAR était présente, notamment près de
5 000 personnes qui s’étaient déjà rassemblées à l’hôpital de campagne dès le
8 avril.
Quand le génocide a commencé, les insuffisances du mandat de la MINUAR sont
devenues catastrophiquement évidentes. Il vient spontanément à l’esprit de se
demander pourquoi une force de 2 500 hommes n’a pas pu arrêter les actions des
milices et des soldats des FGR qui se sont mis à dresser des barrages routiers
et à assassiner hommes politiques et Tutsis dans les heures qui ont suivi
l’attentat. La MINUAR n’aurait-elle pas pu, par sa présence et en manifestant
sa détermination, éviter le terrible enchaînement de violences qui s’est
ensuivi?
La correspondance échangée entre la MINUAR et le Siège dans les heures et
les jours qui ont suivi la destruction de l’avion donne l’image d’une force en
plein désarroi, ne comprenant pas vraiment la nature des événements ni quelles
forces politiques et militaires étaient en jeu, sans instructions claires et
rencontrant même des problèmes de communication entre ses propres contingents.
En vertu des règles d’engagement applicables, la Mission ne devait employer la
force qu’en cas de légitime défense. Elle avait pris d’elle-même l’initiative
de protéger les hommes politiques mais, dans certains cas, s’était abstenue à la
suite de menaces venant des milices. La population civile cherchait à se
réfugier dans les postes de la MINUAR mais la Mission s’est avérée incapable
d’assurer durablement leur protection. Le commandant de la Force a constaté
très vite qu’il n’exerçait pas le commandement effectif de toutes ses troupes :
à toutes fins utiles, les agents de maintien de la paix belges relevaient du
commandement de leurs troupes nationales d’évacuation et, au bout de quelques
jours, le contingent bangladais a cessé de répondre aux ordres venus du quartier
général de la MINUAR. En bref, la correspondance entre Kigali et le Siège, et
les renseignements communiqués au Conseil de sécurité dès les premiers jours du
génocide, dépeignent une opération incapable d’accomplir son mandat politique en
rapport avec l’Accord d’Arusha, incapable de protéger la population civile ou le
personnel civil des Nations Unies et courant elle-même des risques. De plus, la
MINUAR n’a pas été associée aux opérations d’évacuation de leurs ressortissants
menées par la France, la Belgique, les États-Unis et l’Italie. La
responsabilité de cette situation est à partager entre les responsables de la
MINUAR, le Secrétariat et les pays fournisseurs de contingents.
Les archives de l’Organisation des Nations Unies indiquent que le
Département des opérations de maintien de la paix a commencé très vite à
examiner la possibilité d’un retrait de la MINUAR parmi les options qui
pouvaient s’imposer. Dès le 9 avril, Annan (Riza) déclarait dans un télégramme
à Booh Booh et Dallaire qu’il était impossible que la MINUAR exerce son mandat
dans les conditions du moment. Il déclarait aussi que, si les événements
évoluaient dans un sens négatif, il pourrait être nécessaire de conclure que la
MINUAR devait se retirer. La réaction instinctive parmi le Secrétariat semble
avoir été de mettre en doute la faisabilité d’une réaction efficace des
Nations Unies, plutôt que d’étudier activement la possibilité de renforcer
l’opération pour faire face aux difficultés nouvelles sur le terrain.

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Rapidement, cependant, la décision unilatérale prise par la Belgique de
retirer ses troupes, à la suite de l’assassinat tragique de 10 agents de
maintien de la paix belges, a placé la Mission des Nations Unies au bord de la
désintégration. Peu après la décision de retrait prise par le Gouvernement
belge, le Bangladesh a laissé entendre qu’il pourrait faire de même. Dans une
lettre datée du 21 avril, adressée au Président du Conseil de sécurité, le
Représentant permanent du Bangladesh soulevait plusieurs problèmes de sécurité
en demandant des garanties de la part de l’Organisation des Nations Unies. Il y
avait donc un risque considérable que la Force de maintien de la paix se
désintègre.
Les problèmes de commandement et de contrôle rencontrés par la MINUAR dans
les premiers jours du génocide ont été causés notamment par l’évacuation non
autorisée opérée par des membres de la composante de police civile qui
relevaient du commandement de la MINUAR et par l’incident embarrassant au cours
duquel des troupes de maintien de la paix bangladaises ont refusé de laisser
entrer à l’intérieur de l’ensemble sportif d’Amahoro leurs collègues du
contingent belge qui cherchaient refuge.
La Commission considère qu’il est essentiel de préserver l’unité de
commandement et de contrôle des Nations Unies et que les pays fournisseurs de
contingents doivent, malgré les pressions politiques internes en sens contraire,
s’abstenir de tout retrait unilatéral au détriment des opérations de maintien de
la paix en cours et à leurs risques.
La perte de 10 agents de maintien de la paix est un coup terrible pour tout
pays fournisseur de contingents. Cependant, même si le Gouvernement belge
estimait que le meurtre brutal des membres de ses commandos parachutistes et la
propagande antibelge au Rwanda à ce moment rendaient impossible le maintien de
la présence de son contingent, la Commission trouve difficile à comprendre la
campagne entreprise pour obtenir le retrait total de la MINUAR. L’analyse de la
situation au Rwanda, qui a servi d’argument en faveur du retrait, décrivait des
massacres continus et des affrontements entre les parties. Or, l’attention
semble s’être concentrée uniquement sur le retrait en négligeant les
possibilités d’action de l’Organisation des Nations Unies avec ou sans la
Belgique.
Les discussions au Conseil de sécurité durant les premières semaines du
génocide font apparaître un organe divisé entre ceux qui, comme les États-Unis,
étaient réceptifs à la campagne belge en faveur du retrait de la Mission, et les
autres, au premier rang desquels le Groupe des membres du Mouvement des pays non
alignés, qui souhaitaient un renforcement de la MINUAR. Lorsqu’il a présenté
ses trois options au Conseil de sécurité dans un rapport daté du 20 avril
(S/1994/470), le Secrétaire général a déclaré qu’il n’était pas favorable à la
solution du retrait. Bien que le Secrétaire général ait soutenu qu’il avait
exprimé clairement sa préférence en faveur d’un renforcement de la MINUAR, par
l’intermédiaire d’une déclaration faite à la presse par son porte-parole, la
Commission estime que le Secrétaire général aurait pu faire davantage pour
plaider la cause d’un renforcement devant le Conseil.
La décision prise par le Conseil de sécurité le 21 avril de réduire la
MINUAR à une force minimale malgré les massacres qui étaient alors connus de
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tous, plutôt que de tout faire pour rallier la volonté politique de chercher à
arrêter ces massacres, est à l’origine d’une amertume largement ressentie au
Rwanda. C’est une décision que la Commission estime difficile à justifier. Le
Conseil de sécurité supporte la responsabilité de son manque de volonté
politique de faire davantage pour arrêter les massacres.
La lettre du Secrétaire général, en date du 29 avril, priant le Conseil de
sécurité de réexaminer sa décision de réduire le mandat et de chercher au
contraire à renforcer la Mission, marque un revirement heureux en direction
d’une intervention de l’ONU pour tenter d’arrêter les massacres. La nécessité
d’agir dans ce sens n’était plus présentée comme subordonnée aux négociations
des deux parties au sujet d’un cessez-le-feu. Cependant, le Conseil de sécurité
a pris plusieurs semaines pour parvenir à un accord et le retard a coûté cher
alors qu’un génocide était en cours. Les comptes rendus des consultations du
Conseil tenues au début de mai indiquent clairement une attitude réservée au
sujet d’une éventuelle opération en vertu du Chapitre VII. Le rapport fait au
Secrétaire général par Gharekhan au sujet des consultations du 3 mai déclarait :
"Aucune délégation n’est favorable à une intervention par la force ou la
contrainte. Toutes soulignent que, quelle que soit l’action envisagée, elle ne
pourrait avoir lieu qu’avec l’accord des deux parties rwandaises et leur
engagement de coopérer."
Le 12 mai, le Conseil était divisé sur l’essentiel. Les membres ont
examiné plusieurs questions, notamment si une mission élargie devait recevoir un
mandat en vertu du Chapitre VII, sujet sur lequel il n’y avait pas d’accord, et
la question des ressources nécessaires, les États-Unis et le Royaume-Uni
réclamant au Secrétariat des renseignements plus précis sur la conception des
opérations. Comme on l’a déjà dit plus haut, les membres non permanents du
Conseil ont essayé de peser en faveur d’une action plus musclée. L’hostilité à
ces efforts s’est cependant révélée trop forte. Le retard dans la prise de
décisions par le Conseil de sécurité montre un manque d’unité particulièrement
inquiétant dans une situation où des mesures rapides s’imposaient. Le 17 mai,
près de trois semaines après la lettre du Secrétaire général, le Conseil
autorisait finalement la MINUAR II.
b)
Le manque de volonté d’agir face à la crise au Rwanda se révèle plus
déplorable encore si l’on tient compte du refus, par d’importants membres de la
communauté internationale, d’admettre que les meurtres massifs commis sous le
regard des médias du monde entier constituaient un génocide. Le fait que les
événements en cours au Rwanda constituaient un génocide imposait une obligation
internationale essentielle d’intervenir pour mettre fin aux massacres. Les
parties à la Convention de 1948 ont contracté la responsabilité de prévenir et
de punir le crime de génocide. Une telle responsabilité ne peut pas être prise
à la légère. Bien que la Convention oblige principalement les parties à adopter
une législation nationale soumettant le crime de génocide à la compétence des
tribunaux, la Convention leur donne aussi expressément la faculté de soumettre
une situation au Conseil de sécurité. Il semble donc que, dans ce contexte, les
membres du Conseil de sécurité supportent une responsabilité particulière,
d’ordre moral sinon expressément prévue par la Convention, de réagir à une
situation de génocide.

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Néanmoins, alors que les assassinats massifs se déroulaient au Rwanda en
avril et en mai 1994, et alors que les télévisions diffusaient des images de
corps gonflés flottant sur la rivière en aval du Rwanda, des États influents
refusaient d’employer le terme de génocide pour décrire les événements. Le
Secrétaire général, lui, a prononcé ce mot au cours d’une interview donnée à la
télévision américaine le 4 mai 1994, et il a été l’un des premiers à le faire
parmi la communauté internationale. Le rapport du Secrétaire général soumis au
Conseil de sécurité le 30 mai 1994 à propos de la mission spéciale de Riza et
Baril employait officiellement le mot génocide. Cependant, lorsque certains
membres du Conseil de sécurité ont proposé que ce terme figure dans la
résolution sur la MINUAR II, les autres membres ont refusé.
Le retard mis à qualifier de génocide les événements du Rwanda constitue
une erreur du Conseil de sécurité. Le refus de certains États d’employer le
terme "génocide" a été causé par l’absence de la volonté d’intervenir, ce qui
est déplorable. Pour qu’une action internationale efficace combatte le
génocide, il faut que les États soient prêts à qualifier telles les situations
et à assumer la responsabilité d’agir qui s’attache à la reconnaissance d’une
situation de génocide. La Commission espère que l’importance plus grande
accordée aujourd’hui à la nécessité d’assurer la sécurité des personnes et de
garantir la protection des êtres humains contre les violations des droits de
l’homme aura aussi pour conséquence que les États ne craindront pas de qualifier
des événements de génocide et réagiront concrètement aux situations de cette
nature.
Il est important d’ajouter ce qui suit : une action internationale n’est
pas impérative seulement en cas de génocide. L’ONU et ses États Membres doivent
être prêts aussi à réunir la volonté politique d’intervenir en présence de
violations lourdes des droits de l’homme avant même qu’elles aient atteint le
degré ultime du génocide. Il convient de donner une importance particulière à
la nécessité d’une action préventive : la volonté d’agir doit être mobilisée
avant qu’une situation atteigne le stade du génocide.
Jusqu’à un certain point, l’analyse des aspects ethniques des actes de
violence a pu être influencée par le fait qu’à l’origine, avant l’accident
d’avion, le FPR a préféré présenter le conflit avec le Gouvernement comme un
affrontement politique, et voulu éviter d’être considéré comme un parti
"ethnique". Cependant, cette circonstance n’enlève rien à la gravité des
renseignements cités plus haut. Compte tenu des conclusions des rapports
de 1993 sur les droits de l’homme, le risque d’un génocide ne pouvait pas être
écarté alors que les conditions de sécurité se dégradaient en 1994. Il faut
aussi signaler que, peu après le commencement des massacres, le FPR a, dans une
déclaration datée du 13 avril, qualifié ouvertement les événements de génocide.
Les membres du Gouvernement intérimaire ont été, depuis lors, mis en
accusation devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda en raison de
leur rôle dans le génocide rwandais. L’étude des archives de l’ONU conduit la
Commission à se demander si la responsabilité de ces personnes dans les
massacres qui se déroulaient leur a été expliquée de manière suffisamment claire
à l’époque. Dans une certaine mesure, cette question met en avant un dilemme
constant dans la gestion des crises : faut-il négocier avec les tenants du
pouvoir quels que soient les actes qu’ils peuvent avoir commis? Selon la
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Commission, l’ONU avait l’obligation d’avertir de manière absolument claire les
membres du prétendu Gouvernement intérimaire de la responsabilité individuelle
qui accompagne la perpétration des crimes de génocide et de guerre.
6.

Le maintien de la paix surchargé : l’insuffisance des
ressources et des moyens logistiques

