Fiche du document numéro 11389

Num
11389
Date
Dimanche 15 février 2009
Amj
Auteur
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Fichier
Taille
179408
Pages
4
Titre
Pierre Péan, un enquêteur au service du pouvoir ?
Sous titre
Auteur de best-sellers et réputé pour la qualité de ses investigations, il a glissé de la critique des puissants à leur défense virulente.
Nom cité
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Type
Langue
FR
Citation
Pour mieux se cacher, il vit dans la lumière. Pierre Péan, né le 5 mars 1938 dans la Sarthe, est d’une famille de « gens de peu », de « gueux » dont il s’est extirpé. De ses origines, il retient les embardées passionnées de son père, coiffeur à Sablé-sur-Sarthe, contre l’injustice et les légendes familiales de sa mère, dont les ancêtres étaient chouans.

Fasciné par le secret, Péan est un homme aux engagements contradictoires : de gauche et nationaliste, fasciné par les chouans et franc-maçons, contre le Gabon mais pour Bongo, contre Kagamé mais pour Foccart, pour de Gaulle et pour Mitterrand... Contre Kouchner et la gauche caviar.

Pour le décrypter, nous avons appliqué sa méthode d’enquête : sources ouvertes, documents écrits, plus un entretien aux forceps. Car « l’écrivain-enquêteur », comme il s’intitule, laisse dans chaque ouvrage des indices sur son destin. Tel le petit poucet, il répand ses « empreintes de pensée » pour assurer sa postérité.

L’Afrique, les troupes coloniales et une méthode : l’enquête au long cours



A 25 ans, il part pour l’Afrique, grâce à un « ami », Joël le Theule, le futur parrain politique de François Fillon. Lui aussi est originaire de la Sarthe, lui aussi d’origine modeste et lui aussi doué d’un goût prononcé pour la manoeuvre politique. Le Theule l’envoie dans les troupes de marine... L’épisode est raconté dans « L’Homme de l’ombre », un essai biographique sur Jacques Foccart paru en 1990.

En 1963-64, Pierre Péan fait son service militaire comme 2e classe au 6e RIAOM, cantonné à Bouar en Centrafrique. Il est aux premières loges de deux coups d’Etat. En août 1963, celui contre Fulbert Youlou, l’abbé-président du Congo Brazaville, qui porte des soutanes Dior. Puis en février 1964, à Libreville, Gabon.

Les mutins de l’armée cherchent à renverser le Président Léon M’ba pour imposer son principal opposant. Jeunes officiers, formés à Saint-Cyr, les Gabonais se retranchent au camp Lalala. L’affaire finit dans un bain de sang (un officier et quinze soldats tués) à cause de l’intervention des parachutistes et d’une équipe du SDECE (les services secrets français, l’ancêtre de la DGSE) sous la houlette de Jacques Foccart.

Ces deux épisodes -- qui légitiment la doctrine d’intervention de la Ve République et vont légaliser cette relation sur la base des accords secrets d’intervention -- marquent les premiers engagements de Péan. Un journalisme de combat :
« Un pays entrant dans la catégorie foccartienne ’à protéger’ cesse d’être -- ou n’a aucune chance de devenir-- une démocratie, puisque cette classification conduit à y interdire de facto, toute opposition, donc toute chance d’évolution... »

A partir de 1974, sans jamais cesser de piger pour la presse parisienne (L’Express, Le Monde, Le Canard enchaîné), Péan tire à boulets rouges sur le pétrole (« L’Argent noir », « Les Avions renifleurs » d’Elf), le Gabon (« Affaires africaines »), la nucléarisation d’Israël et de l’Irak (« Les Deux bombes »)... Sa méthode ? Sources ouvertes, documents écrits et une plume trempée dans la morale, comme il nous l’a expliqué lors d’une longue conversation téléphonique :
« Je me méfie des témoignages. Le plus important, c’est de me faire ma vérité sur des trucs écrits. Je veux raconter ce qui généralement n’est pas raconté. Le truc du décalage, entre ce que je crois être proche de la réalité et ce qu’on nous impose comme vision de la réalité. »

Autant de livres qui lèvent le voile sur la coulisse d’une époque portée à cultiver les secrets de l’arrière-cour africaine.

