Citation
1. Gaspard Musabyimana est un homme discret. On dit couramment un « homme de l’ombre ». Il pouvait passer inaperçu dans les bouis-bouis de Matonge (Bruxelles) quand il surveillait d’un air absent la vente de son livre sur les « pratiques et rites sexuels au Rwanda ». Or cet ancien espion de Habyarimana a des antécédents. Diplômé en sciences de l’éducation (Université Nationale du Rwanda ou Institut National Pédagogique ?) , il a suivi ensuite une formation à Paris et à Pittsburgh (USA) ; il a servi, bien entendu, comme espion ou comme agent de renseignement si vous préférez, sous Habyarimana durant les années où ce dernier était en guerre contre le FPR-Inkotanyi. Quand le régime s’écroula sous l’infamie, Musabyimana prit, comme bien d’autres, le chemin de l’exil.
2. En 2003, il a publié chez L’Harmattan (Paris) un volume au titre improbable contre le FPR : « La vraie nature du FPR/APR d’Ouganda en Rwanda » (sic) . Sur le chemin de l’exil il rassembla de quoi faire un autre volume sur les réfugiés rwandais ; « L’APR et les réfugiés rwandais au Zaïre, 1996-1997. Un génocide nié » (2004).
Avant de se reconvertir en Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), les FAR (anciennes Forces Armées Rwandaises), délogées des camps du Nord-Kivu, cornaquaient les réfugiés à travers les forêts congolaises pour leur servir de boucliers humains.
On peut dire sans exagérer que Musabyimana est l’un des principaux « nègres » des juges présents et à venir qui fabriquent des ordonnances contre le Front Patriotique Rwandais (FPR).
3. Sans crier gare, Musabyimana vient de créer un website, après avoir suivi des cours sur la gestion des systèmes informatiques. Musabyimana.be, naturellement, draine toute la gent négationniste du génocide des Tutsis du Rwanda, en montrant toutefois un talent plus grand pour l’inversion de culpabilité. L’inversion de culpabilité, il est vrai, représente ces temps-ci le prêt-à-penser des génocidaires et de leurs alliés, anciens ou nouvellement convertis. Musabyimana fédère ainsi facilement une grande partie de la diaspora post-génocide et quiconque nourrit quelque ressentiment contre le FPR-Inkotanyi. En gros, tout un pan d’une diaspora et d’une intelligentsia qui n’a plus rien à se mettre sous la dent et qu’on appelle « les enfants non désirés » de Ruzibiza. Musabyimana.be apporte ainsi sa contribution au combat mené tous azimuts pour conjurer l’accusation infamante et lourde d’avoir commis un génocide avéré sous les yeux de la communauté internationale qui n’a eu qu’à l’entériner.
4. Parmi les alliés ou les ouailles de Musabyimana, épinglons quelques noms , les uns connus, d’autres moins connus. Nous y trouvons un certain Fortunatus Rudakemwa , prêtre catholique romain, qui, à la manière d’un Bagosora annonçant l’apocalypse des Tutsis, annonce depuis peu l’apocalypse des Hutu (avant le juge espagnol, mais après Minorisa-Inshuti, association espagnole d’extrême droite catholique avec des rescapés des camps du Nord Kivu): pour lui le Rwanda actuel a une « priorité no 1 », à savoir : « Régler leurs comptes aux Bahutu » . Nous y trouvons une piétaille obscure embusquée au Rwanda pour, par exemple, débusquer la « parodie de justice dans les juridictions Gacaca » et les « dérapages du système judiciaire au Rwanda ». Il y en a d’autres. Mais le gros de la besogne est assurée par le maître de céans . Comme l’article sur « le cynisme du FPR », en réalité toute la panoplie du génocide des Tutsis attribuée telle quelle au FPR ; une technique de l’inversion appliquée ici par un professionnel.
4. La liste des « criminels du FPR » que Musabyimana publie sur son site n’est pas nouvelle : elle a connu des hauts et des bas depuis 1994, variant selon la position des cibles à tel ou tel moment de leur histoire politique. C’est ainsi que Faustin Twagiramungu ( dit Rukokoma) y figurait quand il était premier ministre du gouvernement d’union et risque d’y revenir après le livre d’un autre ami de Musabyimana qui s’appelle Serge Desouter. Ce missionaire agriculteur ( c’est lui qui le dit) disait naguère sur le website de Minorisa-Inshuti que le terme « génocide », à propos de ce qui s’est passé au Rwanda en 1994, est un langage usurpé. Desouter sévissait alors sur le site Minorisa-Inshuti, qui vient de se hisser dans l’actualité grâce à un juge espagnol pour le moins pressé et complaisant. Desouter était jusque là spécialiste des « listes » de prêtres que le FPR aurait envoyés au paradis. Desouter a été sans doute l’un des fournisseurs du juge de Santander et il ne doit pas être difficile de voir sa figure sous l’un des masques numérotés de l’ordonnance ( TAP-0XY ou quelque chose de ce genre).
Desouter, qui rejoignit dès le début le groupe Minorisa-Inshuti, fait partie de la même écurie que les concepteurs et les instigateurs de la plainte d’aujourd’hui. Récemment converti en « procureur » du FPR, Serge Desouter vient de publier un livre (« Rwanda : le procès du FPR » 2007) qui se veut une « mise au point historique ». En réalité un plaidoyer pour l’Eglise catholique, qui n’aurait jamais fait que du bien au Rwanda, et une plaidoirie en béatification du petit père Habyarimana qui aurait tant aimé son prochain tutsi surtout quand il passait à la caisse ou restait tranquille dans son exil, de préférence lointain.