Le Rwanda devait finalement marquer une étape décisive pour le maintien de
la paix des Nations Unies et symboliser le manque de volonté de s’engager en
faveur du maintien de la paix et, par-dessus tout, de prendre des risques sur le
terrain. La MINUAR a vu le jour après une période marquée par une augmentation
spectaculaire de l’effectif des troupes de maintien de la paix déployées sur le
terrain postérieurement à la guerre froide. Cependant, dès le deuxième semestre
de 1993, l’enthousiasme des années antérieures pour le maintien de la paix des
Nations Unies s’émoussait parmi les États Membres les plus influents, la
capacité du Secrétariat, particulièrement du Département des opérations de
maintien de la paix, d’administrer les quelque 70 000 agents de maintien de la
paix servant sous l’insigne du béret bleu était surmenée et plusieurs opérations
en cours rencontraient de graves difficultés.
Dans un rapport du 14 mars 1994 au Conseil de sécurité, intitulé "Améliorer
la capacité de maintien de la paix des Nations Unies", le Secrétaire général
décrivait la croissance sans précédent des activités de maintien de la paix des
Nations Unies durant les cinq années précédentes. Il indiquait aussi,
cependant, que l’enthousiasme international pour le maintien de la paix allait
en diminuant. Il soulignait la situation financière difficile traversée par
l’ONU, porteuse d’une créance de plus d’un milliard de dollars de quotes-parts
impayées pour les opérations de maintien de la paix.
La qualité insuffisante et le manque de capacité de la MINUAR ont eu un
effet majeur sur la manière dont la Mission a géré la crise qui s’est ouverte le
6 avril. Cependant, le manque de ressources et de moyens logistiques avait été
un problème grave pour la MINUAR dès son origine et la situation ne s’était pas
améliorée aux stades ultérieurs de la Mission. Il est remarquable que même la
résolution par laquelle la MINUAR a été établie ait déjà comporté une invitation
adressée au Secrétaire général pour qu’il examine les moyens de réduire
l’effectif maximum total de la MINUAR. Le Secrétaire général a été prié de
chercher les moyens de réaliser des économies dans la planification et
l’exécution du déploiement progressif, et de rendre compte régulièrement des
progrès accomplis à cet égard. Même le contingent belge, qui était le plus fort
dans la MINUAR, a rencontré des difficultés causées par le matériel recyclé et
le manque d’armes. Le contingent bangladais est arrivé sans même les
fournitures les plus élémentaires. Les troupes ne possédaient pas la formation
nécessaire à plus d’un égard.
Dans son rapport du 30 décembre 1993 au Conseil de sécurité, le Secrétaire
général s’est prononcé contre une réduction des niveaux des ressources, écrivant
qu’elle nuirait au fonctionnement et à la crédibilité de la MINUAR dans
l’accomplissement de son mandat. Le Conseil a approuvé le déploiement du
deuxième bataillon dans la zone démilitarisée par sa résolution 893 (1994) du
6 janvier 1994 mais il a aussi prié à nouveau le Secrétaire général de
surveiller la taille et le coût de la Mission afin de chercher à réaliser des
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économies. La même demande a été répétée dans la dernière résolution du Conseil
sur le Rwanda avant le génocide, la résolution 909 (1994) du 5 avril 1994.
Les difficultés logistiques éprouvées par la MINUAR sont présentes à tout
moment dans la correspondance échangée entre le commandant de la Force et le
Siège. Les contingents sont arrivés sans le matériel normal qui a dû alors être
amené en provenance des opérations de l’ONU en Somalie et au Cambodge. La
MINUAR n’a reçu que huit véhicules blindés de transport de troupes sur les
22 demandés, et cinq seulement étaient en état de fonctionnement. La Mission
avait une unité médicale mais la qualité des soins faisait l’objet de plaintes.
Dans les semaines qui ont précédé le génocide, la MINUAR rencontrait
toujours de graves problèmes logistiques. Au moment où le Secrétaire général
devait soumettre son rapport au Conseil, à la fin de mars, le projet adressé au
Siège par Booh Booh insistait sur les problèmes logistiques et sur le besoin de
disposer d’un plus grand nombre d’observateurs militaires. La Commission
relève, à ce sujet, que la version définitive du rapport n’a pas fait état de la
demande, en provenance du terrain, tendant à porter le nombre des observateurs
militaires à 48, comme indiqué dans le projet initial émanant de Kigali.
Les insuffisances de la MINUAR ont été décrites plus haut à propos du
mandat de la Mission. La situation logistique catastrophique dans laquelle la
Mission s’est trouvée une fois que le génocide a commencé a été résumée dans un
télégramme de Booh Booh et Dallaire adressé à Annan et Goulding, en date du
8 avril. Dès cette date, le télégramme qualifiait les événements de "campagne
de terreur très bien préparée, organisée, délibérée et exécutée, principalement
à l’initiative de la Garde présidentielle". Le télégramme décrivait ensuite
"les actes d’agression" dirigés contre les chefs de l’opposition, contre le FPR,
le massacre des Tutsis, les attaques contre la population civile en général et
les tirs visant directement et indirectement la MINUAR. Le FPR était alors
sorti de son enceinte et la MINUAR fait état d’affrontements ouverts entre la
Garde présidentielle et le FPR. Le télégramme demande : "Le mandat de la MINUAR
est-il toujours valide?"
Il explique que l’infanterie déployée à Kigali et éparpillée dans des camps
isolés par les combats et coupée de son appui logistique. "La Mission manque
désespérément de moyens d’appui pour sa survie et ses opérations. Les réserves
demandées par l’ONU pour cette mission n’ont pas été procurées par les pays
fournisseurs de contingents ou n’ont pas été fournies à la Mission." Le
télégramme précise que la plupart des unités disposent d’un à deux jours d’eau
potable, de zéro à deux jours de rations alimentaires et d’environ deux à trois
jours de réserves de carburant. De plus, le manque de munitions et d’armes
légères est décrit comme le problème le plus grave. Résumant la situation, la
MINUAR écrivait : "La MINUAR a été conçue, établie et mise en place
logistiquement comme une force de maintien de la paix. Elle ne dispose donc pas
des réserves de moyens essentiels dans une situation de conflit de longue
durée."
Enfin, il aurait fallu faire
à l’ONU ses propres installations
mobiliser la volonté politique et
émissions de Radio Mille collines

preuve d’une plus grande volonté pour fournir
de radio au Rwanda. Il aurait fallu aussi
réunir les moyens financiers de brouiller les
qui jouait un rôle d’incitation notoire. À
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l’avenir, cependant, il ne suffira pas nécessairement de neutraliser les radios
qui répandent la haine. Il faudra se préoccuper aussi de la diffusion de
messages haineux en faveur du génocide par le moyen de l’Internet.
La responsabilité des problèmes logistiques rencontrés par la MINUAR
incombe à la fois au Département des opérations de maintien de la paix, en
particulier à sa Division de l’administration et de la logistique des missions,
et aux différents pays fournisseurs de contingents. La Division de
l’administration et de la logistique des missions n’aurait pas dû permettre que
la MINUAR manque radicalement de ressources comme on l’a indiqué plus haut. Dès
le mois d’avril, soit six mois après l’établissement de la Mission, ces
problèmes logistiques fondamentaux auraient dû être réglés. Néanmoins, la
Commission constate aussi que les fournisseurs de contingents à la MINUAR n’ont
pas fourni leurs contingents avec l’équipement essentiel en armes et autres
matériels dont ils étaient responsables. De plus, la pression constante que le
Conseil de sécurité a imposée à la MINUAR afin de faire des économies et de
réduire les ressources a créé elle aussi des difficultés, d’autant plus que la
Mission était insuffisamment robuste dès l’origine.
7.

L’ombre de la Somalie

Il a souvent été dit que la création de la MINUAR avait été marquée par les
événements qui s’étaient produits en Somalie. Plus particulièrement, la mort de
Casques bleus pakistanais et américains, en Somalie en 1993, avait profondément
influencé la conception des opérations de maintien de la paix. C’est ainsi que
la Commission de l’ONU chargée d’enquêter sur la mort tragique des soldats de la
paix en Somalie, dont le rapport venait de paraître au moment où l’on
s’apprêtait à renforcer la MINUAR au lendemain du génocide, avait conclu que
"l’ONU devrait s’abstenir de toute nouvelle action d’imposition de la paix lors
d’un conflit interne dans un État" (S/1994/653).
Les événements de Mogadishu ont constitué un tournant dans la politique du
Gouvernement des États-Unis vis-à-vis des opérations de maintien de la paix des
Nations Unies. En mai 1994, alors que commençait le génocide au Rwanda, le
Président Clinton promulguait la directive PDD25 qui imposait des conditions
strictes à la participation des États-Unis auxdites opérations de maintien de la
paix. La mort des soldats de la paix en Somalie a aussi conduit le Secrétariat
de l’ONU à se montrer plus circonspect, particulièrement en ce qui concerne les
risques à assumer durant les opérations de maintien de la paix et
l’interprétation des mandats. Les séquelles de la Somalie ont pesé
particulièrement sur le fonctionnement de la MINUAR.
8.

Priorité à l’instauration d’un cessez-le-feu

Après la mort du Président et l’éclatement de la violence, MM. Booh Booh et
Dallaire ont rapidement concentré leur attention sur l’instauration d’un
cessez-le-feu. Les rapports transmis au Secrétariat par la MINUAR mettaient
l’accent sur cette préoccupation, comme le montrent les négociations avec ce
qu’on appelait le comité de crise et le Front patriotique rwandais (FPR) et la
crainte de voir celui-ci quitter le Conseil national de développement et la zone
démilitarisée. Or, la dynamique du génocide qui avait commencé à Kigali pour se
répandre ensuite dans les campagnes n’était pas celle d’une simple reprise des
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hostilités entre deux parties signataires de l’Accord de paix d’Arusha. Les
signes avant-coureurs, qui ne pouvaient laisser planer aucun doute sur la nature
des événements, auraient dû être rapportés plus clairement et plus tôt. C’est
précisément ce qu’a fait valoir l’Ambassadeur du Nigéria au Conseil de sécurité,
le 28 avril, lorsqu’il a déclaré qu’on se préoccupait trop des négociations sur
le cessez-le-feu et pas assez des massacres. La Commission est troublée de
constater que les comptes rendus des réunions tenues entre des membres du
Secrétariat, y compris le Secrétaire général, et des responsables de ce qu’on
appelait le Gouvernement intérimaire, montrent que la volonté d’instaurer un
cessez-le-feu a toujours pris le pas sur l’indignation morale de plus en plus
profonde que les massacres suscitaient au sein de la communauté internationale.
L’entêtement à ne voir dans la situation à Kigali après la mort du
Président que la rupture d’un cessez-le-feu qu’il fallait donc rétablir par la
négociation, plutôt qu’un génocide perpétré en marge des combats entre les
forces gouvernementales rwandaises et le FPR, a été une coûteuse erreur de
jugement. Cette erreur a été commise par le Secrétariat, les responsables de la
MINUAR et les membres du Conseil de sécurité. Plusieurs de ces derniers ont
critiqué la qualité des analyses que le Secrétariat leur avait communiquées en
l’occurrence. Pour plusieurs membres non permanents de l’époque, ce sont les
renseignements communiqués par la communauté des organisations non
gouvernementales qui leur ont ouvert les yeux sur le caractère génocidaire des
massacres perpétrés au Rwanda.
9.

Une capacité d’analyse insuffisante

Un des problèmes qui ont gêné l’ONU dans son comportement face à la
situation au Rwanda a été l’insuffisance de ses capacités d’analyse politique,
notamment à l’échelon de la MINUAR mais aussi au Siège. S’agissant de la
MINUAR, le commandant de la Force a relevé dans un entretien avec la Commission,
un problème fondamental : il n’y avait pas assez de spécialistes des affaires
politiques dans la mission de reconnaissance envoyée au Rwanda en août 1993, et
l’équipe connaissait mal les réalités politiques sous-jacentes au processus de
paix rwandais. Une fois mise en place, la MINUAR a révélé son incapacité
d’analyser le renseignement. Au Siège, on n’a pas consacré une attention ou des
ressources institutionnelles suffisantes à l’alerte précoce et à l’analyse des
risques. Il y aurait eu beaucoup à gagner si on avait engagé une politique
préventive plus active visant à déceler les risques de conflit ou de tension,
notamment grâce à une coopération institutionnalisée avec les intellectuels et
les ONG et à une meilleure coordination entre les différentes entités du système
des Nations Unies s’occupant de la situation au Rwanda.
S’agissant de l’analyse des informations, une des grandes questions est de
savoir s’il était possible de prédire un génocide au Rwanda. La Commission a
reçu des réponses très différentes à cette interrogation, que ce soit des
protagonistes rwandais ou des intervenants internationaux qu’elle a rencontrés.
Comme indiqué plus haut, les rapports établis en 1993 par les organisations non
gouvernementales et l’ONU sur la situation des droits de l’homme révélaient les
signes avant-coureurs d’un risque de génocide. La Commission estime qu’on n’a
pas suffisamment tenu compte de ces rapports lors de la mise sur pied de la
MINUAR, qui a été conçue comme une opération classique de maintien de la paix,
régie par les dispositions du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies et
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créée à la demande de deux parties en conflit pour les aider à mettre en oeuvre
un accord de paix. Malgré les signes avant-coureurs déjà perceptibles lors du
processus d’Arusha — notamment le manque d’enthousiasme des extrémistes du parti
présidentiel pour le processus de paix et pour le principe du partage du
pouvoir, on ne semble guère s’être préoccupé de prévoir ce qu’on ferait au cas
où l’Accord de paix serait menacé ou remis en question. On a mis en place la
MINUAR sans prévoir un dispositif de repli ou un plan permettant de savoir que
faire si tout tournait mal. Il existait des signes avant-coureurs d’un risque
de génocide au Rwanda, et aussi des indications très nettes selon lesquelles on
préparait des massacres qui pourraient se produire dans le pays au début de
1994. L’absence d’une réaction résolue tient en partie au fait que ni la
MINUAR, ni le Secrétariat, ni non plus certains États Membres pouvant jouer un
rôle déterminant n’avaient correctement analysé la situation.
L’une des principales tâches de la MINUAR consistait à surveiller
l’application de l’Accord de paix d’Arusha. Perceptible dès les premières
semaines de présence de la MINUAR au Rwanda, le retard pris par le processus de
paix s’est accompagné d’une détérioration continue des conditions de sécurité.
Les rapports provenant du terrain faisaient bien état de la multiplication des
massacres, de graves tensions ethniques, des activités des milices et de
l’importation et de la distribution d’armes. Bien que parfois présentés comme
s’ils n’avaient aucun rapport avec les difficultés du processus politique, qui
faisaient généralement l’objet d’une analyse distincte, ces faits préoccupants
ont été signalés par câble au Siège, sur un ton qui se faisait de plus en plus
alarmant.
Dans son rapport au Conseil de sécurité en date du 30 décembre 1993
(S/26927), le Secrétaire général a parlé d’un groupe d’individus bien armés et
implacables qui menaient dans la zone démilitarisée des activités visant à
perturber le processus de paix ou même à le faire capoter. Les États-Unis ayant
demandé d’être plus amplement informés sur ce groupe, lors des consultations
plénières du Conseil tenues le 5 janvier 1994, le Représentant spécial et le
commandant de la Force ont été priés de transmettre au Siège des informations
complémentaires sur la question. Dans une réponse datée du 6 janvier,
M. Dallaire a décrit les massacres des 17, 18 et 30 novembre au cours desquels
55 hommes, femmes et enfants avaient été tués. Il a déclaré ne pas détenir de
preuves formelles permettant d’identifier les auteurs des massacres, mais a
précisé : "le mode d’exécution, la coordination, la dissimulation et les
motivations politiques de ces méfaits nous conduisent à croire fermement que
leurs auteurs sont bien organisés, informés, motivés et disposés à commettre des
assassinats prémédités. Nous n’avons aucune raison de penser que de tels faits
ne se reproduiront pas dans l’une ou l’autre région de ce pays où les armes
abondent et où règnent les tensions politiques et ethniques".
Ces exemples, ainsi que d’autres faits cités dans le présent rapport, tels
que la suite donnée au câble de M. Dallaire et l’analyse des événements qui ont
suivi le début du génocide, témoignent des insuffisances institutionnelles dont
souffre l’ONU sur le plan des capacités d’analyse. La responsabilité en incombe
principalement au Secrétariat, qui agit sous la direction du Secrétaire général.
10.

Le manque de volonté politique des États Membres

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Une autre raison qui explique le grave échec de la communauté
internationale au Rwanda est le manque de volonté politique qui aurait permis de
doter la MINUAR du personnel et des ressources matérielles dont elle avait
besoin. Même après que le Conseil de sécurité eut décidé d'intervenir pour
essayer d'arrêter les massacres et qu'il fut revenu sur sa décision de diminuer
les effectifs de la MINUAR, les problèmes que le Secrétariat avait rencontrés
depuis le début de la Mission pour obtenir des contingents des États Membres ont
persisté. Tel a été le cas en mai et en juin où l'on s'efforçait dans l'urgence
de mettre sur pied la MINUAR II. La réticence à envoyer des troupes au Rwanda
s’est poursuivie de façon déplorable pendant les semaines qui ont suivi la
décision du Conseil de sécurité de porter à 5 500 hommes l’effectif de la
MINUAR. Le Secrétariat s'est efforcé des semaines durant d'obtenir des
contingents, mais sans succès. Quelques pays africains se sont déclarés
disposés à envoyer des troupes, mais à la condition qu'on leur fournirait du
matériel et des moyens financiers. Au moment où l'opération Turquoise a quitté
le Rwanda, la MINUAR disposait à peine des effectifs minimums pour occuper les
zones qui avaient été contrôlées par l'opération dirigée par la France. Le
plein des effectifs n'a été déployé que quelques mois plus tard, à un moment où
la situation sur le terrain avait changé de façon appréciable. Il faut rendre
ici hommage aux pays contributeurs, en particulier le Ghana et la Tunisie, qui
ont décidé que leurs troupes resteraient pendant les terribles semaines où se
produisait le génocide, malgré le retrait d'autres contingents. En bref, si
l'on peut critiquer les fautes et les limitations des troupes de la MINUAR, on
ne doit pas oublier la responsabilité de la grande majorité des États Membres de
l'Organisation des Nations Unies, qui n'étaient pas disposés à envoyer des
troupes ou du matériel au Rwanda.
La volonté politique des États Membres de fournir des contingents aux
opérations de maintien de la paix est évidemment essentielle pour permettre à
l'Organisation de réagir en cas de conflit. Il faut se féliciter de
l'initiative concernant les arrangements relatifs aux forces et moyens en
attente qui vise à régler le problème du manque de troupes disponibles lorsque
des missions doivent être mises sur pied. Mais ce système dépend également de
la volonté des États Membres de s'engager à fournir des troupes et d'autre
personnel dans un cas donné.
Une observation générale concernant la nécessité d'une volonté politique
est qu'elle doit se manifester de manière égale pour les divers conflits qui se
produisent dans le monde. La Commission a entendu maintes déclarations, au
cours des enquêtes qu'elle a menées, selon lesquelles le Rwanda ne présentait
pas d'intérêt stratégique pour les pays tiers et les mesures prises par la
communauté internationale pour faire face à la catastrophe qui menaçait le
Rwanda, comparées à celles qu'elle avait prises dans d'autres cas, montraient
qu'elle pratiquait une politique de deux poids et deux mesures.
11.