Mitterrand, l’histoire et le pouvoir : la virage des années 90



Un virage s’amorce à la fin des années 80. Sur le Rwanda, déjà, mais surtout autour de l’univers trouble des services secrets. Très proche des hommes de la cellule de l’Elysée (en particulier de l’ex-commissaire de la DST, Pierre-Yves Gilleron), il fait la rencontre de François Mitterrand, qui a adoré sa bio de Foccart.

Alerté de projets d’enquête sur son passé, François Mitterrand lui confie les clefs de sa « Jeunesse française » (un best-seller à 200 000 exemplaires). Au moment même où l’Elysée gère la crise rwandaise. Son « ami » Bruno Delaye, chef de la cellule africaine, lui fait même une étrange proposition au cours d’un déjeuner :

« En juillet ou septembre 1994, il me propose d’avoir tous les papiers à disposition pour faire une analyse de la situation. Il me dit : ’Qu’est-ce qu’on a pu faire pour mériter de telles attaques ? ’ Il m’a alors proposé de m’enfermer dans une pièce avec tous les papiers sur le Rwanda.

Je serais fouillé à l’entrée et à la sortie, avec interdiction de sortir le moindre document, mais totale liberté pour travailler dessus. Comme j’étais dans ’Une Jeunesse française’, je ne l’ai pas fait. Je le regrette. »

Est-ce par « fidélité » -- terme qu’il revendique -- envers François Mitterrand qu’il prendra la défense de sa politique africaine dix ans plus tard ? En tout cas, Péan enchaîne alors les enquêtes à succès : sur TF1, Jean Moulin, Le Monde... A chaque fois, en bon faiseur de scoops (il n’a plus de carte de presse depuis 1987), il exhume un détail troublant, une pratique limite, des amitiés coupables. Reprises assurées.

De plus en plus, son ton est résolument pamphlétaire et ses infos de moins en moins gênantes pour les vrais pouvoirs. Pas toujours neuves. Il assume :

« Je suis de cette génération où l’on comprend la raison d’Etat. Je ne suis pas ’plénélien’, la livraison des secrets d’Etat ne fait pas partie de mon champ. Les faux secrets, les alibis de secret, oui. Mais rien qui n’entre dans le registre des articles 70 et suivants du code pénal [qui concernent l’espionnage et l’intelligence avec l’ennemi, ndlr]. Je suis pour le contre-pouvoir tant qu’il ne devient pas un pouvoir de manipulation. »

Passé l’an 2000, l’ex-journaliste ne ressemble plus au jeune homme qu’il a été. Dans « Noires fureurs, Blancs menteurs » (son livre sur le Rwanda), il avoue même ses liens amicaux avec Omar Bongo, symbole de la Françafrique la plus détestable :

« Aujourd’hui, je n’ai pas honte et j’ai même plaisir à rencontrer le président du Gabon et à discuter avec lui de l’évolution de l’Afrique et de la politique française, dont il est fin connaisseur. »

A la veille de l’élection de Nicolas Sarkozy, il publie un livre d’entretien assez complaisant pour Jacques Chirac (« L’Inconnu de l’Elysée »). En fait d’inconnu, Pierre Péan ressasse en 491 pages la trajectoire archiconnue d’un bonhomme sympathique et pas bling bling. C’est un bide.

2005 : la rupture du Rwanda



Deux ans après une série de publications sérieuses qui mettent en cause le rôle joué par une partie de l’appareil d’Etat français au Rwanda, Pierre Péan prête sa plume aux thuriféraires de Mitterrand l’africain : d’Hubert Védrine à Edouard Balladur, en passant par une fraction dure des anciens militaires français ayant servi sur place.

Son propos : dévoiler la face cachée de la « propagande » tutsi, version mensongère de l’histoire, pour mieux défendre la thèse du double génocide. Celui commis contre les Tutsis et les Hutus modérés et celui prétendument commis par le FPR.

Le double génocide... exactement le terme employé dès novembre 1994 au sommet franco-africain de Biarritz par François Mitterrand. Péan bascule :

« Je déteste ce concept de la Françafrique, c’est marginal, ce n’est plus d’actualité. Les attaques moralistes sur les chefs d’Etat africains... Je préfère de loin Bongo à Kagame. La seule chose que je reconnais, c’est qu’il y a quatre à cinq pages qui sont éditorialisées de façon forte et 540 pages d’enquête.