La « culture de la liste » donc, d’autres s’y sont essayés depuis 1994 et peut-être même avant. Elle a ses classiques comme Matata, Rukokoma lui-même, Rusesabagina et quelques imitateurs mineurs.
Rukokoma, quand il venait de quitter le gouvernement d’union, en 1995, et que la Démocratie chrétienne belge lui faisait encore les yeux doux, s’accompagnait d’un porteur de valise. Ce bonhomme opinait de la tête et montrait du doigt sa valise, bourrée, à en croire son maître, des listes de victimes du FPR. Rusesabagina, en homme d’affaires avisé, a déjà envoyé, vite fait, sa liste à Arusha au TPIR. Joseph Matata , quant à lui, envoie ses listes urbi et orbi ! Ses « encycliques » de marque « CLIIR » doivent avoir fait le bonheur du juge casanier.
Ah ! l’ineffable Matata ! Un justicier hors pair, encyclopédiste de l’impunité ; un excellent candidat-procureur au vrai tribunal pénal international quand nous serons tous réunis dans la vallée de Josaphat, lors du jugement dernier. On l’y verrait volontiers trôner, avec, à ses pieds, un certain Antoine Nyetera, le prince « tutsi de service », portant la valise de son maître (à ne pas penser) pleine de listes et de dossiers. « La culture des listes » est en passe d’entrer dans la culture rwandaise, depuis qu’on sait écrire au pays « des mille collines aux neuf volcans », pour parodier une écrivaine belge, Marie Gevers (1953). La liste de Musabyimana y ajoute un relent d’initié par le parcours professionnel de l’auteur censé « être au parfum », par définition.
5. Le website de Musabyimana vient en quelque sorte prendre le relais de « Minorisa-Inshuti » et ses cousins que l’on croyait essouflés, mais qui reprennent du poil de la bête. On croyait que ses animateurs rwando-belgo-espagnols avaient bifurqué pour réconcilier les Rwandais autour de « l’ethnie » dans des rencontres transhumantes (de Barcelone en 2006 à Orléans en 2007). En réalité, ils préparaient une croisade, la croisade espagnole, pour accuser tout le régime rwandais, de 1990 à aujourd’hui, afin de venger la Démocratie Chrétienne bafouée par la défaite des siens et le génocide des Tutsi. « Ces imbéciles (sic), on leur a tout donné et ils finissent en génocidaires », me disait du fond du cœur, en 1994, un conseiller politique de l’IDC (l’Internationale démocrate chrétienne), avant de s’envoler à Bukavu, auprès du « gouvernement provisoire », pour tâcher de recoller les morceaux. C’était du temps où ne florissaient pas encore la négation et l’inversion, mais où le RDR (FDU-Inkingi) naissait..
On voit donc que nous sommes en pleines affinités électives, ou, si l’on veut, en pleine agrégation d’atomes crochus. Tout cela ne serait rien si Musabyimana, dans sa seconde patrie des Flandres, n’était pas engagé dans l’éducation des jeunes enfants ! Persuadé, comme les Rwandais, de l’importance de l’éducation (uburere buruta ubuvuke), le philosophe Platon proposait de bannir de sa république idéale les bonnes d’enfants au contact avec le jeune âge si influençable. Musabyimana risque de susciter ou de conforter en Flandre une pépinière d’experts de « la guerre éternelle entre Hutus et Tutsis » (Hutu en Tutsi, eeuwen strijd), pour emprunter le titre d’un livre (de 1995) de Peter Verlinden, un « expert » blanchi sous le harnais !
6. Le site Musabyimana.be fouette et réveille l’ardeur de nouveaux défenseurs de l’ethnie. On s’y précipite comme la misère sur le monde ; on s’y bouscule comme la blennorragie sur le bas clergé. Musabyimana.be, en effet, offre un forum à une galaxie bigarrée, qui va des séminaires romains aux paroisses rurales des Flandres, des tripots de Belgique aux arrière-boutiques des cybercafés rwandais.
Car Musabyimana est de ceux qui ont compris que désormais « Internet (est) le cinquième pouvoir » et peut bouleverser la vie politique traditionnelle. Et que désormais pour (re)prendre le pouvoir, il n’est plus nécessaire de prendre la parole et de dire des choses sensées et convaincantes; il n’est même plus nécessaire d’être sur les lieux, on peut télécharger la justice ou la révolution. Il suffit de bloguer à tout prix, de diffamer sans relâche, en s’aidant du mensonge, de l’amalgame ou de l’interprétation approximative.
7. A l’inverse de quelques cancres des CERAI (écoles allégées sous Habyarimana), Musabyimana.be ne recourt même pas, jusqu’ici, à l’injure grossière et personnalisée qui sert d’argument à ceux qui n’en ont pas. Musabyimana.be est un professionnel. Et l’on se prend à regretter une gabegie de talents mise à creuser le fossé entre les Rwandais. Bien entendu, les allégations de Musabyimana.be valent ce que valent les fantasmes des hommes traqués ; pathétiques, certes, mais sans intérêt.
8. Tout cela laisse néanmoins un goût amer. A quand les plaisantins, les aigris, les illuminés, les psittacistes de la « pensée » coloniale, les déçus, les écorchés vifs, les nostalgiques de l’ethnocratie, les branches mortes tombées du FPR qu’aucune pensée politique n’irrigue plus, etc. céderont-ils la place aux Rwandais soucieux de débattre sérieusement de la réconciliation et de la reconstruction de leur pays ?
9. Le Rwanda appartient à tous les Rwandais. Au Rwanda on juge, on condamne, on pardonne, on vit ensemble. L’unité nationale vaut mieux que la poussière des ethnies.
SMS
Kigali 26.02. 08