Non-protection des dirigeants politiques

La MINUAR a été chargée de protéger un certain nombre de personnalités
politiques dont la contribution était essentielle pour appliquer l'Accord
d'Arusha. Des hommes politiques modérés et de l'opposition ont rapidement été
menacés lorsque les violences ont commencé après le crash de l'avion
présidentiel. Certains ont pu être sauvés, notamment le Premier Ministre
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désigné, M. Twagiramungu. Un certain nombre d'autres, par contre, ont été tués
par des membres de la Garde présidentielle et des éléments de l'armée rwandaise.
Au nombre de ceux qui ont été assassinés se trouvaient le Premier Ministre,
Mme Agathe Uwilingiyimana, le dirigeant du Parti libéral, M. Landoald Ndasingwa,
et l'ancien Ministre des affaires étrangères, M. Boniface Ngulinzira. Le
Président de la Cour constitutionnelle, M. Joseph Kavaruganda, a été emmené par
des éléments armés de l'armée rwandaise et on ne l'a plus revu. Dans ces cas,
la MINUAR n'a pas réussi à assurer à ces personnes la protection nécessaire.
Dans le cas du Premier Ministre, les troupes qui la protégeaient ne l'ont pas
accompagnée lorsqu'elle s'est enfuie de chez elle et s'est réfugiée dans le
complexe des Volontaires des Nations Unies. Comme cela a été décrit ci-dessus,
les troupes ont rendu les armes et ont été conduites par les forces
gouvernementales rwandaises au camp Kigali, où elles ont été ensuite sauvagement
assassinées. Selon la famille de M. Ndasingwa, les gardes postés devant sa
maison se sont enfuis lorsque des membres de la Garde présidentielle sont
arrivés. M. Ndasingwa, sa femme, ses enfants et sa mère ont tous été abattus.
Quant à la famille de M. Kavaruganda, elle a déclaré que les gardes postés
devant sa maison n'ont rien fait pour empêcher les soldats rwandais de l'emmener
ou de rouer de coups des membres de sa famille, qui ont ensuite pris la fuite.
Finalement dans le cas de Ngulinzira, sa famille reproche à la MINUAR que les
gardes des Nations Unies qui le protégeaient l'ont emmené avec sa famille à
l'École technique officielle. Il a été tué au cours des massacres qui ont eu
lieu lorsque le contingent belge a quitté l'école.
Les événements qui se sont produits présentent une caractéristique commune
qui montre que les troupes de la MINUAR n’ont pas assuré à ces personnes la
protection qui leur avait été promise et sur laquelle elles comptaient. Il est
regrettable qu’on n’ait pas pu faire davantage pour résister aux attaques menées
contre ces personnalités politiques par la Garde présidentielle et d’autres
éléments extrémistes. Comme on l’a signalé ci-dessus, les règles d’engagement
de la Mission lui permettaient de recourir à la force en cas de légitime
défense, et d’intervenir pour empêcher les crimes contre l’humanité. Cela
étant, il faut reconnaître que les forces extrémistes avaient eu tout le temps
d’observer le nombre et l’armement des gardes postés par la MINUAR et de
neutraliser ces gardes en leur opposant une force supérieure.
Le meurtre tragique des soldats belges montre aussi qu’un certain nombre de
problèmes se posaient quant à la capacité de la MINUAR de faire face à une
situation de crise. Lorsqu’elle a appris que les soldats gardant le Premier
Ministre étaient en difficulté, la MINUAR n’a pas pris de mesures suffisamment
énergiques pour s’informer de ce qui était arrivé et empêcher les meurtres. Le
commandant de la Force a déclaré que lorsqu’il était passé à côté du camp Kigali
et avait vu les soldats belges couchés au sol, il n’avait pu obtenir que le
chauffeur de sa voiture, qui était un membre des forces gouvernementales
rwandaises, s’arrête. Le commandant du secteur de Kigali a dit qu’il n’avait
appris qu’à 22 heures la mort des parachutistes belges. Bien que le commandant
de la Force n’ait pu s’approcher du groupe de soldats belges, il est inquiétant
de constater que les communications entre les différents éléments de la MINUAR
n’aient pas permis à l’information concernant la situation dangereuse dans
laquelle se trouvaient les Belges d’être dûment transmise, si bien qu’il n’a été
possible de s’informer du sort des parachutistes qu’après leur mort.

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L’échec dans ces cas semble attribuable à certains égards au fait que le
quartier général de la MINUAR n’a pas donné les ordres nécessaires, mais il est
dû aussi aux soldats de la Mission eux-mêmes qui, en n’opposant pas de
résistance aux menaces dirigées contre les personnes qu’ils protégeaient dans
certains des cas décrits ci-dessus, comme ils auraient pu le faire selon leurs
règles d’engagement, n’ont pas fait preuve de suffisamment de détermination pour
s’acquitter de leur mission.
12.

Non-protection des civils

Le rôle de la MINUAR dans la protection des civils durant le génocide est
l’une des questions les plus débattues et les plus douloureuses de cette
période. Des membres de la MINUAR ont fait des efforts considérables,
quelquefois au risque de leur vie, pour protéger des civils qui se trouvaient en
danger durant les massacres. Il ne semble cependant pas que les ordres donnés
aux différents niveaux de la hiérarchie sur ce point aient été clairs et
cohérents. Pendant les premiers jours du génocide, des milliers de civils se
sont rassemblés sur les lieux où des troupes des Nations Unies étaient
stationnées, comme le stade Amahoro et l’École technique à Kicukiro. Lorsque la
MINUAR s’est retirée des zones placées sous sa protection, les civils se sont
trouvés en danger. Il semble malheureusement prouvé que dans certains cas, en
plaçant leur confiance dans la MINUAR, certains d’entre eux ont été exposés à un
danger accru lorsque les troupes des Nations Unies se sont retirées.
Selon le commandant et le commandant adjoint de la Force, l’ordre d’évacuer
n’est pas venu du quartier général de la MINUAR. Il semblerait avoir été donné
par le commandement du contingent belge à la MINUAR. Il ne fait aucun doute que
la décision d’évacuer l’École, en laissant des milliers de réfugiés à la merci
des forces de l’Interahamwe qui n’attendaient que le départ des troupes, a été
ressentie de façon très douloureuse par le peuple rwandais, en particulier par
les survivants du génocide. L’impression que l’on a abandonné délibérément un
groupe de civils a jeté un grave discrédit sur l’Organisation.
Lorsque le contingent de la MINUAR a quitté l’École technique officielle,
il ne pouvait y avoir le moindre doute quant au danger mortel qui menaçait les
citoyens qui avaient cherché refuge auprès de ce contingent. Les forces de
l’Interahamwe et du Gouvernement rwandais étaient postées depuis des jours à
l’extérieur de l’École. La manière dont les troupes de la MINUAR sont parties,
en essayant de faire croire aux réfugiés qu’en fait elles ne partaient pas,
était ignominieuse. Si une décision d’une importance aussi capitale que celle
d’évacuer l’École technique officielle a été prise sans ordre du commandant de
la Force, cela dénote de graves problèmes de commandement et de contrôle à
l’intérieur de la MINUAR.
La Commission d’enquête note que le Tribunal pénal international pour le
Rwanda a récemment déclaré M. Georges Rutaganda coupable de génocide et l’a
condamné à l’emprisonnement à vie, pour le rôle qu’il a joué dans l’attaque
contre l’École technique officielle.

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13.

Non-protection du personnel national

Les violences dont les fonctionnaires des Nations Unies et le personnel
associé, ainsi que d’autres agents humanitaires font l’objet de plus en plus
souvent au cours des conflits armés constituent un aspect tragique de ces
conflits. Le génocide au Rwanda a fait de nombreuses victimes parmi le
personnel des Nations Unies : 12 soldats de la paix et un certain nombre
d’agents civils locaux ont été sauvagement assassinés. Les efforts qui ont été
faits depuis 1994 pour renforcer la protection du personnel des Nations Unies et
du personnel associé ont été des plus encourageants, mais on pourrait faire
encore davantage, en particulier élargir la portée de la protection accordée par
la convention des Nations Unies sur ce sujet.
La Commission d’enquête s’est entretenue avec plusieurs personnes qui
faisaient partie du personnel national des Nations Unies au Rwanda au moment du
génocide. Lorsque le personnel civil international des Nations Unies a été
évacué, le personnel national est resté sur place. Certaines de ces personnes
sont très amères en raison de ce qu’elles considèrent comme un traitement
discriminatoire de la part des Nations Unies s’agissant de la sécurité de
différents groupes de personnel. On a même allégué que les agents des
Nations Unies auraient couru des risques plus grands du fait qu’ils
travaillaient pour l’Organisation. Les règles des Nations Unies en vigueur à
l’époque ne permettaient pas d’évacuer le personnel national. Les décisions qui
ont été prises alors étaient sans doute conformes à ces règles, mais il ne fait
aucun doute que celles-ci ont porté gravement atteinte à la confiance entre les
membres du personnel. La Commission considère comme une mesure positive les
modifications apportées depuis au Règlement du personnel, qui permet maintenant
la réinstallation du personnel à l’intérieur du pays, mais elle estime aussi
qu’il faut étudier sérieusement la possibilité d’assurer l’évacuation dans les
cas où la réinstallation serait une option moins souhaitable. Il va sans dire
que chaque fonctionnaire, international ou national, doit savoir précisément sur
quelle protection il peut compter en période de crise. Le fait que les Rwandais
travaillant pour les Nations Unies croyaient à tort que l’Organisation pouvait
et voudrait les protéger montre que ceux qui étaient chargés d’assurer la
sécurité — en particulier le Représentant spécial et le fonctionnaire chargé des
questions de sécurité — ont gravement failli à leur tâche s’agissant d’informer
correctement le personnel.
14.

Circulation de l’information

La circulation de l’information entre le Rwanda et le Secrétariat s’est
effectuée à plusieurs niveaux. Des télégrammes codés étaient envoyés soit par
le Représentant spécial, soit par le commandant de la Force, et adressés au
Secrétaire général, aux chefs des départements concernés, principalement Annan
en sa qualité de chef du Département des opérations de maintien de la paix,
ainsi que Jonah et Goulding, chefs du Département des affaires politiques, ou à
Baril. Les télégrammes émanant du Siège étaient normalement signés soit par le
chef du département concerné, soit dans certains cas par le Conseiller
militaire, chef d’état-major du Secrétaire général, ou par son Représentant
spécial au Conseil de sécurité. Les télégrammes d’Annan étaient en fait souvent
signés par son adjoint, Riza, qui s’occupait au jour le jour au Département des
opérations de maintien de la paix des questions intéressant la MINUAR. La
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distribution des télégrammes codés était parfois assortie d’une restriction, ces
télégrammes s’adressant à certains destinataires "seulement". Outre les
télégrammes codés, il y avait d’autres échanges de correspondance qui
s’effectuaient ouvertement par télécopie. Les communications écrites étaient
régulièrement complétées par des conversations téléphoniques, dont il reste peu
de traces écrites dans les archives.
À l’époque de la crise du Rwanda, le Secrétaire général avait déjà décidé
qu’il serait représenté au Conseil de sécurité par un Représentant spécial.
Lui-même assistait rarement aux consultations du Conseil de sécurité.
L’Ambassadeur Gharekhan a été nommé Représentant spécial de M. Boutros-Ghali au
Conseil. Gharekhan était chargé d’informer le Conseil, au nom du Secrétaire
général, au sujet des différentes questions figurant à l’ordre du jour, souvent
sur la base de notes préparées à son intention par les départements organiques
concernés. Ces départements n’étaient normalement pas représentés aux
consultations plénières. Gharekhan a déclaré à la Commission d’enquête qu’outre
la documentation fournie par les départements, il disposait des renseignements
communiqués directement par téléphone par le Représentant spécial ou par le
commandant de la Force de la mission dont il allait parler devant le Conseil de
sécurité. Cette procédure permettait à Gharekhan d’avoir des échanges de vues
directs avec les responsables sur le terrain, mais d’un point de vue
institutionnel, elle excluait ceux qui étaient chargés au jour le jour du
travail de fond sur les questions examinées par le Conseil. L’absence de
contact direct entre les départements organiques concernés et le Conseil de
sécurité créait une coupure qui nuisait à la qualité de l’information fournie au
Conseil de sécurité; en outre, il était certainement plus difficile pour les
fonctionnaires des départements organiques du Secrétariat de suivre dans ces
conditions les délibérations du Conseil. Les représentants de plusieurs États
membres du Conseil de sécurité que la Commission d’enquête a interviewés se sont
plaints de la qualité insuffisante de l’information fournie par le Secrétariat.
Il convient d’ajouter également que les États Membres qui connaissaient de façon
approfondie la situation au Rwanda auraient pu faire davantage pour partager
avec le Secrétariat les informations dont ils disposaient.
Des problèmes existaient en ce qui concerne la transmission de
l’information entre le Rwanda et le Siège de l’ONU. La MINUAR a présenté une
série de rapports très inquiétants d’où il ressortait que la situation au Rwanda
risquait de dégénérer en violence ethnique. Il existait donc des informations
connues de la MINUAR, du Siège des Nations Unies et de gouvernements
clefs — faisant état d’une stratégie et d’une menace d’extermination des Tutsis,
d’assassinats ethniques et politiques répétés ou systématiques, de listes de
condamnés à mort, ainsi que des informations signalant périodiquement l’entrée
d’armes au Rwanda et la distribution de ces armes à la population et de
propagande incitant à la haine. Qu’on n’ait pas fait davantage pour donner
suite à ces informations et pour agir rapidement montre que le Siège de
l’Organisation et la MINUAR, mais aussi les gouvernements qui étaient tenus au
courant de la situation par celle-ci, en particulier ceux de la Belgique, de la
France et des États-Unis, ont manqué à leurs obligations, avec les lourdes
conséquences qui en ont découlé. Le fait que des mesures énergiques n’ont pas
été prises comme suite aux télégrammes de Dallaire s’inscrit dans le tableau
plus vaste de l’absence de réponse aux avertissements ainsi donnés. De plus, le
fait que l’Organisation avait des contacts étroits avec des gouvernements clefs
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au sujet de cette information ne change rien au fait que cette même information
aurait dû être portée constamment et de façon aussi détaillée à l’attention de
tous les membres du Conseil.
15.

Problèmes d’organisation

Les problèmes d’organisation qui se sont posés tant à la MINUAR qu’au Siège
ont eu une incidence préjudiciable sur la manière dont l’ONU a fait face aux
événements au Rwanda.
À la MINUAR, il est clair que les rapports entre Booh Booh et Dallaire
étaient difficiles. Les chefs de département à New York étaient au fait de la
situation et ne sont pas intervenus. Ces difficultés relationnelles tenaient en
partie au fait que le commandant de la Force était arrivé le premier dans la
zone de déploiement et y avait mis la MINUAR en place. Beaucoup plus tard,
lorsque le génocide a commencé, les rôles respectifs sembleraient n’avoir pas
été clairement définis. La MINUAR se serait ressentie du manque d’ascendant
politique du Représentant spécial, mais aussi de problèmes de direction
militaire imputables à la multiplicité des tâches dont le commandant de la Force
avait à s’acquitter au cours de ces premiers jours chaotiques. Il ressort
également des archives de la Mission que la coopération interne était
problématique dans certains domaines clefs, comme le montrent par exemple les
rapports difficiles entre Booh Booh et son bureau, d’une part, et le chef de
l’administration, M. Hallqvist, qui a démissionné après quelques mois de
service.
Les rapports entre le Secrétaire général et le Conseil de sécurité
constituent un trait unique de la Charte des Nations Unies. Le Secrétaire
général a la possibilité, mais aussi la responsabilité, de porter à l’attention
du Conseil les questions sur lesquelles il y a lieu d’agir. Il peut exercer une
influence décisive sur la prise de décisions au Conseil et mobiliser la volonté
politique des membres pour ce qui a trait aux questions clefs inscrites à
l’ordre du jour. Boutros-Ghali était absent de New York pendant une bonne
partie de la période du génocide. La Commission d’enquête se rend compte que
les secrétaires généraux ne peuvent être présents à toutes les séances du
Conseil. Les archives contiennent des câbles quasi quotidiens informant le
Secrétaire général du déroulement des événements à Kigali et au quartier général
de la Mission, ainsi que certaines des réponses au quartier général, parfois
assorties d’observations du Secrétaire général. La Commission en conclut que le
Secrétaire général a été tenu au fait des faits nouveaux les plus importants
intervenus au Rwanda. Cela étant, le rôle incombant au Secrétaire général
vis-à-vis du Conseil dans des situations de crise réelle telles que celle du
génocide rwandais, ne peut que dans une certaine mesure être joué par personnes
interposées. Si la possibilité de contacts directs entre le Secrétaire général
et le Conseil de sécurité dans son ensemble, d’une part, et ses membres, de
l’autre, ne s’offre pas, le Secrétaire général ne peut influer sur la prise de
décisions au Conseil de façon aussi efficace ou décisive que s’il était présent.