J’en ai parlé avec François Mitterrand : ma conviction est ancrée que la France n’a pas à rougir de son action. Le fait que Kouchner abandonne tous ceux qui ont fait ça me scandalise. »

Péan bascule parce que la lecture qu’il donne des archives de l’Elysée est partielle, voire carrément truquée. Parce qu’il tombe dans les pires insinuations sur la « culture du mensonge » des Tutsis, le rôle des femmes forcément espionnes dans les « lits appropriés » (ce qui lui vaudra des poursuites judicaires et une relaxe en première instance). Et qu’il multiplie les erreurs et omissions historiques.

Sans oublier les références : de Bernard Lugan (historien défendant les thèses racialistes) à Charles Onana, il s’appuie sur une batterie de livres plus révisionnistes les uns que les autres. A-t-il alors bradé son légendaire flair d’enquêteur ? Ou oeuvré à sa propre postérité ?

« Hum, hum... [long silence, ndlr]. Vous touchez là le rapport à la mort, c’est sûr que je suis à un âge où je pense à ça. Il ne m’a pas échappé que les livres restent. C’est un questionnement intéressant. »

Un an après la publication de cet ouvrage, il fait une crise cardiaque.

L’ultime charge commandée, pour protéger une enquête judiciaire



Charge violente contre le ministre des Affaires étrangères, « Le Monde selon K. » n’éreinte pas tant les affaires africaines de Bernard Kouchner que sa vision du génocide rwandais et de l’humanitaire. Brûlot aux propos jamais tempérés, l’ouvrage aurait pu s’intituler « Le Monde selon P. » tant les interventions de « l’enquêteur » se font intempestives.

Péan dénonce le découpage simpliste et « américanolâtre » du monde par Bernard Kouchner pour mieux développer le sien, l’exact contraire de celui du chef de la diplomatie française. De longues digressions, extrêmement virulentes, assimilent sa cible à une anti-France fantasmée et rendent encore plus fragiles ses accusations.

Sur le fond, rien de neuf. Sur la forme, il parvient à écorner l’image de l’un des hommes politiques le plus sympathique aux yeux des Français.

« Pourquoi Kouchner ? C’est le Rwanda... Les trucs pour faire exploser le dossier Bruguière [l’enquête judiciaire qui vise à impliquer le régime Kagame comme commanditaire de l’attentat contre le Falcon du président Habyarimana, événement déclencheur du génocide, ndlr] me scandalise.

Ce sont des méthodes de république bananière. Ce qui me pose problème, c’est quand un ministre militant induit une rupture dans la continuité de l’Etat. »

Péan, défenseur de la « continuité de l’Etat », troque à nouveau l’habit de l’enquêteur pour celui du moraliste.

Franc-maçon dans l’âme, mais pas pour les « affaires »



Quelle est aujourd’hui sa motivation profonde ? Est-ce ce nationalisme de gauche qui l’habite, comme son « ami » Jean-Pierre Chevènement ? Son « amour de la France » et du « drapeau tricolore » ? Ou bien est-il antisémite comme le clame Bernard Kouchner ?

Cette dernière accusation semble extravagante aux yeux de tout ceux connaissant bien Pierre Péan. Claude Durand, son éditeur (Fayard) ainsi que les membres de la loge maçonnique où il se rend irrégulièrement.

Car Pierre Péan est « un fils de la lumière », depuis longtemps. Initié dans une « loge de campagne », au nord de Paris, pas très loin de sa maison de Bouffémont (Oise) où il écrit dans une cabane au fond du jardin. Un engagement personnel au sein d’une obédience, le Droit humain, où les frères ne sont pas là pour les affaires conclues lors des agapes. Sa loge est mixte. Il n’a pas le droit d’y ouvrir la bouche, puisqu’il est toujours apprenti.

Chagriné que l’on décide de le « dévoiler », il refuse de commenter cette facette de sa personnalité :

« Je veux bien croire que ça complexifie un peu plus... Je suis complexe, même pour moi-même. »

Une fois de plus, en publiant un pamphlet suffisamment virulent pour être commenté à l’Assemblée nationale, Pierre Péan est passé du « statut de regardant à celui de regardé ». Il dit détester.

Zineb Dryef et David Servenay
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