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C'est un bon pasteur. Il y a trois ans, converti au protestantisme, Dany Bimbo commençait à bâtir une église en bonne et solides briques sur la route de l'aéroport, à deux pas de l'actuel cantonnement des forces françaises au Zaïre. Et comme il sait que Dieu reconnaîtra de toutes façons les siens, il arrondit ses fins de mois dans les services spéciaux. C'est quelqu'un Dany à Goma ! On sait que le pasteur s'entretient régulièrement avec le maréchal Mobutu et pesonne ne s'étonne qu'il ait un magnétoscope et une demi-douzaine de voitures devant sa villa. Le pasteur le reconnaît volontiers : il est agent du S.N.I.P., le Service National d'Intelligence et de Protection de la population, l'ancienne Agence Nationale de Documentation.
Il est chargé au S.N.I.P. des relations avec le Rwanda. Et tout Goma sait parfaitement que c'est lui qui organisait le trafic d'armes, juste avant l'arrivée des Français. L'approvisionnement en armes et en munitions des forces armées rwandaises a commencé, selon des témoins à la mi-avril, une semaine à dix jours après l'assassinat du général-major président du Rwanda. Des Boeing 707 du Nigeria se posaient tous les
soirs vers 20 h 30 sur l'aéroport de Goma. Des avions assez furtifs qui ne portaient les couleurs d'aucune compagnie. Seulement un numéro d'immatriculation, comme le 5 B-DAZ, affreté par une obscure compagnie Avistar Airlines. Dany était là, bien sûr dans sa Lancia, rejoint par le général Tembélé, commandant la 4e région militaire de Goma dans un 4x4 Pajero gris.
Les militaires rwandais arrivaient, eux, dans des Mercedes 320 de l'armée.
Les armes, notamment des kalachnikov à crosse repliable, étaient chargés dans cinq bus rwandais, les bus verts un peu fatigués offerts au Rwanda par le Japon. Le convoi se mettait en route vers 22 h 30. Dany en tête, le général fermant la marche. Direction la frontière. Gisenyi, puis Giparama [Gitarama], siège, à l'époque, du gouvernement provisoire. Avec l'arrivée des Français, il a évidemment fallu trouver quelque chose de plus discret. « Nous avons des voies souterraines », dit amusé le ministre des Travaux publics. « L'embargo sur les armes ne pénalisait que le gouvernement, explique Jean Kambanda, le Premier ministre, puisqu'on sait parfaitement que l'Ouganda fournit tout le nécessaire au F. P. R. Nous recevons des armes, c'est clair. Sans cela, nous n'aurions pas pu tenir. Je commence à comprendre comment on gagne une guerre. Le problème de
l'embargo ne se pose plus de la même manière qu'il y a un mois. »
Côté financement, après quelques tentatives maladroites pour changer à Bruxelles des valises de traveller's chèques, le gouvernement a adopté une solution énergique : confisquer les dollars en circulation. Chaque banque remet ses devises au gouvernement pour l'effort de guerre. Et les miliciens de Gisenyi le savent parfaitement. Ce n'est pas le gouvernement qui déniche des armes mais un distingué négociant, Félicien Kabuga, qui disposait à Kigali d'une surface financière confortable grâce à ses activités dans l'agro-industrie, l'hôtellerie et l'import-export. [...]
Evidemment, l'homme replié à Gisenyi, ne s'étend pas sur cet aspect de sa vocation commerciale. Et le pasteur Dany jure ses grands dieux qu'il n'est au courantd e rien : « Je suis un homme de Dieu. Je ne peux avoir quoi que ce soit à faire avec les armes. » Les méchantes langues, au Zaïre, racontent que le prix de sa discrétion tient tout entier dans une superbe Mercedes 180 bleu marine. Dany s'offre d'ailleurs le luxe de rouler sans plaque d'immatriculation... Difficile dans ce pays de prouver quoi que ce soit. Il est même tout à fait interdit de s'y intéresser : le chef de Dany, directeur du S.N.I.P. à Goma, fait le nécessaire pour décourager les curieux.
Côté rwandais, une fois réglé le problème de l'embargo,
le ministre de la Défense, Augustin Birimana [Bizimana], a essayé de redresser
l'image un peu défaillante de son gouvernement. Il a confié à l'ex-gendarme Paul Barril, passé au service d'Agathe Habyarimana, la veuve du dictateur assassiné, tous les éléments en sa possession : la boîte noire, les enregistrements de la tour de contrôle, et même, dit-il, l'un des restes des roquettes qui ont abattu l'avion et qu'apparemment le capitaine garde dans sa manche. Le calcul est
fort simple : Barril, avec ses pièces à conviction, pouvait mieux faire passer en Europe le message que le gouvernement se tue à répéter depuis trois mois : ce sont les Belges de la MINUAR qui ont descendu l'avion présidentiel pour donner un coup de main aux terroristes du F.P.R.
Malheureusement, Birimana pas plus que Barril ne connaît grand-chose
en boîte noire. Et l'ex-capitaine s'est apparemment trompé de tôle.
Le ministre a cependant pris la précaution de conserver le dernier
morceau de roquette disponible qui attend son heure à Gisenyi. Non lion de la dépouille du président Habyarimana, qui repose dans une chambre froide de la Bralirwa, la brasserie-limonaderie rwandaise.
On enterrera le général-major le 5 juillet prochain à Karago, son village natal, le jour anniversaire de son coup d'Etat. Agathe Habyarimana, qui vient d'enterrer sa mère, sera présente. On ignore si le capitaine Barril a été invité.