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16.

Évacuation de nationaux : différents rôles
des troupes internationales

Le déploiement rapide de contingents nationaux chargés d’évacuer les
expatriés de Kigali a valu la vie sauve à bon nombre des intéressés. Il n’en
reste pas moins que le manque de coordination avec l’ONU sur le terrain avant
que les opérations ne débutent doit être déploré. Les responsables de la MINUAR
et ceux du Secrétariat auraient dû être mieux informés des opérations
d’évacuation envisagées.
La rapidité avec laquelle l’opération française a été menée dans les heures
qui ont suivi la destruction en vol de l’avion présidentiel montre également que
certains des principaux États Membres intéressés et la MINUAR n’analysaient pas
la situation de la même manière. Dès qu’il a été su que l’appareil avait été
abattu, la France, la Belgique, les États-Unis et l’Italie ont manifestement
jugé la situation suffisamment explosive pour qu’il soit procédé à l’évacuation
immédiate de leurs nationaux. Au cours de ces premières heures décisives, la
MINUAR s’efforçait encore de déterminer ce qui s’était passé et d’établir la
communication entre ses propres unités.
Les rôles différents joués par les troupes belges dans les heures qui ont
suivi l’attentat figurent au nombre des sujets de préoccupation recensés par la
Commission. Le contingent belge était encore le mieux équipé et le plus
nombreux de la MINUAR. L’arrivée d’autres troupes belges a brouillé la
perception du contingent Kibat. Dallaire a également déclaré à la Commission
que les troupes belges de la MINUAR avaient commencé de recevoir leurs ordres de
la force d’évacuation et de partager leur matériel avec elle, ce qui avait
amoindri la capacité d’action de la MINUAR dans les premiers jours du génocide.
17.

Opération Turquoise

Dirigée par la France et menée avec l’autorisation du Conseil de sécurité,
l’opération Turquoise n’avait pas été placée sous le commandement de l’ONU. La
Commission ne l’analysera que pour ce qui l’intéresse en vertu de son mandat, à
savoir le rôle de l’ONU jusqu’en juillet 1994.
Les opinions divergent quant à l’efficacité avec laquelle l’opération a
permis de secourir ceux dont la vie était en danger dans la zone humanitaire.
Bien des interlocuteurs de la Commission tiennent qu’elle a permis de sauver bon
nombre de vies dans une situation où peu d’autres initiatives avaient été prises
à cette fin. Certains se sont néanmoins interrogés sur diverses questions de
principe difficiles touchant notamment les rapports avec l’ONU. La décision
d’autoriser l’opération n’avait pas été prise à l’unanimité et les cinq membres
du Conseil qui s’étaient abstenus avaient exprimé leur vive préoccupation à ce
sujet.
De même que le déploiement rapide de forces nationales d’évacuation, la
mobilisation soudaine de milliers d’hommes pour l’opération Turquoise, alors que
le Département des opérations de maintien de la paix s’efforçait depuis plus
d’un mois d’obtenir les troupes nécessaires pour renforcer la MINUAR II, a
montré à quel point la volonté politique d’engager du personnel au Rwanda était
inégale. La Commission juge regrettable que les ressources affectées à
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l’opération Turquoise par la France et d’autres pays n’aient pas plutôt été
mises à la disposition de la MINUAR II.
Le Secrétaire général est personnellement intervenu en faveur de
l’autorisation de l’opération Turquoise. La Commission note que le commandant
de la Force avait soigneusement analysé les problèmes que l’opération pourrait
causer à la MINUAR et avait fait connaître sa position. L’une des difficultés
qu’il signalait résidait dans le déséquilibre entre le mandat de la MINUAR,
opération menée du début à la fin en vertu du Chapitre VI, et l’autorisation de
Turquoise donnée en vertu du Chapitre VII. La coexistence dans la même zone de
conflit de deux opérations, l’une et l’autre autorisées par le Conseil de
sécurité, mais investies de pouvoirs si différents, était problématique.
Le chevauchement des pays fournisseurs de contingents a également causé des
problèmes à la MINUAR. Le 21 juin, Dallaire a en effet décidé d’évacuer
42 Casques bleus originaires du Congo, du Sénégal et du Togo, pays francophones,
et de les faire remplacer par du personnel de l’ONU en provenance de Nairobi
(Kenya) en raison des réactions négatives du FPR suscitées par leur
participation à l’opération Turquoise.
Des affrontements directs entre la force et le FPR se sont produits ou ont
menacé de se produire au cours de l’opération Turquoise. Comme on l’a indiqué
plus haut, il a été demandé à la MINUAR de faire passer des messages entre l’un
et l’autre, tâche pour le moins malaisée.
18.

Le Rwanda en tant que membre du Conseil de sécurité

Le fait que le Rwanda, représenté par le gouvernement Habyarimana, était
membre du Conseil de sécurité depuis janvier 1994 a compliqué la tâche du
Conseil. En effet, l’une des parties à l’Accord de paix d’Arusha avait ainsi
pleinement accès aux discussions du Conseil et pouvait essayer d’y influer sur
la prise de décisions. Que l’une des parties à un conflit inscrit à l’ordre du
jour du Conseil ait été le pays hôte d’une opération de maintien de la paix, à
l’encontre duquel un embargo sur les armes a par la suite été imposé par cet
organe dont il était membre, voilà qui ne pouvait avoir que des effets
malencontreux.
Les dommages causés ressortent clairement du comportement des représentants
du Rwanda au Conseil de sécurité pendant la période considérée. Fonctionnaires
du Secrétariat et représentants des États membres du Conseil à l’époque ont les
uns et les autres informé la Commission que la présence du Rwanda avait influé
de façon préjudiciable sur la qualité de l’information que le Secrétariat
estimait pouvoir apporter au Conseil, aussi bien que sur la nature des débats de
cet organe.
19.

Observations finales

Le 15 novembre 1999, quelques semaines avant la soumission du
rapport, le Secrétaire général a publié un rapport sur la chute de
(A/54/549). Il est clair que certaines des critiques formulées au
actions de l’ONU dans ce rapport et les leçons tirées de l’affaire
pour ce qui a trait au rôle joué par l’Organisation au Rwanda.

présent
Srebrenica
sujet des
valent aussi

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L’une des leçons de Srebrenica est qu’"une tentative délibérée et
systématique de terrifier, d’expulser ou d’assassiner un peuple tout entier doit
susciter non seulement une réponse décisive mettant en oeuvre tous les moyens
nécessaires, mais aussi la volonté politique de mener cette réponse jusqu’à sa
conclusion logique" (par. 502). Face au risque de génocide qui pesait sur le
Rwanda et au passage à l’acte systématique qui a suivi, l’obligation d’agir
qu’avait l’ONU transcendait les principes auxquels a jusqu’à présent répondu le
maintien de la paix. Il ne peut en effet y avoir de neutralité face au
génocide, d’impartialité face à une campagne d’extermination dirigée contre un
groupe de population. Bien que la présence des soldats de la paix de l’ONU au
Rwanda ait d’abord pris la forme d’une opération de maintien de la paix
classique visant à assurer l’application d’un accord de paix existant, les
débuts du génocide auraient dû amener les décideurs de l’ONU, Secrétaire général
et Conseil de sécurité, d’une part, fonctionnaires du Secrétariat et
responsables de la MINUAR, de l’autre, à se rendre compte que le mandat initial
de la Mission, de même que le rôle de médiateur neutre dévolu à l’ONU, ne
répondaient plus aux impératifs de la situation et qu’une intervention plus
énergique d’un autre ordre s’imposait, de même que la mobilisation des moyens
nécessaires à cet effet.
La Commission partage l’avis du Secrétaire général suivant lequel "Lorsque
la communauté internationale s’engage solennellement à protéger et défendre des
civils innocents contre des massacres, elle doit avoir la volonté de mettre les
moyens nécessaires au service de cet engagement" (par. 504). Le génocide
rwandais montre aussi que l’ONU doit avoir conscience du fait que sa présence
dans une zone de conflit suscite chez les civils une attente de protection dont
il doit être tenu compte lorsque sont analysés les moyens nécessaires à la
conduite d’une opération. Que l’obligation de protéger les civils soit
explicitement énoncée ou non dans le mandat d’une opération de maintien de la
paix, l’ONU doit être préparée à répondre à l’attente de protection suscitée par
sa présence même.
Dans son rapport, le Secrétaire général encourage les États Membres à
engager un processus de réflexion dont le but serait de faire le point sur la
capacité de l’ONU à répondre aux différentes formes de conflit, et d’améliorer
cette capacité. Au nombre des problèmes qu’il mentionne à cet égard figurent
l’inadéquation entre les ressources et les mandats et une idéologie
d’impartialité, y compris face aux tentatives de génocide. Comme le montre
clairement ce qui précède, chacun de ces deux éléments a joué dans les
défaillances de l’ONU au Rwanda. La Commission estime que le processus
d’analyse et de discussion suggéré dans le rapport sur Srebrenica devrait être
mis en train rapidement afin de remédier aux erreurs dans lesquelles est tombé
le maintien de la paix à la fin de ce siècle et de faire face aux défis du
prochain. Elle veut espérer que le présent rapport contribuera à dynamiser ce
processus.
D’ordre général, certaines des leçons à tirer de la crise du Rwanda se
rapportent à la mesure dans laquelle l’ONU est capable de mener des opérations
de maintien de la paix et disposée à le faire. D’autres, plus spécifiques, ont
expressément trait aux rapports entre l’Organisation et le Rwanda.

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L’ONU a failli à ses obligations envers le peuple rwandais lors du génocide
de 1994. L’Organisation elle-même, mais aussi ses États Membres, auraient dû
reconnaître plus clairement, plus franchement et beaucoup plus rapidement leurs
torts et faire amende honorable. Le présent rapport vise à déterminer la
dimension et les raisons de ce manquement. Se fondant sur ses propres
conclusions au sujet des échecs passés, la Commission a également formulé des
recommandations pour l’avenir. Ce faisant, elle espère avoir défini le cadre
dans lequel pourraient être améliorés les rapports entre le Gouvernement et le
peuple rwandais, d’une part, et l’Organisation des Nations Unies, de l’autre.
Les premiers et la deuxième devront témoigner d’une authentique volonté
d’apaisement pour ce faire. Les entretiens que la Commission a eus avec les
dirigeants rwandais et les responsables de l’ONU ont montré que cette volonté
existe.
Seul un partenariat revivifié permettra de relever les défis de demain.
Les séquelles du génocide demeurent, dans la douleur de ceux qui ont perdu des
êtres aimés, dans les efforts de réconciliation entre les Rwandais, dans
l’action menée en vue de traduire les responsables en justice, dans les
problèmes que continue de poser le déplacement, aussi bien que dans la quête
d’un équilibre entre les besoins et les intérêts de ceux qui ont survécu au
génocide sans quitter le Rwanda et des réfugiés qui reviennent de l’étranger.
Elles demeurent aussi dans la force armée de l’Interahamwe qui subsiste dans la
région des Grands Lacs, ainsi que dans l’instabilité dont celle-ci continue de
se ressentir. L’un des défis que l’ONU pourra relever à l’avenir consistera à
aider à la reconstruction du Rwanda et à la réconciliation nationale.
IV.

RECOMMANDATIONS

1.
Le Secrétaire général devrait lancer, à l’échelle du système des
Nations Unies, un plan d’action pour prévenir le crime de génocide qui aurait
aussi pour objectif de fournir une contribution à la Conférence mondiale de 2001
contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui
y est associée.
2.
Des efforts renouvelés devraient être fournis pour améliorer la capacité de
l’ONU en matière de maintien de la paix, y compris en mettant les ressources
nécessaires à sa disposition : la volonté politique d’agir dans ce sens devrait
être mobilisée dans le cadre du Sommet et de l’Assemblée du millénaire. Pour
chaque opération de maintien de la paix, les règles d’engagement applicables
devraient être clairement indiquées.
3.
L’ONU — et notamment le Conseil de sécurité et les pays fournisseurs de
troupes — doivent être disposés à passer à l’action pour prévenir des actes de
génocide ou des violations massives des droits de l’homme en quelque endroit
qu’ils puissent avoir lieu. La volonté politique d’agir ne doit pas être
assujettie à deux poids deux mesures.
4.
La capacité d’alerte précoce de l’ONU doit être améliorée grâce à une
meilleure coopération avec les acteurs extérieurs, y compris les organisations
non gouvernementales et la communauté universitaire, et au sein du Secrétariat.

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5.
Des efforts doivent être faits pour améliorer la protection des populations
civiles dans les situations de conflit.
6.
La sécurité des personnels de l’ONU et associés doit faire l’objet
d’améliorations supplémentaires. Il conviendrait d’examiner l’opportunité de
modifier les règles en vigueur afin de permettre l’évacuation hors des zones de
crise du personnel recruté localement.
7.
Il conviendrait d’assurer une coopération effective entre les
fonctionnaires responsables de la sécurité des différentes catégories de
personnel sur le terrain.
8.
Il conviendrait d’organiser une circulation efficace de l’information au
sein du système des Nations Unies.
9.
De nouvelles améliorations devraient être apportées à l’alimentation du
Conseil de sécurité en informations.
10. Il conviendrait d’améliorer la circulation de l’information en matière de
droits de l’homme.
11. Les opérations d’évacuation nationales doivent être coordonnées avec les
missions de l’ONU sur le terrain.
12. Il conviendrait d’étudier plus à fond l’opportunité de suspendre la
participation du représentant d’un État membre du Conseil de sécurité lorsque
prévalent des circonstances aussi exceptionnelles que la crise du Rwanda.
13. La communauté internationale devrait appuyer les efforts fournis par le
Rwanda pour reconstruire la société après le génocide, en prêtant plus
particulièrement attention aux besoins en matière de reconstruction,
réconciliation et respect des droits de l’homme, et en gardant à l’esprit les
besoins respectifs des rescapés, des réfugiés revenus au pays et des autres
groupes affectés par le génocide.
14. L’ONU devrait reconnaître sa part de responsabilité pour n’avoir pas fait
assez pour prévenir ou interrompre le génocide au Rwanda. Le Secrétaire général
devrait chercher activement un nouveau départ dans les relations entre l’ONU et
le Rwanda.
La Commission sait qu’un certain nombre de mesures ont déjà été prises au
cours des dernières années pour améliorer la capacité de l’ONU à intervenir dans
les conflits, et ceci plus particulièrement en réponse à certaines des erreurs
commises au Rwanda. Par exemple, des améliorations ont été apportées à la façon
dont le Secrétariat informe le Conseil de sécurité. Des mécanismes internes ont
également été mis sur pied afin de renforcer la capacité du Secrétariat en
matière d’alerte précoce et de réaction rapide. Ceci dit, un certain nombre de
mesures supplémentaires doivent être prises avec détermination si l’on veut que
l’ONU soit mieux préparée à prévenir de futurs désastres qu’elle ne l’était à
prévenir et gérer la tragédie rwandaise. La Commission recommande les actions
suivantes.

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1.
Un plan d’action pour prévenir le génocide. La Commission recommande que
le Secrétaire général lance un plan d’action des Nations Unies pour prévenir le
génocide. Alors que cinq années se sont déjà écoulées depuis le génocide
rwandais, il est plus que temps de transposer dans la réalité concrète du
travail quotidien des Nations Unies l’obligation de "prévenir et réprimer" le
crime de génocide prévue par la Convention sur le génocide. Ce plan devrait
viser à sensibiliser encore plus l’ensemble des organismes des Nations Unies à
la nécessité de prévenir et combattre le génocide et les autres violations
massives des droits de l’homme et à accroître leur capacité dans ce domaine; il
devrait aussi avoir pour résultat de transposer dans la pratique les
enseignements des tragédies survenues au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie.
Toutes les composantes de l’Organisation des Nations Unies, y compris les États
Membres, devraient examiner quelles actions ils devraient entreprendre pour
lutter contre des crimes aussi horribles. Le plan devrait inclure un mécanisme
de suivi qui veillerait à ce que ces actions soient effectivement entreprises.
Un plan d’action pour prévenir le génocide pourrait aussi apporter une
contribution concrète à la Conférence mondiale contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée prévue
pour l’année 2001.
Dans le cadre de ce plan, la prévention du crime de génocide devrait être
incluse comme composante spécifique des efforts tendant à améliorer la capacité
de l’ONU en matière d’alerte précoce et de prévention des conflits. Les
personnels du Siège, des institutions spécialisées et des programmes et, bien
sûr, des missions sur le terrain, devraient recevoir une formation spécifique
leur permettant de repérer les signes avant-coureurs de génocide, de les
analyser et de mettre en place des réponses appropriées. Il conviendrait
d’exploiter les compétences acquises au cours des dernières années par les
Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Sur le plan
technique, les États Membres et l’ONU devraient travailler ensemble à améliorer
leur capacité à bloquer les médias coupables d’incitation à la haine. Le plan
devrait prévoir des réseaux de coopération avec les organisations humanitaires,
les établissements universitaires et les organisations non gouvernementales,
dans le but d’améliorer la capacité d’alerte précoce et de réaction rapide. Un
dialogue plus intense devrait être instauré entre le Secrétariat et le Conseil
de sécurité sur la nécessité d’agir de façon préventive et, chaque fois que
nécessaire, de prendre des mesures contraignantes pour faire cesser les actes de
génocide et autres violations massives des droits de l’homme qui pourraient se
produire à l’avenir.
Dans tous les cas où cela se justifie, la planification des opérations de
maintien de la paix devrait comporter un volet spécifique sur la prévention du
crime de génocide. Dans les situations où une opération de maintien de la paix
risque de se voir confrontée à des massacres ou à un génocide, son mandat et ses
règles d’engagement doivent énoncer clairement que l’obligation traditionnelle
de neutralité ne saurait s’appliquer à ces situations, et l’opération doit être
dotée dès le départ des moyens nécessaires.
Désigner le génocide par son nom chaque fois que cela se justifie et
assumer la responsabilité d’intervenir qui en découle. Les États doivent être
prêts à appeler un génocide un génocide chaque fois que les critères de
qualification de ce crime sont remplis, et à assumer l’obligation d’intervenir
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qui découle de cette qualification. La nécessité d’empêcher les crises de
s’aggraver et de déboucher sur un génocide doit faire l’objet d’une attention
plus soutenue.
2.
La Commission recommande que des mesures soient prises pour améliorer la
capacité de l’ONU à mener des opérations de maintien de la paix, et en
particulier à effectuer le déploiement de ses missions sur le terrain dans des
délais suffisamment rapides. La question n’est pas nouvelle, et des
recommandations similaires ont été faites par d’autres organes, mais si son
importance a été soulignée à de nombreuses reprises, le problème n’en reste pas
moins entier. L’ONU demeure la seule organisation en mesure de conférer une
légitimité universelle aux efforts de maintien de la paix. Même si des
initiatives importantes peuvent être prises au niveau régional, l’ONU doit avoir
les moyens et la volonté d’exercer la responsabilité du maintien de la paix et
de la sécurité internationales que lui confère sa Charte, quel que soit
l’endroit où se déroule un conflit. La Commission espère que le Secrétaire
général et les États Membres profiteront de l’occasion fournie par le Sommet et
l’Assemblée du millénaire l’année prochaine pour mobiliser la volonté politique
nécessaire pour résoudre les problèmes auxquels est actuellement confrontée
l’ONU dans le domaine du maintien de la paix, pour tirer les enseignements des
échecs passés, y compris au Rwanda, et pour prendre les mesures qui permettront
d’affronter les défis de l’avenir. Pour ceci, il faudrait notamment :


Mobiliser les ressources nécessaires au maintien de la paix. Les États
Membres doivent être disposés à fournir dans les meilleurs délais les
troupes nécessaires aux Nations Unies. La participation à des initiatives
comme celle des arrangements relatifs aux forces en attente doit certes
être encouragée, mais il est également important qu'elle s'accompagne de la
volonté politique d'autoriser le déploiement de ces forces dites en attente
lorsqu’un conflit particulier l’exige.
La crédibilité de l’ONU en matière de maintien de la paix exige que
ses opérations soient dotées des moyens nécessaires à l'accomplissement de
leur mandat.
Elle exige aussi que les pays fournisseurs de troupes s’abstiennent de
retirer leurs contingents d'une opération de maintien de la paix lorsque ce
retrait risque de compromettre l'opération en question ou de la mettre en
danger. Toute décision de retirer ou de réduire un contingent doit être
prise en étroite coordination avec le Secrétariat.



Renforcer les moyens du Secrétariat en matière de planification d'urgence,
tant pour les opérations de maintien de la paix encore à venir que pour les
opérations en cours dont le mandat demande à être modifié.



Prendre des mesures pour mettre rapidement des moyens logistiques à la
disposition des contingents qui en sont dépourvus, soit en faisant une
meilleure utilisation de la Base logistique de Brindisi, soit en
sollicitant des contributions de pays donateurs. Le Secrétariat devrait se
voir donner les ressources qui lui permettraient de fonctionner comme une
bourse des matériels et moyens de formation où les besoins des uns et les
disponibilités des autres seraient rapprochés. L’ONU et les organisations
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régionales et sous-régionales concernées devraient mener des discussions
pratiques sur les mesures à prendre pour améliorer la fourniture de
matériels aux opérations de maintien de la paix. La Commission recommande
avec insistance que soient relancés les efforts tendant à résoudre le
problème récurrent de l'appui logistique à fournir aux contingents des pays
en développement.


Faire en sorte que les mandats correspondent pleinement aux besoins sur le
terrain. L’élaboration du mandat d’une mission doit être guidée par le
type de déploiement requis sur le terrain bien plus que par des
considérations financières à court terme. Les projets de mandat soumis au
Conseil de sécurité doivent refléter les besoins réels de la mission plutôt
que sur un supposé consensus qui se serait dégagé à l’avance entre les
membres. Le mandat d’une mission doit être suffisamment musclé dès le
début de l’opération. Il doit aussi être suffisamment souple pour donner au
commandant de la Force la marge de manoeuvre nécessaire pour suivre au plus
près l'évolution de la situation sur le terrain.



Faire en sorte que les principaux responsables d'une opération prennent
leurs fonctions suivant un scénario bien organisé. Le Représentant spécial
du Secrétaire général devrait être nommé rapidement, avoir de préférence
l'expérience de négociation de paix ayant précédé le lancement d'une
mission de maintien de la paix, et être parmi les premiers à prendre son
poste sur le terrain. Il est essentiel d'établir une bonne coopération
entre les responsables civils et militaires de la mission.



Assurer une étroite coordination entre le Secrétariat et les organismes
concernés de l'ONU dans la planification et le déploiement des opérations
de maintien de la paix. Il importe également de continuer d'améliorer la
coordination et la coopération entre les opérations de maintien de la paix
et les ONG actives sur le théâtre de l'opération.



Faire en sorte que la planification des nouvelles opérations de maintien de
la paix prenne pleinement en compte les enseignements tirés des missions
antérieures.



Améliorer la coopération entre l'ONU d'une part et les organisations
régionales et sous-régionales d'autre part. Les contacts existants
pourraient être intensifiés, notamment pour améliorer la coopération
pratique dans le domaine du maintien de la paix. Les contacts entre le
Conseil de sécurité et les représentants des organisations régionales et
sous-régionales actives en matière de paix et de sécurité devraient être
encore plus réguliers et directs.



Il ne devrait jamais y avoir aucun doute sur la nature des règles
d'engagement applicables pendant le déroulement d'une opération de maintien
de la paix. Ces règles doivent faire l’objet d’une approbation formelle du
Siège, qui est tenu de la donner.

3.
L'ONU — et notamment le Conseil de sécurité et les pays fournisseurs de
troupes — doivent être disposés à passer à l'action pour prévenir des actes de
génocide ou des violations massives des droits de l'homme en quelque endroit
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qu'ils puissent avoir lieu. La volonté politique d'agir ne doit pas être
assujettie à deux poids et deux mesures.
4.
Améliorer la capacité d'alerte précoce de l'ONU, et notamment sa capacité
d'analyser l’information et d'y réagir. Des mesures de sensibilisation à
l'importance de l'alerte précoce et de la réaction rapide ont déjà été prises
dans différents secteurs du Secrétariat. La Commission estime néanmoins qu'il
est essentiel de continuer à améliorer la capacité de l'Organisation à analyser
les informations disponibles sur les conflits potentiels, à réagir à ces
informations, et à engager des actions préventives. Il est également essentiel
d'améliorer la coopération entre les départements du Secrétariat, le
Coordonnateur des Nations Unies pour la sécurité, les programmes et institutions
spécialisées et les acteurs extérieurs, y compris les organisations régionales
et sous-régionales, les ONG et le milieu universitaire. Comme il est dit au
paragraphe 1 ci-dessus, la Commission estime que les activités d'alerte précoce
devraient accorder une attention particulière à la prévention du génocide.
5.
Mieux assurer la protection des civils dans les situations de conflit
ouvert ou larvé. Il faudrait que les mandats des opérations de maintien de la
paix contiennent lorsqu’il y a lieu des dispositions visant expressément à
assurer la protection des populations civiles et que soient mobilisées les
ressources nécessaires à cet effet. Dans ce contexte, la Commission recommande
que le Secrétaire général et le Conseil de sécurité s’attachent à donner suite
aux recommandations formulées dans le rapport récent du Secrétaire général sur
la protection des civils en période de conflit armé (S/1999/957).
Le Secrétaire général doit pouvoir s’affirmer et jouer son rôle en toute
indépendance si l’on veut que l’Organisation des Nations Unies prévienne les
conflits avec efficacité. Il mérite que les Membres de l’Organisation
l’appuient sans défaillance dans ses tentatives visant à régler les conflits de
bonne heure.
6.
Il faudrait que la sécurité du personnel des Nations Unies et de celui qui
lui est associé, y compris les agents recrutés localement, soit mieux assurée
encore. Le Secrétaire général devrait activement envisager d’étendre la
possibilité d’évacuation au personnel national de l’ONU. Les membres du
personnel national devraient être pleinement informés des règles qui leur sont
applicables. Il ne devrait pas pouvoir y avoir de méprise concernant leur
statut en cas d’évacuation.
7.
Assurer une coopération étroite entre les responsables de la sécurité des
différentes catégories de personnel de l’ONU sur le terrain. Veiller à ce que
les moyens de communication voulus soient établis à cet effet.
8.
Améliorer la circulation de l’information entre les organismes des
Nations Unies. Mieux coordonner la prévention et le règlement des conflits
exige que l’information soit partagée avec toutes les composantes du système
prenant part aux opérations. Il importe en particulier que l’information
circule bien entre le Cabinet du Secrétaire général et les départements
organiques du Secrétariat ainsi qu’entre le Siège et les opérations sur le
terrain.

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9.
Améliorer encore l’information du Conseil de sécurité. Lorsque le
Secrétaire général ne se charge pas lui-même d’informer le Conseil de sécurité,
cette tâche devrait être confiée au fonctionnaire le plus qualifié pour ce
faire, comme elle l’est en règle générale dès à présent. La Commission
recommande que la pratique consistant à faire informer le Conseil par des
représentants des départements organiques soit maintenue, mais préconise
également une participation directe du Haut Commissaire pour les réfugiés et du
Haut Commissaire aux droits de l’homme, des représentants spéciaux du Secrétaire
général et, le cas échéant, des fonds et programmes des Nations Unies aux
consultations plénières. Plus l’apport d’information est direct, plus il vaut.
10. Améliorer la circulation de l’information en matière des droits de l’homme.
L’information relative aux droits de l’homme doit faire partie intégrante des
éléments sur lesquels le Secrétariat et le Conseil de sécurité se fondent pour
décider des opérations de maintien de la paix. Les rapports du Secrétaire
général au Conseil de sécurité devraient inclure une analyse de la situation sur
le plan des droits de l’homme dans le conflit considéré. L’information relative
aux droits de l’homme doit avoir sa place dans les délibérations du Secrétariat
sur l’alerte rapide, l’action préventive et le maintien de la paix. Il importe
que l’on s’attache davantage à faire en sorte que les compétences nécessaires en
matière de droits de l’homme soient assurées aux missions des Nations Unies sur
le terrain.
11. Les opérations d’évacuation nationales devraient être coordonnées avec les
missions de l’ONU sur le terrain.
12. Membres du Conseil de sécurité. Le fait que le Rwanda ait été membre du
Conseil de sécurité avant et pendant le génocide a posé un problème. Tout en
reconnaissant la complexité de la question, la Commission est d’avis qu’il
conviendrait d’envisager, dans le cadre des discussions dont la réforme du
Conseil fait l’objet, de mieux assurer la possibilité que d’autres membres du
Conseil ou l’Assemblée générale suspendent la participation du représentant d’un
État membre du Conseil dans des circonstances exceptionnelles telles que celles
qui ont prévalu au Rwanda. Le paragraphe 3 de l’Article 27 de la Charte des
Nations Unies, qui dispose que, dans les décisions prises aux termes du
Chapitre VI, une partie à un différend s’abstient de voter, devrait être
systématiquement appliqué. Les difficultés que suscite la présence de l’une des
parties à un conflit devraient également être gardées à l’esprit lors de
l’élection de nouveaux membres non permanents au Conseil.
13. La communauté internationale devrait appuyer les efforts de reconstruction
de la société rwandaise après le génocide, en prêtant plus particulièrement
attention aux besoins en matière de reconstruction, de réconciliation et de
respect des droits de l’homme. Les donateurs devraient garder à l’esprit qu’il
importe de subvenir de façon équilibrée aux besoins des rescapés, des réfugiés
revenus au pays et des autres groupes touchés par le génocide.
14. L’ONU devrait reconnaître la part de responsabilité qui lui revient pour
n’avoir pas fait davantage afin de prévenir ou de mettre un terme au génocide au
Rwanda. Le Secrétaire général devrait s’employer à asseoir les relations entre
l’ONU et le Rwanda sur de nouvelles bases, en reconnaissant les manquements du

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passé, mais en veillant aussi à établir un engagement de coopération pour
l’avenir.
New York, le 15 décembre 1999

(Signé) Ingvar CARLSSON

(Signé) Rufus M. KUPOLATI
(Signé) HAN Sung-Joo

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Annexe I
CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS (OCTOBRE 1993-JUILLET 1994)
1993
5 octobre :

Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution
872 (1993) portant création de la Mission des Nations Unies pour
l’assistance au Rwanda (MINUAR) pour une période de six mois.
Cette résolution donne suite à la proposition faite par le
Secrétaire général le 24 septembre 1993 (S/26488) de créer la
MINUAR en la dotant d’une force de maintien de la paix de
2 548 hommes (dont deux bataillons d’infanterie). Toutefois, le
Conseil de sécurité n’autorise le déploiement que d’un bataillon
d’infanterie.
Dans sa résolution 872, le Conseil approuve aussi la proposition
du Secrétaire général d’intégrer la Mission d’observation des
Nations Unies Ouganda-Rwanda, telle que créée par la résolution
846 (1993) du 22 juin 1993, au sein de la MINUAR.
La MINUAR reçoit le mandat ci-après : a) contribuer à assurer la
sécurité de la ville de Kigali, notamment à l’intérieur de la
zone libre d’armes établie par les parties dans la ville et dans
ses alentours; b) superviser l’accord de cessez-le-feu qui
appelle à la mise en place de points de cantonnement et de
rassemblement et à la délimitation d’une nouvelle zone
démilitarisée de sécurité ainsi qu’à la définition d’autres
procédures de démobilisation; c) superviser les conditions de la
sécurité générale dans le pays pendant la période terminale du
mandat du Gouvernement de transition jusqu’aux élections;
d) contribuer au déminage, essentiellement au moyen de
programmes de formation; e) examiner, à la demande des parties
ou de sa propre initiative, les cas présumés de non-application
du Protocole d’accord sur l’intégration des forces armées des
deux parties, en déterminer les responsables et faire rapport
sur cette question au Secrétaire général en tant que de besoin;
f) contrôler le processus de rapatriement des réfugiés rwandais
et de réinstallation des personnes déplacées en vue de s’assurer
que ces opérations sont exécutées dans l’ordre et la sécurité;
g) aider à la coordination des activités d’aide humanitaire
liées aux opérations de secours; h) enquêter et faire rapport
sur les incidents relatifs aux activités de la gendarmerie et de
la police.

21 octobre :

Le Président hutu Melchior Ndadaye, élu le 1er juin 1993, est
assassiné lors d’un coup d’État militaire au Burundi. Des
dizaines de milliers de personnes sont tuées et quelque
600 000 réfugiés fuient dans les pays voisins (dont
375 000 au Rwanda).
Les extrémistes hutus du Rwanda affirment que le coup d’État
survenu au Burundi prouve que les Tutsis répugnent à partager le
pouvoir avec les Hutus.
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22 octobre :

Le commandant de la Force de la MINUAR, le général de brigade
Romeo A. Dallaire du Canada, arrive à Kigali, capitale du
Rwanda.

27 octobre :

Une mission de reconnaissance de 21 militaires de la MINUAR
arrive à Kigali.

1er novembre :

Le Groupe d’observateurs militaires neutres (GOMN II) de
l’Organisation de l’unité africaine est intégré dans la MINUAR.

7 novembre :

Le Groupe d’observateurs militaires, constitué au moyen
d’éléments de la mission de reconnaissance de la MINUAR et du
GOMN II, devient opérationnel. Il surveille la situation à la
frontière sud du Rwanda à la suite du coup d’État militaire au
Burundi.

23 novembre :

Le Représentant spécial du Secrétaire général, Jacques-Roger
Booh Booh du Cameroun, arrive à Kigali.
Dallaire envoie au Siège un projet de règles d’engagement pour
la MINUAR qu’il soumet à l’approbation du Secrétariat.

Novembre :

Dans son rapport du 30 décembre 1993 (S/26927), le Secrétaire
général note que près de 60 civils ont été massacrés lors de
deux incidents distincts survenus non loin de Ruhengeri durant
le mois de novembre.

7 décembre :

L’afflux de réfugiés burundais au Rwanda et des allégations de
mouvements militaires transfrontières le long de la frontière
entre le Rwanda et le Burundi restreignent les activités du
Groupe d’observateurs militaires. Le Secrétaire général demande
au Secrétaire général adjoint aux affaires politiques,
James O. C. Jonah, qui se trouve au Burundi pour assister aux
obsèques du Président Ndadaye, de se rendre dans la zone
frontalière sud du Rwanda afin d’évaluer la situation.
M. Jonah se rend également à Kigali et examine la situation de
crise au Burundi avec le Président rwandais, Juvénal
Habyarimana. Lors de ces entretiens, M. Jonah avertit le
Président que, selon les informations dont il dispose, une vague
d’assassinats se prépare contre l’opposition, et que l’ONU ne
tolérera pas ces agissements.

10 décembre :

Booh Booh convoque une réunion entre le Gouvernement rwandais et
le Front patriotique rwandais (FPR) à Kinihira, à 80 kilomètres
de Kigali, lors de laquelle les deux parties conviennent de
former un gouvernement de transition à base élargie avant le
31 décembre 1993 (la date fixée à l’origine pour la création
d’un gouvernement de transition était le 10 septembre 1993, en
application de l’Accord de paix d’Arusha, signé le 4 août 1993
par le Président Habyarimana et Alexis Kanyarengwe, chef du
FPR).

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15 décembre :

Le déploiement de la MINUAR est achevé à Kigali.
Les troupes françaises se retirent du Rwanda où elles étaient
stationnées depuis le 5 octobre 1990 après que le Front
patriotique rwandais, à majorité tutsie, eut envahi le pays
depuis le sud de l’Ouganda le 1er octobre 1990.

20 décembre :

Dans sa résolution 891 (1993), le Conseil de sécurité décide de
proroger le mandat de la Mission d’observation des Nations Unies
Ouganda-Rwanda (MONUOR) pour une période de six mois, du
22 décembre 1993 au 21 juin 1994.

22 décembre :

L’accord relatif à la zone libre d’armes de Kigali est entériné
par toutes les parties.

24 décembre :

La zone libre d’armes de Kigali est établie à Kigali et dans ses
environs.

27 décembre :

La phase 1 du déploiement de la MINUAR se déroule comme prévu,
avec des effectifs totaux de 1 260 militaires originaires de
19 pays, selon la composition suivante: Autriche (5), Bangladesh
(564), Belgique (424), Botswana (9), Brésil (13), Canada (2),
Congo (25), Fidji (1), Ghana (37), Hongrie (4), Mali (10), PaysBas (10), Pologne (5), Sénégal (39), Slovaquie (5), Togo (15),
Tunisie (61), Uruguay (21) et Zimbabwe (10). Ces effectifs
comprennent les 81 observateurs militaires relevant de la
MONUOR.
À l’issue de la phase 1, l’opération devait compter
1 428 hommes.

28 décembre :

La MINUAR accompagne 600 soldats du FPR jusqu’à Kigali
("Opération couloir de sécurité"). Un bataillon du FPR
s’installe dans l’immeuble du Conseil national de développement
(CND) à Kigali conformément à l’Accord d’Arusha. Le FPR doit en
principe prendre part à la formation du Gouvernement de
transition à base élargie.

30 décembre :

Dans son rapport sur la MINUAR (S/26927), le Secrétaire général
souligne que la situation reste instable au Rwanda et prie le
Conseil de sécurité d’autoriser le déploiement rapide du second
bataillon d’infanterie.

31 décembre :

Le Gouvernement rwandais et le FPR ne parviennent pas à
constituer le Gouvernement de transition à base élargie. La
situation en matière de sécurité continue de se détériorer au
Rwanda.

Décembre 1993mars 1994

La MINUAR est témoin à plusieurs reprises des émissions
incendiaires diffusées par la Radio-Télévision libre des Mille
collines (RTLM) qui a été créée avec l’appui de
M. Félicien Kabuga, le beau-père d’un des fils du Président
Habyarimana, et de l’Akazu, le premier cercle présidentiel. La
RTLM a annoncé que le FPR est venu rétablir l’hégémonie tutsie,
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qualifiant tous les Tutsis de partisans du FPR et exhortant les
paysans hutus à décapiter les Tutsis.
1994
1er janvier :

Le Rwanda devient membre non permanent du Conseil de sécurité.

6 janvier :

Le Conseil de sécurité adopte la résolution 893 (1994), dans
laquelle il approuve le déploiement rapide du deuxième bataillon
dans la zone démilitarisée et demande à la MINUAR de continuer à
faciliter le processus de paix au Rwanda. Le Conseil de
sécurité souligne que la Mission ne sera assurée d’un appui
suivi que si les parties appliquent intégralement et rapidement
l’Accord de paix d’Arusha. Le Conseil demande au Secrétaire
général de contrôler l’ampleur et le coût de la Mission dans le
but de faire des économies.
À Kigali, Booh Booh et Dallaire rencontrent Habyarimana pour
l’inciter à faire preuve de souplesse afin de trouver une
solution à l’impasse dans laquelle se trouve la formation du
Gouvernement de transition à base élargie. Lors de ces
entretiens, Dallaire informe Habyarimana que, selon ses sources,
les partisans du Président sont en train de distribuer des
armes.

7 janvier :

Booh Booh rencontre les responsables du FPR et les engage à
oeuvrer activement en faveur de la constitution du Gouvernement
de transition à base élargie.

11 janvier :

La MINUAR et le Département des opérations de maintien de la
paix échangent des télégrammes.
Dallaire envoie un télégramme au Conseiller militaire du
Secrétaire général au Siège, le général de division J. Maurice
Baril, pour l’informer qu’un indicateur hutu, formateur haut
placé faisant partie des cadres Interahamwe [les milices hutues
les plus importantes et les plus meurtrières recrutées parmi
les jeunes éléments du parti présidentiel, le Mouvement
révolutionnaire national pour le développement (MRND)], lui a
dit que les Interahamwe étaient en train de recenser tous les
Tutsis de Kigali et prévoyaient de les exterminer. L’indicateur
a également déclaré que plusieurs soldats belges devaient être
tués afin d’assurer le retrait des Belges du Rwanda. Dans ce
télégramme, Dallaire dit qu’il se propose d’effectuer un raid
sur la cache d’armes des extrémistes.
La première réponse du Siège à la MINUAR est envoyée dans la
soirée du 10 janvier (heure de New York). C’est un télégramme
codé adressé à Booh Booh par le Secrétaire général adjoint aux
opérations de maintien de la paix, Kofi Annan (et signé par le
Sous-Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix,
Iqbal Riza). Dans ce télégramme, Annan demande à Booh Booh
d’évaluer la situation avec soin et de faire des
recommandations, mais déclare que "la MINUAR ne doit
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entreprendre aucune opération de reconnaissance ou autre, même
en réponse à une demande de protection, tant que le Siège ne lui
donne pas de directives précises".
Booh Booh répond à Annan par un télégramme daté du 11 janvier,
dans lequel il évoque une réunion que Dallaire et le conseiller
politique de Booh Booh, Abdula Kabia, ont eue avec le Premier
Ministre désigné, M. Faustin Twagiramungu, qui a déclaré prêter
entièrement foi aux affirmations de l’indicateur.
Plus tard dans la même journée, Annan répond à Booh Booh et
Dallaire par un télégramme (signé par Riza) leur donnant pour
instructions d’informer immédiatement Habyarimana des activités
des milices Interahamwe et de faire une démarche auprès de lui.
Il leur demande aussi de rencontrer les ambassadeurs de
Belgique, de France et des États-Unis à Kigali avant la réunion
avec le Président afin de les prier d’entreprendre la même
démarche.
12 janvier :

Sur instruction du Siège, Booh Booh et Dallaire rencontrent les
représentants des trois pays, qui se déclarent extrêmement
préoccupés et indiquent qu’ils consulteront leurs capitales
respectives.
Booh Booh et Dallaire s’entretiennent ensuite avec le Président
et lui transmettent le message selon les instructions. Dans un
télégramme adressé à Kofi Annan le 13 janvier, Booh Booh dit que
le Président a paru alarmé par le ton de la démarche. Il a
affirmé ne rien savoir des activités de la milice et a promis de
faire une enquête.
Booh Booh et Dallaire rencontrent aussi le Président et le
Secrétaire national du MRND, qui nient tous deux que la milice
de leur parti est mêlée à ces activités présumées. Booh Booh et
Dallaire les prient instamment de mener une enquête et de rendre
compte des résultats à la MINUAR dès que possible.

14 janvier :

Le Secrétaire général téléphone à Booh Booh depuis Genève, lui
demandant de rencontrer Habyarimana et de faire part à ce
dernier de son inquiétude concernant la détérioration de la
situation au Rwanda et les retards prolongés dans la mise en
place du Gouvernement de transition à base élargie. Booh Booh
informe le Secrétaire général des efforts menés pour trouver une
solution en collaboration avec les quatre Ambassadeurs des
États-Unis, de la France, de la Belgique et de la Tanzanie.
Habyarimana téléphone au Secrétaire général. Le Président dit
qu’il a reçu les quatre ambassadeurs et Booh Booh et a besoin du
soutien de ces derniers pour imposer une solution aux parties.
Lors de la conversation téléphonique, le Secrétaire général
demande au Président de faire tout son possible pour résoudre le
problème.

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27 janvier :

Le Secrétaire général envoie à Habyarimana une lettre dans
laquelle il manifeste son inquiétude quant aux retards dans
l’établissement du Gouvernement de transition et de l’Assemblée
nationale au Rwanda.

2 février :

Dans un télégramme adressé à Annan et Jonah, Booh Booh note que
la situation en matière de sécurité s’est nettement détériorée
et précise bien que le Président n’a jamais informé la MINUAR
des suites qu’il a pu donner aux informations portées à son
attention le 12 janvier. Booh Booh demande aussi au Siège de
lancer rapidement l’opération de récupération des armes,
l’avertissant que si la distribution d’armes se poursuit, la
MINUAR ne pourra pas remplir son mandat.

7, 10 et
13 février :

Booh Booh convoque une série de réunions de tous les partis au
siège de la MINUAR, au cours desquelles la nouvelle date limite
du 14 février est fixée pour la formation du Gouvernement de
transition à base élargie.

10 février :

Le Conseiller politique principal et Représentant spécial du
Secrétaire général au Conseil de sécurité, M. Chinmaya
Gharekhan, informe le Conseil que l’impossibilité de mettre en
place le Gouvernement de transition à base élargie avait
entraîné une détérioration de la sécurité et de la situation
économique au Rwanda.

14 février :

Le Ministre belge des affaires étrangères, M. Willy Claes,
adresse au Secrétaire général une lettre dans laquelle il note
avec inquiétude que la détérioration de la situation au Rwanda
pourrait empêcher la MINUAR d’exécuter son mandat. Dans cette
lettre, Claes préconise le renforcement du mandat de la MINUAR.

15 février :

Lors d’une réunion avec les représentants de la France, des
États-Unis, de la Belgique et de l’Allemagne, Booh Booh et
Dallaire réitèrent leur inquiétude devant l’aggravation de la
situation en matière de sécurité.

17 février :

Dans une déclaration (S/PRST/1994/8), le Président du Conseil de
sécurité exprime sa vive préoccupation devant la détérioration
de la sécurité au Rwanda, rappelle aux parties l’obligation qui
leur incombe de respecter la zone libre d’armes établie à Kigali
et demande la mise en place rapide du Gouvernement de transition
à base élargie.

18 février :

L’installation des institutions de transition, fixée au
14 février, est reportée au 22 février au plus tard.

19 février :

La déclaration du Président du Conseil de sécurité du 17 février
est transmise à Habyarimana.

21 et
22 février :

La tension monte partout dans le pays à la suite de l’assassinat
du Ministre des travaux publics et Secrétaire du Parti social
démocrate (PSD), M. Félicien Gatabazi, et du Président de la
Coalition pour la défense de la République (CDR), M. Martin
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Bucyana. Le PSD était le deuxième parti d’opposition. La CDR
était un parti extrémiste qui a initialement soutenu Habyarimana
mais a rejoint l’opposition jugeant que celui-ci était trop
modéré.
23 février :

Dans un message télégraphique adressé au Siège, Dallaire signale
que de très nombreuses informations font état de distributions
d’armes, de l’existence de listes de personnes visées par des
escadrons de la mort et de la planification de troubles sociaux
et de manifestations.
Le Représentant spécial du Haut Commissaire des Nations Unies
pour les réfugiés (HCR), M. Michel Moussali demande que l’on
agisse pour rétablir la stabilité au Rwanda, mettant en garde
contre l’éventualité d’un "bain de sang sans précédent".

24 février :

Le Secrétaire général téléphone à Habyarimana pour lui dire
qu’il importe de prendre d’urgence des mesures visant à sortir
de l’impasse politique et à mettre en place des institutions de
transition.

28 février :

Face à la détérioration croissante de la sécurité à Kigali, la
MINUAR y redéploie 200 soldats du bataillon ghanéen stationné
dans la zone démilitarisée du nord.

1er mars :

Le Secrétaire général reçoit un envoyé spécial de Habyarimana,
le Ministre des transports et des communications, M. André
Ntagerura, qu’il avertit que l’Organisation des Nations Unies
retirera la MINUAR si aucun progrès n’est réalisé au Rwanda.

22 mars :

Les effectifs de la MINUAR atteignent 2 539 soldats originaires
de 24 pays, dont 440 Belges, 883 Ghanéens et 942 Bangladais.

30 mars :

Dans son rapport au Conseil de sécurité (S/1994/360), le
Secrétaire général se dit gravement préoccupé par la
détérioration de la sécurité au Rwanda et en particulier à
Kigali. Il demande la prorogation du mandat de la MINUAR pour
une période de six mois.

5 avril :

Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution
909 (1994), dans laquelle il décide de prolonger le mandat de la
MINUAR jusqu’au 29 juillet, étant entendu qu’il procédera dans
les six semaines à venir à un réexamen de la situation et que
des progrès devront être réalisés dans la mise en place du
Gouvernement de transition à base élargie. Le Conseil de
sécurité rappelle que la MINUAR ne sera assurée d’un appui suivi
que si les parties appliquent intégralement et rapidement
l’Accord de paix d’Arusha. Le Conseil demande de nouveau au
Secrétaire général de continuer à contrôler les effectifs et le
coût de la MINUAR dans le but de faire des économies.

6 avril :

À 20 h 30 environ, Habyarimana et le Président Cyprien
Ntariyamira du Burundi, qui revenaient d’un sommet régional tenu

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à Dar es-Salaam (Tanzanie), sont tués dans un accident d’avion
aux abords de l’aéroport de Kigali.
En l’espace d’une heure, des barrages sont érigés dans plusieurs
rues de Kigali et les massacres commencent, à l’instigation de
la milice Interahamwe et des Impuzamugbmi (milice hutue dont les
éléments proviennent de la jeunesse de la CDR) et des unités de
la Garde présidentielle. Les premières personnes éliminées ont
été les dirigeants politiques.
Une patrouille de la MINUAR est envoyée pour enquêter sur
l’accident mais est arrêtée en cours de route par la Garde
présidentielle. À 22 h 10, Dallaire téléphone à Riza pour
l’informer de la situation.
7 avril :

Au petit matin, le nombre de gardes de la résidence du Premier
Ministre, Mme Agathe Uwilingiyimana, augmente avec l’arrivée
d’un groupe de soldats venant de l’aéroport.
La Radio-Télévision libre des Mille collines (RTLM) annonce que
le FPR et un contingent des Nations Unies sont responsables de
l’accident de l’avion présidentiel.
Dans la matinée, le Premier Ministre se réfugie dans les locaux
des Volontaires des Nations Unies à Kigali mais les membres de
la Garde présidentielle y font irruption et l’abattent.
Dix soldats de la paix belges de la MINUAR, chargés de la
protéger, sont torturés et assassinés.
Gharekhan fait un rapport oral au Conseil de sécurité sur la
situation grave et les répercussions pour la population civile.
Dans une déclaration (S/PRST/1994/16), le Président du Conseil
de sécurité condamne tous les actes de violence au Rwanda et
exhorte les forces de sécurité rwandaises et les unités
militaires et paramilitaires à mettre fin à la violence et à
coopérer pleinement avec la MINUAR dans l’exécution de son
mandat.

8 avril :

Le "Gouvernement intérimaire" est mis en place. Le FPR rejette
son autorité, déclarant qu’il s’agit de l’ancien gouvernement
sous une autre forme.
Les unités du FPR basées dans la zone démilitarisée entrent à
Kigali. La MINUAR s’efforce d’obtenir un cessez-le-feu et de
protéger la population civile et le personnel des Nations Unies.
De Genève, le Secrétaire général envoie une lettre au Président
du Conseil de sécurité pour l’informer que la MINUAR s’est
efforcée sans relâche d’obtenir un accord de cessez-le-feu à
Kigali et d’encourager la mise en place d’une autorité politique
intérimaire pour combler le vide. Il se préoccupe également de
la sécurité de la population civile, des étrangers vivant au
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Rwanda ainsi que du personnel de la MINUAR et d’autres
fonctionnaires des Nations Unies.
8 et 9 avril :

Six cents soldats français arrivent à Kigali pour évacuer les
expatriés et les ressortissants d’autres pays.

9 avril :

Dans un message télégraphique adressé à Booh Booh et Dallaire,
Annan leur donne pour instruction de coopérer avec les
commandements français et belge en vue de faciliter l’évacuation
des étrangers.
Riza informe le Conseil de sécurité de la généralisation des
combats et des troubles au Rwanda.

10 avril :

Des parachutistes belges arrivent à Kigali dans le cadre de
l’opération Silver Back en vue de porter secours à leurs
compatriotes et à d’autres expatriés.

11 avril :

Après l’évacuation des expatriés, les forces belges de la
MINUAR, stationnées à l’École technique officielle (ETO) à
Kicukiro, quittent le pays. À ce moment-là, jusqu’à
2 000 civils se trouvent à l’ETO, où ils se sont réfugiés.
Riza informe de nouveau le Conseil de sécurité que la situation
ne cesse de se détériorer et que les combats se poursuivent.
Riza fait également savoir au Conseil que le FPR exige le départ
immédiat de toutes les troupes étrangères du Rwanda.

12 avril :

Alors que les combats entre les forces gouvernementales et le
FPR s’intensifient, le prétendu Gouvernement intérimaire est
transféré de Kigali à Gitarama, à 40 kilomètres au sud-ouest de
Kigali.
Le Secrétaire général rencontre le Ministre belge des affaires
étrangères, Claes, à Bonn. Lors de cette entrevue, Claes
recommande le retrait de la MINUAR du Rwanda et informe le
Secrétaire général de la décision de la Belgique de retirer ses
troupes du Rwanda.

13 avril :

Le Secrétaire général adresse une lettre au Président du Conseil
de sécurité pour l’informer de la position belge. Dans cette
lettre, le Secrétaire général estime que le retrait des troupes
belges rendrait extrêmement difficiles les opérations effectives
de la MINUAR et que cette situation pourrait nécessiter le
retrait de la MINUAR.
Le Nigéria présente, au nom du Groupe de travail des pays non
alignés, un projet de résolution demandant un renforcement des
effectifs et du mandat de la MINUAR. Le Nigéria souligne que le
Conseil de sécurité ne devrait pas seulement se préoccuper de la
sécurité du personnel des Nations Unies et des étrangers mais
aussi de celle des civils rwandais innocents.

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Dans la lettre qu’il adresse au Président du Conseil de
sécurité, le représentant du FPR auprès de l’ONU, M. Claude
Dusaidi, déclare qu’"un crime de génocide" a été commis contre
le peuple rwandais en présence de la force internationale des
Nations Unies. Il demande au Conseil de mettre en place
immédiatement un tribunal des Nations Unies chargé de juger les
crimes de guerre et d’arrêter les responsables des massacres.
Le Département des opérations de maintien de la paix présente
deux options sur la base du retrait du contingent belge de la
MINUAR et les communique à la MINUAR pour observations et au
Secrétaire général, en visite à Madrid, pour approbation. La
première option consiste à réduire les effectifs de la MINUAR
après le départ du bataillon belge et la seconde à transformer
immédiatement la MINUAR, parallèlement au retrait belge, en un
noyau politique fonctionnel doté d’une force de protection (soit
un effectif de 200 à 250 personnes comprenant des militaires de
tous grades et du personnel civil).
Dans sa réponse, Dallaire appuie la première option. Dans un
message télégraphique séparé, Dallaire fait clairement état des
conséquences catastrophiques du retrait belge.
Gharekhan informe Annan que le Secrétaire général préfère la
première option.
14 avril :

Le Sous-Secrétaire général aux
de Soto, informe le Conseil de
Secrétaire général datée du 13
Conseil de sécurité, ne visait
MINUAR.

affaires politiques, M. Alvaro
sécurité que la lettre du
avril, adressée au Président du
pas à demander le retrait de la

Riza fait au Conseil un exposé oral sur les options du
Secrétaire général. Une combinaison des deux options proposées
par le Département des opérations de maintien de la paix le
13 avril est présentée comme ayant la préférence du Secrétaire
général.
Le contingent belge commence à se retirer de la MINUAR.
Après avoir secouru jusqu’à 1 361 personnes, dont quelque
450 Français et 178 responsables rwandais et leurs familles,
notamment la veuve et les proches collaborateurs de Habyarimana,
les derniers soldats français quittent le Rwanda.
15 avril :

Claes recommande de nouveau, dans une lettre adressée au Conseil
de sécurité, la suspension de la MINUAR.

19 avril :

Lorsque s’envolent les derniers soldats belges des forces des
Nations Unies, les effectifs de la MINUAR passent de 2 165 à
1 515 hommes et le nombre des observateurs militaires de 321
à 190.

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20 avril :

Le Secrétaire général présente au Conseil de sécurité un rapport
(S/1994/470) contenant trois options :
i)

Renforcement immédiat et massif de la MINUAR en vue
d’arrêter les combats et les massacres, ce qui exigerait
qu’elle soit dotée de plusieurs milliers de soldats
supplémentaires et de pouvoirs de coercition en vertu du
Chapitre VII de la Charte;

ii)

Réduction des effectifs de la MINUAR (à 270 hommes tous
grades confondus), qui servirait d’intermédiaire entre les
parties afin d’essayer de les amener à un accord de
cessez-le-feu;

iii)

Retrait total de la MINUAR.

Le porte-parole du Secrétaire général annonce que le Secrétaire
général préfère la première option et n’est pas favorable à la
troisième.
21 avril :

Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution
912 (1994) dans laquelle il décide de modifier le mandat de la
MINUAR et de réduire ses effectifs à 270 hommes.

23 avril :

Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires,
M. Peter Hansen, conduit une équipe à Kigali pour évaluer les
besoins d’ensemble et définir les priorités. Une partie de
l’équipe reste à Kigali pour mettre en place un bureau chargé de
préparer l’assistance humanitaire.

28 avril :

Au Conseil de sécurité, l’Ambassadeur du Nigéria, Ibrahim A.
Gambari déclare que le débat qui a eu lieu sur le Rwanda au
Conseil de sécurité en avril 1994 n’a guère porté sur les
massacres de civils mais était axé sur le cessez-le-feu.

29 avril :

Dans une lettre adressée au Président du Conseil de sécurité
(S/1994/518), le Secrétaire général invite le Conseil à
réexaminer la résolution du 21 avril en insistant sur le fait
que le mandat révisé de la MINUAR ne permet pas à cette dernière
de prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux massacres.

30 avril :

Le Conseil de sécurité publie une déclaration du Président
(S/PRST/1994/21) condamnant le massacre de civils au Rwanda,
mais le terme "génocide" n’est pas employé dans le texte.
Le Secrétaire général demande par lettre à plusieurs chefs
d’État africains de fournir des contingents et prie le
Secrétaire général de l’OUA d’appuyer sa demande.

2 mai :

Le Représentant permanent du Rwanda auprès de l’Organisation des
Nations Unies, Jean-Damascene Bimizina, adresse une lettre au
Président du Conseil de sécurité (S/1994/531) l’exhortant à
renforcer la MINUAR pour que celle-ci puisse faire respecter le
cessez-le-feu et rétablir le calme au Rwanda.
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3 mai :

Bill Clinton signe une directive présidentielle (PDD 25) qui
subordonne l’appui des États-Unis à toute future opération de
maintien de la paix des Nations Unies à des conditions strictes.

4 mai :

Selon le Livre bleu publié par l’Organisation des Nations Unies,
le Secrétaire général aurait déclaré à l’occasion d’un entretien
diffusé dans l’émission américaine Nightline que Kigali était le
théâtre d’un véritable génocide.

6 mai :

Le Président du Conseil de sécurité adresse une lettre au
Secrétaire général (S/1994/546) le priant de lui présenter des
plans d’urgence en vue de l’acheminement d’une assistance
humanitaire et de secours aux personnes déplacées au Rwanda.

9 mai :

En réponse à la lettre que le Président du Conseil de sécurité
lui a adressée le 6 mai 1994, le Secrétaire général remet un
document officieux au Conseil qui propose de porter les
effectifs de la MINUAR à 5 500 hommes au minimum.

11 mai :

Le Conseil de sécurité tient des consultations au sujet du
document officieux du Secrétaire général au cours desquelles
Gharekhan informe les membres du Conseil de l’évolution de la
situation au Rwanda. Il indique que Booh Booh et Dallaire ont
été chargés de présenter les propositions du document officieux
au Gouvernement rwandais et au FPR et d’essayer d’obtenir leur
accord.

11 et 12 mai :

Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme,
José Ayala Lasso, se rend au Rwanda pour y enquêter sur les
graves violations du droit international humanitaire commises
durant le conflit et rencontrer des représentants du
"Gouvernement intérimaire" et du FPR.

13 mai :

Le Secrétaire général soumet un rapport (S/1994/565) au Conseil
de sécurité dans lequel il réitère les propositions présentées
dans le document officieux du 11 mai.

16 mai :

Le Secrétaire général s’entretient de l’évolution de la
situation au Rwanda avec Gharekhan et des hauts fonctionnaires
du Secrétariat, parmi lesquels Annan et M. Marrack Goulding,
Secrétaire général adjoint aux affaires politiques.
Le Secrétaire général publie un communiqué de presse dans lequel
il réaffirme son soutien à Booh Booh, dont l’impartialité a été
mise en doute par le FPR.

17 mai :

Le Conseil de sécurité adopte la résolution 918 (1994) qui
autorise un accroissement des effectifs de la MINUAR à
concurrence de 5 500 hommes et l’établissement de la MINUAR II
chargée au titre du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies
de conduire une mission de maintien de la paix pour des motifs
humanitaires (protection des personnes déplacées, des réfugiés
et des civils en danger et appui aux activités d’assistance au
Rwanda).
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La résolution 918 exhorte aussi vivement toutes les parties à
mettre fin à toute incitation à la violence et à la haine
ethnique, en particulier par le biais des moyens d’information,
et impose un embargo sur les ventes et livraisons d’armes au
Rwanda.
Mi-mai :

Le HCR ouvre une antenne à Kigali chargée de surveiller le
retour des réfugiés et de leur fournir une assistance directe.

18 mai :

Le Secrétaire général écrit à plusieurs chefs d’État et de
gouvernement africains pour leur demander de fournir des
contingents dans le cadre de la MINUAR II.

19 mai :

Le rapport dans lequel M. Ayala Lasso propose à la Commission
des droits de l’homme que l’on nomme un Rapporteur spécial
chargé d’examiner la situation des droits de l’homme au Rwanda,
secondé par des observateurs des droits de l’homme, est rendu
public.

20 mai :

Annan transmet à Booh Booh une demande du Secrétaire général
invitant ce dernier à se rendre à Nairobi pour quelques semaines
et à solliciter l’appui des gouvernements de la région.

21 mai :

Le FPR investit l’aéroport de Kigali et refuse d’en céder le
contrôle à la MINUAR II comme le demande la résolution 918.

22 au 27 mai :

Le Secrétaire général dépêche Riza et Baril au Rwanda en mission
spéciale. Ils doivent essayer d’amener les parties
belligérantes à conclure un cessez-le-feu, s’informer de leurs
vues et intentions quant à l’application de la résolution 918 et
examiner avec la MINUAR les modalités des opérations prévues
dans le rapport du Secrétaire général du 13 mai 1994.
Dans l’intervalle, Booh Booh, désormais basé à Nairobi, se rend
dans les pays de la région en vue d’obtenir des gouvernements
qu’ils fournissent des contingents à la MINUAR eu égard à
l’élargissement du mandat de celle-ci décidé dans la
résolution 918.

25 mai :

Lors d’une conférence de presse au Siège, le Secrétaire général
qualifie les massacres au Rwanda de génocide (SG/SM/5297/Rev.1).
La Commission des droits de l’homme nomme M. René Degni-Segui
Rapporteur spécial chargé d’examiner la situation des droits de
l’homme au Rwanda et appelle toutes les parties belligérantes à
mettre immédiatement fin à toutes violations des droits de
l’homme.

31 mai :

Le Secrétaire général rend compte au Conseil de sécurité de la
mission spéciale de Riza et Baril et recommande au Conseil
d’autoriser la reconduction du mandat de la MINUAR pour une
période de six mois dans un premier temps (S/1994/640). Le
rapport contient expressément le terme "génocide".

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3 juin :

Le FPR adresse au Secrétaire général une lettre dans laquelle il
réagit positivement à l’emploi du mot "génocide" dans le rapport
du Secrétaire général en date du 31 mai et invite le Conseil de
sécurité à reconnaître que les atrocités commises constituent un
génocide. Le FPR prie également le Conseil d’adopter une
résolution autorisant le brouillage des émissions ou la
destruction des émetteurs de RTLM et de prendre des mesures
visant à empêcher le Rwanda de siéger au Conseil de sécurité.

8 juin :

Le Conseil de sécurité adopte la résolution 925 (1994) qui
proroge le mandat de la MINUAR prenant fin le 29 juillet 1994
jusqu’au 9 décembre 1994 et autorise le déploiement immédiat des
deux bataillons supplémentaires.
La résolution 925 prie également le Secrétaire général de
s’assurer que la MINUAR coopère étroitement avec le Département
des affaires humanitaires et le Bureau des Nations Unies pour
les secours d’urgence au Rwanda ainsi qu’avec le Rapporteur
spécial pour le Rwanda désigné par la Commission des droits de
l’homme.

9 au 20 juin :

Le Rapporteur spécial pour le Rwanda désigné par la Commission
des droits de l’homme, Degni-Segui, effectue sa première mission
sur le terrain au Rwanda et dans les pays voisins en vue
d’enquêter sur les violations des droits de l’homme, notamment
les crimes contre l’humanité et les actes de génocide.

16 juin :

Le Secrétaire général rend compte des activités de la MONUOR
pour la période allant du 22 décembre 1993 au 21 juin 1994 et
recommande que le mandat de la Mission soit prorogé pour une
période de trois mois prenant fin le 21 septembre 1994
(S/1994/715).

18 juin :

La MINUAR se compose de 503 hommes tous grades confondus
(354 soldats, 25 officiers d’état-major et 124 observateurs
militaires) placés sous le commandement du général Dallaire.

19 juin :

Dans une lettre adressée au Président du Conseil de sécurité
(S/1994/728), le Secrétaire général souligne la nécessité de
mettre un terme au génocide, d’obtenir un cessez-le-feu et de
reprendre le processus de paix d’Arusha. Il propose également
au Conseil de sécurité d’examiner l’offre faite par le
Gouvernement français de lancer une opération multinationale
sous commandement français visant à assurer la sécurité et la
protection des personnes déplacées et des civils en danger au
Rwanda jusqu’à ce que les effectifs de la MINUAR soient au
complet.

20 juin :

Dallaire envoie à Annan un télégramme intitulé "Évaluation de la
proposition française concernant la crise au Rwanda". Dans ce
télégramme, Dallaire fait état de plusieurs problèmes que
pourrait poser l’opération Turquoise proposée par la France.

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Le Conseil de sécurité adopte la résolution 928 (1994) qui
proroge le mandat de la MONUOR jusqu’au 21 septembre 1994, date
à laquelle elle doit être dissoute.
21 juin :

Le Représentant permanent de la France auprès de l’Organisation
des Nations Unies, M. Jean-Bernard Mérimée, adresse au
Secrétaire général une lettre (S/1994/734) dans laquelle il
demande l’adoption, en application du Chapitre VII de la Charte
des Nations Unies, d’une résolution qui servirait de cadre
juridique au déploiement d’une force multinationale chargée de
maintenir une présence au Rwanda en attendant l’arrivée de la
MINUAR renforcée.
Le FPR ayant réagi négativement à leur participation à
l’opération Turquoise, Dallaire décide d’évacuer 42 Casques
bleus congolais, sénégalais et togolais et de les remplacer par
du personnel de l’ONU en poste à Nairobi.

22 juin :

Le Secrétaire général prend part à des consultations officieuses
et demande que l’on décide d’urgence d’autoriser une opération
multinationale sous commandement français.
Plus tard dans la journée, le Conseil de sécurité adopte la
résolution 929 (1994) qui autorise les États Membres à lancer
une opération multinationale au Rwanda à des fins humanitaires
en attendant le déploiement de la MINUAR renforcée. Dix États
Membres votent en faveur de la résolution et cinq s’abstiennent
(Brésil, Chine, Nigéria, Nouvelle Zélande et Pakistan).
Le même jour, les forces françaises et sénégalaises lancent
l’opération Turquoise.

30 juin :

Le rapport présenté par le Rapporteur spécial désigné par la
Commission des droits de l’homme préconise la création d’un
tribunal international chargé de juger les responsables des
massacres au Rwanda ou un élargissement du mandat du Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Fin juin :

Les forces gouvernementales rwandaises reculent devant
l’intensification de l’offensive menée par le FPR pour s’emparer
de Kigali et investir les zones contrôlées par le Gouvernement
entre Kigali et la frontière avec le Zaïre.

1er juillet :

Par la résolution 935 (1994), le Conseil de sécurité prie le
Secrétaire général de constituer d’urgence une commission
impartiale d’experts chargée d’examiner et d’analyser les
informations concernant les violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda,
y compris d’éventuels actes de génocide.
Le Représentant permanent de la France auprès de l’Organisation
des Nations Unies adresse une lettre au Secrétaire général pour
l’informer de l’intention de son gouvernement d’organiser une

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zone humanitaire sûre dans le triangle Cyangugu-KibuyeGikongoro, dans le sud-ouest du Rwanda.
2 juillet :

Le Secrétaire général transmet au Président du Conseil de
sécurité la lettre du Représentant permanent de la France auprès
de l’Organisation des Nations Unies (S/1994/798).

3 juillet :

Des affrontements se produisent entre des membres du FPR et les
forces françaises de l’opération Turquoise.

4 juillet :

Le nouveau Représentant spécial, M. Mohamed Shahryar Khan
(Pakistan), qui succède à Booh Booh, arrive à Kigali.
Kigali tombe aux mains des forces du FPR.

6 juillet :

Au cours de consultations tenues par le Conseil de sécurité,
plusieurs délégations émettent des réserves quant à la nature de
la proposition faite par la France dans sa lettre du 1er juillet
portant sur la création d’une zone humanitaire. Le Conseil de
sécurité ne donne aucune réponse officielle à cette lettre.

9 juillet :

Les troupes de l’opération Turquoise commencent à se déployer
dans la zone humanitaire sûre, au sud-ouest du Rwanda.
Début juillet, les effectifs de l’opération Turquoise se
composent de 2 330 soldats français et 32 soldats sénégalais.

14 juillet :

Le FPR s’empare de Ruhengeri, principale ville du nord du Rwanda
et bastion de ce qu’il est convenu d’appeler le Gouvernement
intérimaire, provoquant un exode massif de la population hutu.
Le Conseil de sécurité publie une déclaration du Président
(S/PRST/1994/34) par laquelle il se déclare alarmé par l’exode
massif des populations et exige un cessez-le-feu immédiat et la
relance du processus politique dans le cadre de l’Accord de paix
d’Arusha.

17 juillet :

Le FPR se rend maître de Gisenyi, dernier bastion des forces
gouvernementales. Le représentant à Goma (Zaïre) du Bureau des
Nations Unies pour les secours d’urgence au Rwanda estime à un
million le nombre de Rwandais réfugiés au Zaïre. On redoute un
nouvel afflux de réfugiés fuyant de la zone humanitaire protégée
par les forces de l’opération Turquoise.

18 juillet :

Le FPR, qui contrôle la totalité du territoire rwandais à
l’exception de la zone humanitaire établie dans le cadre de
l’opération Turquoise, déclare un cessez-le-feu unilatéral.

19 juillet :

Le gouvernement d’unité nationale prend ses fonctions à Kigali
pour une période de transition fixée à cinq ans. M. Pasteur
Bizimungu assume les fonctions de Président, le général Paul
Kagame celles de Vice-Président et M. Faustin Twagiramungu
celles de Premier Ministre.

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22 juillet :

Le Secrétaire général lance un appel global interinstitutions en
faveur des victimes de la crise rwandaise.

26 juillet :

Le rapport du Secrétaire général sur la constitution d’une
commission d’experts chargée d’enquêter sur la situation au
Rwanda (S/1994/879) est soumis au Conseil de sécurité,
conformément à la résolution 935 (1994).

29 au
31 juillet :

M. Degni-Segui se rend pour la deuxième fois au Rwanda afin
de prendre la mesure de la situation depuis sa première visite
en juin. Il recommande instamment l’envoi d’experts chargés de
faciliter la reconstruction au Rwanda et le retour des réfugiés
dans leurs foyers.

31 juillet :

La France entame le retrait des troupes participant à
l’opération Turquoise.

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Annexe II
LISTE DE PERSONNES INTERROGÉES
I.

FONCTIONNAIRES DES NATIONS UNIES

(Le poste occupé pendant la crise du Rwanda en 1994 est indiqué entre
parenthèses.)
Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général de l’Organisation internationale
de la francophonie
(Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies)
Kofi Annan, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
(Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix)
Hedi Annabi, Sous-Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix
(Directeur de la Division Afrique, Département des opérations de maintien
de la paix)
Henry K. Anyidoho
(Commandant adjoint de la Force de la MINUAR)
Maurice Baril, général, chef d’état-major, Canada
(Conseiller militaire du Secrétaire général)
Jacques-Roger Booh Booh
(Représentant spécial du Secrétaire général pour le Rwanda)
Hans Corell, Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques
Romeo A. Dallaire, général de corps d’armée, Conseiller spécial du chef
d’état-major du Canada
(Commandant de la Force de la MINUAR)
Jan Eliasson, Secrétaire d’État aux affaires étrangères de Suède
(Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires)
Ibrahima Fall, Sous-Secrétaire général aux affaires politiques
(Directeur du Centre des droits de l’homme)
Jean-François Gascon, représentant par intérim de la FAO à Kigali
Ghenet Guebre-Christos, représentant du HCR, coordonnateur résident par
intérim, Kigali
Chinmaya Gharekhan
(Conseiller politique principal et Représentant spécial du Secrétaire
général au Conseil de sécurité)
Marrack Goulding, Directeur, St Anthony’s College Oxford
(Secrétaire général adjoint aux affaires politiques)
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Peter Hansen, Commissaire général de l’UNRWA
(Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires)
James O. C. Jonah, Ministre des finances de la Sierra Leone
(Secrétaire général adjoint aux affaires politiques)
Leonard Kapungu, Chef du Groupe des enseignements tirés des missions,
Département des opérations de maintien de la paix
Mohamed Shaharyar Khan, Ambassadeur du Pakistan en France
(Représentant spécial du Secrétaire général pour le Rwanda)
Luc Marchal, colonel
(Commandant du secteur de Kigali, MINUAR)
Bernard Muna, Procureur adjoint du TPR
Waly Bacre Ndiaye, Directeur du Bureau du Haut Commissariat des
Nations Unies aux droits de l’homme à New York
(Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme)
Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
Kieran Prendergast, Secrétaire général adjoint aux affaires politiques
Isel Rivero, Directeur du Centre d’information des Nations Unies à Madrid
(Responsable de la MINUAR au Département des opérations de maintien de la
paix)
Iqbal Riza, chef du Cabinet du Secrétaire général
(Sous-Secrétaire général aux opérations de maintien de la paix)
R. Gordian Rugarabamu, représentant résident assistant du PNUD à Dar
es-Salaam
(Membre de l’équipe des Nations Unies aux pourparlers d’Arusha)
Diana Russler, Coordonnatrice adjointe des Nations Unies pour les mesures
de sécurité
Daphna Shraga, juriste hors classe, Bureau des affaires juridiques
Sergio Vieira de Mello, Secrétaire général adjoint aux affaires
humanitaires
Ralph Zacklin, Sous-Secrétaire général aux affaires juridiques
Représentants du personnel local des Nations Unies à Kigali
Chefs des organismes des Nations Unies à Kigali

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II.

ÉTATS MEMBRES

Rwanda
Pasteur Bizimungu, Président
Vincent Biruta, Premier Ministre par intérim et Ministre des travaux
publics, des transports et des communications
François Ngarambe, Ministre de la jeunesse, de la culture et des sports
Bonaventure Niyibizi, Ministre de l’énergie, de l’eau et des ressources
naturelles
Joseph Nsengimana, Ministre des terres, de la réinstallation et de la
protection de l’environnement
Charles Ntakirutinka, Ministre des affaires sociales
Constance Rwaka, Secrétaire générale du Ministère des affaires étrangères
Protais Musoni, Secrétaire général du Ministère des collectivités locales
Joseph W. Mutaboba, Représentant permanent auprès de l’Organisation des
Nations Unies
M. Kamanzi, lieutenant-colonel
Ndoba Gasana, Commission nationale des droits de l’homme
Aloysie Inyumba, Commission nationale pour l’unité et la réconciliation
Denis Polisi, Député
Belgique
Pierre Chevalier, Secrétaire d’État au commerce extérieur, Ministère des
affaires étrangères
Alain Destexhe, Sénateur, Commission d’enquête parlementaire concernant
les événements du Rwanda
République tchèque
Karel Kovanda, ancien Représentant permanent auprès de l’Organisation des
Nations Unies
France
Hubert Védrine, Ministre des affaires étrangères
Paul Quilès, Président de la Commission parlementaire d’enquête sur la
tragédie rwandaise 1990-1994
Bernard Cazeneuve, Rapporteur de la Commission parlementaire d’enquête sur
la tragédie rwandaise
Kenya
Bonaya A. Godana, Ministre des affaires étrangères
BK Mbaya, Directeur des affaires politiques
Nouvelle-Zélande
Colin Keating, Secrétaire à la justice, ancien Représentant permanent
auprès de l’Organisation des Nations Unies

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Nigéria
Ibrahim A. Gambari, ancien Représentant permanent auprès de l’Organisation
des Nations Unies
Afrique du Sud
Nelson Mandela, ancien Président
Ouganda
Yoweri Museveni, Président
Tanzanie
Benjamin Mkapa, Président
John Malecela, ancien Premier Ministre
Emmanuel Mwalumbulukutu, Vice-Ministre des affaires étrangères
États-Unis d'Amérique
William Wood, Sous-Secrétaire d'État adjoint principal aux organisations
internationales
Richard Bogosian, Ambassadeur
David Rawson, ancien Ambassadeur au Rwanda
Cynthia McKinney, Membre du Congrès, Chambre des représentants
III.

SURVIVANTS

La Commission a rencontré un certain nombre de survivants du génocide et
leurs représentants au Rwanda, en Belgique et aux États-Unis. Parmi ceux dont
les récits ont été explicitement mentionnés dans le rapport, on peut citer :
Les représentants des survivants de l'École technique officielle
Mme Louise Mushikiwabo
Mme Annonciata Kavaruganda
Mme Florida Mukeshimana Ngulinzira
IV.

LES FAMILLES DES 10 SOLDATS DE LA PAIX BELGES TUÉS LE 7 AVRIL

V.

LA COMMUNAUTÉ DES EXPATRIÉS DE KIGALI
Pierre Antonio Costa, Consul, Coopération italienne
Dr De Porter et Dr Vincke

VI.

ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (RWANDA)
Représentants des organisations suivantes :
Concern (Président du Forum des organisations non gouvernementales)
IBUKA (Association des survivants du génocide)
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ASOFERWA (Association de solidarité des femmes rwandaises)
CLADHO (Collectif des ligues et associations de défense des droits
de l'homme)
LIPRODHOR (Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits
de l'homme)
CARE International
CRS
Rakiya Omaar, Africa Rights
VII.

UNIVERSITAIRES ET EXPERTS
Howard Adelman, professeur, York University
Alison DesForges, Human Rights Watch
Adama Dieng, Commission internationale de juristes
Michael Doyle, professeur, Princeton University
Barbara Harff, professeur, US Naval Academy
Arthur Klinghoffer, professeur, Rutgers University
Machivenyika Tobias Mapuranga, Ambassadeur, Secrétaire aux affaires
étrangères, Harare (Zimbabwe)
Gérard Prunier, professeur au CNRS, Paris
Filip Reyntjens, professeur, Université d'Anvers

VIII. COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE
Cornelio Sommaruga, Président

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Annexe III
ABRÉVIATIONS
CICR

Comité international de la Croix-Rouge

CDR

Coalition pour la défense de la République

CND

Conseil national du développement

ETO

École technique officielle

FGR

Forces gouvernementales rwandaises

FIN

Force internationale neutre

FPR

Front patriotique rwandais

GOMN II

Groupe d'observateurs militaires neutres de l'OUA

HCR

Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

MINUAR

Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda

MONUOR

Mission d'observation des Nations Unies Ouganda-Rwanda

MRND

Mouvement révolutionnaire national pour le développement

ONG

Organisations non gouvernementales

OUA

Organisation de l'unité africaine

PDD25

Directive présidentielle américaine 25

PSD

Parti social démocrate

RTLM

Radio-Télévision libre des Mille collines

TPIR

Tribunal pénal international pour le Rwanda
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